Avec l'enchaînement des crises, il se trouve bien sûr quelques voix pour mettre la mondialisation à la question : elle serait soit la cause, soit l'une des victimes des tumultes actuels. Dans les deux cas, c'est toujours la question d'une gouvernance mondiale qui est posée. Il y a cependant un problème : la nature exacte de la mondialisation n'est jamais précisé. Pourtant, les crises économiques récentes ne se sont pas déployées dans la même mondialisation. Et ce n'est pas sans conséquence sur les réponses que l'on peut y apporter.
La crise des subprimes, telle qu'elle a pris corps au cours des années 2007-2008, est une crise mondiale au sens "classique". Non pas qu'elle se réfère à une forme de la mondialisation qui aurait le privilège de l'ancienneté, mais simplement qu'il s'agit là de l'utilisation la plus courante du terme : celle de la constitution d'un espace global connectant des pays et des espaces géographiques jadis séparés. Partie des Etats-Unis, sans rentrer dans le détail des mécanismes, la crise s'est diffusé au travers de l'espace constitué par la finance globale, un espace relativement homogène qui ignore les frontières classiques. Il ne s'agit pas, comme on le dit souvent, d'un espace mondial, dans le sens où il ne couvre pas véritablement la totalité de la surface du globe. Mais il est bien global dans la mesure où se place à une autre échelle que nationale.
Que l'on ne conclut pas trop vite à la perte de pouvoir des Etats dans l'affaire. Comme le rappelle Saskia Sassen dans ce maître-ouvrage qu'est La globalisation. Une sociologie (2007), auquel cette note emprunte beaucoup, les Etats ont très consciemment été les artisans de cette globalisations. Moins qu'un déclin des Etats, cette première mondialisation amorce le premier temps d'une transformation de ceux-ci. Je vais y venir.
Intéressons-nous tout d'abord à la deuxième crise : celle qui se joue actuellement en Grèce et dans les pays les plus fragiles de l'Union Européenne. On pourrait être tenter de dire qu'il s'agit de la même crise ou de la continuité de la première : comme le soulignait récemment André Orléan dans l'émission Les retours du dimanche, les marchés viennent aujourd'hui "sanctionner" des déficits qui ont été creusé précisément pour les sauver. Mais cette crise s'inscrit cependant dans une autre forme de mondialisation. Les acteurs financiers ont en effet cette fois jouer sur les différences de fragilité entre l'Europe, et ils continuent à le faire en pariant, finalement, sur la capacité de l'Union Européenne à réagir de façon collective. Loin de s'inscrire dans un espace qui connecte les pays et qui ignore les frontières, ils se situent ici dans un espace qui profite de l'existence des frontières. En bons petits entrepreneurs, ils profitent de leur capacité à jouer sur des espaces relativement étanches, à circuler entre eux sans faire émerger un niveau qui les subsume.
La mondialisation dans laquelle se déploie cette deuxième crise est donc fondamentalement différente.Elle ne consiste pas à la transformation des échelles, où un niveau global viendrait remplacer en les englobant les niveaux nationaux, mais à l'ajout d'un niveau global qui n'efface pas le niveau national, mais redistribue les cartes, en conférant un nouveau pouvoir et de nouvelles ressources à ceux qui y ont accès. Il n'y a qu'à voir comment les géographies de la mondialisation sont en fait guidés par un tissu de "villes globales" qui laisse entière la question des lieux et des individus qui n'y ont pas accès.
Ces deux faces de la mondialisation posent très sérieusement la question de la façon dont les Etats peuvent y faire face. Car si la première mondialisation, celle qui procède à la connexion des espaces nationaux, se fait au prix de la dénationalisation de certains domaines, c'est-à-dire leur passage à une échelle globale, la deuxième mondialisation indique qu'il n'y a pas lieu que cela se transforme en une réduction du pouvoir des Etats, mais plutôt à une transformation de leurs rôles. Parler de dénationalisation permet de souligner que les activités globales ne sont pas des activités décontextualisés, simplement que leurs activités ne sont pas nationales. La mondialisation ne se fait pas sans ancrage dans des lieux particuliers, dont les fameuses "villes globales". De ce fait, si les Etats veulent encore jouer un rôle dans la direction de l'économie et du monde, il leur reste à accepter cette transformation peut-être inattendue : se dénationaliser eux-mêmes.
Depuis Weber, l'Etat est traditionnellement défini par rapport à un territoire sur lequel il exerce une autorité - le monopole de la contrainte physique légitime. C'est cet aspect qui est le plus profondément questionné par la mondialisation. Et pas seulement sur le plan de l'économie : mouvements sociaux et classes sociales ont également tendance à se globaliser. Les immigrés clandestins produisent également du global. Reprenant l'idée de Charles Tilly selon laquelle l'Etat-nation n'est qu'une forme passagère, Sassen avance l'idée que les Etats pourraient se recomposer comme des acteurs globaux, profitant certes de leurs privilèges d'établir lois et règlements, mais en faisant également jouer ceux-ci à un niveau supérieur, dans l'élaboration d'un droit mondial et non plus simplement international ou dans la conception de politiques communes à une échelle globale. Il y a tout lieu de penser que c'est le choix qui se pose aujourd'hui à l'Union Européenne : se constituer non pas simplement en Etat-nation "en plus grand", mais devenir un acteur global, menant, à ce titre, une politique globale.
Ces réflexions devraient particulièrement intéresser tout ceux qui réfléchissent à une alternative politique. En France, la droite a su tirer beaucoup de sa force de sa position quant à la mondialisation. Face aux transformations en cours, elle a pu proposer une solution simple : la solidarité nationale contre la menace mondiale. Habituée à animer un conflit essentiellement national - le capital contre le travail, les travailleurs contre les patrons - la gauche s'est désemparée quand il a fallut répondre à une menace venue de l'extérieur, sous les formes souvent chimériques de la délocalisation, de la désindustrialisation et des contraintes des marchés - les discours désolants sur l'immigration s'inscrivent d'ailleurs dans cette rhétorique. Il n'y a qu'à voir les usages rhétoriques actuels de la mondialisation qui nous obligerait au changement, à la rigueur et à l'austérité.
La gauche, de son côté, et malgré son passé tournée vers l'internationalisme, n'a pas su donner des réponses satisfaisantes aux problèmes de la mondialisation. Elle s'est souvent enfermé dans le paradigme proposée par la droite, d'une mondialisation menaçante et d'un danger venu de l'extérieur. Partant de là, elle s'est trouvé moins bien armée dans un débat qu'elle a contribué à dépolitiser en attribuant à la mondialisation un caractère supérieur et contraignant, auquel il n'y aurait d'autres choix que de s'adapter. Elle pourrait, peut-être, essayer de prendre les choses différemment, et de proposer de faire de l'Etat un véritable acteur global.
La crise des subprimes, telle qu'elle a pris corps au cours des années 2007-2008, est une crise mondiale au sens "classique". Non pas qu'elle se réfère à une forme de la mondialisation qui aurait le privilège de l'ancienneté, mais simplement qu'il s'agit là de l'utilisation la plus courante du terme : celle de la constitution d'un espace global connectant des pays et des espaces géographiques jadis séparés. Partie des Etats-Unis, sans rentrer dans le détail des mécanismes, la crise s'est diffusé au travers de l'espace constitué par la finance globale, un espace relativement homogène qui ignore les frontières classiques. Il ne s'agit pas, comme on le dit souvent, d'un espace mondial, dans le sens où il ne couvre pas véritablement la totalité de la surface du globe. Mais il est bien global dans la mesure où se place à une autre échelle que nationale.
Que l'on ne conclut pas trop vite à la perte de pouvoir des Etats dans l'affaire. Comme le rappelle Saskia Sassen dans ce maître-ouvrage qu'est La globalisation. Une sociologie (2007), auquel cette note emprunte beaucoup, les Etats ont très consciemment été les artisans de cette globalisations. Moins qu'un déclin des Etats, cette première mondialisation amorce le premier temps d'une transformation de ceux-ci. Je vais y venir.
Intéressons-nous tout d'abord à la deuxième crise : celle qui se joue actuellement en Grèce et dans les pays les plus fragiles de l'Union Européenne. On pourrait être tenter de dire qu'il s'agit de la même crise ou de la continuité de la première : comme le soulignait récemment André Orléan dans l'émission Les retours du dimanche, les marchés viennent aujourd'hui "sanctionner" des déficits qui ont été creusé précisément pour les sauver. Mais cette crise s'inscrit cependant dans une autre forme de mondialisation. Les acteurs financiers ont en effet cette fois jouer sur les différences de fragilité entre l'Europe, et ils continuent à le faire en pariant, finalement, sur la capacité de l'Union Européenne à réagir de façon collective. Loin de s'inscrire dans un espace qui connecte les pays et qui ignore les frontières, ils se situent ici dans un espace qui profite de l'existence des frontières. En bons petits entrepreneurs, ils profitent de leur capacité à jouer sur des espaces relativement étanches, à circuler entre eux sans faire émerger un niveau qui les subsume.
La mondialisation dans laquelle se déploie cette deuxième crise est donc fondamentalement différente.Elle ne consiste pas à la transformation des échelles, où un niveau global viendrait remplacer en les englobant les niveaux nationaux, mais à l'ajout d'un niveau global qui n'efface pas le niveau national, mais redistribue les cartes, en conférant un nouveau pouvoir et de nouvelles ressources à ceux qui y ont accès. Il n'y a qu'à voir comment les géographies de la mondialisation sont en fait guidés par un tissu de "villes globales" qui laisse entière la question des lieux et des individus qui n'y ont pas accès.
Ces deux faces de la mondialisation posent très sérieusement la question de la façon dont les Etats peuvent y faire face. Car si la première mondialisation, celle qui procède à la connexion des espaces nationaux, se fait au prix de la dénationalisation de certains domaines, c'est-à-dire leur passage à une échelle globale, la deuxième mondialisation indique qu'il n'y a pas lieu que cela se transforme en une réduction du pouvoir des Etats, mais plutôt à une transformation de leurs rôles. Parler de dénationalisation permet de souligner que les activités globales ne sont pas des activités décontextualisés, simplement que leurs activités ne sont pas nationales. La mondialisation ne se fait pas sans ancrage dans des lieux particuliers, dont les fameuses "villes globales". De ce fait, si les Etats veulent encore jouer un rôle dans la direction de l'économie et du monde, il leur reste à accepter cette transformation peut-être inattendue : se dénationaliser eux-mêmes.
Depuis Weber, l'Etat est traditionnellement défini par rapport à un territoire sur lequel il exerce une autorité - le monopole de la contrainte physique légitime. C'est cet aspect qui est le plus profondément questionné par la mondialisation. Et pas seulement sur le plan de l'économie : mouvements sociaux et classes sociales ont également tendance à se globaliser. Les immigrés clandestins produisent également du global. Reprenant l'idée de Charles Tilly selon laquelle l'Etat-nation n'est qu'une forme passagère, Sassen avance l'idée que les Etats pourraient se recomposer comme des acteurs globaux, profitant certes de leurs privilèges d'établir lois et règlements, mais en faisant également jouer ceux-ci à un niveau supérieur, dans l'élaboration d'un droit mondial et non plus simplement international ou dans la conception de politiques communes à une échelle globale. Il y a tout lieu de penser que c'est le choix qui se pose aujourd'hui à l'Union Européenne : se constituer non pas simplement en Etat-nation "en plus grand", mais devenir un acteur global, menant, à ce titre, une politique globale.
Ces réflexions devraient particulièrement intéresser tout ceux qui réfléchissent à une alternative politique. En France, la droite a su tirer beaucoup de sa force de sa position quant à la mondialisation. Face aux transformations en cours, elle a pu proposer une solution simple : la solidarité nationale contre la menace mondiale. Habituée à animer un conflit essentiellement national - le capital contre le travail, les travailleurs contre les patrons - la gauche s'est désemparée quand il a fallut répondre à une menace venue de l'extérieur, sous les formes souvent chimériques de la délocalisation, de la désindustrialisation et des contraintes des marchés - les discours désolants sur l'immigration s'inscrivent d'ailleurs dans cette rhétorique. Il n'y a qu'à voir les usages rhétoriques actuels de la mondialisation qui nous obligerait au changement, à la rigueur et à l'austérité.
La gauche, de son côté, et malgré son passé tournée vers l'internationalisme, n'a pas su donner des réponses satisfaisantes aux problèmes de la mondialisation. Elle s'est souvent enfermé dans le paradigme proposée par la droite, d'une mondialisation menaçante et d'un danger venu de l'extérieur. Partant de là, elle s'est trouvé moins bien armée dans un débat qu'elle a contribué à dépolitiser en attribuant à la mondialisation un caractère supérieur et contraignant, auquel il n'y aurait d'autres choix que de s'adapter. Elle pourrait, peut-être, essayer de prendre les choses différemment, et de proposer de faire de l'Etat un véritable acteur global.
1 commentaires:
Pour info, Saskia Sassen devrait venir à l'Université de Poitiers l'an prochain pour un colloque. Plus d'infos à suivre...
Enregistrer un commentaire
Je me réserve le droit de valider ou pas les commentaires selon mon bon plaisir. Si cela ne vous convient pas, vous êtes invités à aller voir ailleurs si j'y suis (indication : c'est peu probable).