Hier s'est déroulé un évènement que vous avez peut-être manqué : le pink'n shoes day. Lancé par la blogueuse Thorn, il s'agissait pour les différent-e-s dessinateurs/trices blogueurs/gueuses de faire une note "girly" (on trouve une liste des participants avec lien à la fin de la note de Thorn). Mais c'est quoi une note "girly" ? Regardons ça sociologiquement.
Le terme "girly" en est venu à désigner, dans le petit monde des blogs BD, une catégorie bien particulière : il s'agit de blogs identifiés comme "féminins" et qui se centrent autour de certaines caractéristiques elles-mêmes désignées comme "féminines". Il y sera nécessairement question de chaussures, de fringues, de soldes, de mecs, de chats, etc. Le tout avec frivolité et un peu de bêtise. C'est en tout cas ce qui ressort on ne peut plus clairement des différents dessins réalisés à l'occasion de cette "journée spéciale".
Du coup, "girly", ce n'est pas franchement un compliment. Ca peut même être plutôt lourd à porter. Le blogueur Kek peut ainsi évoquer le fait qu'il lit ce genre de blog pour rigoler. De même, le dessinateur Boulet peut se moquer sans trop d'hésitations de type de blog. Dans les posts du jour, JiBé exprime très clairement les sentiments de haine que peut faire surgir ce style. Bref, le "girly", c'est un stigmate au sens de Goffman : une caractéristique qui permet de marquer le discrédit et dont on cherche à tout prix à se démarquer. Après les skyblogs, c'est sans doute le "genre" qui provoque le plus certainement ce genre de rejet par la moquerie critique.
Mais d'où viennent les blogs girlies ? La question est intéressante. Le terme s'est imposé lorsque le site blogbd.fr a en fait une de ses catégories de classement, depuis disparue : c'est sans doute à ce moment que le "style" fut formalisé et a pris, dans les esprits si ce n'est dans la pratique, sa forme définitive. Généralement, on peut y voir deux grandes "ancêtres" (même si elles ne sont pas si vieilles que ça) : Pénélope Bagieu et son blog "Ma vie est tout à fait fascinante" (signé d'abord Pénélope Jolicoeur) et Margaux Motin, illustratrice qui a publié depuis deux recueils de ses notes. Elles sont évoquées ici comme les "deux reines du genre" par un dessinateur qui voulait justement jouer sur les codes de celui-ci. De même, dans ce post de Boulet, elles sont évoquées comme des "starlettes" de la blogosphère. On retrouve là un stigmate typiquement féminin, attaché très tôt à la pratique du blog : la frivolité et le désir de "se montrer" que l'on prête généralement aux starlettes.
Pourtant, ces deux blogs répondent-ils à l'aspect hyper-féminisé auquel renvoie désormais l'expression "girly" - telle que celle-ci se donne à voir dans les parodies proposées lors de ce pink'n shoes day ? Pas vraiment. Certes, on y trouvera des histoires de fringues et de mecs, certes Pénélope Bagieu a pu parler de son chat, certes, elles peuvent évoquer des questions tout à fait féminines... Mais pas seulement. Au contraire, l'une comme l'autre peuvent également souligner à certains moment la distance qu'elles entretiennent avec le rôle féminin qui est le leur : Margaux Motin utilise un vocabulaire pas toujours très délicat ("alors, on est pas bien décontracté du gland là ?" ou encore "t'as vu ? j'ai réussi à placer 17 fois le mot bite"). Pénélope Bagieu a aussi souligné son côté grossier, et peut mettre en scène la façon dont elle passe d'un rôle à l'autre. Bref, le blog "girly" historique s'est construit sur une distance au rôle féminin traditionnel.
Plus précisément, ces deux blogs s'avèrent très modernes à leur façon. Certes, les deux jeunes femmes se mettent à certains moments en scène en tant que "femmes", à la recherche de la chaussure idéale ou attaché à la musique larmoyante de quand on souffre... Mais elles refusent également de n'être que cela. Elles veulent bien être des femmes, et traitées comme telles, mais pas tout le temps, pas par tout le monde, et pas n'importe comment. C'est ce que revendique très clairement Margaux Motin dans son dernier ouvrage La théorie de la contorsion. Celui-ci s'ouvre sur une mise en scène où elle explique qu'elle refuse d'être enfermé dans une case - et contredit par un dessin chacun des rôles qu'on veut lui coller, de "fiiiiiiiiille" à "fashinista acco aux godasses", en passant par "mère", "soldat" ou "parisienne branchée". La page suivante la représente sortant de la boîte dans laquelle on veut l'enfermer sous la forme d'une multitude d'elles-même avec des vêtements et des attitudes correspondants à tout ce qu'elle veut pouvoir être quand elle en a envie (ce dessin sert maintenant de bandeau à son site).
Bref ces blogs mettaient - et mettent toujours - en scène des femmes qui ne jouent leur rôle de femme que "tongue in cheek" comme disent les anglo-saxons : avec distance et humour, en sachant que c'est un rôle, sans trop s'y attacher et même en montrant ostensiblement que l'on n'est pas dupe. Avec une revendication en filigrane : être traitée comme une femme, d'accord, mais dans les relations intimes, ailleurs, dans les relations professionnelles, on ne veut pas forcément être considérée comme telle. Une belle et forte consciente de la nature du genre en d'autres termes, même si cela n'exclut pas la possibilité de continuer à critiquer les stéréotypes ainsi utilisés.
Au contraire, l'adjectif girly en est venu à désigner de façon péjorative des blogs qui mettent en scène des femmes qui n'ont aucune distance à leur rôle, qui y croient "à mort". Que s'est-il passé ? Comment le terme, déjà peu respectueux dans la mesure où infantilise les femmes ("girls" plutôt que "women"...), a-t-il pu connaître une telle évolution ? Il est en fait sans doute entré en résonance avec la forte dévalorisation de tout ce qui est labellisé comme féminin dans nos sociétés... Comme tout stigmate, celui-ci a eu tendance à venir définir l'ensemble de la personnalité de celui ou celle qui le porte : on a retenu de ces blogs que les aspects que l'on pouvait dévalorisé, à savoir principalement la frivolité. Et on a fait disparaître, dans les représentations, tout ce qu'ils pouvaient avoir de moderne et de revendicatif. Un blog "girly" est "girly"/féminin avant d'être autre chose et tout ce qui pourra y être dit ou fait sera interprété en fonction de ce label.
De quoi témoigne au final cette catégorie des blogs "girly" ? Essentiellement que le combat des femmes est loin d'être terminé. Qu'un homme fasse un blog où il parle de choses "masculines", et personne ne lui reprochera : Monsieur le Chien, en reprenant jusqu'à l'extrême (et c'est pour ça qu'on l'aime) tous les stéréotypes masculins (obsédés sexuels, passionné de foot, de jeux de rôle et de comics, un peu loser, etc.) fait un simple blog, pas un blog "boyish" ou "manly". Au contraire, son humour et sa façon de jouer avec le rôle est très bien compris. Qu'une femme fasse un blog, et elle aura à lutter contre le stigmate qu'on essaira de lui apposer, comme la blogueuse Laurel qui fut obligé de protester auprès de blogbd.fr parce qu'elle trouvait que son travail ne pouvait être labellisé "girly" du seul fait qu'elle soit une femme (elle aussi joue avec ses rôles, celui de mère par exemple)... Lorsqu'elle tentera de jouer avec son rôle de femme, on verra plus difficilement cela comme un jeu, et le risque sera plus fort qu'elle soit prise au premier degré. Bref, il va encore falloir du temps pour qu'être une femme cesse d'être un stigmate.
Le terme "girly" en est venu à désigner, dans le petit monde des blogs BD, une catégorie bien particulière : il s'agit de blogs identifiés comme "féminins" et qui se centrent autour de certaines caractéristiques elles-mêmes désignées comme "féminines". Il y sera nécessairement question de chaussures, de fringues, de soldes, de mecs, de chats, etc. Le tout avec frivolité et un peu de bêtise. C'est en tout cas ce qui ressort on ne peut plus clairement des différents dessins réalisés à l'occasion de cette "journée spéciale".
Du coup, "girly", ce n'est pas franchement un compliment. Ca peut même être plutôt lourd à porter. Le blogueur Kek peut ainsi évoquer le fait qu'il lit ce genre de blog pour rigoler. De même, le dessinateur Boulet peut se moquer sans trop d'hésitations de type de blog. Dans les posts du jour, JiBé exprime très clairement les sentiments de haine que peut faire surgir ce style. Bref, le "girly", c'est un stigmate au sens de Goffman : une caractéristique qui permet de marquer le discrédit et dont on cherche à tout prix à se démarquer. Après les skyblogs, c'est sans doute le "genre" qui provoque le plus certainement ce genre de rejet par la moquerie critique.
Mais d'où viennent les blogs girlies ? La question est intéressante. Le terme s'est imposé lorsque le site blogbd.fr a en fait une de ses catégories de classement, depuis disparue : c'est sans doute à ce moment que le "style" fut formalisé et a pris, dans les esprits si ce n'est dans la pratique, sa forme définitive. Généralement, on peut y voir deux grandes "ancêtres" (même si elles ne sont pas si vieilles que ça) : Pénélope Bagieu et son blog "Ma vie est tout à fait fascinante" (signé d'abord Pénélope Jolicoeur) et Margaux Motin, illustratrice qui a publié depuis deux recueils de ses notes. Elles sont évoquées ici comme les "deux reines du genre" par un dessinateur qui voulait justement jouer sur les codes de celui-ci. De même, dans ce post de Boulet, elles sont évoquées comme des "starlettes" de la blogosphère. On retrouve là un stigmate typiquement féminin, attaché très tôt à la pratique du blog : la frivolité et le désir de "se montrer" que l'on prête généralement aux starlettes.
Pourtant, ces deux blogs répondent-ils à l'aspect hyper-féminisé auquel renvoie désormais l'expression "girly" - telle que celle-ci se donne à voir dans les parodies proposées lors de ce pink'n shoes day ? Pas vraiment. Certes, on y trouvera des histoires de fringues et de mecs, certes Pénélope Bagieu a pu parler de son chat, certes, elles peuvent évoquer des questions tout à fait féminines... Mais pas seulement. Au contraire, l'une comme l'autre peuvent également souligner à certains moment la distance qu'elles entretiennent avec le rôle féminin qui est le leur : Margaux Motin utilise un vocabulaire pas toujours très délicat ("alors, on est pas bien décontracté du gland là ?" ou encore "t'as vu ? j'ai réussi à placer 17 fois le mot bite"). Pénélope Bagieu a aussi souligné son côté grossier, et peut mettre en scène la façon dont elle passe d'un rôle à l'autre. Bref, le blog "girly" historique s'est construit sur une distance au rôle féminin traditionnel.
Plus précisément, ces deux blogs s'avèrent très modernes à leur façon. Certes, les deux jeunes femmes se mettent à certains moments en scène en tant que "femmes", à la recherche de la chaussure idéale ou attaché à la musique larmoyante de quand on souffre... Mais elles refusent également de n'être que cela. Elles veulent bien être des femmes, et traitées comme telles, mais pas tout le temps, pas par tout le monde, et pas n'importe comment. C'est ce que revendique très clairement Margaux Motin dans son dernier ouvrage La théorie de la contorsion. Celui-ci s'ouvre sur une mise en scène où elle explique qu'elle refuse d'être enfermé dans une case - et contredit par un dessin chacun des rôles qu'on veut lui coller, de "fiiiiiiiiille" à "fashinista acco aux godasses", en passant par "mère", "soldat" ou "parisienne branchée". La page suivante la représente sortant de la boîte dans laquelle on veut l'enfermer sous la forme d'une multitude d'elles-même avec des vêtements et des attitudes correspondants à tout ce qu'elle veut pouvoir être quand elle en a envie (ce dessin sert maintenant de bandeau à son site).
Bref ces blogs mettaient - et mettent toujours - en scène des femmes qui ne jouent leur rôle de femme que "tongue in cheek" comme disent les anglo-saxons : avec distance et humour, en sachant que c'est un rôle, sans trop s'y attacher et même en montrant ostensiblement que l'on n'est pas dupe. Avec une revendication en filigrane : être traitée comme une femme, d'accord, mais dans les relations intimes, ailleurs, dans les relations professionnelles, on ne veut pas forcément être considérée comme telle. Une belle et forte consciente de la nature du genre en d'autres termes, même si cela n'exclut pas la possibilité de continuer à critiquer les stéréotypes ainsi utilisés.
Au contraire, l'adjectif girly en est venu à désigner de façon péjorative des blogs qui mettent en scène des femmes qui n'ont aucune distance à leur rôle, qui y croient "à mort". Que s'est-il passé ? Comment le terme, déjà peu respectueux dans la mesure où infantilise les femmes ("girls" plutôt que "women"...), a-t-il pu connaître une telle évolution ? Il est en fait sans doute entré en résonance avec la forte dévalorisation de tout ce qui est labellisé comme féminin dans nos sociétés... Comme tout stigmate, celui-ci a eu tendance à venir définir l'ensemble de la personnalité de celui ou celle qui le porte : on a retenu de ces blogs que les aspects que l'on pouvait dévalorisé, à savoir principalement la frivolité. Et on a fait disparaître, dans les représentations, tout ce qu'ils pouvaient avoir de moderne et de revendicatif. Un blog "girly" est "girly"/féminin avant d'être autre chose et tout ce qui pourra y être dit ou fait sera interprété en fonction de ce label.
De quoi témoigne au final cette catégorie des blogs "girly" ? Essentiellement que le combat des femmes est loin d'être terminé. Qu'un homme fasse un blog où il parle de choses "masculines", et personne ne lui reprochera : Monsieur le Chien, en reprenant jusqu'à l'extrême (et c'est pour ça qu'on l'aime) tous les stéréotypes masculins (obsédés sexuels, passionné de foot, de jeux de rôle et de comics, un peu loser, etc.) fait un simple blog, pas un blog "boyish" ou "manly". Au contraire, son humour et sa façon de jouer avec le rôle est très bien compris. Qu'une femme fasse un blog, et elle aura à lutter contre le stigmate qu'on essaira de lui apposer, comme la blogueuse Laurel qui fut obligé de protester auprès de blogbd.fr parce qu'elle trouvait que son travail ne pouvait être labellisé "girly" du seul fait qu'elle soit une femme (elle aussi joue avec ses rôles, celui de mère par exemple)... Lorsqu'elle tentera de jouer avec son rôle de femme, on verra plus difficilement cela comme un jeu, et le risque sera plus fort qu'elle soit prise au premier degré. Bref, il va encore falloir du temps pour qu'être une femme cesse d'être un stigmate.