[Une heure de lecture #6] En attendant la réforme

Comme la note sur le busing et la mixité sociale prend un peu de retard – comme d'habitude, j'étais parti sur un truc simple et court, et je me retrouve à faire un long post, se référant à bien plus de travaux que prévus... - je vais vous reparler un peu de sciences économiques et sociales en signalant quelques liens intéressants.




Commençons par le commencement : Alain Beitone a ouvert un site – Eloge des SES (serait-ce un hommage à mes premiers posts sur le sujet ?) - qui rassemble un certain nombre de ses textes sur les SES. Une source très intéressante pour tous ceux qui cherchent à se faire une opinion sur le sujet : Alain Beitone prend le temps d'argumenter ses différents points de vue et pose souvent des questions intéressantes et importantes. A consulter absolument.


Au passage, Alain Beitone a lancé, durant l'été, un appel pour les SES, intitulé « le rapport Guesnerie et l'avenir des SES ». Sur la base d'une lecture assez proche de la mienne – pour résumer, malgré des passages ambigus et quelques formulations malheureusement, le rapport Guesnerie est d'une toute autre nature que les critiques généralement relayés par la presse – l'appel propose d'utiliser ce rapport pour les discussions futures sur l'avenir des SES, entendu qu'il insiste sur les réussites de cet enseignement et sur sa dimension proprement scientifique. En gros, je préfère que les débats se fasse avec Roger Guesnerie, homme de science, qu'avec Michel Pébereau, nettement moins bien disposé à notre égard. J'ai donc naturellement signé le texte, comme un nombre significatif de mes collègues et d'universitaires, économistes, politistes et sociologues de toutes tendances.


J'en profite pour faire quelques remarques complémentaires. J'avais, dans ma note de lecture du rapport Guesnerie, posé la question de l'utilisation des rapports comme méthode politique. Je ne peux que reprendre ici cette critique : un rapport est sorti et on ne sait toujours pas ce qu'il va en ressortir. D'une part, le principe même d'une commission pose problème, dans la mesure où il n'est pas si facile d'en faire ressortir une position commune lorsque ses membres sont trop éloignés les uns des autres. D'autre part, la lecture du rapport devient elle-même un enjeu, ce qui donne un poids beaucoup trop important à la presse et donc aux acteurs qui ont des liens forts avec celle-ci – « leurs entrées » comme on dit. L'appel lancé par Alain Beitone, mais qui ne lui appartient plus vraiment au vu de la liste des signataires, s'inscrit dans ce contexte : il s'agit d'une tentative d'influencer l'interprétation du rapport. La multiplication des pétitions a sans doute à voir avec ce phénomène de gouvernement par les rapports et les commissions.


Sur ce même thème, le journal du MAUSS – le Mouvement Anti-Utilitariste en Sciences Sociales – a publié plusieurs contributions à propos des SES. Même si j'avoue ne pas avoir de sympathie scientifique particulière pour les options prônés par le MAUSS, en particulier sur sa normativité revendiquée, il me semble nécessaire de les signaler : « Le rapport Guesnerie et la liquidation des SES » de Christian Laval, dont le côté intransigeant souligne bien l'enjeu d'interprétation que j'évoquais précédemment, « Reflexions autour du "rapport Guesnerie" pour un avenir radieux des SES », de Sylvain Dzimira, qui s'interroge sur le croisement des regards économiques et sociologiques, et une correspondance entre Alain Beitone et François Vatin que je n'ai pas fini de lire mais qui me semble de la plus haute importance.


Le texte proposé par Christian Laval, qui ne m'a pas franchement convaincu, se termine en évoquant la résistance possible des élèves, des parents et des citoyens à la « liquidation » des SES. Je ne peux qu'être sceptique : Xavier Darcos annonce une véritable tempète sur l'éducation nationale, et les élèves, parents et citoyens risquent d'avoir bien d'autres choses à sauver en plus des SES, et il leur faudra faire des choix... Les enseignants de SES doivent donc commencer par compter sur eux-mêmes et sur leur capacité à convaincre. Certains seront aussi, peut-être, tenté d'attendre 2012 pour sanctionner politiquement et de façon globale les véritables artisans de la réforme qui vient, ce qui autorise à une attitude aussi intransigeante que possible d'ici là. Mauvais calcul à mon avis lorsqu'on garde en tête l'expression célèbre d'un certain économiste : « à long terme, nous serons tous morts ». La sauvegarde des SES se joue malheureusement ici et maintenant, pas dans un hypothétique avenir dont, incertitude radicale oblige, nous ne savons que bien peu de choses. A tous ceux qui ont quelques attachements à un enseignement de sociologie et d'économie rigoureux et scientifique, c'est maintenant que les choses se jouent : restons donc vigilant.


1 commentaires:

Unknown a dit…

"Quand je veux enterrer un problème, je crée une commission" disait Clémenceau. Il y a belle lurette que la création de commission s'est érigée en stratégie politique. Le Président actuel et son gouvernement sont assez coutumier du fait. Des exemples de bonnes intentions détournées, on en a des tonnes.

Personnellement je juge que c'est peine perdue de chercher à influencer l'interprétation du rapport. A quoi bon ? Pour convaincre qui ? Je ne comprends pas trop pourquoi tu dis préférer négocier avec Guesnerie plutôt que Pébereau. De toutes façons, Darcos, Pébereau, Etienne et bien d'autres se réclament du rapport Guesnerie. Il faut passer à un autre combat.

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