Sixième projet de loi sur l'immigration depuis 2002 et donc depuis le retour de Nicolas Sarkozy aux affaires. Je m'inquiétais il y a quelques jours de la transformation de l'éthique de responsabilité en une éthique de conviction complètement aveugle. En voici donc la parfaite, et malheureuse, illustration.
Tout le jeu autour de la "reprise en main" politique de l'immigration a consisté pour Nicolas Sarkozy et son camp à se présenter comme "responsables", c'est-à-dire à l'écoute des Français et de leurs problèmes, et n'ayant pas peur, contre le "politiquement correct" et la "bien-pensance" régulièrement dénoncé, de s'attaquer aux "vrais" problèmes. Ethique de la responsabilité weberienne, donc. Du moins, c'est sous ce masque que les choses se présentent.
Six projets de loi et une quantité formidable d'énergie politique dépensée plus tard, il devrait être clair pour tous qu'il n'y a là-dedans rien qui soit un tant soit peu responsable. Depuis que toutes ces modifications plus ou moins importantes mais toujours pesantes pour les étrangers en France et ceux qui les côtoient ont été apportées, qui oserait dire que les choses vont mieux, que la situation de tout un chacun s'est amélioré, que l'on vit mieux aujourd'hui que l'on ne le faisait avant 2002 ?
Imaginons un instant que la France soit un corps malade. Un médecin qui tenterait un premier traitement, verrait que ni les symptômes ni le mal ne recule et proposerait un nouveau diagnostic et un nouveau traitement pourrait sans doute être qualifié de responsable. Ayant une vue claire de ses objectifs, il les poursuit de la façon la plus rationnelle et la plus efficace possible. Par contre, un médecin qui s'acharnerait à appliquer des saignés à un patient de plus en plus faible, refusant de voir que son diagnostic était erroné, serait considéré comme fou et irresponsable. Il ne vaudrait pas mieux que les médecins de la pièce de Molière, préférant psalmodier quelques termes savamment latins et appliquer des recettes toutes faites plutôt que de se soucier du mal dont souffre son patient. L'entêtement thérapeutique ne nous apparaît pas comme un comportement responsable, bien au contraire. C'est pourtant le coup de force actuel que de l'avoir fait croire. Avec un succès qui ne devrait pas lasser d'étonner.
La responsabilité a été transformé en une pose, une attitude que l'on se donne plutôt qu'une éthique que l'on met en œuvre. Elle n'est pas très différente des chapeaux et des habits des médecins du temps de Molière : elle sert plus à imposer le respect qu'à soigner. Il s'agit, pour ceux qui s'en parent, de dire "Halte-là ! Nous, nous n'avons pas peur ! Nous, nous osons ! Nous, nous agissons ! Nous, nous sommes responsables !". En s'attirant la légitimé que l'on prête, encore un peu, à l'action rationnelle, ils espèrent détourner l'attention. Mais ce n'est là qu'un artifice rhétorique peut-être de moins en moins efficace.
C'est ainsi qu'il faut comprendre cette énième loi sur l'immigration : comme une pose. Comme la baguette du prestidigitateur, elle vise à détourner l'attention de l'audience vers un quelconque fétiche. Elle doit montrer que l'on agit, que l'on peut agir et faire des choses. A ceux qui protestent, on pourra toujours répondre "Vous préféreriez ne rien faire ? Nous, nous agissons !". Parce que les gouvernants ont souvent pêchés par inaction, il a été possible de faire croire qu'être responsable, c'était agir, peu importe au final ce que l'on fait. L'immigration s'est imposé comme le domaine par excellence où l'on peut "faire" quelque chose. Peu importe quoi, car agir est devenu le début et la fin de l'éthique. Reconduire des gens à la frontière est possible, alors on le fait, et puisqu'on le fait, on a un comportement éthique. Mais cette éthique n'est pas celle de la responsabilité. La responsabilité est aux gouvernants d'aujourd'hui ce que le chapeau et la robe étaient aux médecins d'hier : un moyen d'affirmer leur autorité en cachant qu'ils font n'importe quoi.
Considérons ainsi les dispositions de ce nouveau projet. Certains témoignent d'une croyance aveugle en la sanction en dehors de toute considération sur son efficacité : c'est le cas de la déchéance de la nationalité ou de l'alourdissement des peines pour les "mariages gris". Il ne s'agit pas de savoir si ces dispositions auront quelques efficacités : alourdir les peines, c'est agir, et agir, c'est bien. Ces deux modifications ont de plus l'avantage de d'attirer sur eux les feux des projecteurs, faisant ainsi disparaître de l'agenda médiatique les autres dispositions, non moins problématiques - une stratégie qui avait déjà fonctionné à l'époque des "tests ADN". Pendant ce temps, on réduit le périmètre d'action du juge des libertés et de la détention : c'est qu'il faut lutter contre le "laxisme" de ces juges qui entravent l'action. Car il faut agir, peu importe comment. De même il faut rendre plus d'étrangers expulsables, pour pouvoir agir plus, dans une fuite en avant où l'action devient sa propre justification, où l'expulsion devient la fin en soi.
Une éthique de l'action pour l'action que l'on essaye de nous faire passer pour une éthique de la responsabilité, alors que l'on ne fait qu'y obéir aveuglement à un principe général : "agir pour agir". Le plus inquiétant n'est peut-être pas qu'un tel artifice soit utilisé, mais qu'il soit si bien accepté. J'aimerais croire à ce que dessine Eric Fassin, qu'il existe un "seuil d'intolérance" où les Français vont se rendre compte du caractère superficiel et inacceptable des "solutions" qu'on leur propose. J'avoue demeurer un éternel pessimiste.
Tout le jeu autour de la "reprise en main" politique de l'immigration a consisté pour Nicolas Sarkozy et son camp à se présenter comme "responsables", c'est-à-dire à l'écoute des Français et de leurs problèmes, et n'ayant pas peur, contre le "politiquement correct" et la "bien-pensance" régulièrement dénoncé, de s'attaquer aux "vrais" problèmes. Ethique de la responsabilité weberienne, donc. Du moins, c'est sous ce masque que les choses se présentent.
Six projets de loi et une quantité formidable d'énergie politique dépensée plus tard, il devrait être clair pour tous qu'il n'y a là-dedans rien qui soit un tant soit peu responsable. Depuis que toutes ces modifications plus ou moins importantes mais toujours pesantes pour les étrangers en France et ceux qui les côtoient ont été apportées, qui oserait dire que les choses vont mieux, que la situation de tout un chacun s'est amélioré, que l'on vit mieux aujourd'hui que l'on ne le faisait avant 2002 ?
Imaginons un instant que la France soit un corps malade. Un médecin qui tenterait un premier traitement, verrait que ni les symptômes ni le mal ne recule et proposerait un nouveau diagnostic et un nouveau traitement pourrait sans doute être qualifié de responsable. Ayant une vue claire de ses objectifs, il les poursuit de la façon la plus rationnelle et la plus efficace possible. Par contre, un médecin qui s'acharnerait à appliquer des saignés à un patient de plus en plus faible, refusant de voir que son diagnostic était erroné, serait considéré comme fou et irresponsable. Il ne vaudrait pas mieux que les médecins de la pièce de Molière, préférant psalmodier quelques termes savamment latins et appliquer des recettes toutes faites plutôt que de se soucier du mal dont souffre son patient. L'entêtement thérapeutique ne nous apparaît pas comme un comportement responsable, bien au contraire. C'est pourtant le coup de force actuel que de l'avoir fait croire. Avec un succès qui ne devrait pas lasser d'étonner.
La responsabilité a été transformé en une pose, une attitude que l'on se donne plutôt qu'une éthique que l'on met en œuvre. Elle n'est pas très différente des chapeaux et des habits des médecins du temps de Molière : elle sert plus à imposer le respect qu'à soigner. Il s'agit, pour ceux qui s'en parent, de dire "Halte-là ! Nous, nous n'avons pas peur ! Nous, nous osons ! Nous, nous agissons ! Nous, nous sommes responsables !". En s'attirant la légitimé que l'on prête, encore un peu, à l'action rationnelle, ils espèrent détourner l'attention. Mais ce n'est là qu'un artifice rhétorique peut-être de moins en moins efficace.
C'est ainsi qu'il faut comprendre cette énième loi sur l'immigration : comme une pose. Comme la baguette du prestidigitateur, elle vise à détourner l'attention de l'audience vers un quelconque fétiche. Elle doit montrer que l'on agit, que l'on peut agir et faire des choses. A ceux qui protestent, on pourra toujours répondre "Vous préféreriez ne rien faire ? Nous, nous agissons !". Parce que les gouvernants ont souvent pêchés par inaction, il a été possible de faire croire qu'être responsable, c'était agir, peu importe au final ce que l'on fait. L'immigration s'est imposé comme le domaine par excellence où l'on peut "faire" quelque chose. Peu importe quoi, car agir est devenu le début et la fin de l'éthique. Reconduire des gens à la frontière est possible, alors on le fait, et puisqu'on le fait, on a un comportement éthique. Mais cette éthique n'est pas celle de la responsabilité. La responsabilité est aux gouvernants d'aujourd'hui ce que le chapeau et la robe étaient aux médecins d'hier : un moyen d'affirmer leur autorité en cachant qu'ils font n'importe quoi.
Considérons ainsi les dispositions de ce nouveau projet. Certains témoignent d'une croyance aveugle en la sanction en dehors de toute considération sur son efficacité : c'est le cas de la déchéance de la nationalité ou de l'alourdissement des peines pour les "mariages gris". Il ne s'agit pas de savoir si ces dispositions auront quelques efficacités : alourdir les peines, c'est agir, et agir, c'est bien. Ces deux modifications ont de plus l'avantage de d'attirer sur eux les feux des projecteurs, faisant ainsi disparaître de l'agenda médiatique les autres dispositions, non moins problématiques - une stratégie qui avait déjà fonctionné à l'époque des "tests ADN". Pendant ce temps, on réduit le périmètre d'action du juge des libertés et de la détention : c'est qu'il faut lutter contre le "laxisme" de ces juges qui entravent l'action. Car il faut agir, peu importe comment. De même il faut rendre plus d'étrangers expulsables, pour pouvoir agir plus, dans une fuite en avant où l'action devient sa propre justification, où l'expulsion devient la fin en soi.
Une éthique de l'action pour l'action que l'on essaye de nous faire passer pour une éthique de la responsabilité, alors que l'on ne fait qu'y obéir aveuglement à un principe général : "agir pour agir". Le plus inquiétant n'est peut-être pas qu'un tel artifice soit utilisé, mais qu'il soit si bien accepté. J'aimerais croire à ce que dessine Eric Fassin, qu'il existe un "seuil d'intolérance" où les Français vont se rendre compte du caractère superficiel et inacceptable des "solutions" qu'on leur propose. J'avoue demeurer un éternel pessimiste.
3 commentaires:
Je peux sentir ton agacement croître de jour en jour.
Je dirais qu'au delà de l'effet d'annonce que tu soulignes à raison, il y a aussi une dimension performative dans ce discours : je dis que les étrangers constituent un problème pour les français pour que ces derniers en viennent à croire qu'ils en sont effectivement un.
Comme toi je suis triste de l'inertie de mes compatriotes.
En même temps la chose est mieux amenée qu'il n'y paraît, au sens où un racisme latent, qui s'exerce en particulier à l'encontre des populations maghrebines et des roms, les empêche de se déclarer solidaires de l'ensemble des immigrés, sans qu'ils détestent pour autant leur épicier arabe ou un voisin d'orgine portugaise !
Une interprétation moderne de "Diviser pour mieux régner" sans doute...
"C'est ainsi qu'il faut comprendre cette énième loi sur l'immigration : comme une pose. Comme la baguette du prestidigitateur, elle vise à détourner l'attention de l'audience vers un quelconque fétiche."
Hmm, admettons. Mais si c'est le cas, disons, pour parler comme comme Simmel, qu'il y a la une forme de l'action réciproque et de la socialisation, que le point de vue scientifique doit détacher de ses contenus (cf. G. Simmel, Sociologie. Étude sur les formes de socialisation, PUF, p. 45). On s'aperçoit alors que cette forme se retrouve ailleurs, avec des contenus différents. Quand le Président Bouteflika parlait de dette "imprescriptible" de la France ou de "génocide" par la France en Algérie, ne cherchait-il pas aussi à détourner l'attention de son audience vers un "fétiche" (pour que la dite audience ne s'attarde pas trop, par exemple, sur les responsabilités du FLN dans les difficultés post-coloniales de ce pays, ou sur la corruption de ses responsables) ? Mais on pourrait, sans grandes difficultés je pense, multiplier les exemples. Il ne s'agit pas ce faisant de renvoyer simplement un certain nombre d'acteurs dos-à-dos, mais de repérer que l'action politique se coule dans un certain nombre de "formes", peut-être pas si nombreuses que cela, qui caractérisent "l'essence" du politique (Freund). C'est la condition à mon sens pour essayer de comprendre quelque chose. Les différentes prises de position de sociologues mentionnées dans les derniers billets me déçoivent beaucoup de ce point de vue. On déplore, on dénonce, on moralise beaucoup. Mais on n'explique pas grand chose finalement.
Justement, mon but avec ces deux billets, ainsi que celui intitulé "La France et l'étranger : je te fuis, je te suis" est de donner quelques clefs de compréhension de la situation présente. D'abord, la distinction que fait Weber entre éthique de responsabilité et éthique de conviction me semble une grille de lecture intéressante pour comprendre le jeu politique présent, en relevant comment la responsabilité s'est transformé en conviction. J'avais précédemment avancé l'idée, reprise ici, que la centration sur l'immigration découle du fait qu'il s'agit de l'un des derniers domaines sur lequel le pouvoir politique national peut avoir une action à la fois visible et d'envergure. L'essence du politique, par contre, ça me semble trop compliqué pour moi...
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