Dans le dernier billet, au milieu de mon énervement - pour lequel je ne m'excuserais que lorsque sera reconnue l'indécence des attaques contre le genre - j'ai proposé ma traduction de l'expérience de la boîte qu'utilise Michael Schawble dans son introduction à la sociologie The Sociologically Exmanined Life (j'ai une passion coupable pour les introductions à la sociologie, j'en fais la collection). Je me suis dit qu'elle méritait peut-être deux ou trois explications pour ceux qui voudraient en faire usage auprès de leurs proches. Je complète donc ici l'argumentaire qu'elle recouvre.
Cette expérience, on l'aura compris, est une expérience de pensée : elle n'a jamais été vraiment menée. Il y aura toujours quelqu'un pour protester à ce propos. Pourtant, les expériences de pensée sont courantes dans toutes les sciences : Galilée n'a jamais jeté d'objets depuis la tour de Pise, mais il a montré que si on suivait les connaissances de son temps, on arrivait à un résultat absurde - les objets attachés devant à la fois tomber plus vite et moins vite ; Einstein n'a jamais pris l'ascenseur vers l'espace il n'en base pas moins une partie de son raisonnement sur ce qui s'y passerait ; Schrödinger n'a jamais enfermé de chat dans une boîte, cette situation célèbre lui servant juste à montrer les impasses de certains raisonnements de la physique quantique.
L'expérience de la boîte est de cette nature : elle nous met en garde contre des erreurs de raisonnement qui sont, autrement, courantes. Il est facile de se laisser aller à dire que c'est notre "nature" ou nos gènes qui font que nous faisons ceci ou cela. Il est facile de se dire que l'on est né ainsi. En confrontant chacune de ces idées à l'expérience de la boîte, nous nous confrontons à un problème, et nous sommes donc obligé d'aller chercher de meilleures réponses.
Prenons un exemple : de nombreux parents constatent que leurs filles et leurs garçons se comportent différemment, et cela alors même qu'ils pensent leur donner la même éducation, voire même alors qu'ils découragent leurs filles de porter du rose. Ils en concluent alors qu'il y a du "naturel" là-dessous. Mais si on confronte cela à l'expérience de la boîte, on se rend compte qu'il y a un problème : si c'était le cas, on devrait pouvoir imaginer qu'un femme sortant de la boîte au bout de 18 ans se jette sur les jupes roses de princesse... Et cela nous semble ridicule. On peut alors prendre conscience que les enfants ne sont, justement, pas élevés dans une boîte constituée par leur parent ou leur famille : ils sont soumis à énormément d'influence, des médias, de l'école, des amis, etc. D'ailleurs, on devrait se souvenir que, même dans les éducations les plus égalitaires, le sexe de l'enfant lui est proposé comme première identité : "tu es une fille", "tu es un garçon"... On ne devrait pas s'étonner qu'à partir de cette simple information, l'enfant soit plus sensible à ce que d'autres lui diront être "pour les filles" ou "pour les garçons", ni qu'en arrivant à l'école, dans ce monde inconnu et étrange, il cherche d'abord la compagnie de ceux qui se sont vus donnés la même identité que lui.
Prenons un autre exemple : je suis hétérosexuel. D'aussi loin que je me souvienne, je l'ai toujours été. Il m'est même impossible de me souvenir du moment où je me suis rendu compte que j'étais hétérosexuel. Peut-être que je peux retrouver le moment où je me suis senti pour la première fois attiré sexuellement par une femme - et encore, je dois dire que je n'en garde pas trace dans ma mémoire. Mais, visiblement, cela ne m'a pas choqué plus que ça : ça allait de soi. Il me serait donc facile de conclure que je suis né comme ça. Et je pourrais même aller jusqu'à penser que, puisque d'autres se souviennent du moment où ils ont pris conscience de leur homosexualité, puisque cette prise de conscience a été pour eux un choc, une rupture dans leur biographie, c'est que leur homosexualité n'est peut être pas si naturelle que ça. Une étrangeté, une maladie peut-être...
Mais, voilà, je peux confronter mon hétérosexualité à l'expérience de la boîte. Supposons qu'à 18 ans, on me sorte de la boîte et que l'on me mette en présence d'un humain de sexe féminin : quelle serait ma réaction ? Aurais-je immédiatement envie d'avoir des relations sexuelles avec elle ? Il apparaît clairement que non. Je ressentirais sans doute de la peur ou de l'incompréhension face à cet être étrange. S'il m'est donné d'examiner son corps, je constaterais des différences avec le mien : est-ce que j'y réagirais par du désir ? Cela semble peu probable.
Je peux alors comprendre que mon hétérosexualité demande beaucoup d'apprentissages, et que ceux-ci se passent hors de mon corps, et donc hors de la boîte : il faut que j'ai appris qu'il existait des individus mâles et femelles, il faut que j'ai appris à classer le monde en deux catégories - les hommes et les femmes - et que j'ai appris à les reconnaître. En effet, imaginons que, sortant de la boîte, je ressente un émoi sexuel devant une autre personne. Je vais attribuer cet émoi à cette personne en tant que singularité. Je n'ai aucune raison a priori d'attribuer cet émoi à une caractéristique abstraite de cette personne comme son sexe plutôt qu'à sa singularité - ou à toute autre caractéristique : après tout, c'est peut-être la couleur de ses cheveux ou la forme de ses yeux qui fait naître en moi cette sensation. Pour que je sois capable d'attribuer cette sensation au sexe de l'autre, ce qui revient à passer de l'idée de "je suis excité par cette personne" à "je suis excité par les personnes de ce sexe", il faut qu'existe au préalable en moi la connaissance de la diversité des caractéristiques physiques et le sentiment que c'est bien celle-ci qui importe. Autant de choses que je ne peux connaître en sortant de la boîte : je dois les avoir apprises.
Ce type de raisonnement est ce qu'Howard Becker appelle de "l'induction analytique" : il s'agit de reconstituer le processus nécessaire pour arriver à un résultat donné. La situation est en outre proche du cas qu'il prend en exemple, et qu'il emprunte à un travail classique de Lindesmith : pourquoi certaines personnes qui se voient administrés des opiacés ne deviennent-elles pas toxicomanes ? Parce que ces substances leur sont administrés dans un cadre médical, pour les soulager de leur douleur, sans qu'ils en soient conscients. Ils développent bien, au plan physique, les symptômes du manque - maux de tête, nez qui coule, souffrances diverses, etc. - mais ne les interprètent pas comme un signe de manque de drogue mais comme les symptômes d'une maladie, d'un état de fatigue ou autre. Et donc, ils ne deviennent pas toxicomanes, c'est-à-dire n'adoptent pas les comportements d'un toxicomane, à commencer par la recherche de drogue, et encore moins l'identité de celui-ci. Ce qui leur manque pour devenir toxicomane, c'est l'apprentissage d'un rôle et d'une technique : savoir reconnaître les effets de la drogue, savoir comment les interpréter, savoir comment se procurer une dose, construire son identité autour de la drogue.
Notons bien ce point : un état physique réel ne décide pas seul d'un comportement social. Tout dépend du contexte dans lequel il intervient et donc de la façon dont l'individu va interpréter les signaux de son propre corps. Cela devrait être clair pour toutes les personnes qui ont un jour dit "c'est marrant, la téquila, ça me fait pas du tout d'effet" avant de se réveiller avec un gros trou noir dans la tête et beaucoup de choses embarrassantes sur Facebook. C'est qu'il faut aussi apprendre à reconnaître les symptômes de l'alcool... De la même façon qu'il apprendre à reconnaître et interpréter les situations d'excitation sexuelle. De ce point de vue, les catégories "hétérosexuel/homosexuel" fournissent un cadre cognitif que nous mobilisons au moment de notre apprentissage des choses de la vie et de l'amour et par rapport auquel nous sommes sommés de nous situer. Il est donc extérieur à nous, extérieur à la boîte, et deux individus pourraient bien avoir les mêmes émois que ceux-ci n'auraient pas les mêmes effets sur leurs comportements selon qu'ils se trouvent à l'intérieur ou à l'extérieur de la boîte. Et si une confirmation était encore nécessaire, il suffirait noter que ce cadre a connu des variations historiques : dans l'antiquité romaine, le cadre cognitif mobilisé était très différent, la catégorie "hétérosexuel", comprise comme un comportement sexuel uniquement tournée vers l'autre pôle de la partition homme/femme, est une invention finalement assez récente...
Soyons clair : l'expérience de la boîte ne dit pas qu'il n'y a pas une condition humaine biologique particulière. Par exemple, la capacité à apprendre un langage est instinctive. Mais elle souligne que ces données n'existent et ne prennent sens que dans un contexte social particulier. D'ailleurs, dans les cas où des enfants ont pu être élevé dans une situation proche de celle de l'expérience, la conclusion montre qu'une capacité "biologique" comme l'apprentissage du langage disparaît si elle ne rencontre pas les expériences sociales adéquates - et en fait, le plus probable est qu'un individu soumis à un tel régime meurt... et sa biologie n'y peut pas grand chose. En fait, notre condition biologique définit sans doute simplement notre capacité à bénéficier des apprentissages sociaux : la nature de l'homme, c'est d'apprendre.
De là, on pourrait en venir à conclure que, finalement, nature et culture vont de pair, qu'il faut croiser les deux, qu'en toute chose, il faut être mesuré, et que finalement, on conviendra bien que, bon, d'une façon ou d'une autre, ok, si ça vous amuse, il y a de l'apprentissage, mais quand même, c'est un petit biologique, n'est-ce pas, allez, on est tous d'accord. Et au moment où vous arriverez à cette conclusion, vous m'entendrez vous répondre "non". Certes, l'expérience de la boîte ne permets pas d'exclure totalement une influence biologique sur nos comportements. Mais elle rappelle aussi qu'il n'y a aucune raison de l'inclure a priori. L'influence de données biologiques, génétiques ou autres sur le comportement ne va jamais de soi. Le viol est avant tout un comportement masculin, et ceux dans toutes les sociétés ? Certes, mais l'expérience de la boîte nous permet de comprendre qu'il n'est pas nécessaire d'attribuer cela à une donnée biologique chez les individus de sexe masculin. Ce n'est pas impossible, mais si vous voulez défendre cette idée, il va falloir de très sérieux arguments. Il va falloir expliquer très précisément ce qui joue, pourquoi, comment. Autrement, armé du bon vieux rasoir d'Ockham, on se passera d'une variable supplémentaire et vaine... Et dans tous les cas, on ne l'acceptera pas parce que "ça doit bien jouer quand même".
Pour faire l'expérience que je vais décrire, nous aurions besoin d'une paire de nouveau-nés, des vrais jumeaux. Nous aurions aussi besoin d'une grande boîte dans laquelle un des jumeaux pourrait vivre sans aucun contact avec un autre être humain. La boîte devrait être telle qu'elle lui fournirait à boire et à manger, et évacuerait les restes, de façon mécanique. Elle devrait aussi être opaque et isolée, de telle sorte qu'il ne puisse y avoir d'interactions au travers de ses parois.
L'expérience est simple : un des enfants est élevé normalement et l'autre est mis dans la boîte. Au bout de dix-huit ans, on ouvre la boîte et on compare les deux enfants pour voir s'il y a quelques différences entre eux. S'il y en a, nous pourrons conclure que grandir avec d'autres personnes a son importance. Si les deux enfants sont les mêmes au bout de dix-huit ans, il nous faudra conclure que la socialisation (ce que l'on apprend en étant avec d'autres personnes) n'a que peu d'importance et que la personnalité est génétiquement programmée.
Vous vous dites sans doute « Bien sûr que la socialisation fait une différence ! Il n'y a pas besoin d'élever un enfant dans une boîte pour prouver cela ! ». Mais il y a beaucoup de gens qui disent que ce qu'une personne devient dépend de ses gênes. Si c'est vrai, alors cela ne devrait pas avoir d'importance qu'un enfant soit élevé dans une boîte. Son patrimoine génétique devrait faire de l'enfant ce qu'il ou elle est destiné(e) à être, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de la boîte. [Note : cette traduction est la mienne. Traduire étant un vrai métier, il y a sans doute des imperfections]
Cette expérience, on l'aura compris, est une expérience de pensée : elle n'a jamais été vraiment menée. Il y aura toujours quelqu'un pour protester à ce propos. Pourtant, les expériences de pensée sont courantes dans toutes les sciences : Galilée n'a jamais jeté d'objets depuis la tour de Pise, mais il a montré que si on suivait les connaissances de son temps, on arrivait à un résultat absurde - les objets attachés devant à la fois tomber plus vite et moins vite ; Einstein n'a jamais pris l'ascenseur vers l'espace il n'en base pas moins une partie de son raisonnement sur ce qui s'y passerait ; Schrödinger n'a jamais enfermé de chat dans une boîte, cette situation célèbre lui servant juste à montrer les impasses de certains raisonnements de la physique quantique.
L'expérience de la boîte est de cette nature : elle nous met en garde contre des erreurs de raisonnement qui sont, autrement, courantes. Il est facile de se laisser aller à dire que c'est notre "nature" ou nos gènes qui font que nous faisons ceci ou cela. Il est facile de se dire que l'on est né ainsi. En confrontant chacune de ces idées à l'expérience de la boîte, nous nous confrontons à un problème, et nous sommes donc obligé d'aller chercher de meilleures réponses.
Prenons un exemple : de nombreux parents constatent que leurs filles et leurs garçons se comportent différemment, et cela alors même qu'ils pensent leur donner la même éducation, voire même alors qu'ils découragent leurs filles de porter du rose. Ils en concluent alors qu'il y a du "naturel" là-dessous. Mais si on confronte cela à l'expérience de la boîte, on se rend compte qu'il y a un problème : si c'était le cas, on devrait pouvoir imaginer qu'un femme sortant de la boîte au bout de 18 ans se jette sur les jupes roses de princesse... Et cela nous semble ridicule. On peut alors prendre conscience que les enfants ne sont, justement, pas élevés dans une boîte constituée par leur parent ou leur famille : ils sont soumis à énormément d'influence, des médias, de l'école, des amis, etc. D'ailleurs, on devrait se souvenir que, même dans les éducations les plus égalitaires, le sexe de l'enfant lui est proposé comme première identité : "tu es une fille", "tu es un garçon"... On ne devrait pas s'étonner qu'à partir de cette simple information, l'enfant soit plus sensible à ce que d'autres lui diront être "pour les filles" ou "pour les garçons", ni qu'en arrivant à l'école, dans ce monde inconnu et étrange, il cherche d'abord la compagnie de ceux qui se sont vus donnés la même identité que lui.
Prenons un autre exemple : je suis hétérosexuel. D'aussi loin que je me souvienne, je l'ai toujours été. Il m'est même impossible de me souvenir du moment où je me suis rendu compte que j'étais hétérosexuel. Peut-être que je peux retrouver le moment où je me suis senti pour la première fois attiré sexuellement par une femme - et encore, je dois dire que je n'en garde pas trace dans ma mémoire. Mais, visiblement, cela ne m'a pas choqué plus que ça : ça allait de soi. Il me serait donc facile de conclure que je suis né comme ça. Et je pourrais même aller jusqu'à penser que, puisque d'autres se souviennent du moment où ils ont pris conscience de leur homosexualité, puisque cette prise de conscience a été pour eux un choc, une rupture dans leur biographie, c'est que leur homosexualité n'est peut être pas si naturelle que ça. Une étrangeté, une maladie peut-être...
Mais, voilà, je peux confronter mon hétérosexualité à l'expérience de la boîte. Supposons qu'à 18 ans, on me sorte de la boîte et que l'on me mette en présence d'un humain de sexe féminin : quelle serait ma réaction ? Aurais-je immédiatement envie d'avoir des relations sexuelles avec elle ? Il apparaît clairement que non. Je ressentirais sans doute de la peur ou de l'incompréhension face à cet être étrange. S'il m'est donné d'examiner son corps, je constaterais des différences avec le mien : est-ce que j'y réagirais par du désir ? Cela semble peu probable.
Je peux alors comprendre que mon hétérosexualité demande beaucoup d'apprentissages, et que ceux-ci se passent hors de mon corps, et donc hors de la boîte : il faut que j'ai appris qu'il existait des individus mâles et femelles, il faut que j'ai appris à classer le monde en deux catégories - les hommes et les femmes - et que j'ai appris à les reconnaître. En effet, imaginons que, sortant de la boîte, je ressente un émoi sexuel devant une autre personne. Je vais attribuer cet émoi à cette personne en tant que singularité. Je n'ai aucune raison a priori d'attribuer cet émoi à une caractéristique abstraite de cette personne comme son sexe plutôt qu'à sa singularité - ou à toute autre caractéristique : après tout, c'est peut-être la couleur de ses cheveux ou la forme de ses yeux qui fait naître en moi cette sensation. Pour que je sois capable d'attribuer cette sensation au sexe de l'autre, ce qui revient à passer de l'idée de "je suis excité par cette personne" à "je suis excité par les personnes de ce sexe", il faut qu'existe au préalable en moi la connaissance de la diversité des caractéristiques physiques et le sentiment que c'est bien celle-ci qui importe. Autant de choses que je ne peux connaître en sortant de la boîte : je dois les avoir apprises.
Ce type de raisonnement est ce qu'Howard Becker appelle de "l'induction analytique" : il s'agit de reconstituer le processus nécessaire pour arriver à un résultat donné. La situation est en outre proche du cas qu'il prend en exemple, et qu'il emprunte à un travail classique de Lindesmith : pourquoi certaines personnes qui se voient administrés des opiacés ne deviennent-elles pas toxicomanes ? Parce que ces substances leur sont administrés dans un cadre médical, pour les soulager de leur douleur, sans qu'ils en soient conscients. Ils développent bien, au plan physique, les symptômes du manque - maux de tête, nez qui coule, souffrances diverses, etc. - mais ne les interprètent pas comme un signe de manque de drogue mais comme les symptômes d'une maladie, d'un état de fatigue ou autre. Et donc, ils ne deviennent pas toxicomanes, c'est-à-dire n'adoptent pas les comportements d'un toxicomane, à commencer par la recherche de drogue, et encore moins l'identité de celui-ci. Ce qui leur manque pour devenir toxicomane, c'est l'apprentissage d'un rôle et d'une technique : savoir reconnaître les effets de la drogue, savoir comment les interpréter, savoir comment se procurer une dose, construire son identité autour de la drogue.
Notons bien ce point : un état physique réel ne décide pas seul d'un comportement social. Tout dépend du contexte dans lequel il intervient et donc de la façon dont l'individu va interpréter les signaux de son propre corps. Cela devrait être clair pour toutes les personnes qui ont un jour dit "c'est marrant, la téquila, ça me fait pas du tout d'effet" avant de se réveiller avec un gros trou noir dans la tête et beaucoup de choses embarrassantes sur Facebook. C'est qu'il faut aussi apprendre à reconnaître les symptômes de l'alcool... De la même façon qu'il apprendre à reconnaître et interpréter les situations d'excitation sexuelle. De ce point de vue, les catégories "hétérosexuel/homosexuel" fournissent un cadre cognitif que nous mobilisons au moment de notre apprentissage des choses de la vie et de l'amour et par rapport auquel nous sommes sommés de nous situer. Il est donc extérieur à nous, extérieur à la boîte, et deux individus pourraient bien avoir les mêmes émois que ceux-ci n'auraient pas les mêmes effets sur leurs comportements selon qu'ils se trouvent à l'intérieur ou à l'extérieur de la boîte. Et si une confirmation était encore nécessaire, il suffirait noter que ce cadre a connu des variations historiques : dans l'antiquité romaine, le cadre cognitif mobilisé était très différent, la catégorie "hétérosexuel", comprise comme un comportement sexuel uniquement tournée vers l'autre pôle de la partition homme/femme, est une invention finalement assez récente...
Soyons clair : l'expérience de la boîte ne dit pas qu'il n'y a pas une condition humaine biologique particulière. Par exemple, la capacité à apprendre un langage est instinctive. Mais elle souligne que ces données n'existent et ne prennent sens que dans un contexte social particulier. D'ailleurs, dans les cas où des enfants ont pu être élevé dans une situation proche de celle de l'expérience, la conclusion montre qu'une capacité "biologique" comme l'apprentissage du langage disparaît si elle ne rencontre pas les expériences sociales adéquates - et en fait, le plus probable est qu'un individu soumis à un tel régime meurt... et sa biologie n'y peut pas grand chose. En fait, notre condition biologique définit sans doute simplement notre capacité à bénéficier des apprentissages sociaux : la nature de l'homme, c'est d'apprendre.
De là, on pourrait en venir à conclure que, finalement, nature et culture vont de pair, qu'il faut croiser les deux, qu'en toute chose, il faut être mesuré, et que finalement, on conviendra bien que, bon, d'une façon ou d'une autre, ok, si ça vous amuse, il y a de l'apprentissage, mais quand même, c'est un petit biologique, n'est-ce pas, allez, on est tous d'accord. Et au moment où vous arriverez à cette conclusion, vous m'entendrez vous répondre "non". Certes, l'expérience de la boîte ne permets pas d'exclure totalement une influence biologique sur nos comportements. Mais elle rappelle aussi qu'il n'y a aucune raison de l'inclure a priori. L'influence de données biologiques, génétiques ou autres sur le comportement ne va jamais de soi. Le viol est avant tout un comportement masculin, et ceux dans toutes les sociétés ? Certes, mais l'expérience de la boîte nous permet de comprendre qu'il n'est pas nécessaire d'attribuer cela à une donnée biologique chez les individus de sexe masculin. Ce n'est pas impossible, mais si vous voulez défendre cette idée, il va falloir de très sérieux arguments. Il va falloir expliquer très précisément ce qui joue, pourquoi, comment. Autrement, armé du bon vieux rasoir d'Ockham, on se passera d'une variable supplémentaire et vaine... Et dans tous les cas, on ne l'acceptera pas parce que "ça doit bien jouer quand même".