Je disais dans mon dernier billet que je préférais négocier avec Roger Guesnerie qu'avec Michel Pebereau. Je pense que la simple comparaison entre les propos des deux hommes sur les sciences économiques et sociales suffit à expliquer pourquoi. Roger Guesnerie est un homme de science, mesuré, précis et connaissant bien le problème. Michel Pebereau, malgré ses compétences indiscutables en matière d'économie, n'hésite pas à adopter un discours beaucoup plus idéologique, sur le thème de la "négativité" de notre enseignement et s'avère n'avoir qu'une connaissance très partielle des SES. En adepte de la raison, de la discussion et de l'argumentation, mon choix n'est pas difficile à deviner.
Quelques extraits de l'interview qui font du bien dans un débat où, trop souvent, l'incompétence s'est disputé avec la mauvaise foi :
Si vous vous intéressez aux sciences sociales, c'est tout de même parce que ça permet de comprendre la société !
Il n'est en effet pas inutile de rappeler que les sciences sociales servent, avant tout, à comprendre la société telle qu'elle est, et non à former des adeptes de l'entreprise ou de l'altermondialisme. Cela ne veut pas dire que les entreprises ou les altermondialistes ne peuvent pas avoir recours aux sciences sociales - et ils y ont même intérêt s'ils veulent un tant soit peu comprendre ce qui se passe - mais simplement que les savoirs produits par ces sciences ne peuvent se juger et se justifier à cette aune-là.
Sur les objectifs des SES :
Les objectifs de l'enseignement de Sciences économiques et sociales doivent demeurer de former le futur citoyen, de le préparer aux études supérieures et au-delà à l'entrée dans la vie professionnelle. Comme tous les enseignements du lycée. Ce qu'affirme le rapport est qu'il n'y a pas de contradiction entre l'objectif de formation citoyenne et celui de préparation aux études supérieures et qu'on peut améliorer l'enseignement des Sciences économiques et sociales sur ces deux plans.
Tranchant avec ce que j'avais compris à la lecture du rapport (ce qui confirme le rôle de l'interprétation en la matière), Roger Guesnerie affirme que les deux objectifs principaux des SES - former le citoyen et former aux sciences sociales - sont conjoints et qu'il n'y a donc pas de difficultés particulières à les tenir. Pour ma part, j'ai tout de même, dans ma pratique, le sentiment d'un tension entre les deux. Mais cette tension n'interdit pas des synergies : la formation à la citoyenneté permet d'intéresser les élèves et la connaissance des sciences sociales est, bien évidemment, indispensable si on veut être un citoyen.
Sur les "fondamentaux" :
Plus qu'une hiérarchie des priorités, j'y vois une exigence d'un bon algorithme de la construction des programmes. La difficulté n'est pas de définir les grandes questions, les grands thèmes qu'on souhaite voir traiter. Chacun s'accorde pour dire qu'il faut étudier par exemple la consommation, le marché du travail et l'emploi, l'entreprise, etc. même si l'ordre dans lequel il faut traiter ces thèmes n'est pas évident. La vraie difficulté, c'est de définir la liste des concepts, des outils qu'on veut voir maîtrisés par les élèves, puis, à partir de cette liste, de voir comment l'articuler avec les grands thèmes, en s'efforçant d'aboutir à un parcours cumulatif, qui croise intelligemment regard sur le monde et l'apprentissage des bases des cultures disciplinaires économiques et sociologiques.
L'expression "fondamentaux" ou "retour aux fondamentaux" a souvent été utilisé, en enseignement, pour désigner le retour à un enseignement très désincarné, se concentrant sur quelques outils ou concepts sans se soucier véritablement du sens que l'élève peut trouver dans les activités d'enseignement. Cela sur la conviction qu'il faut apprendre la "base" avant tout autre chose. L'utilisation de cette formule dans le rapport Guesnerie avait de quoi inquiéter, surtout concernant un enseignement dont la plus-value en terme de sens est l'une des grandes qualités. On peut ici être rassuré : les fondamentaux concernent avant tout la conception des programmes et non les activités mises en oeuvre avec les élèves.
Sur le croisement des regards entre science économique et sociologie :
Il n'y avait pas unanimité sur ce point entre nous. Cela dit, le rapport considère qu'il faut conserver le double regard de l'économie et de la sociologie. En revanche, il constate que le recours à chacune de ces disciplines peut varier selon les objets étudiés. Les deux regards sont nécessaires pour comprendre l'entreprise ou la consommation. En revanche, on peut penser qu'il faut voir plutôt la famille sous l'angle sociologique. On n'est pas forcément obligé d'étudier Gary Becker au lycée !
Le croisement des regards n'est donc pas à abandonner selon Roger Guesnerie, mais juste à préciser et à ne pas systématiser. Cela décevra peut-être certains, mais, en l'attente de l'apparition d'une science sociale générale et unique parvenant à articuler les apports des différentes disciplines actuellement en vigueur, c'est sans doute la proposition la plus raisonnable. La rencontre entre discipline est bien évidemment passionnante et essentielle - et je suis moi-même un adepte de sociologie économique. Mais elle est aussi difficile, et on peut légitimement penser que, sur certains points, elles risquent plus de gêner des élèves qui découvrent et les sciences sociales en général et les disciplines en particulier.
Les choses sont bien sûr loin d'être gagnées, et cette interview ne peut calmer mes inquiétudes sur la réforme qui approche - je n'ai aucune envie d'enseigner du droit par exemple (de la sociologie du droit oui, de la science politique aussi, du droit non), simplement parce qu'il y a des gens dont c'est le métier et qui seront bien meilleur que moi à cet exercice. Mais il faut reconnaître que ça fait du bien...
2 commentaires:
Tu dis :
Tranchant avec ce que j'avais compris à la lecture du rapport (ce qui confirme le rôle de l'interprétation en la matière), Roger Guesnerie affirme que les deux objectifs principaux des SES - former le citoyen et former aux sciences sociales - sont conjoints et qu'il n'y a donc pas de difficultés particulières à les tenir.
Le problème c'est qu'il est écrit noir sur blanc dans le rapport Guesnerie "qu'il existe une tenstion evidente entre la formation générale et la formation intellectuelle"... Apparement R. Guesnerie n'est pas à une contradiction près.
Je ne sais pas s'il s'agit tellement de contradiction. Le rapport a du faire la synthèse, forcément imparfaite, entre des personnes dont les positions et plus encore les sous-basements idéologiques n'étaient pas toujours compatible. En un mot comme en cent, il y a avait Pebereau à l'intérieur... De la même façon que Sylvain David, président de l'Apses qui a participé à la dite commission, ne se retrouve pas, et avec lui l'Apses dans ses communiqués sur le sujet, dans le rapport - à raison d'ailleurs sur bien des points - je pense que Roger Guesnerie ne se retrouve pas personnellement entièrement dans le résultat final. Cette interview représente peut-être mieux son avis personnel. Du coup, il peut être stratégiquement juste de faire pression pour que ce soit lui qui préside la commission qui rénovera les programmes plutôt qu'un autre plus... idéologique on va dire.
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