Parfois, les sites de presse publient des infos. Parfois, ils publient des analyses. Et parfois, on ne sait pas trop ce qu'ils publient. C'est le cas avec cet article de Slate "Harry Potter et les zombies à la fac, ou l'overdose «des cours à la con» façon générateur". L'auteur y parle vaguement de l'arrivée de cours de Cultural Studies dans le monde académique français. Mais plutôt que d'expliquer de quoi il s'agit - le terme même de Cultural Studies n'apparaît nulle part... - ou de proposer une réflexion sur la chose, elle se contente de proposer un générateur de "cours à la con". Evidemment, des personnes engagées à divers degré dans les sciences sociales se sont énervées contre l'article, moi y compris. Et se sont vues répondre que c'était du second degré, et qu'il fallait avoir un peu d'humour. Ach... l'humour... Vous connaissez le reste. Mais prenons cela au sérieux (non, ce n'est pas une tentative de blague pourrie) : si c'est de l'humour, de qui se moque-t-on ? (ça non plus). Faisons une petite étude de cas.
Comme j'ai pu l'évoquer précédemment, l'humour repose essentiellement sur un décalage : vous voyez un homme marcher dans la rue, il glisse sur une peau de banane, décalage, c'est drôle. Ce décalage peut être plus ou moins fort, et surtout peut être obtenu de diverses façons. Il ne s'agit pas forcément d'une rupture, comme dans l'humour non-sensique ou absurde : une exagération peut être également efficace, tout comme la révélation de quelque chose que tout le monde pense vrai mais ne dit pas - le fameux "c'est drôle parce que c'est vrai" (qui est souvent faux et simplement l'affirmation d'un pouvoir, mais j'ai déjà parlé de cela avant).
Partant de là, on peut comprendre comment l'humour de l'article en question peut fonctionner : il s'agit de jouer sur le décalage entre d'un côté le sérieux généralement prêté au monde académique et de l'autre le contenu inhabituel des cours en question. De là, on peut penser qu'il y a peut-être une volonté sincère d'être drôle derrière l'article. Disons qu'on peut lui accorder le bénéfice du doute.
Avant d'aller plus loin, notons que le résultat est parfois... étrange. Tenez, ce résultat, l'un des premiers sur lequel je suis tombé en lançant le générateur et qui, je dois le supposer, devrait m'apparaître décalé d'une façon ou d'une autre :
Il faudra peut-être expliquer à l'auteure que les recherches anthropologique sur la magie et la sorcellerie ne sont pas franchement nouvelles, y compris dans le contexte français : 1977 pour la publication de Les mots, la mort, les sorts, référence en la matière, et qui traite de la sorcellerie en Mayenne... Alors je suppose que c'est le "dans le monde numérique" qui doit provoquer en moi une certaine hilarité... Auquel cas je ne pourrais que conseiller la lecture du bouquin de Jeanne Favrett-Saada qui devrait nous mettre à l'abri de nos prétentions à penser que les croyances magies se sont retirées de notre monde moderne...
Mais je pinaille. Disons que c'est un hasard du générateur. Même si je me demande ce qui est drôle dans les intitulés suivants que le générateur m'a donné : "Rhétorique de la propagande visuelle dans le monde de l'Islam" (c'est où que c'est "à la con" au juste ?), "Comprendre la masculinité dans l'oeuvre de Nietzsche" (non sérieusement, vous croyez qu'on ne s'est jamais posé de questions sur Nietzsche ?), ou encore "Politique de la pensée constructiviste dans le monde numérique" (peut-être un peu post-moderniste, mais à quel moment je suis censé rire au juste ?)... Soyons honnête, je vois mieux l'intention humoristique dans "Géographie de la société et Oprah Winfrey", même si je n'en suis toujours pas à me rouler par terre en suffoquant.
Notons cependant qu'il existe (au moins) deux façons d'obtenir le décalage en question. On peut confronter le côté guindé de l'université française à la nouveauté d'objets de recherche réclamant un nouvel état d'esprit, et remettant en cause des frontières traditionnelles et désuètes. On peut au contraire confronter la légèreté des objets choisis, leur trivialité, au sérieux réclamé par l'université et l'enseignement supérieur. L'article fait clairement le choix de la deuxième option. Il n'y a aucun doute là-dessus. L'auteure prend même la peine d'enfoncer le clou en invoquant l'argument monétaire :
Comme pour toute interaction, l'humour réclame, comme le dirait Goffman, un cadre. Le cadre n'est pas seulement fixé par l'article qui vient expliquer pourquoi c'est drôle ("ahahah, regardez comment on gâche l'argent des étudiants !"), mais aussi par l'appel un cadre pré-existant. Le fait de simplement évoquer les titres des cours et de dire "regardez, c'est drôle !" suppose que l'on tienne pour acquis que les éléments contenus dans ces titres n'ont rien à faire à l'université, qu'ils ne sont pas à leur place, qu'ils sont décalés, et donc drôles... Autrement dit, il faut tenir pour acquis une hiérarchie culturelle bien précise. Si on ne pense pas que, par exemple, Harry Potter ou les Zombies, sont illégitimes, déjà ridicules, la blague ne peut tout simplement pas être drôle. Derrière cette blague, il y a donc le mépris culturel. Et ce mépris vise des pratiques populaires : si l'article met en avant, par son titre, Harry Potter et les Zombie, ce n'est pas par hasard. Certains des titres générés peuvent pourtant contenir le nom de Marcel Proust, mais cela gêne visiblement moins l'auteur qui écrit "une tendance très américaine, consistant à étudier au même titre que Proust et le néo-libéralisme des concepts qui, a priori, ne le méritent pas: les vampires, Star Trek, la magie noire ou Oprah Winfrey..." (notons donc que Proust mérite d'être étudié, mais la magie noire non... Non, je ne vois pas non plus la logique). Ce mépris culturel correspond à un mépris de classe. Enlevez-le, retirez ce contexte où certaines pratiques sont attribuées aux classes populaires et considérées comme de faible valeur, et il n'y a tout simplement plus lieu de rire. Si vous acceptez l'idée que Games Of Throne fait jeu égal avec Proust ou Zola, alors le titre suivant n'est plus drôle. Parce que l'on a pas attendu une "tendance américaine" pour s'interroger sur le genre dans l'oeuvre de Proust...
Il est important de comprendre que dans un tel humour, la question "de qui se moque-t-on ?" est une bonne question à se poser. Car on se moque bien de quelqu'un. L'humour sert d'arme critique. Ce n'est en rien nouveau : Aristophane, déjà, utilisait l'humour de cette façon. C'est pour cela qu'il est toujours étonnant de voir déjà expliquer que "ce n'est que de l'humour", "du second degré", et que ce n'est pas bien grave. On imagine difficilement Molière écrivant "bon, écoutez, le Tartuffe, c'était juste pour la déconne, je ne voulais critiquer personne, c'était du second degré". Non : il assumait de vouloir "corriger les mœurs par le rire". Plus proche de nous, un autre générateur de titre avait été crée il y a quelques temps par Libération : un générateur de titres de la presse hebdomadaire. Il aurait été bien étonnant de voir ses créateurs dire "non, mais on ne voulait pas critiquer le Point et l'Express, un peu d'humour quoi".
De ce fait, l'article en question consiste bien en une critique des cours cités. Que ce soit de l'humour n'y change rien. C'est un humour qui surfe sur une forme de mépris culturel et de mépris de classe. Sans ces éléments, une fois de plus, l'article ne pourrait de toutes façons pas exister. Qu'il s'agisse d'un humour critique n'est en soi pas un problème, puisqu'il s'agit de l'une des fonctions classiques de l'humour. Encore faut-il l'assumer. Malheureusement, c'est toujours là qu'intervient le fameux "mais c'est juste de l'humour !". Le problème est que, quand on fait de l'humour qui s'appuie sur un mépris culturel ou un mépris de classe, on peut se rendre compte qu'on ne fait pas rire les bonnes personnes : par exemple, on peut faire rire les conservateurs qui pensent que seule la culture classique a droit de cité dans l'université, tandis que l'on énervera ceux qui essayent de promouvoir les Cultural Studies en France. Cela me rappelle une vieille rengaine... Qu'est-ce que c'était déjà ? Ah oui... "On peut rire de tout mais pas avec n'importe qui".
@Moossye @melaniebourdaa @Uneheuredepeine @placardobalais les gars qui font du @legorafi sans le talent ni le contexte de reception....
— Olivier Mauco (@GameinSociety) October 17, 2013
@melaniebourdaa @dasmtweets Sur fb, la journaliste a répondu que c'était de l'ironie... https://t.co/gjXb0EXRWk
— Aurore Gallarino (@AuroreGallarino) October 17, 2013
Comme j'ai pu l'évoquer précédemment, l'humour repose essentiellement sur un décalage : vous voyez un homme marcher dans la rue, il glisse sur une peau de banane, décalage, c'est drôle. Ce décalage peut être plus ou moins fort, et surtout peut être obtenu de diverses façons. Il ne s'agit pas forcément d'une rupture, comme dans l'humour non-sensique ou absurde : une exagération peut être également efficace, tout comme la révélation de quelque chose que tout le monde pense vrai mais ne dit pas - le fameux "c'est drôle parce que c'est vrai" (qui est souvent faux et simplement l'affirmation d'un pouvoir, mais j'ai déjà parlé de cela avant).
Partant de là, on peut comprendre comment l'humour de l'article en question peut fonctionner : il s'agit de jouer sur le décalage entre d'un côté le sérieux généralement prêté au monde académique et de l'autre le contenu inhabituel des cours en question. De là, on peut penser qu'il y a peut-être une volonté sincère d'être drôle derrière l'article. Disons qu'on peut lui accorder le bénéfice du doute.
Avant d'aller plus loin, notons que le résultat est parfois... étrange. Tenez, ce résultat, l'un des premiers sur lequel je suis tombé en lançant le générateur et qui, je dois le supposer, devrait m'apparaître décalé d'une façon ou d'une autre :
Il faudra peut-être expliquer à l'auteure que les recherches anthropologique sur la magie et la sorcellerie ne sont pas franchement nouvelles, y compris dans le contexte français : 1977 pour la publication de Les mots, la mort, les sorts, référence en la matière, et qui traite de la sorcellerie en Mayenne... Alors je suppose que c'est le "dans le monde numérique" qui doit provoquer en moi une certaine hilarité... Auquel cas je ne pourrais que conseiller la lecture du bouquin de Jeanne Favrett-Saada qui devrait nous mettre à l'abri de nos prétentions à penser que les croyances magies se sont retirées de notre monde moderne...
Mais je pinaille. Disons que c'est un hasard du générateur. Même si je me demande ce qui est drôle dans les intitulés suivants que le générateur m'a donné : "Rhétorique de la propagande visuelle dans le monde de l'Islam" (c'est où que c'est "à la con" au juste ?), "Comprendre la masculinité dans l'oeuvre de Nietzsche" (non sérieusement, vous croyez qu'on ne s'est jamais posé de questions sur Nietzsche ?), ou encore "Politique de la pensée constructiviste dans le monde numérique" (peut-être un peu post-moderniste, mais à quel moment je suis censé rire au juste ?)... Soyons honnête, je vois mieux l'intention humoristique dans "Géographie de la société et Oprah Winfrey", même si je n'en suis toujours pas à me rouler par terre en suffoquant.
Notons cependant qu'il existe (au moins) deux façons d'obtenir le décalage en question. On peut confronter le côté guindé de l'université française à la nouveauté d'objets de recherche réclamant un nouvel état d'esprit, et remettant en cause des frontières traditionnelles et désuètes. On peut au contraire confronter la légèreté des objets choisis, leur trivialité, au sérieux réclamé par l'université et l'enseignement supérieur. L'article fait clairement le choix de la deuxième option. Il n'y a aucun doute là-dessus. L'auteure prend même la peine d'enfoncer le clou en invoquant l'argument monétaire :
Mais ces cours ont-ils vraiment leur place dans la maquette pédagogique de grandes universités aux frais de scolarité très élevés –10.000 euros l’année à Sciences Po, 20.000 euros le semestre à NYU?
Comme pour toute interaction, l'humour réclame, comme le dirait Goffman, un cadre. Le cadre n'est pas seulement fixé par l'article qui vient expliquer pourquoi c'est drôle ("ahahah, regardez comment on gâche l'argent des étudiants !"), mais aussi par l'appel un cadre pré-existant. Le fait de simplement évoquer les titres des cours et de dire "regardez, c'est drôle !" suppose que l'on tienne pour acquis que les éléments contenus dans ces titres n'ont rien à faire à l'université, qu'ils ne sont pas à leur place, qu'ils sont décalés, et donc drôles... Autrement dit, il faut tenir pour acquis une hiérarchie culturelle bien précise. Si on ne pense pas que, par exemple, Harry Potter ou les Zombies, sont illégitimes, déjà ridicules, la blague ne peut tout simplement pas être drôle. Derrière cette blague, il y a donc le mépris culturel. Et ce mépris vise des pratiques populaires : si l'article met en avant, par son titre, Harry Potter et les Zombie, ce n'est pas par hasard. Certains des titres générés peuvent pourtant contenir le nom de Marcel Proust, mais cela gêne visiblement moins l'auteur qui écrit "une tendance très américaine, consistant à étudier au même titre que Proust et le néo-libéralisme des concepts qui, a priori, ne le méritent pas: les vampires, Star Trek, la magie noire ou Oprah Winfrey..." (notons donc que Proust mérite d'être étudié, mais la magie noire non... Non, je ne vois pas non plus la logique). Ce mépris culturel correspond à un mépris de classe. Enlevez-le, retirez ce contexte où certaines pratiques sont attribuées aux classes populaires et considérées comme de faible valeur, et il n'y a tout simplement plus lieu de rire. Si vous acceptez l'idée que Games Of Throne fait jeu égal avec Proust ou Zola, alors le titre suivant n'est plus drôle. Parce que l'on a pas attendu une "tendance américaine" pour s'interroger sur le genre dans l'oeuvre de Proust...
Il est important de comprendre que dans un tel humour, la question "de qui se moque-t-on ?" est une bonne question à se poser. Car on se moque bien de quelqu'un. L'humour sert d'arme critique. Ce n'est en rien nouveau : Aristophane, déjà, utilisait l'humour de cette façon. C'est pour cela qu'il est toujours étonnant de voir déjà expliquer que "ce n'est que de l'humour", "du second degré", et que ce n'est pas bien grave. On imagine difficilement Molière écrivant "bon, écoutez, le Tartuffe, c'était juste pour la déconne, je ne voulais critiquer personne, c'était du second degré". Non : il assumait de vouloir "corriger les mœurs par le rire". Plus proche de nous, un autre générateur de titre avait été crée il y a quelques temps par Libération : un générateur de titres de la presse hebdomadaire. Il aurait été bien étonnant de voir ses créateurs dire "non, mais on ne voulait pas critiquer le Point et l'Express, un peu d'humour quoi".
De ce fait, l'article en question consiste bien en une critique des cours cités. Que ce soit de l'humour n'y change rien. C'est un humour qui surfe sur une forme de mépris culturel et de mépris de classe. Sans ces éléments, une fois de plus, l'article ne pourrait de toutes façons pas exister. Qu'il s'agisse d'un humour critique n'est en soi pas un problème, puisqu'il s'agit de l'une des fonctions classiques de l'humour. Encore faut-il l'assumer. Malheureusement, c'est toujours là qu'intervient le fameux "mais c'est juste de l'humour !". Le problème est que, quand on fait de l'humour qui s'appuie sur un mépris culturel ou un mépris de classe, on peut se rendre compte qu'on ne fait pas rire les bonnes personnes : par exemple, on peut faire rire les conservateurs qui pensent que seule la culture classique a droit de cité dans l'université, tandis que l'on énervera ceux qui essayent de promouvoir les Cultural Studies en France. Cela me rappelle une vieille rengaine... Qu'est-ce que c'était déjà ? Ah oui... "On peut rire de tout mais pas avec n'importe qui".