Le sexisme expliqué à ceux qui n'y croient pas

Lorsque l'on discute des inégalités hommes/femmes, on se heurte très vite à un mur. Il y a des gens qui, simplement, refusent d'y croire : ça n'existerait pas, et puis c'est naturel, et de toutes façons, c'est la même chose pour les hommes. Freud racontait une histoire rigolote qui sonnait un peu comme ça, à propos d'un chaudron percé, mais passons : je ne suis pas là pour faire la psychanalyse du déni. Je vais plutôt essayer d'expliquer pourquoi le dernier argument, selon lequel les hommes aussi seraient discriminés, ne marche pas. Et pour cela, je vais me baser, one more time, sur la sexualisation dans les jeux vidéo.


L'exemple de la sexualisation dans les jeux vidéo est intéressant parce qu'il a fait l'objet de réactions très claires dans le sens du "c'est pareil pour les hommes" : vous pouvez vous reporter aux commentaires des deux articles que Mar_lard a consacré à ce thème pour avoir quelques illustrations, ainsi qu'à ceux de mon dernier billet sur le thème.

L'argument qui revient sous la plume de plusieurs commentateurs est le suivant : ok, il y a des femmes qui sont sexualisées, mais les hommes aussi ! Regardez, ils ont plein de muscles, des coiffures parfaites, etc. Eux-aussi sont sexualisés, alors pourquoi vous vous plaignez pour les femmes, hein, franchement ? Non, mais regardez Ken de Street Fighter par exemple, il est beau et sexy avec sa petite mèche blonde et son air de kéké :



Et puis franchement, c'est aussi des modèles complètement impossibles à suivre pour les hommes et totalement irréalistes, comme pour les femmes quoi, donc il n'y pas de différence, pas de sexisme, tous logés à la même enseigne. D'ailleurs, regardez Zanguief :




Je n'ai pas choisi Zanguief au hasard : son exemple illustre bien qu'un corps magnifiée n'est pas un corps sexualisé. Certes, le corps de Zanguieff est parfaitement impossible dans la réalité, et donc aussi irréalistes que la poitrine de nombreuses héroïnes. Mais cela n'en fait pas un objet de désir sexuel - je me permet de douter que quelqu'un ait déjà fantasmé sur Zanguieff, et dans tous les cas, je pense que c'est assez marginal - mais une simple expression de la force et de la puissance. Les déformations et prise de liberté avec la réalité dont il fait l'objet n'ont pas pour vocation d'éveiller le désir sexuel. S'il représente sans doute une version idéalisé de l'homme, au moins autant que les concours de culturisme, il ne l'est pas pour ses qualités sexuelles mais pour de toutes autres qualités.

Il en va de même pour Ken. Celui-ci peut effectivement se voir comme une représentation magnifiée d'un homme, comme l'ont été de nombreuses autres représentations avant que l'on en vienne aux jeux vidéo - avant Frank Miller, le roi Léonidas de Sparte avait déjà fait l'objet de portrait mettant l'accent sur la force et la virilité, voyez-ci dessous. Mais il n'est pas conçu pour être séduisant, sexy ou objet de désir sexuel : son apparence vise à manifester d'autres qualités. Il est possible que certaines personnes le trouvent effectivement sexuellement désirable, peut-être à cause de ces qualités (force, nonchalance, maîtrise de la situation, etc.), mais ce caractère ne définit pas qui il est, et n'influence pas la façon de le présenter.



Revenons maintenant sur un personnage féminin dont j'ai beaucoup parlé ici : Samus Aran. Il est clair que lorsque Samus Aran porte son armure et agit en chasseuse de prime impitoyable, elle n'est pas sexualisée. Il existe même des images d'elle sans armure qui ne sont pas sexualisées, notamment dans les images finales de la série des Metroid Prime : si on voit son visage, et si elle y a effectivement une coiffure beaucoup trop parfaite par rapport à ce que voudrait la réalité, elle n'est pas présentée spécialement comme un objet de désir sexuel. On retrouve bien une femme magnifiée, mais pas pour ses qualités sexuelles. Par contre, lorsqu'elle est présenté se tortillant de façon ridicule pour montrer ses fesses au joueur, l'accent est alors clairement mis sur sa sexualité.



On peut encore trouver d'autres exemples qui contrastent la façon dont les femmes idéalisées dans la représentation vidéo-ludique le sont pour et par leur sexualité tandis que les hommes également idéalisés le sont pour de toutes autres raisons. Dans un de mes jeux préférés, No More Heroes (malheureusement pas un exemple de féminisme acharné...), le héros apparaît assis sur ses toilettes lors des moments de sauvegarde : la vidéo suivante illustre cela brièvement.



Dans le deuxième opus de la série, le joueur prend le contrôle de Shinobu - une ninja écolière dans le premier volume qui revient en petite robe noir et porte-jaretelle dans le second - le temps de deux niveaux. Lorsque l'on sauvegarde, voilà les images auxquelles on a droit :



Travis Touchdown assis sur ses toilettes n'est certainement pas sexualisé, aussi musclé soit-il, aussi torse nu soit-il. Et il est d'ailleurs assez difficile de trouver la vidéo correspondante sur le net ! Par contre, Shinobu est bien évidemment présentée sous sa douche, de façon on ne peut plus suggestive. Et, bien sûr, elle n'apparaît pas sur les toilettes, puisqu'il est connu de tous que les femmes ne font pas caca.

Un dernier exemple, histoire de sortir du monde des jeux vidéo : prenons l'incarnation même de l'homme idéalisé, Superman. Et comparons-le avec sa cousine incarnation de la femme idéalisée, Power Girl. Le jeu est simple : il s'appelle "cherchez les différences".





Pour autant, on pourra encore objecter que les rôles proposés aux hommes ne sont pas moins enfermant que ceux des femmes. Etre sommé d'être une grosse masse de muscle pétant la testostérone n'est pas forcément beaucoup plus libérateur que d'être sommé d'avoir des seins qui affectent le mouvement des planètes. Et les autres rôles proposés ne sont pas toujours très enthousiasmants : Travis Touchdown, de No More Heroes, incarne par exemple le personnage masculin un peu gauche, maladroit, peu doué et complètement obsédé (dans le premier opus, sa seule motivation à devenir le meilleur assassin du monde est de pouvoir coucher avec l'héroïne qui se propose à lui comme récompense...) qui fait les beaux jours de nombreux teen movies (qui ne sont souvent que des comédies romantiques habillées avec des pets et des couilles). Si on reste sur les jeux vidéo, on peut même noter que certains rôles masculins n'apparaissent jamais : celui de père, par exemple (à moins qu'il ne s'agisse de venger ses enfants par exemple).

Ce n'est pas faux. Mais on peut remarquer une chose : les rôles proposés aux hommes peuvent effectivement être pesant, ils sont sans communes mesures à ceux imposés aux femmes. Si un homme respecte parfaitement le rôle qui lui est fixé par les jeux vidéo, il ne prendra pas une main au cul sous prétexte qu'il l'a bien cherché avec sa tenue provocante. On ne mettra pas non plus en doute ses compétences en supposant qu'il a été recruté pour ses petites fesses musclées. On ne commentera pas d'abord sa tenue ou sa sexualité avant de commenter ce qu'il dit. Et si par malheur il fait l'objet d'une agression sexuelle, on ne lui expliquera pas qu'il n'avait qu'à s'habiller autrement ou à sortir accompagné. Alors oui, on supposera qu'il n'est pas foutu de faire cuire des pâtes ou qu'il préférera baisouiller à droite à gauche plutôt que de s'engager dans une relation sérieuse. Le préjudice est tout de même moindre. Et beaucoup plus facile à repousser.

Et ce d'autant plus que les hommes qui ne respectent pas parfaitement ce rôle - et ils sont les plus nombreux - bénéficieront quand même des avantages qui lui sont attachés : on les supposera forts, compétents, pleins de maîtrise de soi et de sens des responsabilités, etc. sans qu'ils n'aient rien à faire en ce sens. Un privilège invisible en quelque sorte, mais bien réel quand on regarde les écarts de salaires entre hommes et femmes. Parallèlement, on supposera d'entrée de jeu que les femmes sont frivoles, intéressées par l'apparence, disposées à plaire à ces messieurs, etc. jusqu'aux lesbiennes qui se feront draguées par des hommes qui ne voient en elles qu'un fantasme pour hétérosexuels... En un mot, vivre sa vie en homme, c'est jouer en mode "easy", vivre sa vie en femme, c'est l'avoir réglé sur hard. Dans le mode easy aussi, il y a des challenges. Ils sont justes plus durs dans le mode hard.

Mais ce n'est pas tout. Malgré cela, vous pouvez trouver que le modèle imposé aux hommes n'est guère plaisant, fut-il moins pesant que celui des femmes. Vous pouvez penser que l'on en demande quand même beaucoup aux hommes, et que c'est "si dur d'être un homme" (si vous rajoutez "dans un monde de femmes", c'est que vous êtes un crétin fini et je n'essaierais pas plus de convaincre, pauvre cas désespéré que vous êtes). Vous en avez peut-être assez que l'on présente les hommes comme essentiellement guidés par le désir sexuel, incapables d'engagement, immatures, comme des prédateurs sexuels, comme violents, etc. . Mais dans ce cas-là ne vous trompez pas d'adversaire : c'est la domination masculine qui veut ça. Toute domination exige des dominants qu'ils se comportent d'une certaine façon : ce ne sont pas les féministes qui imposent aux hommes cette image. Ce ne sont pas les féministes qui organisent la discrimination des hommes qui ne veulent pas rentrer dans le moule : elles ne sont pour rien, par exemple, dans ce dont souffrent toujours les homosexuels. Les féministes ne pensent pas que les hommes sont tous des prédateurs sexuels par exemple : elles et ils pensent au contraire que les hommes ne sont pas cela, et peuvent et doivent être bien plus que cela. Alors si vous vous sentez agressé par les représentations de la masculinité, si vous pensez que le sexisme touche aussi les hommes, votre adversaire est le même que celui des féministes : c'est la domination masculine.

Alors plutôt que de faire comme ces idiots médiatiques qui hurlent que les féministes ont la haine des hommes, qui parlent de "misandrie" et qui ne font en fait que reconduire les clichés qui font la domination masculine, devenez un homme féministe. Et adoptez mon slogan : "it's the patriarchy, stupid !".


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Au nom de l'égalité, réduisons les performances des meilleurs élèves

C'est l'un des projets les plus secrets du ministre de l'éducation Vincent Peillon, et pourtant l'un des plus ambitieux. Je ne peux révéler par quels contacts j'ai pu en avoir vent, car les personnes en question risqueraient de perdre leur place. Mais la controverse ne tardera guère à se nouer tant il s'agit d'une rupture radicale avec ce que nous avons l'habitude de penser comme la justice scolaire. Quel est ce projet ? Rien de moins que de réduire les performances des meilleurs élèves pour permettre une juste égalité des chances.

Tout part d'un constat très simple : certains élèves sont plus doués que d'autres pour les études. Ils ont des capacités qui leur donne un avantage injuste face aux autres, qui sont obligés de travailler pour espérer atteindre leur niveau, si cela est seulement possible.

Dès lors, une solution simple est proposée : réduire le niveau des meilleurs élèves afin que tout le monde ait sa chance. Par le biais de traitement médicamenteux, il est assez facile de réduire les capacités de concentration et de travail des meilleurs, afin de s'assurer que l'égalité des chances - qui est, rappelons-le, l'un des objectifs les plus importants du système scolaire - soit enfin de mise dans la compétition scolaire.

Ce projet se décline cependant différemment selon les sexes. On sait en effet que les filles s'en sortent mieux à l'école que les garçons. Dès lors, on comprend bien que si un garçon se trouve un peu trop avantagé par des capacités exceptionnelles, cela est parfaitement injuste vis-à-vis des autres garçons qui ne pourront espérer atteindre son niveau. De plus, il y a de bonnes raisons de douter d'eux : est-ce que ces garçons qui obtiennent de si bons résultats n'auraient pas quelques caractéristiques féminines qui les avantageraient ? On ne peut simplement laisser une telle inégalité se perpétuer. Surtout si cela provient de familles qui, jouant honteusement avec les règles les plus élémentaires de la sociétés, se risquent à éduquer les garçons comme des filles.

Dès lors, tout garçon qui obtiendra des résultats exceptionnels devra faire la preuve qu'il est bien un garçon et pas une fille plus ou moins déguisée. Il devra alors se soumettre à un traitement visant à ramener ses capacités au niveau de ce que doivent être celle des garçons : en fait, ses capacités intellectuelles devront simplement être ramenées à un niveau inférieur à celles des filles. Une légère lobotomie peut être envisagé, rien de bien grave.

Evidemment, il existe des cas particuliers : les "surdoués" et les personnes nés avec des caractéristiques sexuelles à la fois mâle et femelle. Plus de choix pour ceux-là : s'ils veulent bénéficier d'une éducation scolaire, ils devront se faire opérer pour rentrer dans les deux sexes que l'on sait gérer.

Vous trouvez tout cela complètement débile ? Vous avez raison. Personne de sensé ne se risquerait à faire de tels propositions, et certainement pas Vincent Peillon ou n'importe quel autre homme politique.

Et pourtant, c'est exactement ce qui se passe aujourd'hui, non pas dans la compétition scolaire, mais dans la compétition sportive. Les femmes qui ont des performances exceptionnelles doivent se soumettre, si elles veulent participer aux Jeux Olympiques, à des tests de féminité - non, parce qu'une femme doué en sport, ça peut n'être qu'un mec, hein, on connait le cas de Caster Semenya. Et, pire encore, elles vont devoir ramener certaines de leurs caractéristiques physiques, comme leur niveau de testostérone, en dessous du niveau des hommes (on se demande d'ailleurs quel "niveau" a été retenu : la moyenne ? la médiane ? est-ce que cela a seulement du sens ? non bien sûr). Lisez cet article (en anglais) pour plus de détails.


There are female athletes who will be competing at the Olympic Games this summer after undergoing treatment to make them less masculine.
Still others are being secretly investigated for displaying overly manly characteristics, as sport’s highest medical officials attempt to quantify — and regulate — the hormonal difference between male and female athletes.
Caster Semenya, the South African runner who was so fast and muscular that many suspected she was a man, exploded onto the front pages three years ago. She was considered an outlier, a one-time anomaly.
But similar cases are emerging all over the world, and Semenya, who was banned from competition for 11 months while authorities investigated her sex, is back, vying for gold.
Semenya and other women like her face a complex question: Does a female athlete whose body naturally produces unusually high levels of male hormones, allowing them to put on more muscle mass and recover faster, have an “unfair” advantage?
In a move critics call “policing femininity,” recent rule changes by the International Association of Athletics Federations (IAAF), the governing body of track and field, state that for a woman to compete, her testosterone must not exceed the male threshold.
If it does, she must have surgery or receive hormone therapy prescribed by an expert IAAF medical panel and submit to regular monitoring. So far, at least a handful of athletes — the figure is confidential — have been prescribed treatment, but their numbers could increase. Last month, the International Olympic Committee began the approval process to adopt similar rules for the Games.

La comparaison avec l'école n'est pas si étrange que cela : dans le sport comme dans l'éducation, l'une des questions centrales est celle de la justice et de l'égalité des chances. Le domaine sportif a précisément cette vertu qu'il s'emploie à produire, par tous les moyens, une compétition juste : par nature, un affrontement sportif doit être celui où "le meilleur gagne". Et les "règles du jeu" sont là pour le garantir. Lorsqu'il y a une entorse à celles-ci, la chose est particulièrement mal vécue : souvenez-vous, par exemple, de la main de Thierry Henry qui priva l'Irlande de coupe de Monde. Or l'école entend fonctionner de la même façon : ceux qui travaillent, font les efforts, et "jouent le jeu" doivent être récompensé. "Que le meilleur gagne !", et ce qu'il s'agisse d'une compétition contre soi-même, pour un examen comme le bac, ou contre les autres, lors des nombreux concours qui sont autant de portes d'entrée vers les filières les plus prestigieuses. Et, comme dans le sport, la prise de conscience que la compétition n'est pas égale, que certains sont favorisés, heurte de plein fouet notre sens le plus commun et le plus élémentaire de la justice.

Le sport, d'ailleurs, tolère très bien des inégalités de réussites et de performances très importantes, précisément parce qu'il est ainsi pensé pour mettre en scène la compétition juste. Mais, comme on peut le voir, notre sens commun de la justice connaît visiblement une limite importante : celle du genre... Penser que les hommes et les femmes puissent se trouver à ce point sur un pied d'égalité que l'on laisse certaines femmes avoir des performances qui se rapprochent de celles des hommes est inacceptable. Nous acceptons sans problème l'idée que certains hommes soient dotés de caractéristiques physiques naturelles qui leur permettent des performances exceptionnelles. Mais nous n'acceptons pas l'idée que des femmes soient elles aussi dotées de telles capacités : les femmes doivent rester des femmes !

Il est vrai que du jour où l'on a ouvert les compétitions sportives aux femmes, elles ont très vite rapprochés leurs résultats de ceux des hommes, comme l'illustre le graphique ci-dessous concernant le marathon (emprunté ici). Si on les laisser concourir contre les hommes, dans la même catégorie qu'eux, on imagine bien la menace : certaines pourraient être meilleures que des hommes ! Vision d'horreur. Après tout, elles l'ont déjà fait dans l'éducation.



Il est quand même assez amusant de voir qu'alors qu'on nous bassine avec le sexe comme une donnée naturelle que l'on ne saurait remettre en cause, blablabla, toutes ces belles paroles s'envolent dès lors que les "capacités naturelles" sont favorables aux femmes...

Bref. Un dernier mot sur l'école : il y a bien sûr une différence fondamentale entre la compétition scolaire et la compétition sportive. Dans le sport, il y a un vrai souci des "vaincus" : on échange les maillots pour montrer son respect mutuel, on se promet de revenir dimanche prochain ou dans quatre ans, de telle sorte que les vaincus d'aujourd'hui savent qu'ils pourront être les vainqueurs de demain, et vice-versa. Rien de tel dans la compétition scolaire : les "vaincus", ceux qui n'obtiennent pas leur diplôme, ne se voient proposer ni marque de respect, ni de deuxième chance. Pas nécessairement une nouvelle chance de repasser le même diplôme. Mais une deuxième chance de parvenir à trouver un emploi, un statut social ou autre en faisant des efforts ailleurs qu'à l'école... Le paradoxe est que nous refusons cela dans une compétition scolaire où l'on ne fait pas grand chose, par ailleurs, pour permettre l'égalité des chances.
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Bourdieu contre les lesbiennes vampires nazis en folie

Le dernier numéro de Sciences Humaines contient un court article consacré au public des nanars, plus particulièrement à celui de la Nuit Excentrique, manifestation de la cinémathèque de Paris. On y trouve une référence à Bourdieu qui suggère que le "modèle de la légitimité culturel" de ce dernier ne permettrait pas de bien comprendre ce qui se passe. Pourtant, j'ai l'impression que cela pose beaucoup plus de difficultés et de questions.

L'auteur de l'article, Renaud Chartoire, lui-même fan de nanars et de Star Wars, présente ainsi les résultats d'une enquête menée auprès du public de la Nuit Excentrique, comme contradictoire avec ce que prédirait le modèle bourdieusien :
Comment expliquer un tel engouement pour ces « mauvais films sympathiques », communément nommés « nanars » ? Dans une optique bourdieusienne, ce goût pour des produits culturels considérés comme « non légitimes » ne pourrait qu’être le fait de personnes peu cultivées. Or, une étude réalisée en 2007 auprès des participants de ces nuits et des intervenants sur le site de « Nanarland » a montré que les amateurs de nanars se recrutaient plutôt dans les couches dominantes de la société, des catégories socioprofessionnelles favorisées et possédant un niveau de diplôme supérieur à la moyenne.

Sans être spécialiste de la sociologie des pratiques culturelles, je me pose quelques questions auxquelles je n'ai pas de réponses définitives. Le problème me semble être le suivant : qu'est-ce qui fait qu'une pratique est "non légitimes" ? Intuitivement, on peut penser que les nanars se classent dans cette catégorie. Mais pourquoi ?

Pour Bourdieu, les choses étaient relativement simples : les pratiques dominantes, c'est-à-dire légitimes, sont celles de la classe dominante, et, symétriquement, les pratiques illégitimes sont celles de la classe dominée. Cette façon de caractériser la légitimité et la non légitimité a une grande valeur sociologique : elle évite tout jugement sur les œuvres et sur les pratiques. Ce n'est pas parce que l'opéra est fondamentalement meilleur que Justin Bieber qu'il est plus légitime : c'est simplement que ces deux pratiques ne renvoient pas aux mêmes groupes, et que ces dits groupes n'ont pas les mêmes ressources lorsqu'ils s'agit de défendre leurs pratiques. Ceux qui trouveront l'opéra "chiant" auront beaucoup plus de mal à faire valoir ce jugement que ceux qui diront que Justin Bieber, c'est de la musique "pour pré-adolescente en chaleur" (ceux qui nous renseigne, par ailleurs, sur la domination masculine qui s'exprime souvent dans les jugements de goûts...).

Qu'en est-il des nanars ? L'article de Sciences Humaines conclut que cette pratique renvoie plutôt à une forme d'éclectisme et fait référence à l'hypothèse univore/omnivore de Richard Peterson (on peut d'ailleurs discuter de l'incompatibilité de cette hypothèse avec le modèle bourdieusien) :
Les « nanardeurs » seraient ainsi une illustration possible de l’omnivorité mise en avant par feu le sociologue américain Richard Peterson ; dans cette approche, ce qui distinguerait les couches dominées des couches dominantes, ce ne serait pas tant des goûts différents que le fait que les couches dominées se limiteraient à la consommation de produits culturellement « illégitimes » alors que les couches dominantes feraient preuve de pratiques bien plus diversifiées.

On retombe alors sur le même problème : qu'est-ce qui permet de dire que les nanars sont une pratique illégitimes ? Si on s'en réfère à Bourdieu, il faudrait que ce soit une pratique des classes dominés, si ce n'est de façon exclusive au moins de façon marquée. Il semble clair qu'un cadre supérieur qui regarde La roue de la fortune ou Plus belle la vie est dans l'omnivorité ou l'éclectisme culturel : ces pratiques sont partagées avec les classes dominées, et c'est ce qui explique leur illégitimité ("c'est des trucs de boeufs" ou, comme le disait Bourdieu, "les goûts sont avant tout des dégoûts").

Mais, et j'en viens à ma question, les nanars sont-ils dans ce cas-là ? Sont-ils une pratique qui se retrouve aussi bien dans les classes dominées que dans les classes dominantes ? Rien n'est moins sûr. Ce que les fans de nanars ont tendance à apprécier, et le site Nanarland en témoigne, c'est les films qui sont si mauvais qu'il est pratiquement impossible de les prendre au premier degré (voir l'exemple - fameux - ci-dessous).



Dès lors, je me pose la question suivante : est-ce que le public des nanars, ou au moins de certains nanars, en particulier les plus nanaresques, n'est pas exclusivement (ou au moins majoritairement) un public des classes dominantes ? On aurait alors à faire à une pratique légitime, une forme comme une autre de snobisme. Et ce d'autant plus que certains films qui ont un grand succès populaire - la série des Fast & Furious, celle des Transformers, etc. - semblent toujours faire l'objet d'autant de rejet de la part des classes dominantes (je serais aussi curieux de connaître le public d'un film comme The Avengers tiens). Il sera d'ailleurs, je pense, beaucoup plus facile de dire, lors d'un entretien pour renter dans une grande école, que l'on est fan de nanars - effet distinctif, ouverture d'esprit, etc. - que de dire que l'on est fan de Plus belle la vie. Et le jugement des institutions de reproduction de la classe dominante a sans doute son importance dans l'affaire.

Il semble certes plus difficile de voir, dans la pratique du nanar, la recherche de prestige social que l'on place généralement au cœur du modèle bourdieusien. Comme l'écrit André Gunthert à propos d'une planche de Boulet :
Alors que chez Bourdieu (qui suit Norbert Elias), le motif principal de l’opération de distinction est la recherche du prestige social, ce qui anime les amateurs hétéroclites de Boulet est un attachement personnel sincère.

Mais que le prestige ne soit pas la motivation n'empêche pas que se construisent des ordres de légitimité différents dans les pratiques, particulièrement dans ce qui est le rapport savant à la culture, caractéristique clef du fan de nanar comme du fan de jeux vidéo capable de disserter des heures sur l'évolution de la difficulté entre Kid Icarus et les jeux actuels (je suis, moi aussi, un bon petit snob). Et comme les ressources, le capital culturel, utiles pour rentrer dans ce rapport est inégalement réparti, on se retrouve toujours avec les mêmes problèmes que Bourdieu : la distinction des classes. Ce n'est peut-être pas tant l'éclectisme de l'amateur de nanar qui est en jeu. C'est peut-être sa pratique elle-même. Ce n'est certainement pas plus facile à entendre que lorsque Bourdieu présentait la "culture générale" comme un mode de domination. Allez, je laisse le mot de la fin à Pierre...



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Light

Internet est une jungle. Pour s'y adapter, il n'y a que deux solutions : se battre pour sa vie ou se débrouiller pour être trop difficile à bouffer et pas assez bon (ce que l'on connaît sous le nom de stratégie de la tortue). C'est dans cet état d'esprit que j'ouvre un tumblr : Une heure de peine light. La même chose qu'Une heure de peine, mais en light.

En gros l'intérêt du truc, c'est que je puisse poster des petits trucs que je trouve sur Internet et qui n'appelle pas forcément commentaires ou analyses ou, si c'est le cas, de façon trop succincte pour que je m'en fasse tout un foin et tout un post. Cela naviguera toujours autour de la sociologie, mais je vais aussi me permettre d'y mettre des choses un peu plus rigolotes et diverses et variées. Les posts continueront ici bien évidemment : je vois les deux outils comme complémentaires, d'un côté l'analyse et les notes, de l'autre, le signalement et les bêtises.

Hein ? Vous voulez de l'analyse là maintenant tout de suite ? Vous êtes sûrs ? Sur les dernières élections dites-vous ? Les quoi ? Les législatives ? Je vous entends très mal... Je passe sous un nyan cat.



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So it's come to this A Bourdieu meme tumblr

Message à caractère purement informatif : il y a quelques temps, j'avais adapté la pratique du meme à Bourdieu, souvenez-vous, l'idée a été reprise pour un tumblr (je vais finir par m'y mettre moi aussi un jour...) sobrement intitulé "Tell me more Pierre..." sur le modèle de ce qui a pu être fait sur Ryan Gosling (sauf que Bourdieu a moins une tête d'endive quand même). Maintenant, on espère que ça va tenir dans le temps. Un extrait ci-dessous pour vous donner envie.



Oh, et le titre du billet vient de , forcément.


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Qu'est-ce qui fait qu'une image est sexiste ?

Sur le blog "Genre !", Mar_Lard s'intéresse au sexisme dans les jeux vidéo. Difficile pour moi de rester de marbre puisque j'ai tenté de traiter le sujet par deux fois : une fois de façon spécifique, une fois en lien avec les comics. Et comme en plus, Mar_Lard s'en prend à un de mes personnages préférés, Samus Aran, j'ai un peu commenté. Et du coup, ça me tire de mon silence du dernier mois, malgré ma tonne de choses à faire par ailleurs. Car il y a une question importante : qu'est-ce qui fait qu'une image est sexiste ?

Voici encore un post que je voulais faire depuis un certain temps mais que j'avais repoussé à plusieurs reprises. Il suffit de pas grand chose, finalement, pour que je me décide à écrire. Ici, c'est la présentation très négative que fait Mar_Lard du personnage de Samus Aran : après l'avoir présenté comme exemple de l'hyper-sexualisation des femmes dans le monde des jeux vidéo, il écrit ceci :

Qu’un tel personnage en vienne à être utilisé comme contre-exemple à la sexualisation des femmes dans le jeu vidéo en dit long sur le niveau qu’a atteint l’industrie.


Le problème ? Les images suivantes, tirés respectivement de Super Smash Bros Brawl (où Samus Zero Suit/Samus Sans Armure est une des combattantes) et des premiers séquences finales des metroids sur 8 et 16 bits :





Je suis bien d'accord pour dire que le personnage de Samus a été corrompu depuis un certain temps : regardez la position adopté pour la présentation dans Super Smash Bros. Comme souvent, on représente une femme dans une position improbable pour qu'elle expose son derrière, quitte parfois à s'affranchir de tout réalisme anatomique. Ce n'est pas Black Widow qui me contredira.



Mais d'autres éléments me dérangent : est-ce que la tenue même de Samus, à savoir la combinaison qu'elle porte sous son armure dans les derniers épisodes ou les bikinis qu'elle portait sous son armure dans les opus précédents, sont en soi sexistes ? Intuitivement, il me semble qu'il y a une différence entre présenter une guerrière en train de combattre en string de côte de maille plutôt qu'avec une armure réaliste et présenter une femme dans une tenue qui peut certes être plaisante mais qui a une justification scénaristique - que Samus retire son armure à la fin des combats/jeux n'est pas totalement idiot.

Mais une intuition, c'est peu. Je ne vais pas trancher pour savoir si, effectivement, le personnage de Samus est ainsi sexiste. Je me pose plutôt une autre question : à partir de quel moment une image est-elle sexiste ? Les réactions à l'article de Mar_Lard soulève d'ailleurs cette interrogation : est-ce que toute représentation d'une femme dans une tenue ou une position sexy est en soi sexiste ? Est-ce que la taille du soutien-gorge et la longueur du short de Lara Croft suffit pour que l'on parle de sexisme ? Le personnage serait-il plus égalitaire, plus acceptable, si elle faisait du 80A ? (et d'ailleurs : serait-elle moins sexy ?) La dénonciation de la sexualisation ne risque-t-elle pas de se transformer en une forme de puritanisme, refusant toute représentation de la sexualité, surtout si elle est féminine ?

Cette difficulté est très bien illustrée par une série de post sur le blog Les 400 culs intitulée "L'érotisme, c'est du sexisme ?". La blogueuse Agnès Giard y discute avec les auteurs de Contre les publicités sexistes, Chris Ventiane, Sophie Pietrucci et Aude Vincent. La question est de savoir si l'utilisation de l'érotisme et du sexe dans la publicité est oui ou non sexiste. Pour cela, les deux camps se répondent autour du commentaire de plusieurs publicités. La même image fait ainsi l'objet de deux lectures bien différentes : je reproduis ci-après la première des discussions.



Chris Ventiane, Sophie Pietrucci et Aude Vincent :

On a ici un exemple de publicité qui met en scène une femme séductrice. Son physique stéréotypé (mince, jeune, blonde, avec une poitrine ronde), son attitude coquine (regard direct, par en-dessous, bouche entrouverte, sourire), sa posture (bras repliés qui arrondissent les seins): tout suggère que cette “femme-publicité” est prête à s'offrir au passant. Le texte nous dit bien qu'elle interpelle le passant homme, et sous-entend que celui-ci ne peut qu'être “hypnotisé” par la poitrine du personnage. Cette publicité dit que la séduction pour la femme consiste à “racoler” en montrant “la marchandise” et que l'homme “séduit” sera de manière pulsionnelle focalisé davantage sur les attributs sexuels de la femme que sur sa personnalité (ici, le regard). Ce type de relation de séduction posée comme “naturelle” est omniprésente dans la publicité.

Les 400 culs:

On a ici une femme qui a pleinement conscience de son pouvoir de séduction et qui en joue avec ironie, s'adressant à ceux/celles qui la regardent, avec une pointe de défi. Rien à voir avec une pauvre demoiselle en détresse, ni avec une potiche à l'air béat. Le fait que la modèle se présente en soutien-gorge est justifié par le fait que cette affiche est faite pour vendre des soutiens-gorge. Il s'agit ici d'interpeller des femmes, en leur proposant une image d'elles-mêmes qui me semble plutôt positive, volontaire, décidée… Oui, la modèle est séductrice. Mais est-ce mal? Oui, elle met en avant ses atouts. Mais faut-il en inférer qu'elle n'a pas d'autres atouts, en sus de ceux qui sont ici montrés? Il y a dans le discours de certaines féministes une curieuse propension à opposer le corps (forcément vil) et l'esprit (tellement plus noble)… comme s'il fallait avoir honte de son corps ou comme si le fait de valoriser le corps était une manière sournoise de dénigrer l'esprit. «On veut laisser entendre que dès qu'on donne une valeur sexuelle à une femme, on oublie ses autres qualités. C'est démoniser la sexualité. C'est l'ancien discours judéochrétien», dénonce la sexologue Jacqueline Comte.


D'un côté, donc, l'idée que toute représentation de la femme dans une posture ou une situation érotique est sexiste et nuisible - les auteurs souhaitent que la loi s'en mêle et lutte contre les publicités sexistes. De l'autre, la défense du droit des femmes à afficher et à utiliser leur sexualité, considérant qu'il y a un risque de "démonisation" de la sexualité. On voit bien que savoir si une image est sexiste ou non n'est pas si simple quand elle peut faire l'objet de lecture aussi contrasté. De même, le fait que Samus soit belle et sexy sous son armure fait-il d'elle une offense aux femmes ?

Le problème est en fait un problème très simple et très classique : quel est le sens d'une image ou d'un signe ? Ou plutôt qu'est-ce qui nous permet de lui donner sens ? Tournons-nous vers un autre problème : considérons le mot "noir". Il s'agit soit d'un son produit par la bouche ou par un autre moyen technique, soit d'une série de symbole sur un support. Par quel opération parvenons-nous à donner un sens à tout ça ? Qu'est-ce qui fait que le mot "noir" correspond à la couleur noire par exemple ?

Une première réponse serait de dire que chaque chose peut être désignée par un nom : ainsi, c'est l'existence du noir qui nous permettrait de donner sens au mot "noir". Le mot ou le signe n'existerait que par rapport à la chose. Mais cela soulève immédiatement deux difficultés. Premièrement, le même mot peut désigner des choses très différentes : si une "rose noire" est sans doute une fleur de couleur noire, une "idée noire" pose quelque difficulté. Et si je dis "j'ai croisé un noir hier dans la rue", on pourrait, si l'on donnait véritablement sens aux mots ainsi, s'étonner d'apprendre que j'ai en fait croiser Colin Powell qui, non seulement, n'est pas la chose "noir" mais en plus n'a même pas la peau si "noire" que ça.



Cela nous conduit à la deuxième difficulté : nous savons bien que Colin Powell est "noir" même si sa peau ne correspond pas à ce que nous pouvons appeler par ailleurs la couleur "noire". De même, si je vous dit "allez me chercher une rose noire", vous ne commencerez pas par vous représenter une rose, puis la couleur "noire", puis par combiner les deux pour vous représenter l'objet désigné. Il est possible de faire ainsi, mais ce n'est pas ce que font la plupart des gens, et donc ce n'est pas quelque chose de nécessaire. Nous donnons sens à un mot suivant une procédure tout à fait différente.

Le mot "noir" n'existe en fait qu'en rapport avec d'autres mots, d'autres signes et d'autres choses. Il ne prend sens non seulement que parce qu'il existe d'autres couleurs que le noir (essayez d'expliquer ce qu'est le noir ou ce qu'est le rouge à un aveugle...), mais il n'existe aussi que dans un rapport avec d'autres mots qui nous permettent d'en saisir le sens. Donner un sens à un mot n'est pas une opération solitaire, c'est une opération sociale : c'est la conséquence d'un apprentissage qui nous fait réagir d'une certaine façon à un certain mot (si je vous dit "un hippopotame rose", il vous est impossible de ne pas vous le représenter mentalement) ; c'est aussi la conséquence une situation sociale, le signe étant définit d'une certaine façon dans un contexte particulier. Ainsi, le même mot - "noir" - n'aura pas le même sens en France et aux Etats-Unis, même si on en retire le problème de la langue et de la traduction.

Ce petit détour plus ou moins wittgensteinien terminé, revenons à nos publicités et à nos jeux vidéo. Le problème est le même : si j'essaye d'inférer un sens à une image en la considérant seule, c'est comme si j'essayais de comprendre le sens du mot "noir" en dehors de toute langue et en dehors de tout contexte. Dire qu'une image est "sexiste" ne peut se faire de façon absolue : on pourra en débattre indéfiniment sans jamais parvenir à un accord. Ce n'est pas que le mot "sexiste" pose problème ou est mal défini : c'est que l'on ne peut considérer que l'image en question a un sens en soi. C'est nous qui lui donnons sens. C'est l'une des grandes leçons de la sociologie : le sens des choses ne réside pas dans les choses. Il réside dans les relations et les contextes sociaux où s'insèrent ces choses.

Car si l'image n'a pas de sens en soi, cela ne veut pas dire que nous sommes totalement libres de lui donner le sens qui nous chante. Ce sens nous est imposé par l'inscription de l'image dans un contexte social particulier. D'une part, nous sommes habitué à lire les images d'une certaine façon, de telle sorte que, par exemple, une photo d'insecte fera naître chez moi le dégoût tandis qu'une autre personne pourra y voir un délicieux repas. D'autre part, ces images n'existent que dans leurs rapports avec d'autres images, par rapport auxquelles elles se situent et sont situées par ceux qui les lisent. Si le Guernica de Picasso est aussi marquant, c'est parce qu'il se place en rapport avec tout un ensemble d'images qui va de la peinture la plus classique aux photos en noir et blanc qui faisaient la réalité lointaine de l'époque.

Ainsi, une image de femme dénudée, sexy ou même hyper-sexualisée n'est jamais sexiste en soi. Et pour autant, on peut quand même dire qu'une image est sexiste sans que cela ne soit qu'une simple affaire d'appréciation personnelle. Mais elle n'est pas sexiste parce que son contenu l'est en lui-même : elle l'est parce que le sexe, les femmes et la rencontre des deux sont des éléments qui sont dévalorisés par ailleurs dans nos sociétés. Elle est sexiste parce que "salope" demeure une insulte, parce que "faire sa pute" en est une autre, et parce que "qui elle/il a sucé pour en arriver là" est une façon de critiquer un.e collègue qui a eu une promotion avant vous. Une image est sexiste à partir du moment où elle s'inscrit et renforce des structures sexistes déjà existantes. Ce n'est pas parce que les héroïnes de jeux vidéo sont dénudées et sexy que les jeux sont sexistes : c'est parce qu'elles s'inscrivent dans un contexte où les femmes et leur sexualité sont dévalorisées, et qu'elles ne font que reprendre ce "mot" ou cette signification.

La sociologie nous invite ainsi à moins regarder les images de façons individuelles que dans leur ensemble et leurs relations, et à prêter attention aux relations et aux échanges qui les entourent. Mar_lard a là-dessus une meilleure démarche qu'Agnès Giard puisque, plutôt que de regarder chaque image individuelle, elle prend la peine d'en regarder plusieurs. Mais il faut encore faire un saut méthodologique supplémentaire : il faut les analyser dans leurs contextes, dans leur rapport avec d'autres éléments, et notamment avec les dispositions et les croyances de ceux qui les reçoivent. Il faut s'intéresser à la réception et à l'interprétation qui en est fait car c'est cela qui en fait ou en construit le sens. Autrement dit, il faut enquêter. Il faut faire de la sociologie.

Pour conclure, revenons-en brièvement à Samus. Un des reproches qui a été fait certaines féministes aux personnages, c'est précisément que le fait qu'elle soit une femme n'a aucune importance par rapport à l'histoire qui se déroule - mis à part dans le catastrophique Metroid Other M, le dernier de la série qui bafoue le personnage autant qu'il est possible de le faire (même si les scènes de jeu sont assez agréables par ailleurs). Mais c'est peut-être précisément ça qui fait le charme et la valeur du personnage : c'est une femme, et cela n'a aucune importance. Comme cela devrait être le cas dans une société égalitaire. Le sexisme provient peut-être et sans doute plus des lectures qui en ont été faites par la suite, notamment par les joueurs. Et là-dessus, le problème est moins celui du personnage que celui de la capacité des joueurs et d'une industrie à accepter un personnage féminin qui soit aussi neutre qu'un personnage masculin.

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