Fascinants usages de l'étranger dans les discours politiques depuis quelques jours : les gouvernants français et leurs alliés s'évertuent par tous les moyens à nous rappeler que ceux qui les critiquent ne sont pas de chez nous et n'ont rien à nous dire. Pire que cela, la situation n'est guère meilleure chez eux. Pourtant, lorsque l'on en vient à d'autres matières, écouter les conseils venus d'ailleurs, voire calquer nos actes et nos principes sur ce qui fait dans les autres pays est une impérieuse nécessité : c'est le cas lorsqu'il s'agit, exemple que je prends tout à fait au hasard et sans raison particulière, des retraites... ou encore de l'organisation des marchés du travail ou du retrait de l'Etat. Alors, écouter l'étranger, c'est bien ou c'est pas bien ? Difficile à dire, mais ça nous dit au moins deux-trois choses sur la mondialisation...
Il est notable que, dans certains domaines, l'étranger, l'ailleurs, soit devenus la mesure de la pertinence politique : il faut faire ce qu'ont fait les autres, suivre le mouvement, le sens de l'histoire, généralement donné par les pays anglo-saxons... Ou plutôt par ce que l'on suppose être les pays anglo-saxons. Car, lorsque les Etats-Unis mettent en place quelques (légers) filets de sécurité sociale, c'est en agitant leur exemple que l'on défait ce qui existaient en France depuis bien plus longtemps. C'est qu'il serait faux d'assimiler les orientations qui se font jour en France sous cette rhétorique comme une simple avancée d'un "capitalisme global" implacable, encore moins comme une offensive venue de l'extérieure. L'usage de la mondialisation comme principe de justification doit d'abord se comprendre dans le cadre national.
Au contraire, dans d'autres domaines, il apparaît depuis quelques jours de façon très clair que suivre les recommandations venant de l'étranger n'a pas la même force de légitimation. Au contraire, les gouvernants retombent dans le bon vieux tropisme du linge sale qui se lave en famille : en matière de politique d'immigration, il n'y a pas, visiblement, de grand lavomatique européen... Au contraire, on agite facilement la situation réputée "bien pire" de certains de nos grands voisins. Ce n'est guère nouveau : le "multiculturalisme" et le "communautarisme" de nos amis anglo-saxons demeurent un utile épouvantail quand il s'agit de refuser telle ou telle forme de solution, telle ou telle politique.
Deux utilisations différentes, donc, de l'exemple de l'étranger : le modèle et le repoussoir. Un contraste qui nous apprend beaucoup, en fait, des transformations en cours à l'heure de la mondialisation.
Dans quel domaine se fait en effet ce recours à l'exemple étranger ? Essentiellement dans le domaine économique, c'est-à-dire dans un domaine où les politiques françaises se sont avérées être pour la plupart décevantes depuis bien des années, en particulier en ce qui concerne le chômage. Mais aussi un domaine où, comme on le sait, il existe pour les nouveaux venus de forts blocages institutionnels. Je ne fais pas référence, ici, aux "blocages administratifs et étatiques" traditionnellement dénoncés à grands cris, mais plutôt au fait que les grandes entreprises et les postes prestigieux qu'elles offrent sont trustés par une élite relativement étroite, issue des grands écoles et des grands corps d'Etat. De ce fait, pour ceux qui désirent concurrencer quelques peu ces "insiders", la référence à l'étranger, le recours à un capital "international", est une bonne solution. Et c'est ainsi que se mène, dans ce domaine précis, une lutte pour s'approprier la légitimité de la référence à l'étranger.
Cette lutte, propre à la sphère économique, ne se retrouve pas avec la même force ailleurs. Le domaine des politiques souveraines en témoigne, d'autant plus dans le domaine de la régulation de l'immigration : s'ils sont concurrencés dans certains domaines, les Etats conservent comme privilège et spécificités le "monopole de la contrainte physique légitime" et donc le contrôle de la population. Il est possible, comme je l'ai déjà évoqué par ailleurs, que dans l'avenir, les Etats se convertissent en des agences de contrôle de la population. La politique menée depuis des années avec un acharnement certain par le gouvernement français pourrait donc être sombrement annonciatrice : désireux de montrer que la politique pouvait encore faire quelque chose, le président de la République s'est concentré sur, peut-être, la dernière question où, effectivement, on "peut" faire quelque chose - quitte à faire n'importe quoi : quand on veut expulser des gens, on en trouve toujours... Il s'agit dès lors de refuser les rappels à l'ordre des instances internationales parce que c'est là le seul domaine où, effectivement, l'Etat a encore la possibilité d'afficher sa force.
L'étranger comme modèle ou comme repoussoir sont cependant deux figures qui partagent une ressemblance d'importance : l'une et l'autre continuent à penser la mondialisation non comme un espace d'intégration croissante mais comme une juxtaposition de pays différenciés. Loin de l'image d'Epinal d'une fusion entre les différents pays, l'utilisation nationale des références à l'étranger montrent que, pour beaucoup, la mondialisation constitue plutôt une compétition généralisée entre les pays. Elle se joue beaucoup plus dans le fait que les pays s'observent, se jugent et s'évaluent, s'imitent parfois, se distinguent également, plutôt qu'ils ne marchent vers un effacement généralisé des frontières.
Il est notable que, dans certains domaines, l'étranger, l'ailleurs, soit devenus la mesure de la pertinence politique : il faut faire ce qu'ont fait les autres, suivre le mouvement, le sens de l'histoire, généralement donné par les pays anglo-saxons... Ou plutôt par ce que l'on suppose être les pays anglo-saxons. Car, lorsque les Etats-Unis mettent en place quelques (légers) filets de sécurité sociale, c'est en agitant leur exemple que l'on défait ce qui existaient en France depuis bien plus longtemps. C'est qu'il serait faux d'assimiler les orientations qui se font jour en France sous cette rhétorique comme une simple avancée d'un "capitalisme global" implacable, encore moins comme une offensive venue de l'extérieure. L'usage de la mondialisation comme principe de justification doit d'abord se comprendre dans le cadre national.
Au contraire, dans d'autres domaines, il apparaît depuis quelques jours de façon très clair que suivre les recommandations venant de l'étranger n'a pas la même force de légitimation. Au contraire, les gouvernants retombent dans le bon vieux tropisme du linge sale qui se lave en famille : en matière de politique d'immigration, il n'y a pas, visiblement, de grand lavomatique européen... Au contraire, on agite facilement la situation réputée "bien pire" de certains de nos grands voisins. Ce n'est guère nouveau : le "multiculturalisme" et le "communautarisme" de nos amis anglo-saxons demeurent un utile épouvantail quand il s'agit de refuser telle ou telle forme de solution, telle ou telle politique.
Deux utilisations différentes, donc, de l'exemple de l'étranger : le modèle et le repoussoir. Un contraste qui nous apprend beaucoup, en fait, des transformations en cours à l'heure de la mondialisation.
Dans quel domaine se fait en effet ce recours à l'exemple étranger ? Essentiellement dans le domaine économique, c'est-à-dire dans un domaine où les politiques françaises se sont avérées être pour la plupart décevantes depuis bien des années, en particulier en ce qui concerne le chômage. Mais aussi un domaine où, comme on le sait, il existe pour les nouveaux venus de forts blocages institutionnels. Je ne fais pas référence, ici, aux "blocages administratifs et étatiques" traditionnellement dénoncés à grands cris, mais plutôt au fait que les grandes entreprises et les postes prestigieux qu'elles offrent sont trustés par une élite relativement étroite, issue des grands écoles et des grands corps d'Etat. De ce fait, pour ceux qui désirent concurrencer quelques peu ces "insiders", la référence à l'étranger, le recours à un capital "international", est une bonne solution. Et c'est ainsi que se mène, dans ce domaine précis, une lutte pour s'approprier la légitimité de la référence à l'étranger.
Cette lutte, propre à la sphère économique, ne se retrouve pas avec la même force ailleurs. Le domaine des politiques souveraines en témoigne, d'autant plus dans le domaine de la régulation de l'immigration : s'ils sont concurrencés dans certains domaines, les Etats conservent comme privilège et spécificités le "monopole de la contrainte physique légitime" et donc le contrôle de la population. Il est possible, comme je l'ai déjà évoqué par ailleurs, que dans l'avenir, les Etats se convertissent en des agences de contrôle de la population. La politique menée depuis des années avec un acharnement certain par le gouvernement français pourrait donc être sombrement annonciatrice : désireux de montrer que la politique pouvait encore faire quelque chose, le président de la République s'est concentré sur, peut-être, la dernière question où, effectivement, on "peut" faire quelque chose - quitte à faire n'importe quoi : quand on veut expulser des gens, on en trouve toujours... Il s'agit dès lors de refuser les rappels à l'ordre des instances internationales parce que c'est là le seul domaine où, effectivement, l'Etat a encore la possibilité d'afficher sa force.
L'étranger comme modèle ou comme repoussoir sont cependant deux figures qui partagent une ressemblance d'importance : l'une et l'autre continuent à penser la mondialisation non comme un espace d'intégration croissante mais comme une juxtaposition de pays différenciés. Loin de l'image d'Epinal d'une fusion entre les différents pays, l'utilisation nationale des références à l'étranger montrent que, pour beaucoup, la mondialisation constitue plutôt une compétition généralisée entre les pays. Elle se joue beaucoup plus dans le fait que les pays s'observent, se jugent et s'évaluent, s'imitent parfois, se distinguent également, plutôt qu'ils ne marchent vers un effacement généralisé des frontières.
3 commentaires:
Très intéressante votre analyse selon laquelle la politique migratoire est le dernier domaine où l'Etat a réellement du pouvoir.
Je pense particulièrement à ce passage : "désireux de montrer que la politique pouvait encore faire quelque chose, le président de la République s'est concentré sur, peut-être, la dernière question où, effectivement, on "peut" faire quelque chose - quitte à faire n'importe quoi"
"le président de la République s'est concentré sur, peut-être, la dernière question où, effectivement, on "peut" faire quelque chose
pas d'accord! Le politique peut encore beaucoup dans beaucoup de domaines. Mais la tendance de notre élite à externaliser les problèmes, à dénoncer sur chaque sujet les effets de la mondialisation, peut effectivement laisser penser cela. Il y a des contraintes liées à la mondialisation, pas de déterminisme.
Je suis d'accord avec l'idée que la politique peut encore beaucoup. La question est l'Etat national peut-il faire encore beaucoup ? Je pense qu'il y a de moins en moins de choses qu'il peut faire seul : beaucoup des actions qu'il peut entreprendre, et qui ont quelque efficacité, implique qu'il collabore avec d'autres acteurs, qu'il s'agisse d'autres Etats ou d'autres acteurs globaux (des FMN aux ONG). En terme de politique migratoire, non seulement l'Etat nation peut encore agir seul, mais en plus il peut le faire de façon visible. Je pense que c'est un point important pour comprendre certaines orientations actuelles. Mais je suis tout à fait d'accord avec vous qu'il y a une forte tendance à mettre sur le dos de la mondialisation à peu près tout et n'importe quoi.
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