C'est toujours la rentrée. Une bonne occasion pour exploiter quelques unes des idées de posts qui me sont venues pendant les vacances, mais qui, face à d'autres urgences, n'ont pas trouvé le temps d'être écrits. Et on va commencer par un petit sociological song special, ou pourquoi fait-on confiance aux chanteurs ?
C'est Sociological Images qui a attiré mon attention sur la dernière chanson de Eminem, featuring Rihanna - il valait mieux, parce que sinon il ne me serait jamais venu à l'idée d'aller écouter ça (pour moi, le rap, ça restera toujours L'école du micro d'argent). Le thème ? Les amours violentes. Des paroles où alternent la haine et l'amour et des acteurs qui, alternativement, se tapent dessus et s'embrassent avec fougue (voire s'offrent des ours en peluche, acte suprême de l'amour si vous voulez mon avis). Regardez le clip pour commencer :
Le commentaire de Lisa, de Sociological Images, explicite ce que l'on peut en dire sociologiquement (ma traduction):
De son côté, le Grumpy Sociologist s'interroge très justement la réception de cette chanson, en contrastant particulièrement les commentaires d'une étudiante, qui y voit une glorification difficilement acceptable de la violence conjugale, et un animateur radio qui dit que, dans le clip, c'est le personnage joué par Megan Fox qui est la plus violente - c'est vrai que c'est elle qui se fait menacer, mais de son point de vue, elle l'a bien cherché... Même si les auteurs ont une intention critique vis-à-vis de la violence conjugale (et c'est le moins qu'on puisse espérer), celle-ci peut être complétement perdue pour leur auditoire.
Je voudrais ajouter à tout cela une interrogation un peu plus large : cette chanson peut effectivement devenir un acteur de la socialisation de différents individus, mais pourquoi lui faisons-nous confiance ? Qu'est-ce qui fait que nous allons croire que ce que disent Eminem et Rihanna dans cette chanson est plus "vrai" que, disons, ce que nous pouvons apprendre par nous-même dans la vie quotidienne (par exemple, qu'un coup de poing dans la gueule n'est pas vraiment un acte d'amour...) ? En un mot, d'où vient la puissance socialisatrice de cette chanson ?
La réponse est moins simple qu'il n'y paraît. On peut certes évoquer la légitimité des chanteurs : on n'aurait plus tendance à croire des individus qui occupent déjà une position particulière. Mais, d'une part, on peut se demander s'il est vraiment rationnel de faire confiance à quelqu'un comme Eminem (avec tout ce que l'on sait de lui) lorsqu'on en vient aux choses de l'amour, et d'autre part, et de façon plus sérieuse, le rappeur n'adopte pas vraiment, dans la chanson, la posture d'un mentor en train de délivrer une grande vérité. De plus, les cas cité par le Grumpy Sociologist rappellent que le message peut être compris de façons différentes, ce qui fait que le poids accordé au chanteur n'explique pas tout. Il faut sans doute évoquer une division du travail beaucoup plus générale : lorsque l'on en vient aux relations amoureuses, certains acteurs ont plus de poids que d'autres. Ce peut être les poètes et leurs versions modernes, dont les rappeurs font partie (pour le meilleur et pour le pire) ou les psychologues (essentiellement pour le pire). C'est sans doute pour cela que, dans ce domaine précis, la chanson peut avoir quelque pouvoir de socialisation. Si Eminem avait essayé par le même moyen de vous conseiller sur vos investissements immobiliers, il aurait sans doute eu moins de succès.
Mais on peut essayer d'aller un peu plus loin. Dans sa forme, la chanson est-elle très originale ? Pas vraiment. Des couplets rappés et des refrains chantées par une voix féminine. Je ne sais pas exactement à quand cela remonte, mais je me souviens avoir entendu NTM le faire à l'époque où j'étais encore de l'autre côté du bureau du prof. La facture générale est très classique et respecte l'ensemble des conventions du monde de l'art propre au rap grand public et au R'n'B de masse (oui, je lis Howard Becker en ce moment). Et c'est sans doute beaucoup plus sûrement de là que vient le pouvoir socialisateur d'une telle chanson : c'est parce qu'elle accepte de se présenter sous une forme déjà connue, ce qui la rend facilement abordable par le public et, surtout, "digne de confiance" si l'on peut dire. C'est moins la personnalité de ses interprètes et auteurs qui est en jeu - même si celle-ci intervient sans doute dans la diffusion de l'oeuvre - que son aspect très conventionnel qui lui permet de faire passer de façon "acceptable" un propos que l'on pourrait trouver, si l'on s'y pencher dans un autre contexte, au mieux fortement discutable. Si Eminem avait rajouté à sa chanson quelques innovations musicales, son propos se serait perdu. Ou plus simplement, s'il avait adopté une forme de rap beaucoup plus "hardcore", pour le dire vite, la puissance socialisatrice n'aurait pas été la même. Ajoutons que le clip s'appuie sur d'autres conventions artistiques, dans le jeu des acteurs, la mise en scène ou l'usage des métaphores - le feu qui dévore la maison pour représenter la passion qui dévore les personnages, c'est subtil comme un sketch de Jean-Marie Bigard.
En un mot, c'est l'aspect conventionnel de la chanson qui lui donne sa force, d'autant plus irrésistible qu'il est largement partagé. Comment y résister ? Peut-être faut-il utiliser les mêmes armes...
C'est Sociological Images qui a attiré mon attention sur la dernière chanson de Eminem, featuring Rihanna - il valait mieux, parce que sinon il ne me serait jamais venu à l'idée d'aller écouter ça (pour moi, le rap, ça restera toujours L'école du micro d'argent). Le thème ? Les amours violentes. Des paroles où alternent la haine et l'amour et des acteurs qui, alternativement, se tapent dessus et s'embrassent avec fougue (voire s'offrent des ours en peluche, acte suprême de l'amour si vous voulez mon avis). Regardez le clip pour commencer :
Le commentaire de Lisa, de Sociological Images, explicite ce que l'on peut en dire sociologiquement (ma traduction):
Ne vous méprenez pas, je pense que c'est une très belle chanson. La performance de Rihanna est magnifique : il est difficile de ne pas sentir sa sincérité en l'entendant. Et c'est ça le problème. C'est une puissante forme de socialisation. Le fait que l'on puisse intérioriser le message que l'amour passionné et la rage incontrôlable vont de pair est vraiment térrifiant. Cela ne suggère pas seulement que l'on doit accepter la violence interpersonnel mais aussi que, s'il n'y a pas de violence dans une relation, c'est peut-être qu'il n'y a pas vraiment d'amour. Et qu'il vaut peut-être mieux y mettre un terme et chercher quelqu'un de prêt à vous battre.
De son côté, le Grumpy Sociologist s'interroge très justement la réception de cette chanson, en contrastant particulièrement les commentaires d'une étudiante, qui y voit une glorification difficilement acceptable de la violence conjugale, et un animateur radio qui dit que, dans le clip, c'est le personnage joué par Megan Fox qui est la plus violente - c'est vrai que c'est elle qui se fait menacer, mais de son point de vue, elle l'a bien cherché... Même si les auteurs ont une intention critique vis-à-vis de la violence conjugale (et c'est le moins qu'on puisse espérer), celle-ci peut être complétement perdue pour leur auditoire.
Je voudrais ajouter à tout cela une interrogation un peu plus large : cette chanson peut effectivement devenir un acteur de la socialisation de différents individus, mais pourquoi lui faisons-nous confiance ? Qu'est-ce qui fait que nous allons croire que ce que disent Eminem et Rihanna dans cette chanson est plus "vrai" que, disons, ce que nous pouvons apprendre par nous-même dans la vie quotidienne (par exemple, qu'un coup de poing dans la gueule n'est pas vraiment un acte d'amour...) ? En un mot, d'où vient la puissance socialisatrice de cette chanson ?
La réponse est moins simple qu'il n'y paraît. On peut certes évoquer la légitimité des chanteurs : on n'aurait plus tendance à croire des individus qui occupent déjà une position particulière. Mais, d'une part, on peut se demander s'il est vraiment rationnel de faire confiance à quelqu'un comme Eminem (avec tout ce que l'on sait de lui) lorsqu'on en vient aux choses de l'amour, et d'autre part, et de façon plus sérieuse, le rappeur n'adopte pas vraiment, dans la chanson, la posture d'un mentor en train de délivrer une grande vérité. De plus, les cas cité par le Grumpy Sociologist rappellent que le message peut être compris de façons différentes, ce qui fait que le poids accordé au chanteur n'explique pas tout. Il faut sans doute évoquer une division du travail beaucoup plus générale : lorsque l'on en vient aux relations amoureuses, certains acteurs ont plus de poids que d'autres. Ce peut être les poètes et leurs versions modernes, dont les rappeurs font partie (pour le meilleur et pour le pire) ou les psychologues (essentiellement pour le pire). C'est sans doute pour cela que, dans ce domaine précis, la chanson peut avoir quelque pouvoir de socialisation. Si Eminem avait essayé par le même moyen de vous conseiller sur vos investissements immobiliers, il aurait sans doute eu moins de succès.
Mais on peut essayer d'aller un peu plus loin. Dans sa forme, la chanson est-elle très originale ? Pas vraiment. Des couplets rappés et des refrains chantées par une voix féminine. Je ne sais pas exactement à quand cela remonte, mais je me souviens avoir entendu NTM le faire à l'époque où j'étais encore de l'autre côté du bureau du prof. La facture générale est très classique et respecte l'ensemble des conventions du monde de l'art propre au rap grand public et au R'n'B de masse (oui, je lis Howard Becker en ce moment). Et c'est sans doute beaucoup plus sûrement de là que vient le pouvoir socialisateur d'une telle chanson : c'est parce qu'elle accepte de se présenter sous une forme déjà connue, ce qui la rend facilement abordable par le public et, surtout, "digne de confiance" si l'on peut dire. C'est moins la personnalité de ses interprètes et auteurs qui est en jeu - même si celle-ci intervient sans doute dans la diffusion de l'oeuvre - que son aspect très conventionnel qui lui permet de faire passer de façon "acceptable" un propos que l'on pourrait trouver, si l'on s'y pencher dans un autre contexte, au mieux fortement discutable. Si Eminem avait rajouté à sa chanson quelques innovations musicales, son propos se serait perdu. Ou plus simplement, s'il avait adopté une forme de rap beaucoup plus "hardcore", pour le dire vite, la puissance socialisatrice n'aurait pas été la même. Ajoutons que le clip s'appuie sur d'autres conventions artistiques, dans le jeu des acteurs, la mise en scène ou l'usage des métaphores - le feu qui dévore la maison pour représenter la passion qui dévore les personnages, c'est subtil comme un sketch de Jean-Marie Bigard.
En un mot, c'est l'aspect conventionnel de la chanson qui lui donne sa force, d'autant plus irrésistible qu'il est largement partagé. Comment y résister ? Peut-être faut-il utiliser les mêmes armes...
1 commentaires:
C'est une manière intéressante de voir ce clip! C'est vrai qu'on se contente souvent de n'écouter que la chanson ou de regarder le clip (moi le premier puisque j'adore cette chanson et je n'arrête pas de l'écouter en ce moment) mais on ne pense pas forcément à ce qui se cache derrière sa conception!
J'ai l'impression de retrouver un cours de première ES 2 en lisant cet article!
Cordialement.
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