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Eléments pour une sociologie des Social Justice Warriors

Vous avez sans doute entendu parler de Justine Sacco, cette spécialiste des relations publiques qui, suite à un tweet d'humour raciste, a fait l'objet d'une campagne de dénonciation sur Twitter, au point d'en perdre son emploi (sinon, lisez-en un rapide résumé et une analyse stimulante ici). Ne vous en faites pas, je ne vais pas en profiter pour reprendre la question de l'humour : si vous ne voyez toujours pas ce qu'il y a de problématiques avec ces "blagues" qui ne font rire personne, je ne peux plus rien pour vous. Non, il y a d'autres choses à dire à propos de cette histoire qui, bon an mal an, n'est ni la première ni, certainement, la dernière. En fait, quand j'en ai eu vent, elle m'a immédiatement rappelé autre chose : les prises à partie contre les "voleurs de sexe" dans certains pays africains. Ceux-ci peuvent en effet nous fournir un cadre pour interpréter ce qui se pense lorsque Twitter, Facebook ou Tumblr s'enflamment.

Qu'est-ce que cette histoire de voleurs de sexe ? C'est une rumeur apparue au Nigéria dans les années 1970 et qui s'est par la suite répandue dans toute l'Afrique : à la suite d'un contact physique, vous pouvez vous faire voler votre sexe (essentiellement masculin) ou perdre vos érections. La peur du vol de sexe a donné lieu à plusieurs lynchages en pleine rue de prétendus voleurs de sexe.

Face à ces histoires, l'attitude courante en Occident a été de lever un sourcil moqueur à propos de ces pauvres Africains "pas assez rentrés dans l'Histoire", encoure soumis à leurs croyances magiques et shamaniques, ces grands naïfs qui ne jouissent pas de notre belle rationalité à nous qu'on a, et puis, bon, faut reconnaître que c'est un peu de leur faute tout ça. Et pourtant, l'affaire de Justine Sacco montre que nous avons aussi nos propres lynchages publics, certes moins physiquement violents, mais pas tellement différents dans leur logique.

Quoiqu'il en soit, l'anthropologue Julien Bonhomme s'est penché sur la question sans s'encombrer des préjugés colonialistes qu'il est si facile d'avoir sur ces questions. Ce qu'il montre, c'est que loin d'être les restes d'une Afrique enfoncé dans les croyances magiques, la rumeur des voleurs de sexe est le produit de la modernisation et de l'urbanisation rapide de l'Afrique. L'image qu'il donne ainsi est celle d'une Afrique engagé à toute vitesse dans une mondialisation qui transforme en profondeur les relations sociales.

Avec l'urbanisation rapide, conséquence de l'extension de la mondialisation, les individus expérimentent de nouvelles interactions, rapides, anonymes, stressantes : le trafic urbain typique, celui qu'analysait la première école de Chicago en son temps, quand un patelin américain se transformait, en quelques décennies, en une mégapole moderne. Obligés de se croiser, les individus urbains, en Afrique comme en Europe, doivent faire preuve d'une certaine réserve, faire attention, comme le disait Goffman, à ne pas faire perdre la face à l'autre, à protéger autant leur intégrité que celle des autres. Il faut maintenir une certaine distance sociale pour pouvoir vivre avec les autres.

Ainsi, Julien Bonhomme montre que les "vols de sexe" interviennent dans des situations où cette réserve, où cette distance sociale n'était pas respecté. Dans des cultures où cette distance est très courte, où l'on n'accepte pas forcément de se brosser les cheveux avec le même peigne que les autres membres de sa famille, le faible encadrement des relations urbaines les rends difficiles à vivre. Et les accusations de "vols de sexe" deviennent un mécanisme de contrôle social qui réaffirme la norme. Phénomène renforcé par les médias de masse, qui contribuent à transformer la peur de l'inconnu croisé dans la rue en peur de l'étranger menaçant la nation. Une fois de plus, on voit la modernité de cette rumeur, qui n'a finalement que bien peu à voir avec quelques croyances ancestrales...


Revenons à Justine Sacco. Il y a finalement peu de différences entre son cas et celui des voleurs de sexe. Qu'a-t-elle fait ? Son tweet a fait "perdre la face" à certaines personnes : il a attaqué leur intégrité sociale, leur identité sociale et leur représentation du monde. Comme le passager indélicat qui vous marche sur les pieds pour monter plus vite dans le métro, elle a enfreint la distance sociale qui doit être maintenu dans les interactions courantes, surtout avec des inconnus. Les protestations sont ainsi une réaffirmation de la bonne distance à avoir. Nous ne sommes pas si différents des Africains que nous prenons facilement de haut... Chez nous, ce sont ceux que l'on nomme parfois "Social Justice Warrior" qui réagissent : ces individus qui sur les réseaux sociaux, et notamment Tumblr, se font un devoir de dénoncer les propos racistes, sexistes, homophobes, transphobes ou autre qui pulullent sur la Toile.

Mais poussons l'analyse plus loin. Pourquoi Justine Sacco a-t-elle enfreint cette norme ? Une hypothèse : elle a mal évalué la bonne distance à avoir sur Internet. Son tweet (voir ci-dessus) se voulait, rappelons-le, un trait d'humour (vous savez ce que j'en pense...). Et elle a pu, comme d'autres, s'étonner que d'autres ne comprennent qu'elle n'était pas sérieuse, que c'était pour rire, et que, hein, bon, si on peut plus faire des blagues maintenant, et la liberté d'expression bordel ? Sans doute cette "blague" n'aurait pas posé de problèmes dans un contexte différent, dans un cercle familial ou amical où elle n'aurait affecté l'intégrité de personne - surtout si ce cercle n'est constitué que de Blancs partageant des représentations communes sur l'Afrique (ça se voit que je fais de gros efforts pour ne pas écrire "racistes", non ?). Mais elle a fait cette blague sur Internet... Un lieu où se rencontrent les groupes, où se recouvrent les cercles, et où, immanquablement, on finit par rencontrer des inconnus. De la même façon que l'urbanisation a transformé les relations sociales en rapprochant les individus et en leur demandant de faire preuve de plus de distance pour respecter les autres...

Les prises à partie sur Internet comme celle de Justine Sacco sont courantes. Elles ne sont pas le produit de la bêtise ou de l'irrationalité des utilisateurs des réseaux sociaux, encore moins la conséquence d'une culture du "politiquement correct" dont nous rebattent les oreilles des pseudo-rebelles-vrais-conservateurs qui pensent que dire "les Noirs sont des singes" ou "les femmes, c'est des putes", c'est être à la pointe de l'audace et de l'originalité. Elles sont plutôt la conséquence d'un rapprochement et d'une multiplication des interactions entre individus différents - à des années lumières du déclin de la sociabilité qu'on nous promet/décrit à intervalles réguliers - qui demandent à ce que l'on trouve la bonne distance à tenir entre soi et les autres, à ce que l'on établisse des normes sur ce qu'il est acceptable de dire et de faire quand on se doit de vivre avec les autres. Il y a des gens qui appellent ça le "vivre ensemble". Pas sûr qu'ils y aient toujours réfléchis.


Une dernière chose encore. On aurait tôt fait d'interpréter ce genre de prise à parti comme du "communautarisme" : des communautés soucieuses de chacune se protéger contre les autres, chacune réclamant reconnaissance et respect. Rien ne serait plus faux. Si on reprend la distinction classique de Tönnies entre communauté et société, c'est même tout l'inverse. Les communautés sont des groupes qui exercent un fort contrôle sur leurs membres, tous semblables, et peuvent se mettre à l'abri de l'influence des autres groupes. Ici, au contraire, nous avons des individus qui ne se connaissent pas, qui ont des relations beaucoup plus lâches, qui ne sont certainement pas des semblables, mais qui se trouvent devoir cohabiter... Un phénomène qui est typique, finalement, des sociétés. Où justement il devient impossible de faire des blagues "communautaires", c'est-à-dire qui ne font rire que les membres de sa communauté au détriment des autres communautés... Et si les "social justice warriors" nous rappelaient simplement que nous vivons en société ?
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Sociologie du harcèlement dans les lieux publics

Suite au film d'une étudiante belge en cinéma, la question du "harcèlement de rue" a eu un petit succès médiatique la semaine dernière (un article parmi tant d'autres), particulièrement après la création d'un hashtag #harcelementderue sur Twitter. Qu'est-ce que le "harcèlement" ? Erving Goffman va nous aider à y voir plus clair (et va même nous donner des conseils de drague).

Il y a eu beaucoup de réactions à cette prise de parole d'un nombre important de femmes. Beaucoup sont d'une débilité crasse : "Pfff. Les nanas et leur #harcèlementderue. C'est comme tendre de la viande à un chien et lui dire non tu l'auras pas"... Certains, dans la même veine, ont prétendu que ce n'était que de la drague ou que les femmes étaient ou devaient se sentir flattées de cette attention. D'autres, enfin, ont essayé de relever des problèmes dans le documentaire et dans la démarche. Ces dernières remarques sont assez inégales, naviguant entre l'accusation systématique de racisme, dans une belle confusion entre le propos et ses récupérations possibles, et des remarques plus intéressantes. On en trouvera un exemple ici.

Une remarque intéressante est de noter que l'espace privé ou domestique demeure plus dangereux pour les femmes que l'espace public - terme que je préférerais ici à "rue". Cela, toutes les données en attestent. La question est alors de savoir ce que le harcèlement dans les lieux publics a de particulier, et pourquoi il est aussi problématique. C'est là que l'ami Erving intervient.

Dans le chapitre 6 de La mise en scène de la vie quotidienne, Goffman s'intéresse à ce qu'il appelle les "apparences normales". Son propos commence ainsi :

Les individus, humains ou animaux, manifestent deux modes fondamentaux d'activité. Ils vaquent à leurs occupations, paissant, digérant, contemplant, construisant, se reposant, jouant, élevant les enfants, se chargeant tranquillement et sans difficulté des affaires en cours. Ou bien, tout entiers mobilisés, leur attention déchaînée, alarmés, ils se tiennent prêt à attaquer, ou à se mettre en affût, ou à fuir.

Le passage d'un de ces modes d'activité - un mode "normal" et un mode "en alarme" - à l'autre se fait par le biais d'un signal d'alarme. Un cerf boit tranquillement dans un ruisseau. Soudain, un bruit de feuilles derrière lui : aussitôt, il relève la tête et soumet son environnement à une intense inspection, prêt à s'enfuir. Cela signifie que l'individu prête en permanence une attention à son environnement pour en percevoir les signaux de danger.

Cette attention porte sur ce que Goffman appelle plus loin l'Umwelt, à savoir la "sphère qui entoure l'individu à l'intérieur de laquelle se trouve de telles sources d'alarmes potentielles" ou "la région à l'entour d'où proviennent les signaux d'alarmes". On peut voir les choses ainsi : lorsque vous marchez dans la rue, avance avec vous une bulle qui englobe la zone à laquelle vous êtes sensible. Certains évènements dans cette bulle vont vous faire passer en mode "alarmé".

Lorsqu'une femme marche dans la rue, elle est donc entourée d'une bulle dans laquelle les apparences doivent être "normales". Car, précise Goffman, le passage à un état alarmé dépend de ce que le comportement des autres, sources de menaces potentielles, répond ou non à certaines attentes.

C'est ainsi que la fonction des petites civilités de la vie quotidienne peut être celle d'un système d'avertissement anticipé : les politesses conventionnelles sont perçues comme une pure convention, mais leur absence peut alarmer.

On comprend bien, du coup, ce qui se passe lors d'une interaction dans la rue. Lorsqu'elle se voit adresser une sollicitation, que ce soit un "hummmm charmante", un "joli petit cul" ou un "hé, tu veux pas me sucer ?", une femme passe en état alarmé : elle mobilise son attention sur la personne en question pour gérer la menace potentielle.

Mais l'état alarmé est un état épuisant : outre la concentration qu'il exige, il resserre soudainement l'umwelt sur la seule source de menace. Cela ne veut pas dire que l'individu oublie l'existence d'autres menaces potentielles. Au contraire. Celles-ci restent présentent à son esprit, mais sans qu'il soit possible de s'y intéresser. Autrement dit, c'est un moment de stress, même si, au final, la menace n'est pas réelle. C'est pour cela qu'un simple "charmante" est du harcèlement : il oblige soudain la personne à qui on s'adresse à concentrer son attention, et lui fait perdre la maîtrise de son environnement. Il n'y a pas besoin que le contenu de l'adresse soit lui-même une menace ("hé, la pute, tu me files ton 06 ?"), il suffit qu'il soit un "signal d'alarme", c'est-à-dire une rupture avec les apparences normales. Le bruit de feuille n'a pas besoin de cacher réellement un cougar pour que le cerf se sente menacé.

Alors on ne peut plus parler aux filles dans la rue, hein, c'est ça ? Et puis on peut pas draguer ? me répondront sûrement quelques lecteurs. Si vous faites parties de ceux-là, c'est que vous n'avez pas vu qu'il y a là un critère simple de distinction entre la drague et le harcèlement. Si vous souhaitez aborder une personne dans la rue, il vous faut, tout simplement, respecter les apparences normales, afin de ne pas apparaître comme une source d'alarme. Goffman considère "comme un fait central de l'existence que ceux qui pourraient alarmer quelqu'un par leurs agissements s'en préoccupent très souvent" : généralement, dans nos interactions avec les autres, nous cherchons à nous adapter à ce que les autres considèrent comme apparences normales. C'est ce que font les contrebandiers, voleurs, arnaqueurs... qui veulent réussir leur coup : marcher d'un air détaché, être poli, calme, etc. Il en va de même lorsque l'on aborde une personne : il faut lui donner les gages que l'on est pas une menace, à commencer par ne pas s'imposer à elle. Le respect des règles de politesse les plus élémentaires "bonjour, excusez-moi..." évitent que l'on vous considère comme une menace. Et vous évitez le harcèlement. Certes, cela ne fait pas de vous un type bien - tout cela ne peut cacher chez vous qu'un désir purement sexuel pour une "proie" - mais au moins, c'est plus vivable pour tout le monde.

Mais il y a un autre point intéressant chez Goffman : l'Umwelt d'un individu n'est pas donnée. Il est le produit d'un apprentissage et d'une situation sociale.

Ce qui fait qu'un précipice est simplement un précipice, c'est la compétence adaptative de l'homme et de l'animal à poser le pied sur un sentier étroit, que cette compétence provienne de la sélection naturelle, de l'apprentissage, ou de diverses combinaisons des deux.

Autrement dit, on apprend de quoi il faut se méfier, et la taille de l'Umwelt dépend largement de qui l'on est socialement. Et je voudrais faire ici l'hypothèse que l'Umwelt des femmes est plus grand que celui des hommes. Ceux-ci peuvent marcher dans la rue ou dans les espaces publics en prêtant finalement peu d'attention à ce qui les entoure. Les femmes sont habitués très tôt à avoir un champ de surveillance plus large, car les menaces sont pour elles plus nombreuses. On peut lire ce témoignage (extrait de ceci) pour s'en convaincre :

The following day, I attended a workshop about preventing gender violence, facilitated by Katz. There, he posed a question to all of the men in the room: "Men, what things do you do to protect yourself from being raped or sexually assaulted?"

Not one man, including myself, could quickly answer the question. Finally, one man raised his hand and said, "Nothing." Then Katz asked the women, "What things do you do to protect yourself from being raped or sexually assaulted?" Nearly all of the women in the room raised their hand. One by one, each woman testified:

"I don't make eye contact with men when I walk down the street," said one.
"I don't put my drink down at parties," said another.
"I use the buddy system when I go to parties."
"I cross the street when I see a group of guys walking in my direction."
"I use my keys as a potential weapon."
"I carry mace or pepper spray."
"I watch what I wear."

The women went on for several minutes, until their side of the blackboard was completely filled with responses. The men's side of the blackboard was blank. I was stunned. I had never heard a group of women say these things before. I thought about all of the women in my life -- including my mother, sister and girlfriend -- and realized that I had a lot to learn about gender.

Mais cet Umwelt est également variable avec les situations sociales où se trouve l'individu. Et, en particulier, il a souvent moins besoin que les apparences soient normales de son point de vue qu'il n'a besoin que l'on puisse lui fournir une explication de la normalité : si vous tournez au coin de la rue et tombez sur un tas de gens qui se battent, vous êtes alarmé, jusqu'au moment où un monsieur vient calmement vous expliquer qu'il s'agit d'une répétition pour le tournage d'un film. Comme l'écrit Goffman :

L'individu peut avoir besoin d'explications quand il cesse soudain de voir des apparences normales dans son Umwelt, et il n'est pas nécessaire que les justifications qu'il reçoit assimilent l'évènement alarmant à ces apparences normales ; il suffit qu'elles l’intègrent à toute apparence qui, réalisée et comprise, ne serait cause d'aucune alarme.

Or, dans l'espace public, il n'y a pas forcément quelqu'un qui ait le pouvoir de transformer la situation alarmante en situation normale : l'homme qui harcèle une femme aura bien du mal à requalifier la situation d'une façon qui lui soit favorable, pour que sa proie cesse de s'inquiéter. Il en va tout autrement dans d'autres situations, et en particulier dans le cadre domestique, intime ou plus généralement privé. L'agresseur aura alors plus facilement les ressources pour expliquer à sa victime que tout cela est normal. C'est ce qui ressort du Project Unbreakable, un ensemble de photo de victimes de viol qui présentent, sur des grands panneaux blancs, les paroles de leurs agresseurs (j'en reprends juste une ci-dessous, la plupart sont glaçantes).


Voilà, peut-être, la grande différence entre le harcèlement dans l'espace public et celui dans l'espace privé. Cependant, la normalisation peut se faire autrement : elle peut être le fait de ceux qui disent "c'est comme ça on y peut rien", requalifiant les situations vécues difficilement par les personnes comme de simples accidents de parcours dont il ne faudrait pas trop s'inquiéter. La première chose à faire, pour traiter le problème, est peut-être là : écouter et ne pas normaliser. Comme pour toute forme de harcèlement ou d'agression finalement.
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Eléments de sociologie pratchettienne (2)

Où l'on découvre une théorie de la ville comme forme sociale qui n'aurait pas déplue à Simmel, où l'on devine la naissance d'une solidarité organique bien durkheimienne, et où l'on notera qu'un bon esprit sociologique commence toujours par une attention à ce qui est à la fois quotidien et caché...

Every day, maybe a hundred cows died for Ankh-Morpork. So did q flock of sheep and a herd of pigs and the gods alone knew how many ducks, chickens and geese. Flour ? He'd heard it was eighty tons, and about the same amount of potatoes and maybe twenty tons of herring. He didn't particularly want to know this kind of thing, but once you started having to sort out the everlasting traffic problem these were facts that got handed to you.

Evry day, forty thousand eggs were laid for the city. Every day, hundreds, thousands of carts and boats and barges converged on the city with fish and honey and oysters and olives and eels and lobsters. And then think of the horses dragging the stuff, and the windmills... and the wool coming in, too, every day, the cloth, the tobacco, the spices, the ore, the timber, the cheese, the coal, the fat, the tallow, the hay EVERY DAMN DAY... [...]

Against the dark screen of night, Vimes had a vision of Ankh-Morpork. It wasn't a city, it was a process, a weight on the world that distorted the land for hundreds of miles around. People who'd never see it in their whole life nevertheless spent their life working for it. Thousand and thousand of green acres were part of it, forests were part of it. It drew in and consumed...

...and gave back the dung from its pens and the soot of its chimneys, and steel, and saucepans, and all the tools by which its food was made. And also clothes, and fashions and ideas and interesting vices, songs and knowledge and something which, if looked at it in the right lightm was called civilization. That's what civilization meant. It meant the city.

Terry Pratchett, Night Watch, p. 389-390
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Politique des espaces publics : changer le monde par ses murs

La politique, dit-on, se donne pour objectif de transformer la société. Une expression bien générale, mais qui peut trouver une réalisation lorsqu'il s'agit de changer, tout au moins, un peu de la façon dont nous percevons les choses. C'est du moins ce que peut rendre visible quelques photos prises au Louvre.

Si le travail politique est essentiellement un travail sur les mots, c'est que les mots contribuent à faire le monde social. En politique, rien n'est plus réaliste que les querelles de mots. Mettre un mot pour un autre c'est changer la vision du monde social, et par là, contribuer à le transformer.

Voilà ce que disais Pierre Bourdieu dans une interview donnée à Libération en 1982. Difficile de ne pas lui donner raison : l'essentiel de l'activité politique consiste à s'affronter sur les mots, à tenter ou à parvenir à imposer un jeu de langage qui, en devenant la réalité politique du moment, entraînera les activités, les transformations, les réformes et les politiques publiques idoines. Parler d'émeutes ou de révolution, d'évènements ou de guerre, d'exclusion ou d'assistanat, de coût du travail, de pouvoir d'achat ou de salaire : rien de tout cela n'est neutre, bien au contraire.

On aurait tort cependant de faire résider l'essentiel de cette activité dans les prises de paroles publiques des hommes politiques. Les affiches politiques et leur slogan s'inscrivent totalement dans cette logique. Le "je lutte des classes" qui a connu un succès certain dans les dernières manifestations et qui pourrait bien se maintenir encore quelques temps en témoigne : c'est que les classes sociales, au-delà de leur réalité sociologique indéniable, sont aussi des constructions langagières qui ont besoin d'être construites et défendues par les acteurs qui veulent s'appuyer sur elles, contre les tentatives de ceux qui veulent les effacer au profit de l'individu en majesté. Mais il y a plus que les affiches : de simples informations peuvent prendre un tour bien politique. Lors d'une visite au Louvre, j'ai pu prendre cette photo (toujours de piètre qualité, je ne suis pas un grand photographe - cliquez pour la voir en plus grand) :


De simples travaux dans un musée - l'installation d'une arcade - deviennent, par la magie de l'affichage un morceau de la relance économique et d'une stratégie économique globale, courageusement menée par le gouvernement. Il s'agit, comme souvent, de "définir la situation" : par le biais de l'écrit, on transforme la signification des choses et on impose au passant une autre façon de voir les choses. Des travaux qui pourraient être ignorés, voire perçu comme une nuisance pour le visiteur du musée qui se voit privé d'une partie de la visite, sont ici parée d'une vertu économique incontestable. On ne s'excuse pas "de la gêne occasionnée", mais on affirme fièrement sa contribution au bien-être de tous. "L"Etat restaure votre patrimoine ! Projet soutenu par le plan de relance" dit le bas de l'affiche.


Cette pratique est courante, et n'est pas exclusive ou caractéristique de la politique gouvernementale actuelle : un peu plus tôt dans la journée, rue de Rivoli, j'ai pu voir que les murs de ce qui était la Samaritaine clamaient avec une égale fierté qu'avaient été créés pas moins de 2000 emplois... Mais le bus allait trop vite pour que je puisse comprendre qui il fallait remercier pour cela. Il me semble cependant que la municipalité de la capitale avait quelque chose à voir avec ce miracle.

C'est dire que la politique peut s'inscrire assez profondément dans l'espace public, ou, comme le dernier espace le suggère, dans l'espace urbain. Celui-ci peut contribuer à former notre perception du monde, des choses et des gens. Mais cette action de conformation des perceptions du monde n'est pas mécanique : parce qu'elle est politique, elle fait également l'objet d'une lutte. C'est ce que le street art a, finalement, très bien compris :

The people who run our cities don’t understand graffiti because they think nothing has the right to exist unless it makes a profit. The people who truly deface our neighborhoods are the companies that scrawl giant slogans across buildings and buses trying to make us feel inadequate unless we buy their stuff. Any advertisement in public space that gives you no choice whether you see it or not is yours, it belongs to you, it’s yours to take, rearrange and re-use. Asking for permission is like asking to keep a rock someone just threw at your head (Banksy dans Wall and Piece)




Reste qu'il ne faut pas exagérer la puissance de ce mode d'expression politique. Si les oeuvres de quelqu'un comme Banksy peuvent avoir un tant soit peu d'audience et, peut-être, d'influence, c'est en grande partie du fait de la qualité de sa performance : performance artistique, basée sur la rupture avec ce qui est attendu - ce dont témoigne la photo ci-dessus. Au contraire, l'affichage de la réforme apparaît de façon beaucoup plus normalisé. Alors que l'artiste s'appuie sur ce que Max Weber aurait considéré comme une attitude prophétique, dont le charisme vient briser les rets de la tradition et du monde allant de soi, l'expression politique normale vient d'une attitude plus proche de celle du prêtre, qui prêche une parole validé par l'institution qui le surplombe. Elle n'est pas forcément moins puissante, mais s'exprime de façon sans doute plus douce. Il faudrait enquêter plus avant pour savoir quels effets produisent effectivement ce genre d'affiche sur le public et les passants.

Une dernière question peut être soulevé : pourquoi afficher de cette façon la politique de relance économique ? On pourrait répondre que c'est pour garantir la réélection des dirigeants. Mais le jeu demeure dangereux : après tout, si la relance marche, cela se verra de façon concrète dans l'amélioration de l'économie, le retour de la croissance et la réduction du chômage, ce qui devrait suffire pour une réélection triomphante. Il se pourrait que cette affichage participe également de la légitimation des politiques économiques, qui serait en fait une condition de leur efficacité. Une politique de relance ne doit-elle pas commencer par changer le "climat des affaires" et pour cela changer la perception que l'on a de l'état du monde ? Dès lors, c'est peut-être là aussi, dans la rue et sur les murs, que se joue la réussite de la politique... Finalement pas si éloignée de la performance artistique : changer le monde par ses murs.
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La discrimination comme nouveau paradigme

A l’occasion des débats sur les statistiques de la diversité, dites « ethniques », le thème des discriminations est revenu en force plus que jamais dans le débat public. Ce qui fait débat, plus que tout, c’est la réalité de ces discriminations : y a-t-il vraiment discrimination ou n’est-ce là qu’une excuse ou un masque qui cacherait d’autres inégalités ? Ce point est évoqué par Mathieu P. dans les commentaires du blog d’éconoclaste, point de départ de ma présente réflexion. S’il est une question que l’on se pose trop peu alors qu’elle est centrale dans cette discussion, c’est bien celle de savoir pourquoi le thème des discriminations a pris une telle place dans le débat public, et, plus largement, dans l’expérience quotidienne d’une partie de la population. Petit essai d’explication.




1. La discrimination, de quoi parle-t-on ?

La discrimination peut être considérée comme un mode de lecture des inégalités. Les individus constatent très facilement que, malgré l’affirmation formelle de l’égalité entre les individus, de nombreuses différences existent entre eux et les autres. Ces différences peuvent être jugées légitimes ou illégitimes selon leurs origines, leurs modes de production. La lecture des inégalités comme produit d’une discrimination implique deux choses :

- Premièrement, l’inégalité découle d’un comportement volontaire de la part d’un autre individu qui vise à discriminer, c’est-à-dire à mettre à l’écart, à couper la victime de l’accès à certains biens ou certaines positions. Ce comportement découlerait de la peur ou de la haine que porte le « discriminateur » au « discriminé ». La lecture est alors souvent morale : c’est la méchanceté d’un individu qui explique la discrimination.

- Deuxièmement, cette discrimination s’appuie sur l’appartenance de l’individu à un groupe ou sous-groupe qui peut-être défini de plusieurs façons. La plupart du temps, il s’agira de l’appartenance ethnique ou le sexe. Mais les comportements sexuels ou la séropositivité peuvent également être pris comme référence.

Ces deux points fournissent le modèle de la discrimination. Il est évident qu’il existe de nombreux cas où une inégalité découle effectivement d’une discrimination. Mais il semble bien que de plus en plus d’inégalités reçoivent une explication en terme de discrimination, sans qu’il soit toujours évident qu’il s’agisse clairement d’un comportement volontaire en référence à l’appartenance à l’individu. J’évoquais à ce propos, dans ma dernière note, le travail de Fabien Jobard sur la justice : les « maghrébins » sont bien condamnés plus durement que les autres, mais uniquement parce qu’ils sont jugés pour des faits plus graves. Ce dernier fait s’explique lui-même par les conditions de vie des « maghrébins », l’action de la police, etc. Il n’est pas impossible qu’il en soit de même ailleurs : dans l’éducation, par exemple, la moindre présence de certains minorités dans les filières les plus sélectives est-elle le signe que les sélectionneurs les refusent ou que les membres de ces minorités s’auto-censurent et ne se présentent pas ? Difficile à dire… du moins sans statistiques de la diversité.

Ce qui nous intéresse ici est plutôt de savoir pourquoi la thème des discriminations est de plus en plus présent, de plus en plus évoqué – du moins peut-on le penser – par les acteurs qui s’estiment victimes des inégalités. En d’autres termes, pourquoi la discrimination s’impose-t-elle de plus en plus comme mode de lecture des inégalités ?

2. De la domination à la discrimination : changement de paradigme

On peut défendre l’idée qu’il y a un changement de paradigme, de mode dominant de lecture des inégalités. Alors que, jusqu’à une certaine époque, les inégalités étaient vues comme le produit d’une domination sociale de certains groupes, ou, plus généralement, de la dynamique et des lois propres à un type de société particulier – la société capitaliste pour ne pas le nommer. La domination était alors le paradigme dominant.

Dans ces conditions, si les ouvriers étaient nettement désavantagés par rapport à d’autres couches de la population, il ne venait à l’idée de personne – ou de trop peu de monde pour que cela soit négatif – qu’il y avait une entreprise volontaire, personnalisée et personnalisante qui étaient à l’œuvre. La caractéristique de la domination était en effet d’être collective : ce n’est pas M. Tartempion qui me domine, mais le patronat, adversaire quasiment sans visage, mais qui n’en avait que plus de force. Les conflits étaient alors vécus sur le mode collectif, avec pour conséquence de déresponsabiliser en partie au moins l’individu de sa propre condition : c’était par l’action collective, et non individuelle, que le salut était possible (voir notamment les travaux de François de Singly sur l’individualisme [1], résumés ici, ici et ).

Ce paradigme n’existait pas et ne s’imposait pas par hasard : il était animé par certains acteurs particuliers, qui lui donnaient forme et le diffusaient. Il est en effet important de se rappeler, à l’aide de la sociologie de l’acteur-réseau, que les groupes n’existent que parce qu’il existe des médiateurs qui les construisent, les diffusent et les font tenir [2]. Dans le cas de ce paradigme de la domination, d’où découlaient certains groupes sociaux particuliers, c’est, en France, le parti communiste et les différentes incarnations du mouvement social qui prenait en charge cette construction.

Or, aujourd’hui, c’est un paradigme différent qui tend à s’imposer et à se diffuser, sans toujours remplacer celui de la domination : le paradigme de la discrimination. Dans celui, comme je l’ai précisé, les inégalités sont vécues sur un mode individuel, avec comme conséquences que les possibilités de s’en sortir sont moins évidentes, surtout quand la victime se sait privée de ressources.

Mais de la même façon que le paradigme de la domination se déployait en s’appuyant sur certains acteurs et médiateurs, celui de la discrimination n’existe pas dans un vide social : il s’agit d’expliquer la diffusion de cette idéologie et la formation des nouveaux groupes qui en découle.

3. De la construction sociale de la réalité

Thomas Luckmann et Peter L. Berger proposent, dans un célèbre ouvrage [3], un modèle théorique particulièrement intéressant, et à la postérité florissante : celui de la construction sociale de la réalité. Sans entrer dans les détails des développements théoriques, on peut ici retenir trois points particulièrement importants :

- Ce que les individus tiennent pour être la « réalité », dans leur vie quotidienne, découle d’une construction sociale, c’est-à-dire qu’il est le produit d’une expérience intersubjective, des différentes interactions entre les individus. C’est ce qui se passe ici pour la diffusion du paradigme de la discrimination. Confrontés à une inégalité, les individus d’un groupe donné, auquel appartient la victime, vont construire la réalité de cette inégalité – leur réalité – par le biais de leurs interactions . Ce point sera développé plus longuement dans la partie 4.

- Cette réalité est, en quelque sorte, solide. Une fois construite, elle parvient, aussi longtemps qu’elle trouve des individus ou des groupes pour la relayer, à s’imposer à d’autres. Même si elle peut être coupée de la réalité au sens philosophique (ce qui est vrai, de manière générale), elle sera considérée comme telle dans les groupes où elle a été construite. Elle constituera un schéma incorporé par les individus, que ceux-ci vont mobiliser pour interpréter tout nouveau fait, toute nouvelle information. C’est ainsi que l’on passe du subjectif à l’objectif.

La question de l’ouvrage de Berger et Luckmann, question centrale pour la sociologie, s’exprime de façon claire :

« Comment se fait-il que les significations subjectives deviennent des facticités objectives ? Ou, en termes appropriés aux position théoriques énoncées plus haut : comment se fait-il que l’activité humaine produise un monde de chose ? » [3]

- Cette réalité se construit essentiellement dans les relations quotidiennes de proche en proche, par la socialisation continue des individus. Ce sont les conversations quotidiennes, les micro-interactions qui forment et revitalisent cette réalité socialement construite. Bien des institutions plus globales – l’école, l’Etat, les médias, etc. – jouent un rôle fondamental, qui ne doit pas être négligé. Mais la socialisation qu’ils exercent a besoin de relais : j’aurais plus de mal à croire ce que me dit Tf1 si tout le monde autour de moi me répète et me convaincs qu’il ne faut pas croire P.P.D.A.

Avec ces différents éléments en tête, nous allons pouvoir essayer de comprendre pourquoi le paradigme de la discrimination s’impose et se maintient. Comme je l’ai déjà dit, il vaut mieux d’abord poser la théorie.

3. L’expérience urbaine

Afin de comprendre ce phénomène, il convient de prendre en compte le décor dans lequel se jouent les interactions qui vont être en cause dans la construction de cette réalité. Il s’agit ici des fameuses « banlieues » et plus généralement de la ville. C’est de là que nous allons partir.

Un avertissement néanmoins : il ne faut pas voir ce décor comme totalement déterminant. Il ne suffit pas, on le verra, à expliquer la situation. Pour autant, l’organisation matérielle de l’espace et les objets qui y prennent place ouvrent la possibilité à certaines relations, à certains comportements, et, dans le même temps, ferment la voie à d’autres façons de se faire ou de s’organiser. Comme le dit Bruno Latour :

« Outre le fait de "déterminer" et de "servir d’arrière-fond de l’action humaine", les choses [ici : la ville] peuvent autoriser, rendre possible, encourager, mettre à portée, permettre, suggérer, influencer, faire obstacle, interdire et ainsi de suite » [2]

Autrement dit, je ne cède pas à l’explication simpliste qui consiste à accoler l’adjectif urbain à n’importe quel problème – violences urbaines, cultures urbaines, musiques urbaines – pour expliquer n’importe quoi (et souvent n’importe comment). Je ne prétends pas que l’architecture de la ville suffit à expliquer le paradigme de la discrimination et que raser les banlieues suffirait à régler le problème – bien au contraire. Simplement, sans la ville et l’urbain, le problème serait différent.

Commençons donc par le commencement : qu’est-ce que la ville, sociologiquement parlant ? On peut la caractériser par une division/spécialisation sociale de l’espace, les différents groupes sociaux se situant différemment à l’intérieur de celle-ci [4]. Les banlieues qui nous intéressent se caractérisent par un forte dégrée de ségrégation sociale : elles rassemblent des populations porteuses de divers stigmates ou handicaps sociaux [5], enfermées dans ces quartiers et n’ayant que peu de possibilité d’en sortir, que cette sortie soit temporaire (enclavement) ou définitive (immobilisation).

Mais la ville se caractérise aussi par la rencontre et l’incertitude : en marchant dans la rue, espace public par excellence, il est toujours possible de rencontrer des groupes ou des personnes « imprévues », des situations inattendues. La ville, c’est très largement ce paradoxe d’un éloignement et d’un rapprochement entre les individus et les groupes. Comment cela se manifeste-t-il pour nos banlieues ?

Tout d’abord, par l’extrême interconnaissance qui caractérise les quartiers populaires. Loin de l’image des grandes cités anonymes où personne ne se parle, de nombreuses enquêtes ont mis l’accent sur la très forte sociabilité, en particulier entre les jeunes. Dans la cité des Quatre Mille, à la Courneuve, tout le monde se connaît, nous dit David Lepoutre dans une passionnante enquête ethnographique [6]. Demandant à quelques jeunes informateurs d’énumérer toutes les personnes qu’ils peuvent nommer dans la cité, il obtient des listes de 500 voire 1000 noms ! Cela doit en partie à l’organisation matérielle du quartier : les appartements étant souvent trop petits pour des familles nombreuses, les jeunes passent plus de temps dans la rue, au pied des immeubles.

Ensuite, le deuxième aspect de l’expérience urbaine se manifeste par la rencontre régulière entre les jeunes qui nous intéressent et un groupe extérieur : la police. Les forces de l’ordre sont ici doublement extérieure : non seulement d’un point de vue urbain (il s’agit rarement d’habitants du quartiers), mais aussi socialement. Assimilée à un Etat perçu comme lointain, elles ne s’intègrent pas ou peu dans le décor urbain quotidien des populations en question.

4. La construction de la réalité dans les cités

A partir de ces différents éléments, on comprend très facilement par quel processus se produit la réalité du paradigme de la discrimination. Celui-ci ne dépend pas d’une manipulation médiatique ou politique, ni même de l’action normale d’un mouvement social. Elle est la conséquence logique de l’expérience urbaine des acteurs concernés.

C’est ce qu’avance Marco Oberti dans un récent ouvrage [7] consacré aux relations entre les ségrégations scolaires et urbaines.

« On assiste ainsi, de la part des jeunes eux-mêmes à un recours plus diffus à la discrimination pour expliquer leur situation difficile ou d’échec, pour laquelle l’intentionnalité de la discrimination tend à l’emporter sur les éléments structurels et/ou personnels de désajustements-dysfonctionnement » [7]

D’après lui, la ségrégation urbaine contribue à attribuer étroitement certaines populations, identifiés par leur appartenance ethnique, leur couleur de peau, leur religion ou autres, à certains comportements ou certaines situations (violences, pauvreté) dans la réalité socialement construite. Ceci est vrai dans les deux sens. D’une part, les « jeunes de banlieue » sont perçus comme un groupe à part par les personnes extérieures à ces quartiers – par exemple les parents d’élèves qui cherchent le meilleur établissement pour leur enfant et s’inquiète du nombre élevé de survêtement qui tourne autour du collège local. D’autre part, les jeunes eux-mêmes se conçoivent peu à peu comme tels.

Ainsi, la ségrégation « favorise le passage d’une logique d’inégalités à une logique de discrimination » [8], et ce d’autant plus que l’information circule rapidement dans ces quartiers. En effet, du fait de l’interconnaissance précédemment signalée, toute nouvelle expérience de discrimination - n’oublions pas que celles-ci existent bel et bien – va rapidement faire le tour du quartier, ou au moins de ses fractions juvéniles. Elle va apporter sa pierre à la construction du paradigme. Et ce phénomène est parfaitement rationnel – comme d’ailleurs toute idéologie [8] (voir ici pour une explication) – : n’est-il pas plus rationnel de croire mon pote qui me dit que les policiers s’en sont pris à ses potes parce qu’ils sont noirs plutôt que les médias qui me disent le contraire ?

Les jeunes les plus « connus des services de police », ceux qui y ont le plus souvent affaire, peuvent ainsi devenir, comme le dit Fabien Jobard [9], des acteurs politiques. Ils diffusent leur expérience, qui est fait de la perception d’une discrimination : les policiers s’en prennent en eux parce que ce sont des racistes, parce qu’ils ne les aiment pas, etc. Cet aspect des choses est renforcé, selon Jobard, se portent de plus en plus partie civile dans les affaires d’outrage à représentant de la force publique. Ce fait personnalise les relations entre les jeunes et la police : les premiers ne se frottent plus à une institution étatique, mais à des individus particuliers. De là provient sans doute le sentiment de discrimination : ce n’est pas l’Etat qui me domine, mais l’agent Bidule qui ne m’aime pas. On retrouve ici la personnalisation qui marque la discrimination par rapport à la domination.

5. Interprétations et typification

Une fois ce paradigme en place, celui-ci s’impose aux individus, ou, plus précisément, est réutilisé par eux pour interpréter toute nouvelle information. Si, dans le quartier, une nouvelle histoire mettant aux prises des jeunes et des personnes extérieures commence à se diffuser, elle sera immédiatement lue en terme de discrimination. Par exemple, si deux jeunes meurent dans un accident avec une voiture de police, il ne faudra pas longtemps pour que chacun dans le quartier sache que la faute en revient aux policiers, avant même tout résultat d’enquête.

Un concept utile de la sociologie de la construction de la réalité est celui de « typification ». Ce phénomène « consiste à intégrer la présence d’autrui dans des schémas préétablis afin de réduire l’incertitude au sujet de l’attitude à adopter à leur endroit » [4]. Autrement dit, les comportements d’autrui sont ramenés par le sujet aux modèles dont ils disposent, afin que celui-ci sache comment se comporter, comment rentrer en interaction avec eux, etc. Lorsque je me rend chez mon boulanger – je vous recommande la baguette « à l’ancienne », un peu chère, mais tellement bonne – peu m’importe la personnalité de la vendeuse, nos points communs ou nos divergences : je l’ai « typifié » comme vendeuse, de la même façon qu’elle m’a typifié comme client.

Dans le cas qui nous intéresse, on peut raisonnablement supposer que tout représentant des institutions, employeurs et autres personnes qui exercent, d’une façon ou d’une autre un pouvoir sur les jeunes sera très facilement typifié en discriminateur ou raciste. L’enseignant met une mauvaise note ou punit parce qu’ils ne nous aime pas, le policier est raciste, le responsable de l’ANPE n’aime pas les reubeus : on peut facilement imaginer comment ces typifications s’expriment de la façon la plus quotidienne qui soit. L’explication de la situation personnelle par la discrimination est d’autant plus aisée qu’elle est déjà là, déjà disponible pour l’acteur.

6. Conclusion

En guise de conclusion, deux mots sur le débat sur les statistiques ethniques, déjà évoqué ici. On peut en effet se demander les effets de telles statistiques sur cette lecture des inégalités en terme de discrimination. Evidemment, tout dépend des résultats. Comme je l’ai déjà dit, il est possible que de telles statistiques viennent relativiser le côté « personnalisant » de ces discriminations, en mettant à jour des processus discriminants sans qu’il y ait pour autant de volonté de discrimination. Les policiers, par exemple, sont loin d’être tous racistes, mais certaines de leurs façons de travailler peuvent poser problème (voir ici pour une excellente présentation). Cela suffira-t-il à faire reculer ce paradigme de la discrimination ? On peut en douter. Celui-ci constitue une attitude rationnelle par rapport aux conditions d’existence et aux relations sociales qui forment l’expérience quotidienne de certaines populations. Les statistiques, les discours médiatiques, étatiques ou scientifiques peuvent facilement être mis à distance (« ils nous mentent », « ils nous manipulent »…). Il est donc essentiel de bien comprendre que ce type de statistiques ne peuvent être qu’un outil, et en aucun cas une réponse, à cette situation.

Bibliographie :

[1] François de Singly, L’individualisme est un humanisme, 2005

[2] Bruno Latour, Changer la société. Refaire de la sociologie, 2006

[3] Peter L. Berger, Thomas Luckmann, La construction sociale de la réalité, 1966

[4] Yankel Fijakowl, Sociologie des villes, 2004

[5] François Dubet, Didier Lapeyronnie, Les quartiers d’exil, 1999

[6] David Lepoutre, Coeur de banlieue. Codes, rites et langages, 2001

[7] Marco Oberti, L’école dans la ville. Ségrégation – mixité – carte scolaire, 2007

[8] Raymond Boudon, L’idéologie, ou l’origine des idées reçues, 1992

[9] Fabien Jobard, « Sociologie politique de la "racaille" », in Hughes Lagrange, Marco Oberti, Emeutes urbaines et protestation. Une particularité française, 2006

[10] Philippe Riutort, Précis de sociologie, 2004


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La dernière des classes sociales (1)

Pierre Maura nous a parlé, le temps de deux notes fort intéressantes, de « l’aristocratie foncière ». Il y présente le « retour des classes sociales » à la Chauvel : après une période où l’individualisme et l’égalisation des conditions défait les classes sociales et leurs luttes, le développement des inégalités redonne à celles-ci une nouvelle épaisseur, à la fois objective et subjective [1]. Les classes moyennes se divisent alors peu à peu entre ceux qui, faute de patrimoine, se retrouvent en « chute libre » et ceux qui, par le jeu de la solidarité familiale et des avantages fournis par l’origine sociale, parviennent à maintenir ou à améliorer leur situation.




Il en profite pour nous remettre un peu de Marx dans sa première note. Et il a bien raison. Marx n’a pas spécialement bonne presse en ce moment – le blog d’éconoclaste charge régulièrement les économistes marxistes. Pourtant, à tout point de vue, Marx était un génie, au sens le plus classique du terme. Certes, son économie a vieilli. Mais on aurait tort de ramener le penseur allemand à un simple critique de l’économie classique ou même au « dernier des classiques » (marronnier de concours, désolé). Marx, il faut le rappeler, avait conçu un projet beaucoup plus vaste : celui d’une critique radicale du monde, de son époque, et plus généralement de la modernité [2]. Ayant critiqué l’idéalisme puis la religion, il identifie le problème de l’aliénation et des idées fausses – l’idéologie – que celle-ci produit. Il en tire très logiquement comme conclusion que si la réalité est aliénante, il faut également critiquer cette réalité :

« Voici le fondement de la critique irreligieuse : c’est l’homme qui fait la religion, et non la religion qui fait l’homme […]. Mais l’homme, ce n’est pas un être abstrait […], c’est le monde de l’homme, c’est l’Etat, c’est la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, une conscience renversée du monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde renversé » [3]

Voici donc la première de quelques notes éparses consacrées au penseur allemand. J’essaierais de traiter de différents aspects de sa pensée en fonction de l’actualité qui se présente – j’attend en particulier une occasion de vous parler de sa conception du changement social. Pour l’instant, je voudrais aborder la question des classes sociales.

Pour cela, je vais en appeler à un ouvrage qui a une importance particulière pour moi, puisque ses auteurs sont pour beaucoup dans ma « conversion » (ou socialisation secondaire à la Berger et Luckmann [4]) à la sociologie – un épisode chevaleresque que je vous conterais un jour, si vous êtes sages. Il s’agit de Sociologie de la bourgeoisie de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, le premier ouvrage de sociologie que j’ai lu, et que je viens de relire dans sa dernière et récente édition [5]. C’est leur utilisation du concept marxien de classe sociale, dans le dernier chapitre de l’ouvrage, qui me pousse à écrire cette note.

En effet, dans cet ouvrage, le couple de sociologues s’intéresse à une autre aristocratie que celle que nous évoque Pierre Maura : la grande bourgeoisie, celle des Rothschild et des François Pinaud, des nobles et des anoblis, des têtes couronnées et des grandes dynasties d’entrepreneur façon de Wendel.

J’en entend déjà qui ricanent au fond : qu’est-ce que ces vieilles familles ridicules peuvent bien avoir d’intéressant à l’époque des stock-options, des subprimes et des marchés tout puissants ? Et bien, c’est justement là tout l’intérêt du travail de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot : pendant que les classes moyennes se divisent et se recomposent, que les classes populaires sont plus anomiques que jamais, la grande bourgeoisie demeure la plus puissante et la plus mobilisée des classes sociales. Explications.

1. Le pouvoir au travers de la ville

La grande bourgeoisie n’est que rarement sous le feu des médias, ce qui n’est pas le cas des marchés financiers, traders, et autres grands managers aux golden parachutes mirobolants. Il y a pourtant un espace qui permet de très facilement juger de son pouvoir et de sa domination : celui de la ville.

En effet d’un point de vue sociologique, la ville n’est pas cet espace de mélange et de mixité sociale qu’essayent de décrire certains discours idéologiques, mais une combinaison de division spatiale entre groupes – les quartiers sont « spécialisés », souvent économiquement – et de cohabitation, parfois conflictuelle, entre ces mêmes groupes.

« Que les villes d’aujourd’hui soient ou non marquées par la polarisation, les catégories sociales vivent dans des univers urbains différents : la ville des cadres n’est pas celle des ouvriers, ni celle des étudiants ou des personnes âgées. On peut donc dire que les positions spatiales traduisent des positions sociales et agissent sur les représentations et les pratiques des habitants » [6]

De la même façon qu’ils s’intéressent facilement aux hoquets de la bourse, les médias aiment s’étendre longuement sur les banlieues difficiles, quartiers de relégations des exclus et des stigmatisés. Ce faisant, ils oublient facilement l’envers du problème : s’il y a des quartiers de relégations, c’est qu’il y a des quartiers bourgeois, chics, qui produisent cette relégation. En effet, la sociologie urbaine montre que tout mouvement de ségrégation est avant tout un mouvement d’agrégation : les populations qui quittent certains quartiers les abandonnent, par « évaporation », à ceux qui n’ont pas le pouvoir de partir.

Or, un fait commence à être plutôt bien documenté en sociologie : si on s’intéresse à l’homogénéité sociale dans les villes françaises, ce n’est pas dans les quartiers populaires qu’elle est la plus forte, mais dans les quartiers chics. Eric Maurin avait déjà avancé ce résultat [7] en le reliant à un mouvement général de « séparatisme social ».

« L’une des formes les plus spectaculaires de ségrégation est en effet celle qui éloigne les personnes les plus riches – matériellement comme culturellement – de toutes les autres. Si l’on définit comme "salariés aisés" ceux dont les rémunérations sont parmi les 10% les plus élevées (soit, en 1999, plus de 3500 euros net par mois), on constate qu’ils se concentrent dans leur très grande majorité dans une toute petite minorité de voisinages. Près de la moitié des quelques 4000 petits voisinages explorés par l’enquête Emploi ne comptent quasiment aucun salarié aisé, soit trois fois plus que ce que l’on observerait en l’absence de ségrégation territoriale, c’est-à-dire si les salariés "aisés" étaient équitablement répartis sur le territoire » [7]

On le retrouve également dans un ouvrage récent de Marco Oberti consacré à la question de la carte scolaire – je vous en parlerais peut-être plus longuement par la suite [8].

De ce point de vue, la grande bourgeoisie dispose d’un important pouvoir sur l’espace, qui se manifeste de deux façons. Tout d’abord, par sa capacité à transformer son espace social pour que celui-ci lui garantisse un « entre-soi » marqué. Dans toutes les villes du monde, la bourgeoisie habite des quartiers prestigieux, à l’écart de tout désagrément. Ce pouvoir est d’autant plus fort qu’il garantit au grand bourgeois de toujours se retrouver parmi les siens, ce où qu’il voyage dans le monde :

« Dans tous les pays du monde, les riches vivent à l’écart, préservés des promiscuités indésirables. Au Maroc, à Casablanca, sur la colline d’Anfa, dans un quartier de prestige isolé du reste de la ville, la fortune peut se montrer sans la retenue qu’exige ailleurs l’omniprésence d’une profonde misère. Cette concentration de la bourgeoisie, dans les mêmes quartiers et les mêmes clubs de loisirs, favorise des mariages socialement très endogamiques » [5]

Cet « entre-soi » est à la fois la marque du pouvoir de la bourgeoisie et un moyen de conserver celui-ci : en favorisant les mariages dans un cercle restreint – et de « bonne famille » - la classe sociale que constitue la grande bourgeoisie garantit que la fortune économique et symbolique ne quitte pas les frontières étroites du groupe. De plus, les relations qui découlent de cette proximité spatiale – et qui constituent ce que l’on appelle le capital social – fournit un puissant facteur de réussite économique : contacts dans les milieux économiques, soutien d’une richissime parité, circulation d’une information économique importante, etc.

Ce pouvoir se donne à voir également dans des cas extrêmes, comme les gated communities, où la bourgeoisie s’avère capable de s’approprier un quartier entier d’une ville. C’est le cas par exemple de la villa Montmorency, dans le 16e arrondissement de Paris :

« Elle est inaccessible au promeneur : gardée avec efficacité, il est hors de question d’en franchir les grilles sans y avoir été autorisé par l’un des habitants, ce que le personnel, à l’entrée, contrôle soigneusement. […] La villa abrite une vie mondaine et assure un entre-soi presque comparable à celui que l’on peut trouver dans un cercle. Si les règles de la cooptation ne jouent pas de manière systématique, le règlement interne est suffisamment dissuasif pour éviter de réels problèmes de voisinage.

Les propriétaires et le personnel se montrent d’une très grande discrétion sur les noms des habitants. Par la presse, on sait que Vincent Bolloré et Corinne Bouygues [qui semble aujourd’hui vivre en Suisse, NDR] demeurent dans la villa. Le Bottin mondain permet de vérifier la présence de familles de la noblesse ou de l’ancienne bourgeoisie » [5]

Le pouvoir se donne à voir également dans la capacité à transformer l’espace où l’on s’installe. Dans le cas de la grande bourgeoisie, cela passe notamment par ce que Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot appelle la « griffe spatiale » [5]. L’installation de la grande bourgeoisie dans des quartiers qui lui sont dédiés attire immanquablement des commerces de luxes et des entreprises désireuses d’obtenir un « effet d’adresse », le gain commercial que fournit une adresse prestigieuse. Cette capacité à marquer fortement un espace est bien un signe de pouvoir. C’est le cas de la Place Vendôme et du 8e arrondissement de Paris :

« Place Vendôme, les pierres précieuses ont supplanté les familles nobles qui habitèrent dans ces demeures construites à la fin du règne de Louis XIV, ans une des premières grandes opérations immobilières de la capitale. […] Ceci se lit clairement dans les évolutions démographiques saisies par les recensements : la population du 8e arrondissement, celui des Champs-Elyssées, passe de 108 000 habitants en 1891 à 39 000 en 1999, alors qu’à la même date 163 000 personnes y travaillent » [5]

Cependant, la multiplication des commerces entraîne finalement le départ des grandes familles de la bourgeoisie, désireuse de conserver leur entre-soi, loin des mouvements pendulaires que provoque l’activité économique. Là encore, le pouvoir de la bourgeoisie se manifeste puisque celle-ci s’installe toujours dans des quartiers spécialement construits pour elle.

Bref, si le pouvoir de la grande bourgeoisie n’apparaît pas au premier abord dans l’espace économique, il est tout à fait manifeste dans le cadre de la ville. Celui-ci ne fait qu’exprimer la puissance des fortunes qui caractérisent cette grande bourgeoisie. On peut imaginer sans peine comment celles-ci se retrouvent dans le monde économique, derrière les grands groupes et les grandes entreprises.


(J'expérimente avec cette note le saucisonnage de mes billets, afin de les rendre un peu moins décourageant à lire. La suite est prête, je la posterais en deux épisodes supplémentaires demain et après demain. Dites-moi ce que vous en pensez !)



Bibliographie :

[1] Louis Chauvel, « Le retour des classes sociales », Revue de l’OFCE, 2001.

[2] Pascal Combemale, Introduction à Marx, 2006.

[3] Karl Marx, Thèses sur Feuerbach, 1845.

[4] Peter L. Berger, Thomas Luckmann, La construction sociale de la réalité, 1963.

[5] Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Sociologie de la bourgeoisie, 3ème édition, 2007.

[6] Yankel Fijalkow, Sociologie de la ville, 2004.

[7] Eric Maurin, Le ghetto français. Enquête sur le séparatisme social, 2004.

[8] Marco Oberti, L’école dans la ville. Ségrégation – Mixité – Carte scolaire, 2007.


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