Lui : Allô, mec ?
Moi : Tagazok, gars.
Lui : Dis, faut qu'on reparle de ces histoires d'humour et tout.
Moi : Ah, ben, ça tombe bien, je me suis justement retiré dans un fjord perdu de la Norvège pour réfléchir au sens des propositions humoristiques.
Lui : ...
Moi : Bon, d'accord, je suis juste occupé à ré-exploser Ganondorf. C'est quoi le problème ?
Lui : J'ai discuté avec mes potes, et ils sont pas convaincus par ton truc. Ils disent que tu as rien dis sur le second degré. Tu sais, le fait de dire quelque chose alors qu'on le pense pas.
Moi : Pourtant on en a parlé de ça.
Lui : Oui, mais du second degré ?
Moi : C'est peut-être que ce n'est pas ça, en fait, le second degré. T'es assis ?
Lui : Il faut quand même que tu reconnaisses ça : une partie de l'humour repose sur le fait de dire des choses que l'on ne pense pas.
Moi : Est-ce que c'est ainsi que tu définis le second degré ?
Lui : Bien sûr ! En fait, l'humour se base toujours sur un décalage. Tu vois quelqu'un marcher dans la rue, il glisse sur une peau de banane : c'est drôle.
Moi : Oui, et c'est même d'autant plus drôle que le décalage est fort : si c'est un clown, c'est finalement moins drôle que si c'est un cardinal.
Lui : Voilà. Et le second degré, ça repose là-dessus : il y a un décalage entre ce que tu dis et ce que tu penses, et donc c'est drôle.
Moi : Je pense qu'il va falloir que tu donnes un exemple.
Lui : Ben, regarde, on m'a envoyé ça l'autre jour :
Tu vois, il y a une référence à l'homosexualité. Mais on ne croit pas vraiment au fait que les homosexuels sont comme ça, ou que le personnage est vraiment homosexuel. Ou même que tous les hommes qui sont amoureux sont homosexuels. C'est du second degré.
Moi : D'accord. Alors, dis-moi, si je te dis "rouge", est-ce que c'est du second degré ?
Lui : Hein ?
Moi : Parce que je pense "bleu" en fait.
Lui : Ahah. Tu es drôle. Il faut que ça ait une vocation humoristique : c'est la rupture, le décalage qui compte.
Moi : Pourtant, il y a bien un décalage de même type dans ma blague : un décalage entre ce que je dis et ce que je pense. Donc peut-être que tout décalage n'est pas humoristique. En fait, il peut même être tragique. Mais supposons que je dise : "c'est l'Infanterie Mobile qui a fait de moi l'Homme que je suis aujourd'hui". Est-ce que tu trouves ça drôle ?
Lui : Pas trop non.
Moi : Pourtant, je pense l'inverse. Mais si je le dis, est-ce que tu comprends que je pense l'inverse ?
Lui : Ben non, mais si je sais que tu ne le penses pas, je peux trouver ça drôle. Et puis rien que l'idée que tu aies fait l'armée...
Moi : Touché. Mais restons concentrés. Si le fait que je ne le pense pas est drôle, pourquoi c'est drôle ?
Lui : Ben, je te l'ai dit, pour le décalage entre ce que tu dis et ce que tu penses.
Moi : Voilà un premier problème : pris ainsi, ta définition du second degré demande à ce que l'on sache ce que la personne pense. Le problème, c'est que l'on sait rarement ce que l'autre pense. Et puis les intentions ont peu à voir avec l'action.
Lui : Comment ça ?
Moi : Si je te frappe sans intention de te blesser, pour rigoler, est-ce que tu as moins mal ?
Lui : Je suppose que non.
Moi : Donc les intentions ne nous disent pas tout de l'humour, loin de là. Mais je te pose une autre question : quelle est la différence entre ce que tu appelles "second degré" et la blague de l'homme qui marche sur une peau de banane ?
Lui : Je ne comprends pas.
Moi : En quoi est-ce que ton « second degré » est une forme spécifique d'humour ? Si le gag repose sur le fait que je dis quelque chose alors que je ne le pense pas, on est plus proche de la farce : l'humour viendra de la révélation du décalage entre mon propos et ma pensée. Ce n'est pas du deuxième degré.
Lui : D'accord, mais bon, c'est drôle quand même non ?
Moi : Ca dépend du contenu, mais ça ne le devient qu'à partir du moment où tu révèles le décalage : dans le test de Console+ dont on parlait la dernière fois, il n'y a rien de tel. Le décalage ne provient pas de la distance entre ce qui est pensé et ce qui est dit, mais de l’exagération de certains traits prêtés aux femmes. Autrement dit, il repose aussi sur un décalage, mais un décalage qui prétend dire quelque chose du réel.
Lui : Bon, d'accord, ça, on en déjà parlé : c'est un humour qui fonctionne sur le "it's funny because it's true".
Moi : Et la question n'est pas de savoir si c'est ou non de l'humour, mais de savoir quel usage on fait de l'humour : et ici, dans ton exemple, il est mauvais parce qu'il fait de l'homosexualité une insulte.
Lui : Mais on ne le pense pas !
Moi : Oui, mais on en déjà parlé : cela peut blesser des gens qui n'ont pas envie de servir d'insultes ou de moqueries, et cela les exclut de fait. Tu peux faire l'humour que tu veux, mais tu peux aussi réfléchir à ce qu'il fait aux autres, non ?
Lui : Bon, mais si c'est pas du second degré, c'est quoi, pour toi, le second degré ?
Moi : Pour le comprendre, il faut partir de cette question : qu'est-ce qu'une blague ?
Lui : Quelque chose de drôle.
Moi : D'accord, ou quelque chose qui prétend l'être. Mais comment ça fonctionne ?
Lui : Ben, ça peut être une histoire, ou une situation, un récit...
Moi : Exact. Disons qu'une blague est constituée de plusieurs éléments, de plusieurs propositions. Des propositions comme "c'est l'Infanterie Mobile qui a fait de moi l'Homme que je suis aujourd'hui". On pourrait la noter P, et noter les autres propositions A, B, C, etc. Une blague devient alors l'arrangement entre un certain nombre de propositions.
Lui : Tu te compliques la vie.
Moi : En fait, je la simplifie. Les blagues sont compliquées et singulières, et il est plus simple de réfléchir sur un cas général. Du reste, c'est grosso modo ce que font les logiciens.
Lui : La logique dans l'humour ?
Moi : Les logiciens ont beaucoup d'humour. Revenons à ma proposition P. Quel est son sens ?
Lui : Tu l'as dit : "c'est l'Infanterie Mobile qui a fait de moi l'Homme que je suis aujourd'hui".
Moi : Mais qu'est-ce que ça veut dire ?
Lui : Je ne sais pas. Que tu as fait l'infanterie mobile et que ça t'a changé ?
Moi : En un sens oui. Mais cela est très vague : en fait, le sens dépend très largement des autres éléments de la blague. Tiens, regarde cet extrait de Starship Troopers, un modèle du second degré : la proposition P y est utilisée à 8'30.
Lui : D'accord, on retrouve bien le décalage non ? Entre le fait de dire ta proposition P et la situation du personnage.
Moi : Oui, mais tu vois la différence ? La phrase prend un sens différent de son sens premier. C'est ça le second degré.
Lui : Et dans mon exemple alors ?
Moi : Dans ton exemple, il n'y a aucun élément qui vient modifier le sens de la proposition centrale, celle que tu ne penses pas. Il n'y a aucun élément qui vient transformer le "ultragay" pour lui donner un autre sens qu'une insulte. Peut-être une insulte par exagération, mais une insulte quand même.
Lui : Des éléments ?
Moi : Dans Starship Troopers, c'est par exemple les jambes manquantes du personnage. Mais tout le film fonctionne sur ce principe là : toutes les propositions de nature fasciste, militariste ou totalitaire sont déconstruites par des éléments qui viennent en modifier le sens. Dans la séquence d'ouverture, la propagande est confrontée à la réalité de la guerre, ce qui en transforme complètement le sens. Voilà du "second degré" qui mérite son nom : on faut bien apparaître un deuxième sens aux phrases "que l'on ne pense pas".
Lui : Tu es sûr que c'est un bon exemple ? Il y a plein de gens qui pensent que c'est effectivement un film fasciste.
Moi : Certes. Mais tu peux facilement leur pointer les éléments qui font le décalage. Ils peuvent ensuite ne pas trouver cet humour drôle ou penser que la blague est ratée, mais le sens des propositions est bien modifié par les éléments du film.
Lui : Et le test dans Console+ alors ?
Moi : On ne peut en aucun cas le qualifier de second degré. Où sont les éléments qui permettent de modifier, dans un sens où dans l'autre, le sens des propositions sexistes qui font la réponse que tu trouvais si drôle ? Il n'y en a pas. L'humour repose tout entier sur l'acceptation du sens des propositions, pas sur leur modification. En cela, on ne peut dire que c'est une prise de distance, ou qu'il s'agit de se moquer d'un stéréotype : il s'agit bien de rire du stéréotype en tant que tel et non de son caractère de stéréotype.
Lui : Et le fait qu'on ne "le pense pas", ça ne peut pas être un élément qui modifie le sens de la proposition alors ?
Moi : Non, pas vraiment : si je te dis "bleu" alors que je pense "rouge", cela ne suffit pas à modifier le sens de "bleu". Tu peux savoir, parce que tu me connais, que je ne pense pas "bleu", mais il n'y a pas de "second degré". Et faire passer ça pour une dénonciation est malhonnête.
Lui : Mais alors il y a beaucoup de gens qui disent faire du second degré alors que ce n'est pas le cas, non ?
Moi : Énormément. En fait, l'argument du "second degré" est la plupart du temps utilisé pour repousser les critiques éventuelles : interdiction de dire quoique ce soit parce que c'est du "second degré". Et comme dans la définition que tu as donnée, il faut se fier à ce que l'humoriste a dans la tête... Et ce d'autant plus que critiquer, c'est prendre le risque de passer pour "trop bête pour comprendre le second degré". C'est un peu l'histoire des habits neufs de l'empereur : la référence au "second degré" cache en fait à la fois le désir de ne pas être remis en question et celui d'une certaine distinction.
Lui : De la distinction, carrément ?
Moi : Bien sûr. Tout ce que je t'ai déjà dit sur l'humour comme arme d'exclusion est toujours valable, même encore plus lorsque l'on se tourne vers le soi-disant "second degré". La référence au second degré, ce n'est jamais qu'un signe de "bonne volonté culturelle", d'un désir de rapport savant à l'humour. Le cynisme, l'humour noir et le "politiquement incorrect" en font partie. C'est l'humour des dandys : la plus grande peur que l'on ait, c'est de passer pour un gros beauf. C'est pour ça que la critique de l'humour est aussi délicate : parce que les gens ont très peur de découvrir qu'ils ne rient pas des bonnes choses. Tu noteras d'ailleurs que l'on critique l'humour, les gens protestent moins parce que tu leur dit que leur blague tombe à plat que parce que tu leur dis que leur humour n'est pas le bon. C'est que ce qui est en jeu n'est jamais "est-ce que c'est drôle ou pas drôle" mais "est-ce que c'est drôle pour les bonnes raisons. L'appel au "second degré" est une manière de dire que l'on rit pour de bonnes raisons.
Lui : Et toi, alors, en disant tout ça, tu ne cherches pas à te distinguer ?
Moi : Si, bien sûr. Mais se distinguer, ce n'est pas mal en soi. Se servir de l'humour pour exclure non plus. Du moment que l'on sait qui on exclut, ou plutôt qui on sanctionne. Je suis d'une banalité sidérante en fait : "corriger par le rire", je ne suis pas le premier à le dire.
Lui : Et donc tu sais de quoi il est bon de rire ou de ne pas rire.
Moi : J'ai envie de te dire "comme tout le monde". Tout le monde a un avis là-dessus. Il est juste dommage de voir des gens pleurer dès qu'on critique leur humour, surtout s'ils crient à la censure et en appellent à la liberté d'expression. Car personne ne les empêche de faire des blagues de merde. Mais la liberté d'expression garantit aussi qu'on peut leur dire qu'ils ne sont pas drôles, et elle ne les dispense pas de réfléchir aux conséquences de leurs propos. Une fois de plus, avec l'humour, tu peux blesser : c'est une arme. Je ne peux pas t'obliger à ne pas rire de ce que je considère indigne, comme je ne peux pas t'empêcher de jouer au foot avec grenade. Je peux juste te dire "fais attention à ce que tu fais".
Lui : Mouais...
Moi : Bon, si ça, c'est réglé, je peux reprendre ma partie ?
Lui Ouais, ouais... Dis, je reviendrai à un moment donné ?
Moi : J'en sais rien. Si j'ai encore besoin d'une projection mentale d'un adversaire rhétorique pour faciliter mon écriture en reprenant des positions que j'ai pu avoir par le passé, je te fais signe, promis.
Lui : Cool.
Note : Une fois de plus, ce dialogue, bien qu'inspiré de faits réels, est fictif : je ne m'arrête jamais au milieu d'un boss.
Moi : Tagazok, gars.
Lui : Dis, faut qu'on reparle de ces histoires d'humour et tout.
Moi : Ah, ben, ça tombe bien, je me suis justement retiré dans un fjord perdu de la Norvège pour réfléchir au sens des propositions humoristiques.
Lui : ...
Moi : Bon, d'accord, je suis juste occupé à ré-exploser Ganondorf. C'est quoi le problème ?
Lui : J'ai discuté avec mes potes, et ils sont pas convaincus par ton truc. Ils disent que tu as rien dis sur le second degré. Tu sais, le fait de dire quelque chose alors qu'on le pense pas.
Moi : Pourtant on en a parlé de ça.
Lui : Oui, mais du second degré ?
Moi : C'est peut-être que ce n'est pas ça, en fait, le second degré. T'es assis ?
Lui : Il faut quand même que tu reconnaisses ça : une partie de l'humour repose sur le fait de dire des choses que l'on ne pense pas.
Moi : Est-ce que c'est ainsi que tu définis le second degré ?
Lui : Bien sûr ! En fait, l'humour se base toujours sur un décalage. Tu vois quelqu'un marcher dans la rue, il glisse sur une peau de banane : c'est drôle.
Moi : Oui, et c'est même d'autant plus drôle que le décalage est fort : si c'est un clown, c'est finalement moins drôle que si c'est un cardinal.
Lui : Voilà. Et le second degré, ça repose là-dessus : il y a un décalage entre ce que tu dis et ce que tu penses, et donc c'est drôle.
Moi : Je pense qu'il va falloir que tu donnes un exemple.
Lui : Ben, regarde, on m'a envoyé ça l'autre jour :
Tu vois, il y a une référence à l'homosexualité. Mais on ne croit pas vraiment au fait que les homosexuels sont comme ça, ou que le personnage est vraiment homosexuel. Ou même que tous les hommes qui sont amoureux sont homosexuels. C'est du second degré.
Moi : D'accord. Alors, dis-moi, si je te dis "rouge", est-ce que c'est du second degré ?
Lui : Hein ?
Moi : Parce que je pense "bleu" en fait.
Lui : Ahah. Tu es drôle. Il faut que ça ait une vocation humoristique : c'est la rupture, le décalage qui compte.
Moi : Pourtant, il y a bien un décalage de même type dans ma blague : un décalage entre ce que je dis et ce que je pense. Donc peut-être que tout décalage n'est pas humoristique. En fait, il peut même être tragique. Mais supposons que je dise : "c'est l'Infanterie Mobile qui a fait de moi l'Homme que je suis aujourd'hui". Est-ce que tu trouves ça drôle ?
Lui : Pas trop non.
Moi : Pourtant, je pense l'inverse. Mais si je le dis, est-ce que tu comprends que je pense l'inverse ?
Lui : Ben non, mais si je sais que tu ne le penses pas, je peux trouver ça drôle. Et puis rien que l'idée que tu aies fait l'armée...
Moi : Touché. Mais restons concentrés. Si le fait que je ne le pense pas est drôle, pourquoi c'est drôle ?
Lui : Ben, je te l'ai dit, pour le décalage entre ce que tu dis et ce que tu penses.
Moi : Voilà un premier problème : pris ainsi, ta définition du second degré demande à ce que l'on sache ce que la personne pense. Le problème, c'est que l'on sait rarement ce que l'autre pense. Et puis les intentions ont peu à voir avec l'action.
Lui : Comment ça ?
Moi : Si je te frappe sans intention de te blesser, pour rigoler, est-ce que tu as moins mal ?
Lui : Je suppose que non.
Moi : Donc les intentions ne nous disent pas tout de l'humour, loin de là. Mais je te pose une autre question : quelle est la différence entre ce que tu appelles "second degré" et la blague de l'homme qui marche sur une peau de banane ?
Lui : Je ne comprends pas.
Moi : En quoi est-ce que ton « second degré » est une forme spécifique d'humour ? Si le gag repose sur le fait que je dis quelque chose alors que je ne le pense pas, on est plus proche de la farce : l'humour viendra de la révélation du décalage entre mon propos et ma pensée. Ce n'est pas du deuxième degré.
Lui : D'accord, mais bon, c'est drôle quand même non ?
Moi : Ca dépend du contenu, mais ça ne le devient qu'à partir du moment où tu révèles le décalage : dans le test de Console+ dont on parlait la dernière fois, il n'y a rien de tel. Le décalage ne provient pas de la distance entre ce qui est pensé et ce qui est dit, mais de l’exagération de certains traits prêtés aux femmes. Autrement dit, il repose aussi sur un décalage, mais un décalage qui prétend dire quelque chose du réel.
Lui : Bon, d'accord, ça, on en déjà parlé : c'est un humour qui fonctionne sur le "it's funny because it's true".
Moi : Et la question n'est pas de savoir si c'est ou non de l'humour, mais de savoir quel usage on fait de l'humour : et ici, dans ton exemple, il est mauvais parce qu'il fait de l'homosexualité une insulte.
Lui : Mais on ne le pense pas !
Moi : Oui, mais on en déjà parlé : cela peut blesser des gens qui n'ont pas envie de servir d'insultes ou de moqueries, et cela les exclut de fait. Tu peux faire l'humour que tu veux, mais tu peux aussi réfléchir à ce qu'il fait aux autres, non ?
Lui : Bon, mais si c'est pas du second degré, c'est quoi, pour toi, le second degré ?
Moi : Pour le comprendre, il faut partir de cette question : qu'est-ce qu'une blague ?
Lui : Quelque chose de drôle.
Moi : D'accord, ou quelque chose qui prétend l'être. Mais comment ça fonctionne ?
Lui : Ben, ça peut être une histoire, ou une situation, un récit...
Moi : Exact. Disons qu'une blague est constituée de plusieurs éléments, de plusieurs propositions. Des propositions comme "c'est l'Infanterie Mobile qui a fait de moi l'Homme que je suis aujourd'hui". On pourrait la noter P, et noter les autres propositions A, B, C, etc. Une blague devient alors l'arrangement entre un certain nombre de propositions.
Lui : Tu te compliques la vie.
Moi : En fait, je la simplifie. Les blagues sont compliquées et singulières, et il est plus simple de réfléchir sur un cas général. Du reste, c'est grosso modo ce que font les logiciens.
Lui : La logique dans l'humour ?
Moi : Les logiciens ont beaucoup d'humour. Revenons à ma proposition P. Quel est son sens ?
Lui : Tu l'as dit : "c'est l'Infanterie Mobile qui a fait de moi l'Homme que je suis aujourd'hui".
Moi : Mais qu'est-ce que ça veut dire ?
Lui : Je ne sais pas. Que tu as fait l'infanterie mobile et que ça t'a changé ?
Moi : En un sens oui. Mais cela est très vague : en fait, le sens dépend très largement des autres éléments de la blague. Tiens, regarde cet extrait de Starship Troopers, un modèle du second degré : la proposition P y est utilisée à 8'30.
Lui : D'accord, on retrouve bien le décalage non ? Entre le fait de dire ta proposition P et la situation du personnage.
Moi : Oui, mais tu vois la différence ? La phrase prend un sens différent de son sens premier. C'est ça le second degré.
Lui : Et dans mon exemple alors ?
Moi : Dans ton exemple, il n'y a aucun élément qui vient modifier le sens de la proposition centrale, celle que tu ne penses pas. Il n'y a aucun élément qui vient transformer le "ultragay" pour lui donner un autre sens qu'une insulte. Peut-être une insulte par exagération, mais une insulte quand même.
Lui : Des éléments ?
Moi : Dans Starship Troopers, c'est par exemple les jambes manquantes du personnage. Mais tout le film fonctionne sur ce principe là : toutes les propositions de nature fasciste, militariste ou totalitaire sont déconstruites par des éléments qui viennent en modifier le sens. Dans la séquence d'ouverture, la propagande est confrontée à la réalité de la guerre, ce qui en transforme complètement le sens. Voilà du "second degré" qui mérite son nom : on faut bien apparaître un deuxième sens aux phrases "que l'on ne pense pas".
Lui : Tu es sûr que c'est un bon exemple ? Il y a plein de gens qui pensent que c'est effectivement un film fasciste.
Moi : Certes. Mais tu peux facilement leur pointer les éléments qui font le décalage. Ils peuvent ensuite ne pas trouver cet humour drôle ou penser que la blague est ratée, mais le sens des propositions est bien modifié par les éléments du film.
Lui : Et le test dans Console+ alors ?
Moi : On ne peut en aucun cas le qualifier de second degré. Où sont les éléments qui permettent de modifier, dans un sens où dans l'autre, le sens des propositions sexistes qui font la réponse que tu trouvais si drôle ? Il n'y en a pas. L'humour repose tout entier sur l'acceptation du sens des propositions, pas sur leur modification. En cela, on ne peut dire que c'est une prise de distance, ou qu'il s'agit de se moquer d'un stéréotype : il s'agit bien de rire du stéréotype en tant que tel et non de son caractère de stéréotype.
Lui : Et le fait qu'on ne "le pense pas", ça ne peut pas être un élément qui modifie le sens de la proposition alors ?
Moi : Non, pas vraiment : si je te dis "bleu" alors que je pense "rouge", cela ne suffit pas à modifier le sens de "bleu". Tu peux savoir, parce que tu me connais, que je ne pense pas "bleu", mais il n'y a pas de "second degré". Et faire passer ça pour une dénonciation est malhonnête.
Lui : Mais alors il y a beaucoup de gens qui disent faire du second degré alors que ce n'est pas le cas, non ?
Moi : Énormément. En fait, l'argument du "second degré" est la plupart du temps utilisé pour repousser les critiques éventuelles : interdiction de dire quoique ce soit parce que c'est du "second degré". Et comme dans la définition que tu as donnée, il faut se fier à ce que l'humoriste a dans la tête... Et ce d'autant plus que critiquer, c'est prendre le risque de passer pour "trop bête pour comprendre le second degré". C'est un peu l'histoire des habits neufs de l'empereur : la référence au "second degré" cache en fait à la fois le désir de ne pas être remis en question et celui d'une certaine distinction.
Lui : De la distinction, carrément ?
Moi : Bien sûr. Tout ce que je t'ai déjà dit sur l'humour comme arme d'exclusion est toujours valable, même encore plus lorsque l'on se tourne vers le soi-disant "second degré". La référence au second degré, ce n'est jamais qu'un signe de "bonne volonté culturelle", d'un désir de rapport savant à l'humour. Le cynisme, l'humour noir et le "politiquement incorrect" en font partie. C'est l'humour des dandys : la plus grande peur que l'on ait, c'est de passer pour un gros beauf. C'est pour ça que la critique de l'humour est aussi délicate : parce que les gens ont très peur de découvrir qu'ils ne rient pas des bonnes choses. Tu noteras d'ailleurs que l'on critique l'humour, les gens protestent moins parce que tu leur dit que leur blague tombe à plat que parce que tu leur dis que leur humour n'est pas le bon. C'est que ce qui est en jeu n'est jamais "est-ce que c'est drôle ou pas drôle" mais "est-ce que c'est drôle pour les bonnes raisons. L'appel au "second degré" est une manière de dire que l'on rit pour de bonnes raisons.
Lui : Et toi, alors, en disant tout ça, tu ne cherches pas à te distinguer ?
Moi : Si, bien sûr. Mais se distinguer, ce n'est pas mal en soi. Se servir de l'humour pour exclure non plus. Du moment que l'on sait qui on exclut, ou plutôt qui on sanctionne. Je suis d'une banalité sidérante en fait : "corriger par le rire", je ne suis pas le premier à le dire.
Lui : Et donc tu sais de quoi il est bon de rire ou de ne pas rire.
Moi : J'ai envie de te dire "comme tout le monde". Tout le monde a un avis là-dessus. Il est juste dommage de voir des gens pleurer dès qu'on critique leur humour, surtout s'ils crient à la censure et en appellent à la liberté d'expression. Car personne ne les empêche de faire des blagues de merde. Mais la liberté d'expression garantit aussi qu'on peut leur dire qu'ils ne sont pas drôles, et elle ne les dispense pas de réfléchir aux conséquences de leurs propos. Une fois de plus, avec l'humour, tu peux blesser : c'est une arme. Je ne peux pas t'obliger à ne pas rire de ce que je considère indigne, comme je ne peux pas t'empêcher de jouer au foot avec grenade. Je peux juste te dire "fais attention à ce que tu fais".
Lui : Mouais...
Moi : Bon, si ça, c'est réglé, je peux reprendre ma partie ?
Lui Ouais, ouais... Dis, je reviendrai à un moment donné ?
Moi : J'en sais rien. Si j'ai encore besoin d'une projection mentale d'un adversaire rhétorique pour faciliter mon écriture en reprenant des positions que j'ai pu avoir par le passé, je te fais signe, promis.
Lui : Cool.
Note : Une fois de plus, ce dialogue, bien qu'inspiré de faits réels, est fictif : je ne m'arrête jamais au milieu d'un boss.
19 commentaires:
Si j'ai bien compris, si je pars du principe que la majorité des gens sur Internet sont des "gens biens" alors lorsque je rencontre de l'humour sexiste j'aurai tendance à penser qu'il s'agit de 2nd degré. Toi qui pense que l'humanité est pourrie jusqu'à la moelle, tu verras ça comme du 1er degré et ça renforcera ta preconception sur le genre humain.
Vous n'avez strictement rien compris au billet. Je doute même que vous l'ayez lu tant votre commentaire est à côté de la plaque.
Je me disais bien... S'arrêter alors que tu es en train de te farcir Gannondorf, faut pas pousser... Oui, c'est ce que j'ai retenu de l'article!
Bonjour,
Votre dialogue sur l'humour et le second degrés est assez édifiant et plein de bon sens.
Je me permet de faire deux remarques :
1) Dommage qu'il n'y est pas de référence à Bergson, je veux dire en dehors de la peau de banane: car il définit assez bien la "méchanceté" que l'on peut retrouver dans le rire. Mais votre propos reste on ne peux plus clair.
2) Dans votre exemple "ultragay" il y a des éléments de décalage, bien que vous ne les souleviez pas, et ceux pour mieux appuyer votre propos, par exemple: L'air un peu niais du jeune homme, le fait que se soit des images détournées, le phoque qui fait bonne enfant, le fait qu'il parle de "boob" et non de "chest" et puis après de "heart" ce qui crée un décalage avec un discours véritablement courtois.
Bref c'est de l'humour sur le dos des gentil garçon... Et surement sur celui des gays...
Bonne continuation
baaberith
Cela me fait penser à ce billet de blog de (l'excellent) Gérard Noiriel :
http://noiriel.over-blog.com/article-salut-la-vranze-a-propos-de-l-accent-d-eva-joly-97799951.html
Question subsidiaire : pourquoi ma femme rit-elle aux gags sexistes d'Un gars une fille ?
Anonyme> C'est effectivement de l'humour sur le dos des gentils garçons et des "bons sentiments", le problème vient du fait que d'une part on utilise le mot "gay" comme une insulte et que d'autre part, on renforce le stéréotype de l'individu gay gentil/fragile/niais.
"Tragedy is when I cut my finger. Comedy is when you walk into an open sewer and die."
Mel Brooks
@ Anonyme - Ce que vous décrivez sont des éléments qui indiquent qu'il s'agit d'humour mais pas qu'il s'agit de second degré (aucun de ces éléments ne remet en cause le fait que "ahah il faut être une pédale pour être davantage sensibles aux sentiments qu'un tour de poitrine, re ahah")
Chapeau pour cet article ! Je suis tout à fait d’accord quand vous dites « dans le test de Console+ dont on parlait la dernière fois (…) le décalage ne provient pas de la distance entre ce qui est pensé et ce qui est dit, mais de l’exagération de certains traits prêtés aux femmes ». Puis qu’il y a une différence entre rire du stéréotype en tant que tel et rire de son caractère de stéréotype. Effectivement, un vrai second degré donne toujours des indices qui montrent que la proposition a un sens contraire au premier degré. J'ajouterai : ou alors on connaît suffisamment l'auteur qui du coup nous avait déjà donné des indices qu'il pense le contraire auparavant, d’une manière directe ou indirecte. Bref j’arrête ici, je ne peux que continuer à répéter bêtement ce que vous avez déjà dit :)
Il ne faut pas confondre l'ironie avec le sarcasme ou la dérision. L'ironie est un domaine très vaste, susceptible d'être utilisé en comédie comme en tragédie.
L'avant-dernière phrase de Rudi m'a fait penser à un élément du discours qu'on a tendance à négliger : le positionnement du locuteur. Autrement dit, d'où l'on parle.
En matière d'humour, c'est pareil, il est important de savoir d'où l'on rigole.
Un des talents de Desproges est d'avoir savamment construit son positionnement humoristique, à partir duquel il a pu sortir des trucs comme "On me dit que des Juis se sont glissés dans la salle. Vous pouvez rester." et de continuer avec des blagues sur les Juifs sans jamais être accusé d'antisémitisme (bon, en plus de ça, il maniait l'outrance, l'hyperbole ironique, avec une précision d'horloger).
Merci pour le second billet !
Du coup, cas pratique sur le "Ultra Gay".
Tout d'abord disons que seul, derrière mon écran la blague ne fait pas plus rire que cela, toutefois après un temps.... elle me rappelle une situation, situation qui m'avait fait rire, et donc par ce souvenir me fait indirectement rire à nouveau.
Cette situation, c'est celle de l'insulte "gay" lancé envers un personnage trop sensible ou généreux ou tout simplement bon, avec comme audience un ami (nous sommes deux hommes). Ce qui est drôle, c'est la mauvaise foi rageuse qu'il y a derrière l'insulte et qui dit en substance "je n'aurai certainement pas un comportement aussi bon que ce personnage, du coup, plutôt que de reconnaitre ma faiblesse et sa force, je questionne sa sexualité en utilisant un cliché ouvertement idiot et macho".
Le ton utilisé dans l'insulte, le caractère évident du cliché font que mon ami rit non pas de la personne insulté mais de ma mauvaise foi affichée et de la violence excessive que j'utilise pour me défendre. Bref, on rigole de notre bêtise.
Une fois cela remémoré, le montage "Ultragay" devient pour moi une référence à toute cette communauté de personnes qui utilisent cette blague de l'insulte "gay" pour mettre en avant leur propre faiblesse.
Est-ce blessant pour les gays ? Je ne sais sincèrement pas. Ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas l'objectif. Est-ce beauf ? Je ne sais pas non plus...
@ Tetris - Je vois, c'est du type "c'est pas possible il est gay !" pour décrire positivement qu'un mec a des qualités qui dans les clichés ne devraient pas être des propriétés masculines. Mais je ne suis pas convaincu que cela remette en cause le double cliché / "comment sont les gays" / "comment sont les vrais mecs". (nb il m'arrive de rire à ce genre de choses donc le sens de mon intervention n'est pas de dénigrer votre commentaire).
Sinon pour la blague de l'insulte Gay sur ce poste c'est "pire" si on peut dire car on ne connaît pas l'auteur donc on n'a aucun signe de second degré.
@ Tetris : je pense que l'audience compte beaucoup dans la blague et son caractère potentiellement blessant.
Oui, évidemment qu'une telle blague est blessante envers les gays. C'est pour ça qu'une blague en vadrouille sur internet est gênante car blessante potentiellement pour des gays,beaucoup de gays.
Fiction : dans ta situation, ton ami est gay mais ne vous l'a jamais dit. Rirait-il pareil ? Se forcerait-il à rire pour ne pas avoir l'air à coté de la plaque ? Probablement. Se sentirait-il blessé, exclu, gêné ? Probablement. Oserait-il alors vous faire son coming-out, ce sur quoi il hésitait depuis longtemps ? Difficile...
Voilà pourquoi je pense que les blagues sur les gays et lesbiennes en particulier sont très sensibles.
Tout ça pour dire que je suis d'accord que les gens avec qui on rit sont importants, et j'ai l'impression que ça vaut beaucoup pour les blagues sur les communauté discriminées. Quand elle viennent de la catégorie des discriminants, elles ne peuvent qu'être prises comme une insulte par les discriminé-e-s. Une forme de mainsplaining, qu'on pourrait décliner pour tous-tes les discriminé-e-s.
@Denis Colombi : la question qui me reste est celle la réappropriation de l'humour par les discriminés, qui est une forme de second degré. Des femmes, des féministes qui font des blagues sexistes entre elles, en reprenant des clichés qu'elles dénoncent, idem pour les gays, lesbiennes, noirs, etc. Je me demande dans quelle mesure c'est un mécanisme de défense efficace (comme la réappropriation des insultes), nécessaire, qui fait ou non avancer les choses, stérile ou qui peut éveiller quelques consciences. Ou si cela n'est possible qu'exclusivement dans la dite communauté discriminée.
Merci encore pour ces articles !
Anonyme : "L'air un peu niais du jeune homme, le fait que se soit des images détournées, le phoque qui fait bonne enfant, le fait qu'il parle de "boob" et non de "chest" et puis après de "heart" ce qui crée un décalage avec un discours véritablement courtois."
Je ne pense pas que les images soient détournées. En fait (si j'ai bien tous les éléments en main) il y a quelques mois, une fille a fait le même montage en écrivant "Hey girls, did you know that your boobs go inside your shirt ?" qu'elle avait fait contre les filles qu'elle jugeait sur leur façon trop provocante selon elle de s'habiller. Une autre fille a répondu avec un montage du même genre en disant "Hey girls, did you know that my boobs go wherever I want ?" ou quelque chose comme ça. C'est ensuite devenu un meme récurrent que les gens n'ont cessé de reprendre. D'où l'utilisation du mot "boobs" au lieu de "chest" (qui ne serait pas correct de toute façon, ce serait plutôt "breasts" qui serait le mot poli à employer mais peu importe xD). Donc, oui à mon avis, c'est une image qui a bien été faite par ce garçon, qui reprend le mot peu élégant de "boobs" pour répondre à cette remarque sexiste (donc il y a bien un décalage, mais à but positif, pour détourner l'insulte de base), à laquelle on a ajouté le phoque pour se moquer de lui.
J'ai sans doute loupé un truc avec cet exemple sur la "gayitude" supposée de ce jeune homme. Je ne vois aucun cliché gay dans tout ça. Tout ce que cette série de photo et leur conclusion "dit" des homosexuels hommes c'est qu'ils ont moins d'attirance physique qu'intellectuelle pour les femmes... obvious non ?
En fait le principal cliché que ça véhicule c'est qu'être hétéro c'est être un sale con machiste.
Bel article.
La plupart du temps, pour laisser les gens se rendre compte tout seul de combien leur blague est insultante, je leur demande de remplacer "nana / gonzesse / femme" par "noir / juif" (Lorsque c'est possible dans le contexte). Ca a son petit effet.
A Noli :
Hah, je ne suis donc pas la seule à utiliser cette petite pirouette : )
Detroy :
Mais allez, ce qui est "obvious" c'est que le mot a été utilisé comme une insulte et c'est extrêmement courant. Fais pas comme si tu venais de naître.
PS : rapport au mot "boobs" (je suis britannique) il est moins laid que le mot "nichons".
C'est plus comme dire "bunny" pour désigner un lapin, je ne crois pas qu'il y ai d'équivalence en français.
Tous les mots français que je connais désignant la poitrine me font penser à l'arrière boutique obscure d'une DVDthèque.
>>> Denis Colombi : merci pour ce second article : une mise au point de cette notion de second degré tellement galvaudée était importante pour faire suite à votre précédent article. J'y suis particulièrement sensible, parce que ma mère dès mon enfance s'est servie de cette notion de second degré et de l'excuse comme quoi je n'avais pas d'humour pour me meurtrir. Ca fait des années que j'essayais de comprendre ce qui clochait dans ce mécanisme de sape, mais je n'y parvenais pas parce que ça me touchait de trop près ; grâce à vous, je viens de le comprendre ce matin.
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GH a dit…
Cela me fait penser à ce billet de blog de (l'excellent) Gérard Noiriel :
http://noiriel.over-blog.com/article-salut-la-vranze-a-propos-de-l-accent-d-eva-joly-97799951.html
Question subsidiaire : pourquoi ma femme rit-elle aux gags sexistes d'Un gars une fille ?
>>> D'abord merci pour le lien vers l'article ; il est passionnant à lire. Je ne connaissais pas l'exemple historique de M. Legitimus, mais pour fréquenter certains parlementaires français, je sais à quel point ils se servent de "l'humour", du "bon mot" et de ce fameux "second degré" dont tout le monde parle pour se dédouaner de faire des blagues pourries pour destabiliser et détruire leur adversaire quand ils le peuvent. Ils se servent aussi de l'humour pour éviter de répondre aux questions qui les embêtent, lors de débats, ou d'interviews : le temps qu'il pondent une réflexion humoristique sur leur adversaire, il le perdent à répondre effectivement à la question, et si la blague est drôle, en plus ils emportent l'adhésion du public, qui n'en sait finalement pas tellement plus sur la question évoquée mais trouvent le politicien drôle donc bon dans son rôle... L'humour est une arme polyvalente, utile aussi bien en défense qu'en attaque, en politique.
Pour finir, je voudrais vous répondre que votre femme rit des épisodes d'un gars et d'une fille non pas parce que c'est du second degré, mais une parodie de ce qu'elle vit. Elle peut ensuite utiliser ce qu'elle a vu pour vous le pointer mentalement et se dire : "là, t'as vu ?! Tu fais pareil que Jean, t'es chiant"... Ca la conforte dans l'impression qu'elle a raison, et c'est pareil d'ailleurs pour les hommes qui regardent la série : les défauts de leur femme sont caractérisés sur le petit écran, les dispensant d'en parler... Un gars une fille, c'est une parodie de couple : tout le monde en prend pour son grade, tout le monde rigole, mais quand un couple regarde ensemble la série, aucun des deux ne se rend vraiment compte que sa moitié rigole à ce que lui/elle ne trouve pas drôle... Ce qui compte, c'est de rigoler ensemble, du coup. C'est la catharsis grecque.
Bonjour,
Merci pour ce billet.
J'aimerais attirer votre attention sur une dimension que, à lire (la plupart des) commentaires, vous n'avez pas saisi dans la plaisanterie "ultragay".
Elle n'a pas une fonction d'exclusion (contre les homosexuels) mais une fonction de formatage (pour les hommes hétérosexuels). En stigmatisant à travers l'homosexualité supposée du personnage des comportements généreux et sensibles, elle enseigne aux hommes qui souhaitent être intégrés au groupe 'viril' (la projection mentale de ce que devrait être un homme hétéro) à se comporter de manière misogyne et violente avec les femmes.
Cette plaisanterie a donc deux conséquentes nocives :
1/ La première, que vous identifiez tous très bien, c'est qu'en utilisant le terme "ultragay" comme repoussoir, elle valide et nourrit l'ostracisme à l'encontre des hommes homosexuels.
2/ La seconde, que personne n'a touché du doigt, mais l'aveuglement face au sexisme est courant, c'est qu'elle formate les hommes afin qu'ils soient, ou du moins cherchent à paraître, méprisants face aux femmes. Elle les entraîne à se comporter comme des ordures, à traiter les personnes qu'ils désirent comme des objets de consommation.
Et je crois que la seconde conséquence me fait infiniment plus peur que la première.
Je me rappelle d'un petit ami, à l'UCPA, qui était allé me chercher des morceaux de viande à un barbecue. Des garçons s'étaient moqués de lui en soulignant que je semblais porter la culotte. Ça l'avait agacé car il percevait bien cela comme une tentative de conditionnement et de rappel à l'ordre : reste sur les rails !
Il n'avait pas réalisé que la véritable victime du procédé, ce n'était pas lui (le destinataire de la plaisanterie) mais moi : les garçons en question lui demandaient de me traiter méchamment.
Dernière chose : ce n'est pas parce que certains publics sont suffisamment intelligents pour réaliser que le personnage véritablement ridicule, dans la plaisanterie, n'est pas le jeune garçon (dont on s'attend à un discours misogyne d'après sa dégaine et qui se révèle en réalité gentil) mais le commentateur invisible qui l'injurie en le traitant d'homosexuel, que la plaisanterie en devient pour autant inoffensive. Il suffit de répéter suffisamment une chose pour qu'elle soit perçue comme vrai (demandez aux politiciens !). A force de répéter ce qu'est un vrai mec...
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