Le futur programme de Sciences économiques et sociales pour la classe de première vient juste d'être publié : vous pouvez le consulter ici, et les enseignants ont juste au 16 juin pour y réagir, faire leur commentaire qui, peut-être, comme pour le programme de seconde, déboucheront sur des transformations plus ou moins importantes. Je livre ici quelques commentaires et remarques à chaud : les changements apportés sont loin d'être mineurs, et il me faudra sans doute quelques jours pour les digérer. Pour l'instant, je suis plutôt mi-figue, mi-raisin.
Commençons par un constat simple ce programme va provoquer des remous, beaucoup de remous. En fait, il a même commencé hier, avant sa publication, avec la démission de Sylvain David, président de l'Apses, du groupe d'expert qui s'est chargé de le rédiger. Le communiqué publié par l'association évoque un programme qui "saborde une discipline qui a fait la preuve de son succès depuis plus de 40 ans" et affirment qu'elle mobilisera "tous les moyens" contre. Jugement lapidaire donc qui n'a, pour l'instant, pas fait l'objet de plus de développement, étant donné que le programme ne devait pas être dévoilé. Je suppose qu'une critique plus détaillée suivra dans les jours à venir.
On peut cependant facilement imaginer ce qui pose problème à l'Apses, et plus généralement à un certain nombre d'enseignants de SES. Le premier point, c'est la distinction implicite entre économie et sociologie. Philippe Watrelot évoque clairement ce point dans la revue de presse où il évoque ce nouveau programme. C'est un vieux serpent de mer des SES. Beaucoup de collègues sont attachés au "croisement" et refuse d'enseigner de la sociologie ou de l'économie, prétendant qu'ils enseignent toujours et tout le temps des "SES". Il devrait donc y avoir une forte opposition sur ce point.
Pour ma part, ce point ne me semble absolument pas problématique. Je ne vais pas me faire des amis en disant cela, mais je ne sais pas ce que ces collègues veulent dire par "faire des SES" qui serait - apparemment - quelque chose différent que d'enseigner l'économie et la sociologie au lycée. J'ai posé la question à un certain nombre des plus virulents sur la question sans jamais obtenir de réponse. Si j'écris cela, c'est parce que je crains que le débat sur ce programme porte essentiellement sur ce point, sur le retour à un programme qui nie formellement les différences entre les disciplines. Or les débats ne sont pas là : la distinction existe déjà de fait dans les programmes actuels, même si elle n'est pas explicite ; et, surtout, l'adoption de cette grille est infiniment moins importantes que les contenus effectifs.
Il faut aussi remarquer que le préambule de ce programme annonce que les croisements seront plus nombreux - peut-être la norme ? - en classe de terminale. Je ne pense pas que cela satisfasse mes collègues, mais il serait au moins nécessaire de réfléchir sur la démarche et sur l'articulation des deux années.
Deuxième point qui devrait poser quelques problèmes : la lourdeur du programme. Soyons clair : les programmes actuels sont déjà excessivement longs et lourds. Effectivement, à la première lecture, celui-ci n'arrange rien à l'affaire. Que les notions soient plus nombreuses n'est pas forcément un mal : dans l'ancien programme, beaucoup de notions nécessaires n'étaient pas explicitées, mais il fallait quand même les aborder pour que les élèves comprennent quelque chose, ce qui avait tendance à allourdir le programme. Des notions plus précises pourraient donc régler le problème. J'en doute, parce que l'encyclopédisme provient en partie de la peur des enseignants de ne pas préparer suffisamment leurs élèves à toutes les éventualités du bac, ce qui pousse à s'aligner sur les exigences les plus lourdes. Toujours est-il que certains points du programme semble effectivement trop long à traiter dans le temps imparti, notamment dans la partie économie où les chapitres sont nombreux.
Troisième point, corolaire du précédent : certains collègues trouveront - trouvent déjà, en fait, pour ce que j'en perçois des débats internes à notre profession - le niveau d'exigence trop élevé. La structuration du programme y est sans doute pour beaucoup : beaucoup de collègues sont attachés à la présentation par "objets-problèmes", où l'on aborde un grand objet - disons la monnaie - et où l'on va essayer plus ou moins d'en faire le tour en se centrant sur les aspects qui font problème. La présentation par discipline, en mettant l'accent sur les notions et mécanismes, rend les choses plus "austères". Il va sans doute falloir "customiser" tout ça pour le rendre un peu plus "fun", plus attrayant du point de vue des élèves. En fait, j'aurais tendance à penser que c'est surtout pour l'enseignant que les choses vont être plus exigeante.
Voilà les trois points qui, à mon avis, feront des remous dans les jours et semaines à venir au sein de la communauté enseignante. Le premier me semble un faux débat, les deux suivants me semblent appeler à une réflexion et à une discussion afin de proposer des améliorations constructives. Restent maintenant les points dont je crains qu'ils soient oubliés dans la bataille.
Premier point qui m'interpelle plus particulièrement, c'est - mes lecteurs s'en doutent - la place de la sociologie. Celle-ci occupe deux fois mois de place que l'économie : 45h de cours, contre 90h pour la "science lugubre". Il n'y avait certes pas de répartition égalitaire par le passé - c'est même à peu près le ratio de la classe de terminale. Mais le programme de première me semblait mieux équilibrer de ce point de vue. J'aurais espérer que ce nouveau programme soit l'occasion de donner plus de place aux analyses sociologiques. Ce n'est pas le cas pour l'instant. Peut-être le programme de terminale, si, effectivement, il fait plus de place aux "objets communs", donnera-t-il enfin la place qu'elle mérite à la sociologie. Mais il est dommage de perdre des chapitres comme celui consacré à la culture, qui permettait d'introduire une relativisation des sociétés, et par là d'approcher un peu plus ce qu'est une approche scientifique, qui s'abstient de juger pour pouvoir mieux comprendre.
Deuxième point, qui donne ce titre à ce billet : mon étonnement de voir la structure sociale remplacer par... l'analyse de réseaux. Soyons clair : l'analyse de réseaux, c'est très bien, c'est une sociologie très intéressante, très heuristique, et que j'ai d'ailleurs souvent mise en oeuvre sur ce blog. Mais deux problèmes se pose dans ce programme. Premièrement, le chapitre qui évoque précisément les réseaux sociaux ne semble pas les considérer comme un mode particulier d'analyse du social, mais comme un objet particulier : "On montrera que les réseaux sociaux constituent une forme spécifique de coordination entre acteurs et de sociabilité (réseaux internet, associations d’anciens élèves, etc.)". Or, les réseaux en sociologie sont un outil théorique qui permet d'analyser toutes les relations sociales, et non pas spécialement celles des "réseaux sociaux" façon facebook ou linkedin. Et ce d'autant plus que le programme fait une référence assez précise à Granovetter, en citant "la force des liens faibles", qui, à ma connaissance, n'a jamais rien écrit sur Internet.
Deuxième problème : les réseaux interviennent dans le cadre d'un thème plus général sur les "groupes sociaux". Et rien dans ce point n'évoque les classes sociales ou la structure sociale dans ses différentes dimensions. Je trouve cela extrèmement problématique parce qu'il s'agit précisément d'outils de base de l'approche sociologique, particulièrement si l'on veut parler des groupes et des groupes d'appartenance. Les introductions à la sociologie américaine - un genre d'ouvrage dont je suis particulièrement friand - font toutes références au tryptique "class, race, gender" (classe, race, genre). Il serait absolument nécessaire d'intégrer cela pour les jeunes français. C'est une dimension essentielle de la pensée sociologique. Peut-être est-il prévu que le thème de la structure sociale refasse son apparition en terminale. Mais il me semble que si l'on veut, comme l'affiche le programme de première, donner les outils élémentaires aux élèves à la fois pour aborder les disciplines et comprendre le monde, alors c'est à ce moment-là qu'il faut le faire.
Voilà pour mes réactions au programme à la première lecture. Elles mériteraient sans doute d'être détaillée. Le bilan est pour l'instant très ambivalent. Effectivement, le programme semble très exigeant, a priori très difficile. Mais il a aussi le mérite de clarifier un peu ce qu'il faut faire. Le risque est que les protestations se centrent plus sur des aspects secondaires - comme la séparation économie/sociologie - et oublie trop facilement les aspects essentiels : l'équilibre et les contenus. La meilleure chose à faire est de prendre au sérieux le projet de ce programme - donner aux élèves les outils essentiels de l'économie, de la sociologie et de la science politique pour comprendre le monde - et d'essayer de voir si ce projet est ou non réalisé. Il y a, de ce point de vue, des améliorations à proposer, et un débat serein à avoir.
Commençons par un constat simple ce programme va provoquer des remous, beaucoup de remous. En fait, il a même commencé hier, avant sa publication, avec la démission de Sylvain David, président de l'Apses, du groupe d'expert qui s'est chargé de le rédiger. Le communiqué publié par l'association évoque un programme qui "saborde une discipline qui a fait la preuve de son succès depuis plus de 40 ans" et affirment qu'elle mobilisera "tous les moyens" contre. Jugement lapidaire donc qui n'a, pour l'instant, pas fait l'objet de plus de développement, étant donné que le programme ne devait pas être dévoilé. Je suppose qu'une critique plus détaillée suivra dans les jours à venir.
On peut cependant facilement imaginer ce qui pose problème à l'Apses, et plus généralement à un certain nombre d'enseignants de SES. Le premier point, c'est la distinction implicite entre économie et sociologie. Philippe Watrelot évoque clairement ce point dans la revue de presse où il évoque ce nouveau programme. C'est un vieux serpent de mer des SES. Beaucoup de collègues sont attachés au "croisement" et refuse d'enseigner de la sociologie ou de l'économie, prétendant qu'ils enseignent toujours et tout le temps des "SES". Il devrait donc y avoir une forte opposition sur ce point.
Pour ma part, ce point ne me semble absolument pas problématique. Je ne vais pas me faire des amis en disant cela, mais je ne sais pas ce que ces collègues veulent dire par "faire des SES" qui serait - apparemment - quelque chose différent que d'enseigner l'économie et la sociologie au lycée. J'ai posé la question à un certain nombre des plus virulents sur la question sans jamais obtenir de réponse. Si j'écris cela, c'est parce que je crains que le débat sur ce programme porte essentiellement sur ce point, sur le retour à un programme qui nie formellement les différences entre les disciplines. Or les débats ne sont pas là : la distinction existe déjà de fait dans les programmes actuels, même si elle n'est pas explicite ; et, surtout, l'adoption de cette grille est infiniment moins importantes que les contenus effectifs.
Il faut aussi remarquer que le préambule de ce programme annonce que les croisements seront plus nombreux - peut-être la norme ? - en classe de terminale. Je ne pense pas que cela satisfasse mes collègues, mais il serait au moins nécessaire de réfléchir sur la démarche et sur l'articulation des deux années.
Deuxième point qui devrait poser quelques problèmes : la lourdeur du programme. Soyons clair : les programmes actuels sont déjà excessivement longs et lourds. Effectivement, à la première lecture, celui-ci n'arrange rien à l'affaire. Que les notions soient plus nombreuses n'est pas forcément un mal : dans l'ancien programme, beaucoup de notions nécessaires n'étaient pas explicitées, mais il fallait quand même les aborder pour que les élèves comprennent quelque chose, ce qui avait tendance à allourdir le programme. Des notions plus précises pourraient donc régler le problème. J'en doute, parce que l'encyclopédisme provient en partie de la peur des enseignants de ne pas préparer suffisamment leurs élèves à toutes les éventualités du bac, ce qui pousse à s'aligner sur les exigences les plus lourdes. Toujours est-il que certains points du programme semble effectivement trop long à traiter dans le temps imparti, notamment dans la partie économie où les chapitres sont nombreux.
Troisième point, corolaire du précédent : certains collègues trouveront - trouvent déjà, en fait, pour ce que j'en perçois des débats internes à notre profession - le niveau d'exigence trop élevé. La structuration du programme y est sans doute pour beaucoup : beaucoup de collègues sont attachés à la présentation par "objets-problèmes", où l'on aborde un grand objet - disons la monnaie - et où l'on va essayer plus ou moins d'en faire le tour en se centrant sur les aspects qui font problème. La présentation par discipline, en mettant l'accent sur les notions et mécanismes, rend les choses plus "austères". Il va sans doute falloir "customiser" tout ça pour le rendre un peu plus "fun", plus attrayant du point de vue des élèves. En fait, j'aurais tendance à penser que c'est surtout pour l'enseignant que les choses vont être plus exigeante.
Voilà les trois points qui, à mon avis, feront des remous dans les jours et semaines à venir au sein de la communauté enseignante. Le premier me semble un faux débat, les deux suivants me semblent appeler à une réflexion et à une discussion afin de proposer des améliorations constructives. Restent maintenant les points dont je crains qu'ils soient oubliés dans la bataille.
Premier point qui m'interpelle plus particulièrement, c'est - mes lecteurs s'en doutent - la place de la sociologie. Celle-ci occupe deux fois mois de place que l'économie : 45h de cours, contre 90h pour la "science lugubre". Il n'y avait certes pas de répartition égalitaire par le passé - c'est même à peu près le ratio de la classe de terminale. Mais le programme de première me semblait mieux équilibrer de ce point de vue. J'aurais espérer que ce nouveau programme soit l'occasion de donner plus de place aux analyses sociologiques. Ce n'est pas le cas pour l'instant. Peut-être le programme de terminale, si, effectivement, il fait plus de place aux "objets communs", donnera-t-il enfin la place qu'elle mérite à la sociologie. Mais il est dommage de perdre des chapitres comme celui consacré à la culture, qui permettait d'introduire une relativisation des sociétés, et par là d'approcher un peu plus ce qu'est une approche scientifique, qui s'abstient de juger pour pouvoir mieux comprendre.
Deuxième point, qui donne ce titre à ce billet : mon étonnement de voir la structure sociale remplacer par... l'analyse de réseaux. Soyons clair : l'analyse de réseaux, c'est très bien, c'est une sociologie très intéressante, très heuristique, et que j'ai d'ailleurs souvent mise en oeuvre sur ce blog. Mais deux problèmes se pose dans ce programme. Premièrement, le chapitre qui évoque précisément les réseaux sociaux ne semble pas les considérer comme un mode particulier d'analyse du social, mais comme un objet particulier : "On montrera que les réseaux sociaux constituent une forme spécifique de coordination entre acteurs et de sociabilité (réseaux internet, associations d’anciens élèves, etc.)". Or, les réseaux en sociologie sont un outil théorique qui permet d'analyser toutes les relations sociales, et non pas spécialement celles des "réseaux sociaux" façon facebook ou linkedin. Et ce d'autant plus que le programme fait une référence assez précise à Granovetter, en citant "la force des liens faibles", qui, à ma connaissance, n'a jamais rien écrit sur Internet.
Deuxième problème : les réseaux interviennent dans le cadre d'un thème plus général sur les "groupes sociaux". Et rien dans ce point n'évoque les classes sociales ou la structure sociale dans ses différentes dimensions. Je trouve cela extrèmement problématique parce qu'il s'agit précisément d'outils de base de l'approche sociologique, particulièrement si l'on veut parler des groupes et des groupes d'appartenance. Les introductions à la sociologie américaine - un genre d'ouvrage dont je suis particulièrement friand - font toutes références au tryptique "class, race, gender" (classe, race, genre). Il serait absolument nécessaire d'intégrer cela pour les jeunes français. C'est une dimension essentielle de la pensée sociologique. Peut-être est-il prévu que le thème de la structure sociale refasse son apparition en terminale. Mais il me semble que si l'on veut, comme l'affiche le programme de première, donner les outils élémentaires aux élèves à la fois pour aborder les disciplines et comprendre le monde, alors c'est à ce moment-là qu'il faut le faire.
Voilà pour mes réactions au programme à la première lecture. Elles mériteraient sans doute d'être détaillée. Le bilan est pour l'instant très ambivalent. Effectivement, le programme semble très exigeant, a priori très difficile. Mais il a aussi le mérite de clarifier un peu ce qu'il faut faire. Le risque est que les protestations se centrent plus sur des aspects secondaires - comme la séparation économie/sociologie - et oublie trop facilement les aspects essentiels : l'équilibre et les contenus. La meilleure chose à faire est de prendre au sérieux le projet de ce programme - donner aux élèves les outils essentiels de l'économie, de la sociologie et de la science politique pour comprendre le monde - et d'essayer de voir si ce projet est ou non réalisé. Il y a, de ce point de vue, des améliorations à proposer, et un débat serein à avoir.