Trop la classe

Je reviens tout juste du Festiblog, 4ème édition, petit événement parisien avec plein de blogueurs qui font des dessins pour les gens qui passent. J'y ai rencontré le fort sympathique Surimi Bleu qui a eu la gentillesse (en même temps, il était là pour ça et moi aussi) de me faire ça :





Au cas où ce ne serait pas clair, il s'agit de ma modeste personne devenant prof de prépa - ce qui dévoile certains de mes rêves les plus secrets (surtout si les menaces qui pèsent sur les SES continuent à se préciser). Un jour, peut-être, ce dessin correspondra enfin à la réalité (pour l'instant, je me contente de terroriser mes petits lycéens). Pour comprendre tout le sel de la dédicace, il faut savoir que Surimi Bleu est un petit khagneux - pour ceux qui l'ignore "khagneux" est un synonyme de "futur prof".

Et ben c'est trop la classe d'avoir ce dessin, je trouve. Alors pour le remercier, allez donc lui rendre visite (sur son blog, hein), particulièrement pour lire la meilleure explication de ce qu'est une prépa que j'ai jamais lu et une représentation réaliste de ce qu'est un concours (en tout cas, c'est bien comme ça que je me le représente). Et moi je vous retrouve bientôt pour de nouvelles aventures.

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Mais il est où ? Mais il où ? Mais il est où Yvon Gattaz (tralalala)

Franchement, c'est la question que je me pose lorsque j'entends ça :

L'autorégulation pour régler tous les problèmes, c'est fini. Le laissez-faire, c'est fini. Le marché tout-puissant qui a toujours raison, c'est fini.


Ils sont où, les Yvon Gattaz, Michel Pébereau et autres membres de l'Académie des Sciences Morales et Politiques ? Et plus généralement ceux qui ne supportent que l'on donne une image négative des marchés ou du capitalisme ?


Je ne soutiens pas le propos de Nicolas Sarkozy, qui me semble doublement excessif. Excessif d'abord parce que le marché tout-puissant est un mythe qui n'a jamais existé, le marché ayant toujours besoin de différents soutiens, politiques et sociaux, ce qui ne l'empèche pas d'être une institution efficace dans bien des cas. Excessif ensuite parce que l'appel à la "moralisation" du capitalisme est aussi beau que creux, se plantant complètement dans l'analyse. Il n'y a qu'à voir comment la suite du discours s'en prend aux parachutes dorés qui, malgré tout ce que l'on peut en penser, n'ont pas grand chose à voir avec la crise actuelle. D'une façon générale, d'ailleurs, les appels à la morale me fatiguent, d'où qu'ils viennent. Ils ont un parfum de facilité qui ne peut me satisfaire. La question ne devrait pas être celle du moral ou de l'immoral, mais de l'efficace ou de l'inefficace. Parce que c'est un système économique efficace qui donnera un logement à ceux qui l'ont perdu, pas un système "moral".

Quoiqu'il en soit, il est toujours bon de rappeller que si les français ont quelques problèmes avec les mots "capitalisme", "marché" ou plus généralement "économie", c'est certainement moins à cause de leurs enseignants qu'à cause de leurs hommes politiques et de leurs journalistes - ces derniers parlant plus souvent des discours sur l'économie que de l'économie elle-même.

Rien de neuf sous le soleil, donc.

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Un cercle vicieux de la réglementation bancaire ?

Face à la crise économique, financière et bancaire, qui se joue actuellement, de nombreuses voix, plus ou moins autorisées, se font entendre pour demander plus de réglementation, plus d'intervention de l'Etat, plus de contrôle sur le fonctionnement des marchés financiers, décidément bien incapables de se réguler seuls. Certes, mais la réglementation est-elle une solution aussi efficace que l'on veut bien le dire ? Si les marchés sont un mode de coordination qui a des défauts, n'est-ce pas également le cas de l'action de l'Etat ? Ces demandes sont-elles véritablement une solution au problème ou, au contraire, en font-elles parties ? Quelques réflexions à l'aide de la sociologie des organisations pour y voir un peu plus clair.




Il faut tout d'abord noter que le secteur bancaire, qui est quand même au coeur de la tourmente depuis le début de l'histoire, est loin d'être le moins régulé qui soit, bien au contraire. On peut même que son encastrement(-étayage) juridique est tout à fait significatif, ne serait-ce que par les accords de Bâle II. Mais alors, me demandera-t-on, pourquoi une crise de cette ampleur a-t-elle pu se déclarer dans ce cadre ? J'y viens.


Ces réglementations passent par la formulation de règles générales, comme les différents ratios prudentiels. Ces règles ne poseraient pas de problèmes si elles s'appliquaient telles qu'elles. Mais l'un des grands apports de la sociologie des organisations est de montrer que cela n'est, tout simplement jamais le cas, et même que les règles générales peuvent avoir des conséquences tout à fait inverse à ce qui est attendu. Cela parce que les différents acteurs poursuivent des objectifs qui leur sont propres et cherchent donc à manipuler les règles dans le sens qui les avantage.


Évidemment, les différents acteurs du système bancaire ne font pas parti de ce que l'on appelle généralement une organisation. Cependant, dans la mesure où on s'intéresse à la façon dont les pouvoirs publics cherchent à organiser l'action des autres acteurs, ce problème peut s'appréhender avec les outils de l'analyse stratégique de Michel Crozier. En effet, depuis Le pouvoir et la règle (1993), de Erhard Friedberg, co-auteur avec Crozier du programmatique L'acteur et le système (1977), cette tendance théorique s'est tournée vers une sociologie générale qui ne se limite pas à l'étude des organisations telles qu'elles sont constitués, mais pose plus nettement la question de l'échelle pertinente d'appréhension de l'action. Le problème général est celui de la coopération que pose toute action collective. La question de la régulation des banques – ou de tout autre ensemble d'acteurs économiques – relève bien sûr de cette problématique : il s'agit de faire coopérer des acteurs de l'économie avec les organisations étatiques, et entre elles.


En partant du principe que les acteurs, au sein des organisations – prises donc au sens large d'actions organisées – disposent de marges d'action par lesquels ils cherchent à gagner du pouvoir, Michel Crozier a mis en jour ce que l'on connaît aujourd'hui comme cercle vicieux de la bureaucratie. Forgé sur la base d'enquête réalisées dans des administrations françaises – la Poste et la Seita – ce mécanisme se révèlent cependant utile pour comprendre ce que signifient aujourd'hui les demandes de nouvelles réglementations.


Le cercle vicieux de la bureaucratie fonctionne en cinq temps : 1/ afin d'assurer la coordination des actions des différents membres de l'organisation, des règles générales et impersonnelles sont mises en place ; 2/ ces règles ne peuvent pas tout prévoir : elles mettent donc en place des zones d'incertitude, c'est-à-dire des espaces que certains acteurs peuvent utiliser pour augmenter leur pouvoir au sein de l'organisation ; 3/ ces acteurs vont utiliser ces zones pour créer de nouvelles relations informelles, c'est-à-dire non prévues par les règles générales ; 4/ dans ces nouvelles relations, certains acteurs sont lésés : ils y perdent en terme de pouvoir ; 5/ par conséquent, ils vont faire pression pour obtenir de nouvelles règles générales, qui vont créer de nouvelles zones d'incertitudes, etc. On repart ici à la séquence 1. En un mot, pour Crozier, la bureaucratie engendre la bureaucratie, les règles engendrent les règles, et l'ensemble est inefficace.


Il ne s'agit évidemment pas de dire que le système bancaire actuel ressemble à une bureaucratie – surtout dans le sens que Michel Crozier met derrière ce mot. Mais on peut estimer que les demandes actuelles de réglementations s'inscrivent dans un cercle vicieux de ce type-là. En effet, la crise des subprimes commencent en partie du fait des insuffisances des règles de protection prudentielles : les services bancaires se sont en effet avérés capables de faire passer une bonne partie de leur activité relative aux subprimes en « hors-bilan », c'est-à-dire là où elle n'était pas prise en compte par les dits ratios. De plus, toutes les activités de contrôles dans ce secteur finissent par buter sur un problème relativement simple : les contrôleurs disposent de moins de moyens et sont moins bien payés que ceux qu'ils doivent contrôler. La fameuse affaire Kerviel découle en partie de ce problème. En un mot, l'existence de ces règles et de ces contrôles témoignent de l'existence de zones d'incertitudes que les acteurs s'empressent d'utiliser. Les règles générales – internationales dans le cadre des accords de Bâle, excusez du peu – font l'objet de réinterprétation et d'adaptation locales qui les rendent moins efficaces voire carrément contre-productives.


Dans cette perspective, la demande actuelle d'une « reprise en main » des marchés par le politique peut se lire comme l'une des séquences d'un cercle vicieux de la réglementation bancaire. Il est tout à fait probable que ces règles ne fassent que créer de nouvelles zones d'incertitudes, en rendant les activités bancaires et financières encore plus compliquées qu'elles ne le sont à présent.


Dire qu'il faut faire quelque chose, qu'il faut une intervention, un encadrement, tout cela n'est que considérations oiseuses et bien peu intéressantes, si ce n'est dans une perspective de militantisme politique plus ou moins assumés. Comme le rappelle fort bien C.H. dans une note par ailleurs passionnante, les marchés financiers sont déjà encastrés juridiquement, puisqu'en tant qu'institutions, ils ne pourraient tout simplement pas exister sans un tel encadrement. La question qui se pose est celle des règles que l'on met en place, non de la nécessité de règles. Et ces règles ne sont pas simples en définir dès que l'on sort d'une opposition stérile entre marchés et Etat qui pare l'un de tous les vices et l'autre de toutes les vertus (dans un sens ou dans l'autre). La question à l'ordre du jour est moins celle de la fin ou non du néo-libéralisme au profit d'une réglementation qui changerait soudainement le monde mais plutôt celle de savoir quelle réglementation peut permettre en l'ensemble de limiter les crises – sans qu'il soit assuré qu'une solution optimale existe. Il n'est d'ailleurs pas sûr que l'on puisse sortir de ce fameux cercle vicieux. Rendez-vous à la prochaine crise.


Pour aller plus loin :

Claudette Lafaye, Sociologie des organisations, Coll. 128, Armand Colin, 2007

Et la dernière note de Pierre Maura, piqure de rappel sur la différence régulation/réglementation, piqure bienvenue puisque je m'étais moi-même emmêlé les pinceaux. Du coup, je viens de corriger.


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Roger Guesnerie dans Alter Eco

A lire absolument pour tous ceux que ces questions intéressent : l'interview de Roger Guesnerie, président de la commission à l'origine du fameux rapport, sur le site d'Alternatives Economiques. On en sort avec les idées beaucoup plus claires sur ce qui est proposé, et, dans mon cas, on n'envisagerait même de se laisser aller à une forme d'optimiste (vous noterez ma prudence...).


Je disais dans mon dernier billet que je préférais négocier avec Roger Guesnerie qu'avec Michel Pebereau. Je pense que la simple comparaison entre les propos des deux hommes sur les sciences économiques et sociales suffit à expliquer pourquoi. Roger Guesnerie est un homme de science, mesuré, précis et connaissant bien le problème. Michel Pebereau, malgré ses compétences indiscutables en matière d'économie, n'hésite pas à adopter un discours beaucoup plus idéologique, sur le thème de la "négativité" de notre enseignement et s'avère n'avoir qu'une connaissance très partielle des SES. En adepte de la raison, de la discussion et de l'argumentation, mon choix n'est pas difficile à deviner.

Quelques extraits de l'interview qui font du bien dans un débat où, trop souvent, l'incompétence s'est disputé avec la mauvaise foi :

Si vous vous intéressez aux sciences sociales, c'est tout de même parce que ça permet de comprendre la société !


Il n'est en effet pas inutile de rappeler que les sciences sociales servent, avant tout, à comprendre la société telle qu'elle est, et non à former des adeptes de l'entreprise ou de l'altermondialisme. Cela ne veut pas dire que les entreprises ou les altermondialistes ne peuvent pas avoir recours aux sciences sociales - et ils y ont même intérêt s'ils veulent un tant soit peu comprendre ce qui se passe - mais simplement que les savoirs produits par ces sciences ne peuvent se juger et se justifier à cette aune-là.

Sur les objectifs des SES :

Les objectifs de l'enseignement de Sciences économiques et sociales doivent demeurer de former le futur citoyen, de le préparer aux études supérieures et au-delà à l'entrée dans la vie professionnelle. Comme tous les enseignements du lycée. Ce qu'affirme le rapport est qu'il n'y a pas de contradiction entre l'objectif de formation citoyenne et celui de préparation aux études supérieures et qu'on peut améliorer l'enseignement des Sciences économiques et sociales sur ces deux plans.


Tranchant avec ce que j'avais compris à la lecture du rapport (ce qui confirme le rôle de l'interprétation en la matière), Roger Guesnerie affirme que les deux objectifs principaux des SES - former le citoyen et former aux sciences sociales - sont conjoints et qu'il n'y a donc pas de difficultés particulières à les tenir. Pour ma part, j'ai tout de même, dans ma pratique, le sentiment d'un tension entre les deux. Mais cette tension n'interdit pas des synergies : la formation à la citoyenneté permet d'intéresser les élèves et la connaissance des sciences sociales est, bien évidemment, indispensable si on veut être un citoyen.

Sur les "fondamentaux" :

Plus qu'une hiérarchie des priorités, j'y vois une exigence d'un bon algorithme de la construction des programmes. La difficulté n'est pas de définir les grandes questions, les grands thèmes qu'on souhaite voir traiter. Chacun s'accorde pour dire qu'il faut étudier par exemple la consommation, le marché du travail et l'emploi, l'entreprise, etc. même si l'ordre dans lequel il faut traiter ces thèmes n'est pas évident. La vraie difficulté, c'est de définir la liste des concepts, des outils qu'on veut voir maîtrisés par les élèves, puis, à partir de cette liste, de voir comment l'articuler avec les grands thèmes, en s'efforçant d'aboutir à un parcours cumulatif, qui croise intelligemment regard sur le monde et l'apprentissage des bases des cultures disciplinaires économiques et sociologiques.


L'expression "fondamentaux" ou "retour aux fondamentaux" a souvent été utilisé, en enseignement, pour désigner le retour à un enseignement très désincarné, se concentrant sur quelques outils ou concepts sans se soucier véritablement du sens que l'élève peut trouver dans les activités d'enseignement. Cela sur la conviction qu'il faut apprendre la "base" avant tout autre chose. L'utilisation de cette formule dans le rapport Guesnerie avait de quoi inquiéter, surtout concernant un enseignement dont la plus-value en terme de sens est l'une des grandes qualités. On peut ici être rassuré : les fondamentaux concernent avant tout la conception des programmes et non les activités mises en oeuvre avec les élèves.

Sur le croisement des regards entre science économique et sociologie :

Il n'y avait pas unanimité sur ce point entre nous. Cela dit, le rapport considère qu'il faut conserver le double regard de l'économie et de la sociologie. En revanche, il constate que le recours à chacune de ces disciplines peut varier selon les objets étudiés. Les deux regards sont nécessaires pour comprendre l'entreprise ou la consommation. En revanche, on peut penser qu'il faut voir plutôt la famille sous l'angle sociologique. On n'est pas forcément obligé d'étudier Gary Becker au lycée !



Le croisement des regards n'est donc pas à abandonner selon Roger Guesnerie, mais juste à préciser et à ne pas systématiser. Cela décevra peut-être certains, mais, en l'attente de l'apparition d'une science sociale générale et unique parvenant à articuler les apports des différentes disciplines actuellement en vigueur, c'est sans doute la proposition la plus raisonnable. La rencontre entre discipline est bien évidemment passionnante et essentielle - et je suis moi-même un adepte de sociologie économique. Mais elle est aussi difficile, et on peut légitimement penser que, sur certains points, elles risquent plus de gêner des élèves qui découvrent et les sciences sociales en général et les disciplines en particulier.

Les choses sont bien sûr loin d'être gagnées, et cette interview ne peut calmer mes inquiétudes sur la réforme qui approche - je n'ai aucune envie d'enseigner du droit par exemple (de la sociologie du droit oui, de la science politique aussi, du droit non), simplement parce qu'il y a des gens dont c'est le métier et qui seront bien meilleur que moi à cet exercice. Mais il faut reconnaître que ça fait du bien...

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[Une heure de lecture #6] En attendant la réforme

Comme la note sur le busing et la mixité sociale prend un peu de retard – comme d'habitude, j'étais parti sur un truc simple et court, et je me retrouve à faire un long post, se référant à bien plus de travaux que prévus... - je vais vous reparler un peu de sciences économiques et sociales en signalant quelques liens intéressants.




Commençons par le commencement : Alain Beitone a ouvert un site – Eloge des SES (serait-ce un hommage à mes premiers posts sur le sujet ?) - qui rassemble un certain nombre de ses textes sur les SES. Une source très intéressante pour tous ceux qui cherchent à se faire une opinion sur le sujet : Alain Beitone prend le temps d'argumenter ses différents points de vue et pose souvent des questions intéressantes et importantes. A consulter absolument.


Au passage, Alain Beitone a lancé, durant l'été, un appel pour les SES, intitulé « le rapport Guesnerie et l'avenir des SES ». Sur la base d'une lecture assez proche de la mienne – pour résumer, malgré des passages ambigus et quelques formulations malheureusement, le rapport Guesnerie est d'une toute autre nature que les critiques généralement relayés par la presse – l'appel propose d'utiliser ce rapport pour les discussions futures sur l'avenir des SES, entendu qu'il insiste sur les réussites de cet enseignement et sur sa dimension proprement scientifique. En gros, je préfère que les débats se fasse avec Roger Guesnerie, homme de science, qu'avec Michel Pébereau, nettement moins bien disposé à notre égard. J'ai donc naturellement signé le texte, comme un nombre significatif de mes collègues et d'universitaires, économistes, politistes et sociologues de toutes tendances.


J'en profite pour faire quelques remarques complémentaires. J'avais, dans ma note de lecture du rapport Guesnerie, posé la question de l'utilisation des rapports comme méthode politique. Je ne peux que reprendre ici cette critique : un rapport est sorti et on ne sait toujours pas ce qu'il va en ressortir. D'une part, le principe même d'une commission pose problème, dans la mesure où il n'est pas si facile d'en faire ressortir une position commune lorsque ses membres sont trop éloignés les uns des autres. D'autre part, la lecture du rapport devient elle-même un enjeu, ce qui donne un poids beaucoup trop important à la presse et donc aux acteurs qui ont des liens forts avec celle-ci – « leurs entrées » comme on dit. L'appel lancé par Alain Beitone, mais qui ne lui appartient plus vraiment au vu de la liste des signataires, s'inscrit dans ce contexte : il s'agit d'une tentative d'influencer l'interprétation du rapport. La multiplication des pétitions a sans doute à voir avec ce phénomène de gouvernement par les rapports et les commissions.


Sur ce même thème, le journal du MAUSS – le Mouvement Anti-Utilitariste en Sciences Sociales – a publié plusieurs contributions à propos des SES. Même si j'avoue ne pas avoir de sympathie scientifique particulière pour les options prônés par le MAUSS, en particulier sur sa normativité revendiquée, il me semble nécessaire de les signaler : « Le rapport Guesnerie et la liquidation des SES » de Christian Laval, dont le côté intransigeant souligne bien l'enjeu d'interprétation que j'évoquais précédemment, « Reflexions autour du "rapport Guesnerie" pour un avenir radieux des SES », de Sylvain Dzimira, qui s'interroge sur le croisement des regards économiques et sociologiques, et une correspondance entre Alain Beitone et François Vatin que je n'ai pas fini de lire mais qui me semble de la plus haute importance.


Le texte proposé par Christian Laval, qui ne m'a pas franchement convaincu, se termine en évoquant la résistance possible des élèves, des parents et des citoyens à la « liquidation » des SES. Je ne peux qu'être sceptique : Xavier Darcos annonce une véritable tempète sur l'éducation nationale, et les élèves, parents et citoyens risquent d'avoir bien d'autres choses à sauver en plus des SES, et il leur faudra faire des choix... Les enseignants de SES doivent donc commencer par compter sur eux-mêmes et sur leur capacité à convaincre. Certains seront aussi, peut-être, tenté d'attendre 2012 pour sanctionner politiquement et de façon globale les véritables artisans de la réforme qui vient, ce qui autorise à une attitude aussi intransigeante que possible d'ici là. Mauvais calcul à mon avis lorsqu'on garde en tête l'expression célèbre d'un certain économiste : « à long terme, nous serons tous morts ». La sauvegarde des SES se joue malheureusement ici et maintenant, pas dans un hypothétique avenir dont, incertitude radicale oblige, nous ne savons que bien peu de choses. A tous ceux qui ont quelques attachements à un enseignement de sociologie et d'économie rigoureux et scientifique, c'est maintenant que les choses se jouent : restons donc vigilant.


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One hour of pain

Trop la classe : mon dernier billet - ma réponse au tag/mème "Why blog ?" - a fait l'objet d'un digest en anglais par Christine Monnier sur The Global Sociology Blog. Me voilà un auteur traduit. Mon ego avait bien besoin de ça, tiens.


J'en profite pour signaler deux petites choses en passant : 1/ Tom Roud suit l'évolution de la chaîne depuis cette page. Le but ? Etudier la propagation d'un mème. J'avoue éprouver un certain sceptiscisme par rapport aux projets de la mèmetique - bien que l'idée ait été réutilisé dans un épisode de Gen13, ce qui est quand même assez classieux. Mais le projet m'a l'air intéressant et je suis ça avec attention : ce sera peut-être l'occasion de changer d'avis. 2/ Christine Monnier anime, avec d'autres enseignants de sociologie, un site qui ne devrait pas tarder à rejoindre mes liens : The Sociological Hub. C'est en anglais et c'est plein de bonnes choses. La page de liens vers des blogs anglophones risque de me faire prendre du retard sur mon travail. Allez donc y faire un tour, ça vaut le coup.

Retour des notes "normales" dans la semaine : je vous parlerais de busing, de carte scolaire et de mixité sociale.

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Why blog ?

Tiens, c’est vrai, ça : why blog, au fait ? Le Doc me propose de répondre à cette difficile question dans le cadre d’une nouvelle chaîne, après que l’idée ait été lancée par Tom Roud (si j’ai bien suivi). Un petit moment de réflexivité, donc, quoi de mieux pour ouvrir la saison 2 d’Une heure de peine ? En effet, après une pause estivale, légèrement prolongée par le grand rush de la rentrée, me voici de retour sur la blogosphère.




Why blog ? Le problème, lorsqu’on prétend parler de sociologie, c’est que ce genre de question appelle une réponse un peu particulière – par rapport à celle que peut se permettre de donner le non-patricien des sciences sociales, s’entend. Difficile, en effet, de perdre cette seconde nature qu’est le regard sociologique : ne pas s’en tenir aux discours, chercher à expliquer et à comprendre les comportements, y compris le sien. A côté des justifications « officielles » que je veux bien me donner, il me faudra donc me plier à un petit exercice de « socio-analyse ». Et comme on n’échappe pas à sa formation, je classerais mes raisons de bloguer en trois parties.

1. Des raisons personnelles

Commençons par le commencement : je blogue tout d’abord parce que j’aime écrire et donner mon avis et que le blog me permet de le faire plus rapidement devant un public plus vaste de ce que m’offriraient les procédures classiques (du moleskine à la publication…). Etant donné que j’écris de toute façon, le fait de ne pas bloguer reviendrait donc à supporter un coût d’opportunité relativement important, puisque l’activité n’a qu’un faible coût : mettre en forme des notes et des idées qui seraient de tout façon produite… (le regard de l’économiste est ma troisième nature).

Mais bloguer à un autre avantage : avant de m’y mettre, j’ai passé deux ans à préparer l’agrégation, soit deux ans à lire (beaucoup), à ficher (encore plus) et à essayer d’aller en profondeur dans toutes sortes de débats. L’oral de l’agrégation n’ayant pas, à proprement parler, de programme, j’ai eu l’occasion de m’intéresser à à peu près tous les débats de la sociologie et de l’économie, qu’ils soient scientifiques ou plus généraux. La vie d’enseignant offre moins d’incitations à ce genre d’activité : il est tout à fait possible de rester relativement à l’écart du cœur brûlant des avancées scientifiques, les programmes évoluant nécessairement moins vite que la recherche (mais peu d’enseignants font ce choix). Bloguer est un moyen de m’obliger, par le contrôle social qu’exercent les lecteurs et surtout les autres blogueurs, à me tenir au courant de tout ce qui se passe, que ce soit dans le cadre de la science ou dans le monde « social » en général.

2. Des motivations sociales

Si l’on peut appeler « action sociale » une action qui se rapporte à autrui, comme dirait ce bon vieux Max, alors le fait de bloguer relève, dans mon cas comme dans les autres, de cette catégorie : je cherche à m’adresser aux autres et je conçois mon comportement (ce sur quoi j’écris, la façon dont je l’écris, etc.) en fonction d’eux. Ma première motivation est de faire connaître la sociologie, de la vulgariser au sens noble du terme (qu’il vaudrait mieux, d’ailleurs, remplacer par « valoriser », termes moins péjoratif, les sciences sociales ne devenant utiles qu’à la condition de sortir du champ strictement scientifique). De ce point de vue, le fait que l’un de mes premières lectures sociologique ait été Voyage en grande bourgeoisie, qui traite longuement de ces questions, n’est sans doute pas innocent. C’est, évidemment, parce que je pense ma discipline de prédilection comme profondément utile que je souhaite la diffuser. Tout sociologue devrait se poser la question en la matière : le blog n’est qu’une solution parmi tant d’autres d’y répondre. De ce point de vue, le blogging n’est que la poursuite logique (par d’autres moyens, comme le veut l’expression consacrée) de mon engagement d’enseignant.

Puisque nous sommes dans une veine plutôt weberienne, restons-y quelques temps et explorons donc sa typologie de l’action : parmi les quatre déterminants de l’action, classique parmi les classiques, quelles sont celles qui peuvent s’appliquer à ma pratique du bloging ? Je rappelle qu’il s’agit d’idéaux-types, et que, par conséquent, ils constituent avant tout une grammaire de description de l’action, chaque action historiquement identifié mêlant plusieurs des dimensions ici identifiées.

1/ L’action affective : l’idée de bloguer remonte, dans mon cas, aux émeutes de novembre 2005. J’avais déjà, à l’époque, un blog dont il ne subsiste, heureusement, aucune trace aujourd’hui et qui était déjà moribond à l’époque. Le traitement des événements d’alors par les médias et les hommes politiques, le peu de cas fait des études les plus sérieuses à la matière, voire le mépris affiché par certaines pour la connaissance scientifique (accusée, il faut le faire, d’être à l’origine des émeutes…) avaient été à l’origine d’un énervement et d’une irritation suffisante pour me donner l’envie de me mêler de l’affaire. Mon blog de l’époque était bien loin de me permettre de le faire, du moins comme je pouvais déjà l’imaginer. Mes occupations de l’époque (toutes ces histoires de lire et de ficher…) ne me laissèrent guère le temps de m’y mettre. La frustration et l’énervement demeurèrent jusqu’au moment où ils purent enfin s’exprimer. Dans cette perspective, on ne s’étonnera guère du thème de la note qui fit l’ouverture de la saison 1…

2/ L’action traditionnelle : là, non, franchement, je sèche. Je ne pense pas que le bloging qui, s’il n’est pas totalement original, n’en reste pas moins un mode de communication nouveau à bien des égards, puisse se relier à une forme d’action traditionnelle. On peut certes le rapprocher de formes anciennes d’expression publique, sous la forme de tribunes, de publications ou de courriers à des journaux ou des revues, relativement communes dans les catégories sociales auxquelles ma trajectoire personnelle et ma position actuelle me font appartenir. Mais la motivation ne relève pas du respect d’une telle norme.

3/ L’action rationnelle en finalité : prenons l’objectif général de mon blog : diffuser la sociologie, en montrer la pertinence pour la compréhension de l’actualité. Le blog est-il une solution adaptée pour y parvenir ? Sans doute, au moins vu depuis ma position et en tenant compte des informations à ma disposition. D’autres solutions existent, certes, à commencer par l’écriture d’un livre d’introduction (j’y pense très sérieusement), d’une tribune dans un grand quotidien, etc. Mais je manque encore un peu de légitimité pour aller jusque là. Le blog est sans doute la meilleure solution pour un enseignant non médiatique pour moi, peut-être simplement pour obtenir un volume de capital suffisant pour le réinvestir dans le champ médiatique et poursuivre la bataille avec de meilleures armes.

4/ L’action rationnelle en valeur : voici certainement la plus pertinente pour comprendre le bloging des scientifiques. Le fait d’être scientifique ou de travailler sur la science (comme le modeste enseignant que je suis) suppose une adhésion aux valeurs qui sous-tendent l’activité scientifique : recherche de la vérité, désintéressement, indépendance, utilité de la recherche, etc. – adhésion qui peut être plus ou moins fortes en fonction des personnes. Le bloging est parfaitement adapté à ces différentes valeurs : acte gratuit, indépendant car décentralisé, « public » dans le sens où il est tourné vers l’intérêt général… Bloguer, c’est respecter plusieurs des valeurs propres à l’activité scientifique. Faut-il s’étonner dès lors que les scientifiques bloguent ? Si les économistes sont nombreux à se plier aux exigences de l’exercice, c’est qu’ils ont une longue tradition d’intervention dans la sphère publique, d’expertise et de commentaires au nom de la science et de leurs compétences. La question, dans certains cas, dont celui des sociologues, est plutôt : why not blog ?

3. Capital social, capital social et capital social

Un blog, parce qu’il est public, est, pour un (aspirant) scientifique, un moyen d’accumuler diverses formes de capital : il y a donc un intérêt tout à fait concret à tenir un blog. Le capital social est sans doute le plus important en la matière.

C’est tout d’abord un moyen d’obtenir de la reconnaissance, ce que Bourdieu appelait « capital social » dans ses écrits sur l’Algérie. « Capital » car cette reconnaissance peut être réinvesti dans d’autres domaines (« champs ») pour obtenir divers avantages. De ce point de vue, je ne peux nier que l’idée m’a plutôt effleuré au moment où j’ai ouvert Une heure de peine…

Capital social encore : suivant la célèbre théorie de la « force des liens faibles », les liens faibles nous sont particulièrement utiles parce qu’ils nous apportent des informations que nous n’aurions pas dans nos réseaux de liens forts, et parce qu’ils nous donnent accès à d’autres domaines de la vie sociale. Or, un blog est justement un moyen d’obtenir et d’entretenir des liens faibles, avec d’autres blogueurs dont on apprécie le travail et qui peuvent apprécier le votre. Les « blogrolls » sont ici éclairants. Mark Granovetter a certes reconnu que sa théorie n’était pas générale, mais il semble qu’elle s’applique bien à la pratique du blog.

Capital social toujours : dans la perspective de Coleman, le capital social est une caractéristique d’un groupe d’individu qui facilite les échanges et le fonctionnement des activités en son sein. C’est ici l’interconnaissance des individus qui joue, par le biais du contrôle social. Les blogs de scientifiques offrent prises à ce contrôle social et sont donc partie prenante de ce capital social. Or celui-ci, dans le sens que lui donne Coleman, est particulièrement important pour le bon fonctionnement de la science : souvenons-nous que, pour Karl Popper, la science est le fruit d’un travail collectif, puisqu’une proposition, si elle est réfutable, pourra être réfuté par quelqu’un d’autre que celui qui la formule, ce qui rend l’objectivité individuelle non nécessaire à l’objectivité de la science.

4. Résumons…

Décidément, je ne sais pas faire court. Mais c’est là une autre raison pour laquelle je blogue : celui me donne toute latitude et toute liberté pour écrire comme je le veux, quand je le veux et ce que je veux. Il ne faut donc pas négliger les capacités d’invention des blogs, en termes de formes et de dialogues entre scientifiques.

Résumons un peu : why blog ? Dans mon cas, parce que c’est agréable, parce que le traitement de l’actualité ne me convient pas (et m’énerve), parce que je crois en ma discipline et que je veux la diffuser, parce que j’en retire divers avantages, que l’on peut approcher en terme de capital. J’espère que tout ça sera utile…

Il ne me reste plus qu’à choisir six nouvelles victimes qui devront, elles aussi, répondre à la question « why blog ? » : il s’agira donc de Pierre Maura, Alexandre Delaigue ou Stéphane Ménia de Econoclaste (au choix ou les deux), Fred ou Ben (ou les deux) qui sociobloguent, Sébastien Fath, Fabrice Fernandez, et Emmeline ou Jean-Edouard (ou les deux) de Ma femme est une économiste. Tiens, encore du capital social…



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