La grève en France : faux problèmes et vraies questions

L’un des grands projets de l’actuel gouvernement, farouchement défendu par le Président de la République tout au long de la campagne présidentielle, consiste à mettre en place un service minimum en cas de grève dans les services publics. Vous trouverez beaucoup d’informations pertinentes sur ce sujet ici et . Inutile de dire que la bataille, qui devrait commencer le 17 juillet, s’annonce rude. Protection de l’usager pour les uns, atteinte inacceptable au droit de grève pour les autres, beaucoup d’arguments devraient porter sur la légitimité ou le droit. La sociologie peut cependant avoir certaines choses à dire en la matière.

Je ne développerais ici que quelques aspects du problème.

Comme dans ma note précédente, je voudrais me livrer à la critique d’une des idées reçues, véritable lieu commun du débat public français, qui sous-tend ce genre de décision : il y aurait trop de grèves en France et celles-ci nuiraient à l’économie. C’est sur la base de cet « allant de soi » que ce genre de proposition rencontre un certain succès et parvient jusqu’à l’Assemblée Nationale. Sur ce thème, précisons-le, il n’y a pas de grandes différences entre droite et gauche – dans le diagnostic bien sûr, les réponses apportées sont, elles, totalement différentes. Dans l’ensemble, personne ne doute que les grèves sont un problème, un problème grave qui plus est, que l’on en fasse porter la responsabilité aux syndicats ou aux patrons. Ce que je vais tenter de montrer ici, c’est que cette rhétorique est un faux problème qui masque des enjeux beaucoup plus profond, que les pouvoirs politiques sont, pour l’instant, incapable de prendre en main de façon satisfaisante. En un mot : à trop s’inquiéter de la grève, on en oublie les conflits du travail !

1. Un faux problème : la grève en France

Trop de grèves en France ? Ce n’est pas forcément aussi soutenable qu’on ne le pense. Un organisme statistique est chargé de comptabiliser en France le nombre de journées individuelles de grève : il s’agit de la DARES. Lorsqu’on observe ces statistiques, on se rend compte d’un fait étonnant : il n’y a jamais eu aussi peu de grèves en France dans la période actuelle. Il y a une baisse constante depuis la crise des années 70. Un plancher a été atteint en 1992 (490 000 journées de grève individuelles), et les années exceptionnelles (2 millions de journée en 1995) ne rompent pas la tendance à la baisse. La baisse a même repris depuis 2000 (807 558 j.) : il n’y a eu que 223 795 j. en 2003.

La France, championne des grèves ? Lieu commun politique, aussi bien en France qu’à l’étranger, cette idée se retrouve peu dans les chiffres. Plusieurs études1 ont tenté la comparaison sur la base du nombre de jours de grève sur 1000 salariés sur un an. Toutes concluent dans le même sens : quelle que soit la période étudiée, la France est loin d'être la championne des grèves, elle se classe plutôt dans la moyenne basse.

2. Une vraie question : les conflits du travail

D’un point de vue sociologique, on ne peut cependant déduire du nombre de grèves le niveau de conflictualité au travail. La grève n’est que la manifestation d’un conflit, une manifestation parmi d’autres possibles. Lorsque la DARES s’intéresse à cette conflictualité, elle retient bien d’autres indicateurs : manifestation, pétition, débrayage, refus d’heures supplémentaires… A trop se centrer sur la grève (ainsi que sur la question du chômage), le débat public oublie souvent la question des conflits du travail, lesquels peuvent être particulièrement forts.

Il semble même qu’il y ait un durcissement des conflits en France depuis une vingtaine d’année. Toutes les sources convergent dans ce sens [1]. On peut ainsi relever, avec Didier Lapeyronnie et Bruno Hérault [2], un certain durcissement des conflits, principalement parce que la problématique des licenciements joue une place de plus en plus importante dans les représentations.

« De manière générale, les conflits liés aux licenciements sont de plus en plus nombreux et occupent pratiquement et symboliquement une place centrale dans les luttes sociales. Ils sont aussi très souvent de plus en plus durs : la violence des salariés répondant bien souvent à la brutalité des employeurs » [2]

Que l’on pense par exemple à ces employés d’une usine chimique – Cellatex – qui menacèrent de déverser des produits toxiques dans une rivière. Les conflits se montrent plus durs, et cela est loin de se limiter aux conflits du travail. Si on en revient aux émeutes urbaines, celles du début des années 80 – les « rodéos des Minguettes » à Lyon – avaient donné lieu à une « Marche des Beurs » qui était parvenue à retraduire quelque peu les revendications des quartiers. Celles de 2005, malgré les efforts louables de l’association AC Le Feu, n’ont pas pu produire la même dynamique : les émeutiers ont opposés leur silence et leur morgue face à une classe politique incapable de comprendre ce qui se passait [3].

On peut d’ailleurs souligner que cette conflictualité va de pair avec une détérioration croissante des conditions de travail, identifiée par Michel Gollac et Serge Volkoff [4]. Ceux-ci relèvent cinq aspects de cette dégradation, lesquels font système : (1) l’informatisation accroît les astreintes psychologiques ; (2) l’automation accroît les astreintes physiques ; (3) la pression temporelle s’accroît ; (4) les possibilités d’adaptation des salariés à leur travail se réduisent ; (5) les ouvriers et les employés sont les plus touchés. Ajoutons que l’on peut rapprocher ces évolutions de l’émergence d’un « nouvel esprit du capitalisme » [5] s’appuyant sur les concepts de « projet » et d’« autonomie ». Ces termes semblent déstabiliser les travailleurs les moins qualifier qui ont bien du mal, faute d’y être correctement préparer, à se plier aux nouvelles exigences managériales. Une illustration éclairante se trouve dans la description des jeunes de quartiers populaires confrontées à une mission locale pour l’emploi que font Stéphane Beaud et Michel Pialoux [6] : ceux-ci sont en plein désarroi lorsqu’on leur demande de formuler un projet, terme qui les gène plus qu’il ne les aide.

Cette conflictualité importante est un véritable problème en France, beaucoup plus assurément que le nombre de grèves. Des économistes se sont quelques peu penchés sur ce problème.

Philippe Askenazy a été l’un des premiers à aller dans ce sens [7]. Il a souligné l’augmentation des maladies professionnelles et des arrêts de travail, lesquels coûteraient chaque année l’équivalent de 3 points de PIB à la France. Cette dégradation des conditions de travail serait le fruit du nouveau productivisme qui a présidé depuis une vingtaine d’années à la réorganisation des entreprises et à la désorganisation du travail : polyvalence, polycompétence, juste-à-temps, satisfaction maximale des clients. L’intensification des cadences et de la pression pesant sur les travailleurs est facteur de conflits, de frustrations, de colère, qui, au final coûtent chers à la France.

Plus récemment, Thomas Philippon [8] a souligné le poids des mauvaises relations de travail sur l’activité économique française, en particulier la méfiance très forte entre patrons et employés. On se reportera ici pour une présentation plus complète de son analyse. Sur la base de quelques enquêtes sur les valeurs2, Philippon part du constat que les Français sont attachés au travail. Pourquoi alors semblent-ils l’éviter, comme en témoigne des taux d’emplois faibles ? A cause des mauvaises relations sociales. 70% des variations de taux d’emploi d’un pays à l’autre s’expliqueraient par la qualité des relations au sein des entreprises. Voilà donc le prix à payer de la grande conflictualité du travail en France, laquelle s’explique, selon Philippon, par une forme de capitalisme privilégiant les héritiers – y compris au sens sociologiques, ceux qui sont passés par les grandes écoles en particulier – sur la promotion interne. Les taux de chômage seraient également corrélés aux relations sociales au sein des entreprises.

3. Un vrai problème : l’expression des conflits

Les approches de ces économistes sont intéressantes, mais elles me semblent laisser dans l’ombre une partie de la question. Les conflits au sein de l’entreprise – comme d’ailleurs dans l’ensemble de la société – sont inévitables. Il faut rappeler, avec Georg Simmel [9], que le conflit est une relation sociale positive, une « forme de socialisation » dans son vocabulaire. Pour qu’il y ait conflit, il faut qu’il y ait un accord minimum sur l’enjeu et la forme de la lutte, bref, il faut qu’il existe un lien social entre les parties en conflit. Le contraire du lien, de la société, c’est l’indifférence et non le conflit. Dès lors, ce sur quoi il est nécessaire de s’interroger, c’est la forme des conflits et non leur présence.

Comme je l’ai signalé précédemment, les conflits ont tendance, depuis une vingtaine d’années, à se durcir. Quelques éléments de la sociologie inspirés d’Alain Touraine peuvent être utilisé pour penser ces transformations. Comme le rappelle Michel Wieviorka [10], la violence est le contraire du conflit. Pour que l’on puisse parler de conflit, il faut qu’il y ait un accord minimal, des formes d’expression, de négociation, d’affrontement. Il peut y avoir des formes d’institutionnalisation – les syndicats, le dialogue social. La violence, le durcissement, intervient précisément lorsque les formes d’expression viennent à manquer et que le désespoir guide, en quelque sorte, le comportement des individus.

Le problème de la France pourrait alors résider dans le manque de conflit, que traduit la baisse du nombre de grèves et le durcissement des formes et des manifestations de mécontentement. Complexifier le droit de grève n’est alors pas forcément une solution souhaitable.

Comment expliquer ces évolutions ? La situation économique est évidemment en jeu : en période de fort chômage, de fragilisation des travailleurs, la mobilisation est plus difficile, et les conflits s’expriment de plus en plus à un niveau local, de plus en plus violemment. Mais cela n’explique pas tout.

Une récente enquête menée par François Dubet peut s’avérer éclairante [11]. Dans celle-ci, le sociologue bordelais et son équipe s’intéressent aux conceptions de la justice que les individus mettent en œuvre pour évaluer leur situation de travail et celles des autres. Ils en dégagent trois principales : l’égalité, la reconnaissance du mérité, le respect de l’autonomie. Le tableau du monde du travail qui ressort des quelques 1000 questionnaires et 300 entretiens individuels3 est plutôt sombre : le sentiment d’injustice au travail domine, et donc, conséquemment, les conflits.

Pourtant, ces conflits ne sont pas transformés en « jugements sociaux » : ils ne donnent pas lieu à une expression collective, à une opposition directe. Les injustices sont vécues sur un mode individuel : on condamne le petit chef du bureau plutôt que le patronat, ou alors on se condamne soi-même : « si j’ai ce boulot de merde, c’est parce que je n’ai rien foutu à l’école ! ». Le principe d’autonomie rentre en contradiction avec les deux autres et amène à une responsabilisation des autres et de soi.

« Mais ce qui nous a frappés dans cette recherche, c’est un discours récurrent qui consiste à considérer que ceux qui sont le plus victimes des injustices en sont responsables. Et plus on descend dans l’échelle sociale, moins la compassion est forte » [12]4

Cette expression individuelle des oppositions et des tensions est plus dure, plus violente et finalement moins supportable qu’une expression collective comme le serait la grève ou toute autre forme de mobilisation, y compris au travers d’un dialogue social sain.

« Les personnes de l’enquête refusent les causes sociales au nom de principes individuels. La cause du malheur est davantage vue par le prisme de la méchanceté des autres que par des dysfonctionnement du système : les gens qui vous insultent quand on tient un guichet, le petit chef persécuteur, le cadre harceleur… Il en ressort un affaiblissement évident des capacités d’action collective » [12]

On peur tirer de cette enquête beaucoup de réflexions très importantes quant à la justice et à ce qu’est une société juste. C’est ce qui intéresse prioritairement François Dubet. Je me contenterais de souligner ici qu’elle pointe du doigt un manque de conflictualisation des relations de travail. Celles-ci s’expriment peut trop peu pour pouvoir être reglé de façon satisfaisante. Je rejoins ici Philippe Askenazy lorsqu’il rappelle que le « nouveau productivisme » a reçu une réponse aux Etats-Unis lorsque des associations de la société civile ont pu et su se mobiliser pour obliger les entreprises à changer leur comportement. C’est peut-être de ce côté-là, plus que de l’Etat, que l’on peut attendre une réaction, sous la forme d’un débat public et politique sur ce thème. Reste que l’Etat a peut-être un rôle à jouer pour permettre une telle expression.

4. Pour conclure

Je résume brièvement mon argumentation : la centration du débat public autour de l’image de la grève conduit à esquiver un débat nécessaire sur la qualité des relations de travail en France. Celles-ci ont en effet un effet tout à fait considérable sur la situation socio-économique du pays. De ce point de vue, l’expression du conflit n’est pas un problème, mais plutôt une solution. Résultat qui me semble contre-intuitif.

Je pense que ce qui est remis en cause, ici, c’est le cadre de l’action publique : mon sentiment, pour le dévoiler quelque peu, est que faute d’un diagnostic solide, les mesures proposées, d’un côté comme de l’autre, ont une sérieuse tendance à « frapper à côté »4.

Mon propos ne doit cependant pas être déformé : je ne prétend pas que la multiplication des grèves soit une solution, encore moins la seule, à la situation française. L’expression des conflits, la conflictualisation, peut passer par bien d’autres voies. Ici, la critique sociologique – que j’ai essayé de mener – doit céder le pas à la « critique sociale », dont la fonction est de valoriser un autre ordre, jugé préférable [13], et à l’imagination politique. Bien des voies peuvent être trouvé et certaines sont sans doute à inventer. On sort ici du projet somme toute modeste de ce blog : éclairer les problèmes, laisser ouvertes les solutions.


Quelques remarques supplémentaires.

1 Je n’ai pas un amour débordant pour le site Acrimed, et je me fendrais peut-être de quelques critiques à leur égard. Il n’en reste pas moins que l’article auquel renvoie ce lien est tout à fait intéressant.

2 Il y aurait long à dire sur les limites des enquêtes de valeurs, lesquelles affaiblissent quelques peu, il me semble, les résultats de Thomas Philippon, dont la démarche demeure cependant intéressante. Econoclaste, d’habitude fort vigilant sur les questions de méthode et d’épistémologie, laisse étrangement cette question de côté.

3 Un terrain tout à fait solide pour une telle enquête quantitative.

4 Etant donné que je ne peux présentement me rendre en bibliothèque, je donne des citations d’une interview de Dubet plutôt que de l’ouvrage original.

5 Un sentiment qui ne se limite pas à la question des conflits ou à celle des évolutions du travail. Je pense qu’une partie importante des notes de ce blog tournera autour de ce thème.

Bibliographie :

[1] DARES, « Des conflits du travail plus nombreux et plus diversifiés », 2007

[2] B. Hérault, D. Lapeyronnie, « Le statut et l’identité. Les conflits sociaux et la protestation collective », in O. Galland, Y. Lemel, La société française. Pesanteurs et mutations : le bilan, 2006

[3] V. Le Goaziou, « La classe politique française et les émeutes : une victoire de plus pour l’extrême droite », in L. Mucchielli, V. Le Goaziou, Quand les banlieurs brûlent…, 2006

[4] M. Gollac, S. Volkoff, Les conditions de travail, 2000

[5] L. Boltanski, E. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, 1999

[6] S. Beaud, M. Pialoux, Violences sociales, Violences urbaines, chapitre 1, 2003

[7] P. Askenay, Les désordres du travail. Enquête sur le nouveau productivisme, 2004

[8] T. Philippon, Le capitalisme d’héritiers. La crise française du travail, 2007

[9] G. Simmel, « Le conflit », in Sociologie. Etude des formes de la socialisation, 1908

[10] M. Wieviorka, La violence, 2005

[11] F. Dubet, Injustices. L’expérience des inégalités au travail, 2006

[12] Entretien avec F. Dubet, « La complainte des travailleurs », Sciences Humaines n°179, Février 2007

[13] Sur les rapports entre critique sociologique et critique sociale, cf. Claude Grignon, « Sociologie, expertise et critique sociale », in Bernard Lahire, A quoi sert la sociologie ?, 2002

Pour aller plus loin :

E. Neveu, Sociologie des Mouvements Sociaux, 2005

M. Gollac, S. Volkoff, Les conditions de travail, 2000

11 commentaires:

Anonyme a dit…

très intéressante lecture.
j'attends avec impatience que nous sortions :
1) de l'archaïsme aussi bien de nos syndicats actuels que de notre patronat actuel, l'un englué dans un système désuet et restreint à ses apparatchiks, l'autre ayant perdu toute décence, quitte à se tirer à terme une balle dans le pied.
2) d'une vision du monde patron/salarié largement dépassée : le sous-prolétariat est désormais autant externalisé, "free-lancé", "intérimairisé", voire "stagiairisé", que salarié, ce qui laisse un grand nombre de gens extrêmement précarisés et totalement exclus des formes classiques de solidarité face à l'adversité et au droit de grève.

onyx, paris

Anonyme a dit…

Oui, vraiment, bien intéressante lecture.
J'aurais bien aimé avoir les chiffres entre les grands groupes, le secteur publique et ce secteur tertiaire qui grandit encore et encore.
J'ai l'impression que les syndicats ne se lancent qu'avec l'assurance d'aller loin, et qu'ils ont abandonnés des pans entiers du monde du travail, mais peut-être n'est ce que le reflet de leurs faiblesses ?

Denis Colombi a dit…

Les syndicats constituent en effet l'un des fonds du problème. D'une part, leur faible représentativité les oblige à recourir systématiquement à la grève et à la manifestation pour montrer qu'il y a du monde derrière eux, ce qui en fait un facteur de durcissement des conflits. D'autre part, ils échouent pour l'instant à relayer tous les problèmes du monde du travail.

Le problème est dès lors : comment faire évoluer les syndicats ? On peut certes supprimer le monopole des quelques organisations reconnues. Mais est-ce suffisant ? Je dois dire que, là dessus, je n'ai pas vraiment de réponse. Mais je suis preneur !

Anonyme a dit…

je voudrais savoir si les personnes qui critiquent les syndicats ont déjà essayer de fédérer des salariés/employé au sein de leur entreprises ?

ceux-ci sont le reflet de la réorganisation/perte de lien que les individus choisissent/subissent dans notre société.

il faudrait aussi balayer devant notre porte avant de trouver des coupables.

le jugement n'apporte pas la solution

Anonyme a dit…

Première remarque que j'ai déjà faite à Acrimed : cette étude sur les jours de grève concerne l'ensemble des français.
Hors sur le site de la DARES, les grèves sont à 85 % le fait des fonctionnaires et assimilés (RATP,EDF,SNCF...)

Deuxième remarque : Toujours pour les grèves de fonctionnaires, le luttes de pouvoir et d'influence entre les syndicats ou avec le patronat prennent le pas sur le motif réel de la grève.

Dernière remarque : le service minimum ne concerne que des services de fonctionnaires.

Denis Colombi a dit…

@Anonyme 2 : Pour répondre brièvement à vos trois remarques, dans l'ordre :

1/ Certes, les grèves sont inégalement réparties dans la population. Je pense que cela ne fait que renforcer mon propos : on oublie un peu trop vite que toute une partie de la population n'a pas la possibilité concrète, à cause du chômage et de la situation du marché du travail, d'exprimer correctement ses conflits. Il n'en reste pas moins que le nombre de grève en France est moins important que l'on veut souvent le faire croire.

2/Je ne suis pas sûr de bien comprendre la remarque, et j'aimerais bien que vous citiez une source confirmant cette idée.

3/ Je n'ai pas prétendu le contraire. J'ai pris cela comme prétexte pour m'attaquer à un lieu commun du débat public français. Le problème est justement qu'à trop se centrer sur la grève ou sur les fonctionnaires, on oublie totalement le fond du problème. D'autre part, certaines dispositions comme le vote à bulletin secret et la déclaration individuelle de grève 48h à l'avance, pourraient être étendu au secteur privé.

Anonyme a dit…

Parmi les commentaires de mes prédécesseurs, une question me semble évidente. J'imagine qu'"Une heure de peine" y répondra dans un prochain billet.

Quand est-il des employés du service public? Vrais profiteurs ou parfaits bouc-émissaires?

Il y a là un sacré lieu commun. Et puis pour les syndicats, ce serait intéressant de voir l'état actuel du syndicalisme à une échelle internationale, des expériences ont sans doute étaient déjà mené dans des 'crises' semblables à la nôtre.

Mais sans vouloir être pessimiste, il semble bien que la casse du syndicalisme que Tatcher a si bien réussie en Angleterre soit un exemple pour notre gouvernement actuel.

Anonyme a dit…

Bonjour

Dans le débat sur le service minimum, ne faut-il pas transposer ce qui se dit, (notamment a gauche), sur la... prochaine hausse de TVA ?

"Mesure très injuste: quasi indolore pour les privilégiés, elle frappe durement les faibles revenus..." Une grève de transports publics, n'est-ce pas un peu pareil ?

Plus généralement, nous avons peut être un critère simple pour départager des avis contraires: celui de la réduction des 2 principaux facteurs de crise de notre société: inégalités sociales et gas-pillages...

En quoi le service minimum contribuera-t-il a cette "décroissance"... si souhaitable ?

Par ailleurs, avoir l'avis de "professionnels" est précieux: comment se situe "votre communauté scientifique(*)"... vis a vis de ces thèses (que je résume - surement de travers- par: "Lutter contre l'injustice au travail serait plus efficace/légitime/démocratique que de limiter le droit de grève"...)

En effet, lorsque dans une profession, (par exemple, climatologue), une large majorité partage le même avis... cela confère du poids a ce point de vue. (Par exemple: "Il est certain que l'humanité modifie, de façon irréversible a l'échelle de quelques siècles, la composition chimique de l'atmosphère... Il est très improbable que cela soit sans conséquences sur le climat". voir: http://www.clubdesargonautes.org)

Sur le service minimum, existe-t-il une vue majoritaire parmi les sociologues ?

R. Zaharia http://tinyurl.com/2xbq2y

(*) Meme s'il ne s'agit pas de science... "inhumaine", (comme disait Gerard Megie), celle ou des quasi certitudes sont possibles !

Denis Colombi a dit…

@arzi77 : laissez moi d'abord répondre à la petite pique "science inhumaine"... vous citez le consensus des climatologues sur l'évolution du climat. Fort bien. Savez-vous que ces prévisions sont basés sur des projections de croissance économique, donc sur le travail d'une science humaine et sociale ? La vérité scientifique dans les sciences dites dures et les sciences sociales n'est pas différente : elle n'est valable que parce que falsifiable, au sens de Popper.

Pour le reste, je ne comprend pas la référence à la décroissance dans votre commentaire.

Ensuite, venons en à la question du consensus des sociologues. Il me semble que vous confondez largement deux choses : d'une part, le constat scientifique que l'on peut faire, d'autre part l'action politique. Les sociologues s'accorderont, j'ose le croire, sur le constat que j'ai tenté de dresser : évolutions des conditions du travail, transformation des conflits, conséquence sur le travail et l'emploi. Ce sont là des résultats solides et bien argumenté.

Maintenant, savoir s'il est juste ou injuste de mettre en place un service minimum, c'est une autre affaire, que je n'ai d'ailleurs pas tenté de trancher ! Je me suis contenté de signaler que l'on oublie trop facilement d'autres problèmes importants - je ne pense pas que cette note puisse être prise comme un argumentaire contre le service minimum. Elle se veut plutôt une tentative pour (re)centrer le débat sur un thème trop facilement éclipser. Ce n'est pas aux sociologues de dire ce qui est juste ou injuste. Comme il y a des sociologues de droite et des sociologues de gauche, il n'y aura pas de consensus sur la question - pour la simple et bonne raison que les choix de société sont, justement, des choix et non des nécessités techniques. Il y a d'autres arguments pour et contre le service minium qui renvoient à la légitimité et à la critique sociale, non à la critique sociologique.

C'est la même chose pour les climatologues : il y a un consensus sur l'existence du réchauffement climatique et sur ces causes humaines. Mais le fait de vouloir lutter contre celui-ci n'est pas un résultat scientifique, c'est un choix moral et politique. Et comme dans les sciences sociales, les scientifiques sont souvent d'accord sur le constat, et pas d'accord sur les solutions.

@Adrien Zammit : plusieurs personnes m'ont fait la remarque du rôle des fonctionnaires dans cette histoire. Je pense en effet y revenir prochainement, le temps pour moi de me documenter un peu plus avant.

Par contre, je répète que mon propos dans cette note est de montrer que les conflits du travail dans le privé sont au moins autant un problème, si ce n'est plus, que les grèves dans le public. Et que ce problème est singulièrement peu traité par la sphère politique.

Laurent GUERBY a dit…

Merci pour ce billet et ce blog.

En cherchant sur le site de la DARES j'ai retrouvé le tableau des JINT (Journées Individuelles Non Travaillées) depuis 1975 ici :
Evolution du nombre de JINT depuis 1975 - 49 ko
.

(Un détail : je trouve surprenant que cette série ne soit pas normalisée par le nombre total de journée travaillées, avec l'augmentation de la population active depuis 1975, mais cela ne ferait que renforcer la direction du graphique)

Ma question : ou est-ce qu'on peut trouver des séries comparables pour d'autres pays ?

Merci par avance,

Laurent

Denis Colombi a dit…

@ Laurent : je pense que les chiffres peuvent se trouver sur les services statistiques des différents pays. Je n'ai pas connaissance d'une institution européenne qui concentrerait ces informations - je n'ai rien trouvé sur eurostat, et c'est bien dommage.

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