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Le racisme comme système


Lorsque l'on tape "racisme" sous google, la première proposition qui apparaît est "racisme anti-blanc". Et sur les liens proposés, il faut attendre le quatrième pour avoir une critique de cette notion. Les sociologues affirment souvent que le "racisme anti-blanc" n'existe pas : une idée mal comprise, parce que souvent appréhendée avec ce qu'il faut de mauvaise foi pour se lancer dans la fausse indignation contre la "bien-pensance". Derrière cette idée, ce qu'il y a en jeu, c'est la compréhension de ce qu'est le racisme. Le plus souvent, celui-ci est perçu comme un sentiment individuel - en grande partie parce que les mouvements et politiques anti-racistes contribuent largement à le cadrer ainsi. Pourtant, du point de vue sociologique, ce n'est pas cela le racisme. Le racisme, c'est un système. Explications.

Pour une bonne introduction à ce problème on peut regarder ce sketch de l'humoriste australien Aamer Rahman. En affirmant qu'il est possible de faire du "racisme inversé" (reverse racism, le terme anglais qui correspond le mieux à ce que certains appellent "racisme anti-blanc"), il montre l'absurdité de cette notion. Pour cela, il oppose à la définition courante du racisme - faire des phrases qui commencent par "les blancs ceci" ou "les noirs cela" - la définition sociologique du racisme comme système. Comme quoi, on peut être humoriste, faire rire les gens et avoir un minimum de culture critique. Certains feraient bien d'en prendre de la graine. Mais prenez la peine de l'écouter.



Une lecture superficielle de cette vidéo, dans laquelle s'engouffrent rapidement ceux qui ont à coeur de ne rien comprendre, consisterait à dire que l'idée que défend Aamer Rahman est celle d'un précédent historique : ce serait l'ancienneté du racisme "anti-noirs" (ou plutôt "anti-non-blancs") qui le fonderait comme seul "vrai" racisme et "excuserait" (dans un vocabulaire typique d'un certain conservatisme politique) le "racisme anti-blanc". Le propos est en fait beaucoup plus subtil : ce n'est pas l'ancienneté du racisme qui est en jeu, mais bien la définition de celui-ci. On l'accuse d'utiliser les mêmes tournures de phrase que les racistes en disant "les Blancs ceci" ou "les Blancs cela". Il répond que le racisme est un phénomène qui ne se laisse pas réduire à une structure grammaticale, mais s'inscrit dans un contexte historique particulier qui fait que dire "les Noirs ceci" a des conséquences pratiques beaucoup plus profondes que de dire "les Blancs cela".

Pour le comprendre, partons de ce point : la dénonciation du "racisme anti-blancs" s'appuie sur une définition très classique du racisme, celle qui a été portée par de nombreux mouvements anti-racistes mainstream (SOS Racisme en tête) et par les politiques officielles de lutte contre le racisme. C'est la force de cette rhétorique : s'appuyer sur une définition et un raisonnement largement répandu. Nous avons tous appris, à l'école et ailleurs, que le racisme, c'est mal, et donc l'idée d'un racisme "anti-blancs" doit nous inspirer le même sentiment d'horreur et de rejet que n'importe quel autre forme. Mais c'est en fait une définition bien particulière du racisme qui est mise en oeuvre dans cet anti-racisme. De "Touche pas à mon pote" aux sensibilisations scolaires, en passant par la plupart des campagnes publicitaires sur le thème et les dénonciations "humoristiques" du racisme (les Guignols de l'info entre autres...), la figure visée est celle du raciste, c'est-à-dire de celui qui manifeste ostensiblement son hostilité envers certaines personnes. Nous avons appris que le racisme, c'était refuser de s'assoir à côté d'un Noir, traiter quelqu'un de "sale bougnoule", ou encore écarter une candidature à un emploi parce que l'on n'aime pas les "bronzés"...

Qu'il y ait, dans ces quelques exemples, du racisme, c'est certain. Mais identifier le racisme à l'hostilité envers certains groupes semble pourtant bien insuffisant. On sent que cette définition est incomplète, qu'il lui manque quelque chose. On peut manifester une hostilité envers bien des groupes : envers les Noirs, les Maghrébins, les Asiatiques, les Juifs, certes, mais aussi envers les Blancs - c'est le fond de commerce de la rhétorique du "racisme anti-blancs" - ou encore envers les homosexuels, les femmes, les féministes, les riches, les pauvres, les patrons, les capitalistes, les communistes, les gouvernants, les sarkozystes, les lecteurs de l'Humanité, les membres de telle profession, les pratiquants de tel sport, j'en passe et des pas mûres. Ces différentes formes d'hostilité n'apparaîtront à personne équivalentes. On en trouvera toujours certaines justifiées, selon son positionnement politique. Il faut donc compléter la définition. Classiquement, on dira que l'objet de l'hostilité du raciste, ce sont les membres d'une certaine "race".

Un malaise apparaît alors. La définition du racisme apparaît profondément liée à cette notion de "race". Deux solutions s'offrent alors à nous. On pourra dire que le raciste est celui qui n'aime pas les membres de telle ou telle race biologique - les Noirs, les Sémites, pourquoi pas les Blancs ? -, et on est alors obligé de reconnaître la pertinence et la réalité des races biologiques. Diverses formes d'anti-racismes ont fait cela, célébrant la "diversité", "l'égalité dans la différence", etc. Seule les manifestations d'hostilité sont alors condamnées : l'existence des races est, elle, validée. Comme nous savons bien qu'il n'existe pas de race au sein de l'humanité, on est alors tenté de se tourner vers l'autre solution : le raciste, c'est celui qui croit à l'existence (fausse) des races. Le racisme s'identifie alors à une idéologie fondée sur la croyance biologique. L'attention portée à la déconstruction du biologique dans la lutte anti-raciste témoigne du fait que cette définition est souvent celle retenue. Elle offre également aux tenants du "racisme anti-blancs" un beau point d'appui : la croyance dans les races biologiques n'épargne, par définition, aucune couleur de peau.

Le problème de cette deuxième définition du racisme, c'est que si on la prends au sérieux, alors il n'y a plus de racistes ! Les mouvements d'extrême droite prennent la peine, au moins depuis les années 80, de soigneusement éviter le vocabulaire biologique. Si Jean-Marie Le Pen pouvait encore faire quelques "sorties" sur ce thème, Marine Le Pen sait éviter ces "dérapages". En 1981, le marxiste Martin Baker analysait déjà comment le racisme avait abandonné le vocabulaire biologique et s'était mué en un "nouveau racisme" (New racism) : les immigrés sont toujours présentés comme une menace pour la communauté nationale, mais plus au nom de leur "race" mais de leur "culture" ou de leur religion, toujours "incompatible" tantôt avec "l'identité nationale", tantôt avec la République... Ceux que l'on accusera de racisme auront toujours beau jeu de dire qu'ils ne croient pas, évidemment, dans des races biologiques ou que leurs remarques n'étaient que de l'humour... Puisque, au fond d'eux, ils ne sont ni vraiment hostile, ni ne croient vraiment au biologique, ils ne peuvent pas être racistes au vu de cette définition... On trouvera certes quelques mouvements néo-nazis qui continuent à mobiliser explicitement le vocabulaire et l'idéologie des races biologiques, mais ces groupuscules auront de toutes façons une portée limitée.

L'autre problème de cette définition est qu'elle rabat le racisme sur de simples manifestations d'hostilité. Autrement dit elle le renvoie à un problème individuel, une relation agressive locale, le simple recours à un jeu de langage particulier, toujours manipulable, toujours retournable. Elle fait disparaître tout le contexte, et donc tout l'aspect social et politique du racisme, : simple déviance, on peut au mieux en analyser les déterminants sociaux - ce qui revient le plus souvent à faire porter la responsabilité aux classes populaires. Elle fait aussi disparaître le racisme lui-même, simple forme d'hostilité parmi tant d'autres. On en est donc réduit, pour être anti-raciste, à traquer les signes du racisme dans l'usage de tel ou tel mot - essentiellement les noms donnés aux races - qu'il conviendra alors d'éviter. Non seulement la même hostilité exprimée avec d'autres mots sera compliquée à dénoncer comme racisme, mais en outre l'anti-racisme pourra être facilement récupéré par les mouvements racistes : parler de "la condition des Noirs en France" deviendra un acte raciste puisqu'il y aura un des mots du racisme... et bien sûr, il suffira de trouver l'une ou l'autre utilisation d'un terme pour désigner les Blancs comme "Toubab" ou "Babtou" et l'on tiendra la preuve qu'il y a bien un "racisme anti-blancs" !

Sortir de cette impasse implique que l'on dépasse le niveau individuel pour penser le racisme comme un "enjeu collectif" - pour reprendre une expression de Charles. W. Mills. Ce qui veut notamment dire que l'on doit repenser ce qu'est la race, puisque, on l'a vu, c'est ce terme qui fait problème dans la compréhension du racisme. L'analyse des utilisations de ce terme, tel qu'elle a été menée par Colette Guillaumin dans un livre important, révèle un trait essentiel : dans toutes les situations racistes, même lorsque celui-ci est officiel et soutenu par l'Etat, tout le monde n'est pas également susceptible de se voir imposer et de se penser comme appartenant à une race. Les racistes se voient comme neutres. Voici ce qu'elle écrit :

Qui pense que le blanc est une couleur ? Que les chrétiens sont une race ? Qui pense que l'homme se définisse par un sexe ? Les caractères physiques du majoritaire n'ont pas le statut de marque, en effet ils ne sont pas destinés à être des limites ni des spécifications. Par contre quel nègre, quel juif, quelle femme ne sait pas qu'il est tel ? S'il ne le savait pas (et au départ il ne le savait pas plus que le majoritaire ne sait qu'il l'est) la société le lui a appris rapidement, quelque qu'ait été son opinion personnelle sur la question de sa propre définition. Ce qui prend rang de marque est réservé au minoritaire et ne prend son sens que dans son rapport à ce qui n'est pas marqué ; la race prend son sens de ce qui n'est pas racisé (p.108-109).

Autrement dit, la race peut se penser comme une marque. Elle vient désigner certains individus comme spécifiques par rapport à un référent qui, lui, est neutre. Les Blancs n'ont pas de couleur : il suffit pour s'en convaincre de penser à la façon dont la couleur "chair" désigne toujours celle de la peau blanche, comment les produits de beauté destinés spécifiquement aux peaux noires ou métisées sont marquées alors que ceux destinés aux peaux blanches n'ont pas besoin de le signaler ; comment un acteur blanc peut se permettre de jouer des rôles de Noirs alors que l'inverse n'arrive jamais ; comment on pourra très consciemment choisir des acteurs Blancs au prétexte que l'on veut représenter l'humanité entière...

Cette marque n'est pas la simple expression d'une caractéristique physique évidente : la couleur de peau n'a pas de lien direct et allant de soi avec la race. Sa variabilité en témoigne : comme l'écrit encore Colette Guillaumin, "les 'noirs' au XVe siècles et les 'noirs' au XXe siècle ne désignent ni les mêmes personnes ni les mêmes civilisations" (p. 94). La variation des couleurs de peau entre ceux que l'on désigne comme Noirs en témoigne bien, tout comme le fait que les immigrés italiens étaient désignés, aux Etats-Unis, comme "dark skinned', soit comme des Noirs. De même, l'expression "Jaune" pour désigner les Asiatiques est apparue au XXe siècle, et tant sa valeur descriptive que son application à toutes les populations désignées sont pour le moins douteuses. Ces races sont le produit de tout un système complexe : c'est celui que décrit Aamer Rahman dans son sketch. L'histoire coloniale, les produits culturels - littérature, films, musiques, etc. -, l'économie même : tout cela nous amène à penser les Blancs (dans une définition bien particulière : les Juifs, par exemple, ne sont pas, pour ainsi dire, aussi "Blancs" que les autres...) comme neutre et les autres comme spécifiques. Cette neutralité est à la fois le résultat d'une domination (domination historique avec la colonisation notamment) mais aussi la condition de celle-ci : pouvoir renvoyer les autres à leur particularité est un bon moyen de les disqualifier, même économiquement. Dans les années 50 et 60, aux Etats-Unis, les Juifs avaient la réputation d'être agressifs : une bonne raison de les tenir à l'écart des emplois de médecins... Il allait par contre de soi qu'ils étaient parfaitement adapté à la pratique du basketball...

On inverse ainsi le sens classique de la proposition : la race n'est en aucune manière le soubassement du racisme, c'est au contraire le racisme qui produit la race, "race imaginaire", "construction sociale", "structure sociale", mais néanmoins prégnante et réelle dans ses effets. Que l'on pense par exemple à la façon dont l'anti-sémitisme s'est évertué à inventer les traits caractéristiques des Juifs, en faisant des expositions ou des livres à ce propos. Ce renversement critique, qui fait du racisme l'origine des races, permet de dépasser le problème du "nouveau racisme" : on peut toujours prétexter ne pas croire aux races biologiques, on peut toujours faire comme si le problème était la culture ou la religion, cela n'empêche pas de produire des races, c'est-à-dire des groupes marqués et hiérarchiquement inférieur au groupe neutre/dominant. Le racisme n'est plus une simple hostilité que manifeste un individu envers d'autres, mais un rapport social entre des groupes : un rapport de domination entre un groupe majoritaire et des groupes minoritaires soit, selon Colette Guillaumin, "des groupes qui sont sociologiquement en situation de dépendance ou d'infériorité" (94-95). Les groupes minoritaires dépendent en effet pour se définir des catégories produites par le groupe majoritaire. L'hostilité n'est même pas nécessaire : l'admiration et la sacralisation peut tout aussi bien contribuer à "altériser" un groupe que la haine.

Le racisme se définit donc comme le rapport de domination qui s'appuie sur la production sociale des groupes raciaux. Il ne s'agit donc plus de seulement réfléchir à qui sont les racistes, même si on peut à nouveau les désigner comme tels quelque soit le vocabulaire derrière lequel ils cherchent à se cacher, mais aussi et surtout à qui bénéficie le racisme. Je peux parfaitement ne jamais avoir eu une attitude d'hostilité envers les racisés (c'est bien comme ça qu'il faut les appeler puisqu'ils s'agit de ceux qui ont été marqué par le système raciste, de ceux que l'on a fabriqué comme ayant une race), et quand même bénéficier de leur exclusion et de leur domination : la concurrence pour un emploi, un logement, une position sera d'autant moins forte que l'on n'excluera par avance certains de mes adversaires... Illustration avec un petit dessin tiré de Lefty Cartoons :


On voit alors comment le "racisme anti-blancs" ne correspond pas à cette définition. L'utilisation du terme "Toubab" par des racisés, par exemple, n'implique pas que ces derniers arrivent à s'élever à la neutralité d'un groupe majoritaire, encore moins que les personnes visées en viennent à devoir se définir par rapport à ce terme... Il peut bien s'agir de racisme, mais d'un racisme intégré où les victimes en viennent à incorporer leur propre particularité face au dominant. Autrement dit, il s'agit toujours de racisme "anti-non-blancs", puisqu'il n'y a pas de marquage des Blancs. Le fait est que, dans un rapport social de domination, une marque d'hostilité "dominé -> dominant" n'est pas comparable à une marque d'hostilité "dominant -> dominé" : dans le premier cas, celui qui se fait traiter de "sale blanc !" peut certes se sentir blessé, tandis que dans le second cas, même sans avoir été traité de "sale noir !", le racisé sera désavantagé, que ce soit par un accès plus difficile à l'emploi ou une exclusion politique... C'est la question du pouvoir que l'expression "racisme anti-blancs" essaye de faire disparaître, et ce évidemment à l'avantage de certains...

Reste une question : ce système raciste est-il différent des autres systèmes de domination, en particulier de la façon dont l'économie constitue des classes sociales ? Réfléchissons (toujours en nous appuyant sur Colette Guillaumin) sur la spécificité de la race comme marqueur. Celle-ci marque avant tout la différence radicale : ceux qui sont marqués par la race sont non seulement pensés comme fondamentalement différent des autres, et si d'aventure on admet qu'ils font partie de l'humanité, ce n'est jamais de façon individuelle, mais seulement comme groupe - un racisé est sa race avant d'être une personne. La race marque aussi la permanence - on ne peut en changer - et de l'héritage - la race se transmet, comme en témoigne le fait que les métis demeurent racisés (Barack Obama est considéré comme un Noir bien que sa mère soit Blanche). C'est pour cela que le biologique y a une place fondamentale : "c'est dans les concepts biologiques que résident les derniers vestiges de transcendance dont dispose la pensée moderne" écrit Claude Lévi-Strauss (cité par Colette Guillaumin, p. 111). C'est aussi pour cela que la culture a pu remplacer la référence biologique : les idées d'authenticité, de pureté, d'héritage n'y sont pas moins fortes.

On voit, là, la différence nette qui existe avec les classes sociales : celles-ci tiennent d'autant mieux qu'elles ne sont pas pensées comme permanentes ou, pour le dire mieux, que leur permanence est niée. Dans l'idéologie qui vient les justifier, les individus ne sont pas enfermés dans une classe sociale : au contraire, on leur promet qu'ils pourront en changer, que chacun a sa chance, et qu'au prochain tour, ils seront récompensés pour peu qu'ils travaillent dur. Rien de tels pour les groupes raciaux. Certes, le "peuple" en tant que classe sociale a pu être pensé à certaines époques sur le modèle de la race, avec d'explicites théorisations biologiques. Mais ces références ont globalement disparues, même si on pourra parfois trouver des exemples de "racisme de classes" (parfois appelé "classisme") où l'on essaye de prêter à la classe permanence, héritage et transcendance. Si les deux peuvent se recouvrir - les racisés peuvent être plus nombreux dans les classes populaires - on ne peut rabattre un système sur l'autre : la classe sociale est un marqueur bien différent de la race, parce que la domination ne s'y joue pas selon les mêmes termes, parce que le rapport social, les dominants et les dominés, ne sont tout simplement pas les mêmes. On retrouve par contre les références biologiques dans le genre : la bipartition entre hommes et femmes, avec la neutralité attribué aux premiers et la particularité aux secondes, s'exprime toujours en référence à la "nature". De là on peut comprendre qu'il est parfois aisé de montrer le sexisme d'une proposition en remplaçant le terme "femme" par un terme racial comme "Noir". Le fonctionnement du racisme comme système est sans doute assez proche de celui du sexisme comme système (aussi appelé "patriarcat"). Il n'en reste pas moins que les deux systèmes qui produisent l'un la race l'autre le genre demeurent différents. De là l'importance d'être conscient tant de leurs différences que de leurs recoupements, de penser de façon intersectionnelle comme on dit.

Il y a tout cela dans la vidéo d'Aamer Rahman : pour faire du "racisme inversé", il faudrait non pas inverser le sens des mots mais inverser le sens du système, le sens du rapport social, le sens du pouvoir et de la domination. Il faudrait que la blague "Vous avez déjà remarqué que les Blancs ne savent pas danser ?" frappe des individus déjà exclus et déjà marqués. Si, toutefois, vous êtes Blanc et que vous trouvez de telles remarques parfaitement insupportables, que vous vous sentez mal de les entendre, si vous voulez mettre fin à toutes les marques d'hostilités quelles qu'elles soient, il existe une solution très simple. Il suffit de mettre fin au racisme. Pas au "racisme anti-Blancs", mais bien au vrai racisme, au racisme "anti-non-Blancs". Il faut défaire tout un système de production de la race, il faut mettre fin non seulement aux agressions, mais aussi aux discriminations volontaires et involontaires, au racisme institutionnel, à la croyance que les Blancs sont neutres et les autres marqués, aux inégalités économiques et politiques... Au boulot. Certains y travaillent déjà, et leur tâche ne sera pas facilité si vous restez là à vous plaindre alors que vous bénéficiez du racisme.

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La volonté de parler à tout prix de race

Quand les adversaires d'un ensemble de travaux scientifiques portent leur polémique en dehors du monde scientifique, il y a toujours de quoi s'inquiéter. Pas d'exception pour les travaux sur le genre, avec un nouvel exemple avec une tribune de Nancy Huston et Michel Raymond dans le Monde visant à affirmer la pertinence des races et des sexes. Sans surprise, il apparaît clairement que les auteurs ont d'autres choses en tête que le simple questionnement scientifique qu'ils prétendent affirmer. Pourquoi ? Parce que sur le plan strictement logique, leur argumentation ne tient pas : si "sexes" et "races" désignent des classes logiques, ce n'est pas ce qu'ils montrent ici.

Je passerais, par charité, sur les arguments les plus faibles (pour ne pas écrire plus directement le fond de ma pensée) que mobilisent les deux auteurs, comme "si vous voulez pas parler de sexe et de race, c'est parce que vous êtes politiquement correct !" (pardon : "Hitler croyait au déterminisme biologique, Hitler était un salaud, donc le déterminisme biologique n'existe pas : le caractère spécieux du raisonnement saute aux yeux" : inventez un raisonnement que personne ne tient pour le réfuter, c'est assez pitoyable, mais, une fois de plus, passons). Concentrons-nous donc sur leur argument central : il existe des différences objectives entre les races et les sexes et on doit pouvoir en parler.

Si vous affirmez l'existence chez les humains de deux sexes, plutôt que d'un seul ou de toute une kyrielle, vous êtes aussitôt taxé d'"essentialisme". Pourtant, dire que seules les femmes ont un utérus, ou que les hommes ont en moyenne un niveau de testostérone plus élevé qu'elles, ce n'est ni spéculer quant à l'"essence" de l'un ou l'autre sexe, ni promouvoir une idéologie sexiste, ni décréter l'infériorité des femmes par rapport aux hommes, ni recommander que les femmes soient tenues à l'écart de l'armée et les hommes des crèches, c'est énoncer des faits !

Des faits donc, qu'on vous dit, des faits ! Le problème, c'est que Bachelard l'a dit depuis bien longtemps, les faits sont "conquis, construits, constatés", et que donc un fait ne se donne jamais à voir de façon simple et directe. Il est le résultat d'une activité particulière, l'activité scientifique, et il faut comprendre celle-ci pour comprendre le fait. Or, ici, les deux critères mis en avant par les auteurs pour différencier les sexes ne sont pas équivalents au plan strictement logique.

Commençons par le critère le plus mal choisi : "les hommes ont en moyenne un niveau de testostérone plus élevé que les femmes". C'est vrai. Mais le "en moyenne" est important. Il y a des hommes qui ont des niveaux de testostérone très faible, inférieur à celui de nombreuses femmes, voire à la moyenne des femmes. Doit-on comprendre donc que ceux-ci sont des femmes ou qu'ils forment un troisième sexe ? Même remarque pour les femmes présentant un taux exceptionnel de testostérone - sauf que si celles-ci sont des sportives, on essayera socialement de leur imposer d'être des hommes...

Le problème est le suivant : une différence moyenne ne permet pas de constituer des classes logiques différentes mais seulement un continuum de position. C'est pour cela que les sociologues distinguent les strates sociales et les classes sociales : les strates sont constituées à partir de différences de probabilités pour des groupes différents (par exemple, une probabilité inégale d'accès à la richesse), tandis que les classes reposent sur des différences de position dans le processus productif (propriétaire du capital vs. porteurs de leur seule force de travail). Les classes logiques permettent de classer les individus sans ambiguïtés, comme le souhaitent/l'avancent Huston et Raymond. Mais ce n'est pas en regardant une moyenne que l'on parvient à faire cela.

Prenons un exemple pour être plus clair. Les deux auteurs affirment que "déjà à la naissance – donc avant toute influence sociale – filles et garçons n'ont pas les mêmes comportements". Qu'est-ce que ça veut dire ? Si on considère l'une des études les plus célèbres en la matière, celle menée par Jennifer Connellan, cela signifie, par exemple, que les bébés de sexe masculin passent en moyenne plus de temps à regarder un mobile placé à côté de leur berceau qu'un visage humain, tandis que c'est l'inverse pour les bébés de sexe féminin. On a bien une différence, non ? Sauf que si on se penche sur les chiffres, les différences ont beau être statistiquement significatives, elles ne permettent pas d'opposer garçons et filles : au contraire, il y a de forts recouvrements. Philip Cohen a représenté les distributions normales des deux populations :



On voit bien qu'opposer les deux sexes n'est pas pertinent : il y a en fait beaucoup de filles qui regarderont plus le mobile que des garçons. Et je passe sur les autres problèmes de l'expérience. Retenons simplement ceci : des différences moyennes ne permettent pas d'opposer les sexes de la façon dont le suggèrent Huston et Raymond.

Reste le deuxième critère cité : le fait d'avoir ou non un utérus. Il apparaît a priori plus pertinent : on peut en effet constituer deux classes logiques bien étanches, d'un côté les individus qui possèdent un utérus, de l'autre ceux qui n'en ont pas. La variable considérée étant dichotomique et non continue, elle ne pose pas de problèmes en termes de moyennes.

Mais posons alors la question : pourquoi constituer ces deux classes logiques "utérus/non-utérus" ? Si on est un médecin spécialisée dans les affections de l'utérus, ces deux classes sont pertinentes et importantes. Mais pour le reste, est-ce que cela a une pertinence de classer l'ensemble de l'humanité dans ces deux catégories ? Pour de nombreux problèmes, c'est parfaitement inutile. A commencer par un problème simple : comment s'adresser à une personne. Lorsque vous souhaitez savoir si vous devez dire "monsieur" ou "madame" à une personne, vous lui demandez rarement de vous montrer de façon préalable son utérus ou son absence d'utérus. Pour tout dire, je n'ai même jamais eu à montrer mon pénis et mes testicules pour que les gens sachent que je suis un homme.

Dès lors, opposer "utérus/non-utérus" est idiot, et dire que c'est sur ce critère que se constituent la partition "homme/femme" dans nos sociétés l'est également. Face à un problème particulier, on aura recours à des catégories particulières, et face à un autre problème, on aura besoin d'autres catégories. Il est parfaitement légitime pour un biologiste travaillant sur les questions de reproduction de différencier entre mâle et femelle. Il serait idiot pour lui de faire croire que ces deux catégories sont valables dans tous les champs de recherche, dans tous les savoirs, et définissent la réalité des personnes qu'il étudie plus que, par exemple, la façon dont ils se vivent et se conçoivent eux-mêmes. Qu'on le veuille ou non, s'il y a des femmes avec des pénis et des hommes avec des vagins, ce n'est pas parce qu'ils "refusent" la réalité biologique, c'est parce que nous tous n'utilisons pas cette "réalité biologique" comme la réalité pertinente pour savoir ce qu'est un homme ou une femme. Et nous avons bien raison : nous ne sommes pas tous des médecins en train de soigner des utérus, et nous avons bien d'autres problèmes à régler. Et c'est pour cela que, dans nos interactions quotidiennes, nous utilisons le genre et non le sexe... Les scientifiques n'ont fait que poser le mot "genre" sur quelque chose que les individus utilisent depuis toujours lorsqu'ils sont pris conscience que cette chose était bien différente des chromosomes des personnes;

Du coup, ce que disent Huston et Raymond sur les races est aussi peu pertinent que ce qu'ils disent sur les sexes. Ils affirment qu'il existe des différences génétiques entre des groupes géographiques. Mais quelle est la nature de ces différences ? La plupart du temps, il s'agit de tendances statistiques différentes : ainsi à peu près 50% des asiatiques ne peuvent pas métaboliser l’acétaldéhyde en acétate et donc ne supportent pas l’alcool (tenez : lisez ça c'est vachement bien), faut-il en conclure que les 50% qui restent ne sont pas asiatiques ? La probabilité d'être roux est plus forte en Irlande qu'ailleurs : les Irlandais constituent-ils donc une classe logique propre que l'on peut, en toutes circonstances, séparer du reste de l'humanité ? Les auteurs donnent d'ailleurs comme exemple "les sherpas de l'Himalaya sont adaptés à la vie en altitude" : faut-il comprendre que les sherpas sont une race à part ?

Huston et Raymond semblent considérer le mot "race" comme une simple question d'étiquette : "peu importe le terme" finissent-ils même par écrire. On peut justement se demander pourquoi ils y sont si attachés, alors, puisqu'il a si peu d'importance... S'il s'agit simplement de dire qu'il existe des différences biologiques entre certaines sous-populations qu'un biologiste doit prendre en compte pour, par exemple, concevoir un médicament, le mot "race" est-il bien utile ? Qu'apporte-t-il au juste à l'analyse ? De fait, les biologistes peuvent avancer sans en avoir besoin.

Il faut alors chercher ailleurs dans l'article pour comprendre où veulent en venir les auteurs. Après avoir commencé par rejeter la sociobiologie, ils nous offrent en effet un formidable moment de réductionnisme biologique : la possession d'un utérus ou le niveau de testostérone des individus auraient ainsi "eu un impact décisif sur l'histoire de l'humanité – son organisation sociale (patriarcat), familiale (mariage, primogéniture), politique (guerre)". D'un seul coup, on comprends que, pour Huston et Raymond, la différence de sexe est transversale à tous les problèmes scientifiques et vient déterminer l'ensemble de la société... Or aucun des points avancés n'est clairement établi, d'autant plus qu'on ne sait pas à quoi les auteurs font référence (à l'utérus ou à la testostérone ?). D'une façon générale, le lien entre les différences biologiques entre les sexes et les comportements et institutions sociales est loin d'être établi.

Mais faut-il en comprendre que Huston et Raymond suggèrent que c'est la même chose pour les "races" ? Que les différences biologiques entre des sous-groupes qu'ils se gardent bien de désigner expliquent les différences de positions sociales ? C'est finalement peut-être cela qui est en jeu. C'est peut-être ce qui se cache derrière leurs formules creuses comme "Il est temps de passer outre ces réponses simplistes à des questions infiniment difficiles, car si nous continuons à ignorer et à maltraiter le monde, nous risquons de compromettre nos chances de survie"... C'est peut-être ce qui se cache derrière des imbécilités comme l'assimilation des travaux sur le genre (idéologiquement renommés "théorie du genre") à la formule "on décide de notre propre sort", remarque aberrante pour des travaux qui s'intéressent à la question de la domination... C'est peut-être ce qui se cache derrière cette volonté de parler à tout prix de "race".

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Les jeunes sont dans la rue parce qu'ils sont à l'école

Les jeunes - comprenez les lycéens et les étudiants - rejoignent peu à peu le mouvement de protestation contre la réforme des retraites, et cela inquiète apparemment tant les différents médias que le gouvernement. Peut-être ces derniers ont-ils lu cet ancien billet précisant que, plus que le nombre de protestataires, c'est la variété de ceux-ci qui fait leur force ? Toujours est-il que les accusations de "manipulation" de la jeunesse refont florès. Il faudrait pourtant se pencher plus sérieusement sur les causes de la récurrence des humeurs protestataires chez les lycéens et les étudiants.

Les manifestations de lycéens et d'étudiants sont, en France, un phénomène plus que récurrent : j'ai moi-même battu le pavé dans mon jeune temps (ah, you have to be there comme disent les Français qui se la jouent anglophones), et c'était déjà une longue tradition. Les différentes réformes de l'éducation nationale, que ce soit Haby, Allègre, Darcos, Châtel ou autre, les dispositions relatives à l'entrée dans la vie active comme le CPE, ou des questions politiques plus générales, du 21 avril 2002 à l'actuelle réforme des retraites : la jeunesse ne manque pas de raison de descendre dans la rue. Comme on peut le voir, celles-ci sont loin de se limiter aux questions qui "touchent" directement les jeunes citoyens, et ces manifestations rythment la vie politique française presque aussi sûrement que les élections présidentielles.

La récurrence du phénomène implique la récurrence des explications, lesquelles jouent généralement le rôle d'armes de légitimation ou de délégitimation des mouvements en question. Classiquement, le gouvernement accuse ses adversaires de "manipuler" la fraîche jeunesse. Argument qui ne cesse de me fasciner puisque, généralement, il est professé par ceux qui déplorent que les enseignants n'aient plus aucune autorité sur les gamins : apparemment, ils ne nous écoutent plus, sauf quand il s'agit de manifester. De l'autre côté, ces manifestations ne sont pas seulement accueillies avec bienveillance parce qu'elles soutiennent des idées populaires, mais aussi parce que l'on a l'impression qu'il "faut bien que jeunesse se passe". L'explication par les "hormones" n'est jamais loin, et la condescendance envers les jeunes est toujours au coin de la rue : "ah, folle jeunesse...".

Une explication beaucoup plus puissante consiste à regarder ce que les conditions de vie et d'existence des jeunes peut nous apprendre sur les origines de ces mouvements. Pour cela, il n'est pas inintéressant de regarder comment les choses se passent ailleurs, y compris dans un pays qui ne connaît pas des épisodes protestataires à un rythme aussi régulier.

Dans son ouvrage Freaks, Geeks and Cool Kids (2004), Murray Milner Jr. cherche à comprendre les origines de ce qu'il appelle le "système de caste" des high schools américaines. Ceux-ci sont en effet structurés par des groupes de statut bien marqués et hiérarchisés : on est "cool" ou on est un "geek" ou un "freak", d'autres statuts s'intercalant entre ces différents extrêmes. En un mot, comme en témoigne de nombreux films et séries qui euphémisent plus ou moins la violence symbolique inhérente à ce système (cette vidéo est assez intéressante de ce point de vue), les jeunes américains forment une société particulière avec ses dominants et ses dominés.

Pourquoi ce système existe-t-il ? Milner présente sa thèse dans les premières pages du livre. Elle est assez simple mais très intéressante : ce serait une conséquence logique de la façon dont la société, i.e. les adultes, gèrent les jeunes. Ces derniers disposent en effet d'un pouvoir extrèmement limité : ils ne décident pas de leur emploi du temps puisqu'on leur impose de participer à une activité - l'école - sans leur demander leur avis (même si "c'est pour leur bien") ; dans ce cadre, ils suivent des cours dont ils ne voient pas l'intérêt immédiat et dont ils ne perçoivent pas forcément la raison d'être ; ils sont soumis à toutes sortes d'épreuves, des examens jusqu'aux conditions d'entrée sur le marché du travail, sur lesquelles ils n'ont pratiquement aucune capacité d'action. Que leur reste-t-il comme marge de manœuvre ? Pas grand chose : les pratiques culturelles, le look, la musique, etc. Le développement d'une "culture jeune" qui rompt avec les attentes "normales" vis-à-vis des élèves et des étudiants, phénomène que Dominique Pasquier a brillamment étudié en France, serait donc le résultat de l'emprise scolaire qui pèsent sur eux : c'est là un moyen pour ces derniers de manifester de leur liberté et de leur autonomie, de se construire une identité propre et non imposée de l'extérieur. En témoigne, de l'autre côté de l'Atlantique, la délégitimation progressive des figures les plus "scolaires" comme le capitaine de l'équipe de foot et la chef des cheerleaders, et de ce côté, l'extension de la culture populaire dans toutes les strates de la société.

Mais ne pourrait-on pas penser qu'en France, ce même phénomène - l'emprise de la forme scolaire sur la jeunesse - a des conséquences sensiblement différentes ? Il est possible que la récurrence des manifestations lycéennes et étudiantes trouve là une partie de son explication. Aller battre le pavé, c'est un moyen pour les jeunes de "reprendre la main" sur leur propre vie, de s'extraire, quelques heures durant, d'une institution où leur pouvoir est extrêmement limité pour faire preuve de leur indépendance, de leur liberté et de leur autonomie. On me dira sans doute que certains en profitent pour aller traîner dans les cafés... Justement : ils ne restent pas chez eux, ils vont occuper des espaces publics où ils peuvent se sentir "grands", "adultes", où ils peuvent, autrement dit, avoir un certain pouvoir. Autrement dit, si les jeunes sont (régulièrement) dans la rue, c'est parce qu'ils sont (la plupart du temps) à l'école.

Mais pourquoi les mêmes causes ne produisent-elles pas les mêmes effets que ceux étudiés par Milner ? Si un système de caste est également présent dans les lycéens français, et peut se manifester avec une violence comparable (j'en suis, malheureusement, régulièrement témoin), il semble a priori moins profondément structurant que ce qu'il peut en être aux Etats-Unis. La tentation est grande, dès lors, de pencher vers une explication plus ou moins culturaliste (surtout que c'est à la mode en ce moment) : la "culture française" serait plus disposée à l'expression protestataire et les jeunes ne feraient que s'y conformer.

Si cela n'est pas à exclure - et il faudrait notamment s'intéresser à la transmission d'un "savoir manifester" dans les familles - il semble cependant que l'on puisse approfondir un peu la réflexion sur la position sociale des jeunes. Céline Van de Velde soutient, à la suite d'une solide enquête, que la position des jeunes Français est caractérisée par le fait que ceux-ci se trouvent dans une société "à statut", où les études et les premiers pas dans la vie active détermine très fortement l'ensemble de la vie à venir des individus (Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe 2008). Dès lors, les jeunes sont sommés de "se placer", c'est-à-dire de trouver le plus vite possible une place à tenir dans la société : la pression sur les études est particulièrement forte, les choix effectués et les réussites obtenus ou les échecs subis étant ressentis comme définitifs et irréversibles. Pour les élèves issus des classes moyennes, plus ou moins déstabilisées par les évolutions économiques des dernières décennies, une subversion complète de l'ordre scolaire est donc difficile à assumer. Mais parallèlement, Van de Velde souligne que les mêmes jeunes sont incités à rechercher "l'épanouissement personnel", ce, je pense, tant par les médias que par leurs enseignants (on leur sérine ce refrain assez régulièrement). Les voilà donc pris dans une tension assez forte entre la nécessité de se placer et le désir de se réaliser, entre les contraintes d'une structure et la sommation à s'en extraire. Les manifestations régulières peuvent être considérés, au-delà des causes "accidentelles" qui les motivent - comme le produit de cette position structurelle.

Voilà donc une explication de la tendance "conflictuelle" d'une partie de la jeunesse française. Le même cadre n'est pas forcément inutile pour essayer de comprendre d'autres manifestations juveniles, comme les non moins récurrentes "émeutes de banlieue". Même si celles-ci présentent des spécificités remarquables, elles partagent avec les autres formes de protestations juvéniles le fait qu'elles expriment une volonté de prise de contrôle de la part d'un groupe privé de pouvoir, même si cette prise de contrôle n'emprunte ni les mêmes voies (la manifestation "en ordre" vs. la violence sauvage), ni les mêmes objectifs (l'agenda politique vs. le territoire). Il n'est donc pas à exclure qu'il y ait du conflit de générations dans ce à quoi l'on assiste aussi régulièrement...
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En voyant, cette vidéo sur le Global Sociology Blog, je n'ai pu m'empêcher de penser : qu'est-ce que cela aurait donné si on avait l'expérience en France ?




Sur Sociological Images, qui a, le premier, repris cette vidéo, ce chiffre intéressant et inquiétant : "Ils ont découvert que 80% des clients ne faisaient rien, les personnes de couleurs ayant cependant plus tendance à intervenir que les personnes blanches".

Ce genre de chose fait évidemment penser au cas de de Kitty Genovese, où une jeune femme a été assassiné alors qu'une quarantaine de ses voisins ont entendu ses cris sans réagir. On sait aujourd'hui que l'histoire en elle-même a été largement manipulée, mais l'idée qui en a découlé garde une certaine pertinence : c'est l'effet "témoin" où la responsabilité de chacun se dissout dans le groupe, chacun pensant que c'est à l'autre à agir. Il serait intéressant de voir si les clients réagissent plus facilement lorsqu'ils sont seuls dans le magasin que s'ils sont nombreux. On pourrait aussi y rajouter un raisonnement en terme de seuil, en se demandant si lorsqu'un client réagit, les autres ne le suivent pas d'autant plus facilement.

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