C'est l'histoire d'une folle nuit, d'une fête qui tourne mal, une histoire de débauche et de violence. C'est aussi, selon Jean-Pierre Le Goff, l'histoire de "l'érosion du vivre-ensemble", d'une jeunesse qui n'a plus "de limites à ne pas dépasser" à "intérioriser", et qui se révolte contre le "culte de la performance" en se "défoulant". C'est aussi l'histoire d'un "happening post-moderne", sans que l'on sache jamais ce que ce mot veut vraiment dire, si ce n'est les références absurdes auxquelles il renvoie. C'est bien plutôt l'histoire d'une peur ancienne. La voici.
Extrait de l'ouvrage d'Olivier Galland, Les jeunes, sixième édition, Repères La découverte, 2002.
Peut-on encore nous faire croire que les "apéros Facebook" sont une telle menace pour la société, quand on voit ce dont la jeunesse des Trente Glorieuses était capable ? La peur de la jeunesse est ancienne. Si Jean-Pierre Le Goff n'a pas tout à fait tort lorsqu'il dit que la position de la jeunesse est ambigüe, tiraillé entre l'incitation à l'autonomie et l'ordre de rester en place, il se trompe en faisant de cela une nouveauté.
Mais là n'est peut-être pas le plus important : le sens prêté à ces évènements depuis quelques jours est simplement désolant. Certes, beaucoup de journalistes ont su éviter le piège d'attribuer à l'internet la mort d'un jeune homme et l'usage d'alcool d'un groupe finalement bien peu défini d'individus. Mais les commentateurs n'ont pas tous fait preuve de la prudence minimale, et se sont empressés de voir dans cette pratique festive un "signe des temps" évidemment symptomatique de tout ce que nous pouvons penser être le "malaise social".
Ainsi, Jean-Pierre Le Goff nous explique qu'évidemment, ces apéros Facebook témoignent de la perte de repères des jeunes, dont la vie ne serait plus scandée, comme au bon vieux temps, par les institutions, l'école, le service militaire et l'entrée à l'usine. Avec le temps, même les débordements de violence ancien, même les jeunes blousons noirs - déjà accusés, comme le rappelle Laurent Mucchielli, de "viols collectifs" - qui étaient souvent salariés, même les batailles rangées se teintent de nostalgie... Les présentations médiatiques "lissées" sont à ce point puissante qu'elles nous font oublier ce qu'il y avait alors de violence. L'allongement de l'adolescence n'est pas un phénomène nouveau, bien au contraire. C'est une lourde tendance historique en Occident. En faire une caractéristique de "l'air du temps" pour expliquer un phénomène de quelques mois à peine est pour le moins décevant.
Mais Jean-Pierre Le Goff va plus loin : la fête serait un moyen de se défouler face au "culte de la performance", de réagir à "l'exclusion" liée à la "compétitivité internationale" - d'autres parlent aussi d'un "pied-de-nez à la crise". N'en jetez plus ! On en vient à se demander pourquoi les gens faisaient la fête par le passé. Évidemment, on nous dira qu'il fut un temps où la jeunesse se rassemblait autour de grandes causes, se projetait dans l'avenir et voulait changer le monde... "La fête de la destruction" évoquée par Olivier Galland rentre-t-elle vraiment dans ce cadre ?
Loin de témoigner d'une quelconque "post-modernité" ou d'une transformation radicale de nos sociétés, les apéros Facebook pourraient tout aussi bien s'inscrire dans un long mouvement de privatisation, inscrit de longue date dans la modernité. La vraie vie ne se trouve pas, comme le suggère Jean-Pierre Le Goff, dans la fête, mais dans la sphère privée, dont la fête n'est qu'un aspect. Recherche de l'épanouissement personnel à l'écart des appels institutionnels : rien qui ne soit là-dedans post-moderne - même si je ne doute pas que quelque maffesolien viendra s'exciter en plaçant le mot "dyonisiaque" quelque part - mais tout de moderne, voire de "radicalement moderne", pour paraphraser Anthony Giddens. Mais pour abonder plus précisément dans un sens ou dans l'autre, il faudrait encore mener une enquête - mais de cela, les post-modernites ont horreur, ce qui explique beaucoup de leurs délires malheureusement si médiatiques.
Voilà l'autre histoire des apéros Facebook : l'histoire longue que l'on oublie si facilement, celle qui suggère qu'il n'y a là, probablement, qu'un épisode passager d'un mouvement ancien et lent, dont on pourrait apprendre quelque chose seulement en allant sur le terrain. Rassurez-vous, l'histoire courte, celle de la peur sur la ville, a de beaux jours devant elles : elle reviendra encore souvent.
L'été 1963 voit ainsi la grande fête de la musique organisée par l'émission Salut les copains d'Europe 1, et rassemblant une foule de 150 000 personnes place de la nation, "se métamorphoser en fête de la destruction, en une sorte d'insurrection ludique [Morin, 1969]. "Ca ne s'était jamais vu !", écrit France-Soir le lendemain. "En pleine nuit, des coups de téléphone affolés à la police : le Festival des copains dégénérait en émeute... La folle nuit" (25 juin 1963).
Le versant moins souriant, moins anodin, moins rassurant de la culture juvénile pouvait ainsi transparaître sous sa version commercialisée, en France comme dans d'autres pays d'Europe : en décembre 1956, à Stockholm, des jeunes, dans la grande rue, attaquent des adultes renversent et incendient des voitures ; à Pâques et à la Pentecôte 1963, à Clacton et à Brighton, en Angleterre, on assiste à une sorte de guerre civile entre bandes de mods et de rockers venus de Londres et des environs, une sorte de lutte des classes juvéniles. "Dans tous ces cas, très différents, il y a en commun un jaillissement spontané et contagieux de violence" [Ibid] . Cette violence, latente, parfois totalement effacée dans la présentation normalisée de la culture juvénile recomposée par l'industrie culturelle, sous-end l'expressionadolescente populaire des années cinquante-soixante. On en verra d'autres illustrations avec le phénomène des blousons noirs et des "bandes".
Extrait de l'ouvrage d'Olivier Galland, Les jeunes, sixième édition, Repères La découverte, 2002.
Peut-on encore nous faire croire que les "apéros Facebook" sont une telle menace pour la société, quand on voit ce dont la jeunesse des Trente Glorieuses était capable ? La peur de la jeunesse est ancienne. Si Jean-Pierre Le Goff n'a pas tout à fait tort lorsqu'il dit que la position de la jeunesse est ambigüe, tiraillé entre l'incitation à l'autonomie et l'ordre de rester en place, il se trompe en faisant de cela une nouveauté.
Mais là n'est peut-être pas le plus important : le sens prêté à ces évènements depuis quelques jours est simplement désolant. Certes, beaucoup de journalistes ont su éviter le piège d'attribuer à l'internet la mort d'un jeune homme et l'usage d'alcool d'un groupe finalement bien peu défini d'individus. Mais les commentateurs n'ont pas tous fait preuve de la prudence minimale, et se sont empressés de voir dans cette pratique festive un "signe des temps" évidemment symptomatique de tout ce que nous pouvons penser être le "malaise social".
Ainsi, Jean-Pierre Le Goff nous explique qu'évidemment, ces apéros Facebook témoignent de la perte de repères des jeunes, dont la vie ne serait plus scandée, comme au bon vieux temps, par les institutions, l'école, le service militaire et l'entrée à l'usine. Avec le temps, même les débordements de violence ancien, même les jeunes blousons noirs - déjà accusés, comme le rappelle Laurent Mucchielli, de "viols collectifs" - qui étaient souvent salariés, même les batailles rangées se teintent de nostalgie... Les présentations médiatiques "lissées" sont à ce point puissante qu'elles nous font oublier ce qu'il y avait alors de violence. L'allongement de l'adolescence n'est pas un phénomène nouveau, bien au contraire. C'est une lourde tendance historique en Occident. En faire une caractéristique de "l'air du temps" pour expliquer un phénomène de quelques mois à peine est pour le moins décevant.
Mais Jean-Pierre Le Goff va plus loin : la fête serait un moyen de se défouler face au "culte de la performance", de réagir à "l'exclusion" liée à la "compétitivité internationale" - d'autres parlent aussi d'un "pied-de-nez à la crise". N'en jetez plus ! On en vient à se demander pourquoi les gens faisaient la fête par le passé. Évidemment, on nous dira qu'il fut un temps où la jeunesse se rassemblait autour de grandes causes, se projetait dans l'avenir et voulait changer le monde... "La fête de la destruction" évoquée par Olivier Galland rentre-t-elle vraiment dans ce cadre ?
Loin de témoigner d'une quelconque "post-modernité" ou d'une transformation radicale de nos sociétés, les apéros Facebook pourraient tout aussi bien s'inscrire dans un long mouvement de privatisation, inscrit de longue date dans la modernité. La vraie vie ne se trouve pas, comme le suggère Jean-Pierre Le Goff, dans la fête, mais dans la sphère privée, dont la fête n'est qu'un aspect. Recherche de l'épanouissement personnel à l'écart des appels institutionnels : rien qui ne soit là-dedans post-moderne - même si je ne doute pas que quelque maffesolien viendra s'exciter en plaçant le mot "dyonisiaque" quelque part - mais tout de moderne, voire de "radicalement moderne", pour paraphraser Anthony Giddens. Mais pour abonder plus précisément dans un sens ou dans l'autre, il faudrait encore mener une enquête - mais de cela, les post-modernites ont horreur, ce qui explique beaucoup de leurs délires malheureusement si médiatiques.
Voilà l'autre histoire des apéros Facebook : l'histoire longue que l'on oublie si facilement, celle qui suggère qu'il n'y a là, probablement, qu'un épisode passager d'un mouvement ancien et lent, dont on pourrait apprendre quelque chose seulement en allant sur le terrain. Rassurez-vous, l'histoire courte, celle de la peur sur la ville, a de beaux jours devant elles : elle reviendra encore souvent.
7 commentaires:
Intuitivement, j'interprète les apéros fb comme un besoin de lien social par "l'invention" de nouveaux rituels profanes (dureront-ils ?) afin de remplacer le vide laissé par le déclin relatif des rituels religieux ou traditionnels (à fort contrôle social) dans notre société individualiste. Il serait effectivement indispensable de réaliser une enquête pour savoir qui sont les participants, quelles sont leurs motivations explicites et implicites. Par ailleurs, ce genre de rassemblement pourrait s'éteindre ou évoluer vers qqch de plus structuré, de revendicatif... (ex du "no berlusconi day" en Italie l'année dernière)...
Franchement, j'ai un peu de mal à voir où est l'aspect "fort contrôle social" dans les apéros facebook. Il y a sûrement du contrôle social du type "honte à celui qui ne boit pas", mais il n'est pas évident qu'il y en ait plus que dans n'importe quelle soirée privée. Donc, j'ai un peu de mal à voir ce que ça viendrait "compenser".
je me suis mal exprimée. c'est dans les rituels tradi qu'il y avait un fort contrôle social. Les "nouveaux" rituels profanes et festifs comme les apéro FB sont justement des tentatives de recherche de lien social (face au développement de l'individualisme) dans des rituels peu contraignants justement (hypothèse).
Marjorie Galy
(Tu en es la cible ?)
Ce qui est cocasse, dans l'affaire, c'est que ce sont généralement des sociologues, comme Mucchielli, qui s'empressent de faire des cours d'histoire sans jamais en respecter les contraintes méthodiques, jamais avec pour but d'améliorer nos connaissance sur un sujet précis mais toujours avec à coeur de tenir un discours social immédiat.
En d'autres termes, la question de fond dans l'actualité n'est jamais de savoir si les viols collectifs et autres sont des phénomènes nouveaux. La question est de savoir si ces phénomènes sont souhaitables.
L'histoire est convoquée comme prétexte. Elle n'est pas l'objet réel de la discussion. Du coup, on engloble sans nuance, sans distinction, et on se permet ensuite de banaliser au titre que le fait ne serait pas innovant (ce qui n'a pas été véritablement démontré), comme si le caractère novateur devait déterminer la légitimité de la tendance.
Faisons court, cher troll : votre propos est simplement idiot. Mucchielli montre par l'histoire que le problème des tournantes ne peut être attribuer à la religion musulmane puisque le même phénomène se rencontrait dans les mêmes catégories de jeunes en l'absence de cette religion. Vous ne l'avez pas lu, et ça ne m'étonne pas. De même, attribuer les apéros facebook au délitement de la société alors qu'ils ne sont probablement qu'une manifestation de la position de la jeunesse, c'est voiler les autres problèmes.
Mais bon, il y aura toujours des gens pour crier "cessez de penser, agissez !"...
Effectivement, cette tendance à la panique morale est des plus classiques, mais semble s'accélérer et se cristalliser sur les nouvelles technologies, encore plus quand elles sont liées à d'autres pratiques, avec cette double entrée des plus intéressantes : un média, une pratique collective, les deux impensés "populaires", les deux vus comme "de masse", mais finalement à y regarder de plus près ne sont ni des phénomènes de masse (quelques centaines...) ni des phénomènes populaires (urbain, jeune, csp+, etc.).
Salut Denis, J'ai lu rapidement tôt ce matin (6h45 ...)ton billet que je relirai cette am.
Si j'ai bien compris, je suis assez d'accord avec toi.
Quant à Apses, je me demande si elle n'est pas prisonnière de la doxa??? lol^^
Je n'ai rien compris du com de l'anonyme ????
Sur ton billet, franchement pas besoin de sociologie approndie pour rire de cette affaire des apéros géants.
Venant du Sud ouest (Dax), quand tu a fait toutes les grandes férias Dax, Bayonne, Mont de Marsan .. et Panpelune, ... tu as envie de rire ce cette affaire dite d'apéros géants. Car là bas, c'est plus que géant et cela dure de 5 à 8 jours. Et puis, ce n'est ps qu'une afffaire de jeunes. Il y en a pour tous les ages ...
Enfin, tu cherches juste à t'amuser avec tes amis, ..., dans une ambiance que tu peux aimer malgré les écarts inhérents à ce genre de concentration polulaire et alcoolisée.
Bref, il ne faut pas chercher midi à douze heures avec des normes .... ou que sais-je encore ... pour expliquer ces apéros geants qui existent en bcp plus grand depuis longtemps....
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