Nous voilà donc à la Saint Valentin. L'année dernière, vous aviez appris comment déclarer votre flamme à l'économiste de vos rêves. Depuis, la crise a ébranlé vos certitudes, et vous êtes revenu à la raison : c'est désormais un beau/une belle sociologue que vous courtisez. Voici donc quelques façons de lui faire part de votre sentiment si doux (et ne vous avisez pas de switcher pour un(e) politiste l'année prochaine, ou ça va mal finir).
Tu es mon pygmalion/ma pygmalionne (oui, en sociologie, mettre au féminin des noms propres est autorisé)
Comme le rappelle François de Singly (ah, mon jury d'agreg...), dans la modernité, c'est dans le regard de l'autre que se constitue la personnalité de l'individu : l'individu est réflexif, car il s'élabore non pas suivant des normes extérieurs mais par rapport à lui-même, dans une injonction à être soi, mais ce dialogue avec soi doit trouver confirmation dans le regard de l'autre. Le mythe de Pygmalion permet de comprendre que le conjoint est perçu comme celui qui va révéler les qualités cachées, y compris à soi.
Attention cependant : Pygmalion peut aussi être le parent, et il n'est pas toujours conseillé de faire référence à la belle-famille dans cette période.
Tu es mon autrui significatif/significant other (la terminologie anglaise peut être appréciée)
Pourquoi ne pas revenir aux classiques ? Peter Berger, Hansfried Kellner, "Le mariage et la construction de la réalité". Ou comment le mariage - aujourd'hui ce serait plutôt le couple en général, quelque soit le mode d'union - est un puissant facteur de socialisation parce que c'est dans la conversation amoureuse que s'élabore la construction de la réalité. Vous pouvez aussi lui lancer : Tu es mon instrument nomique, ça marche aussi, et c'est plus classe.
Tu m'as rendu culturellement dissonant(e) (attention, à n'utiliser qu'avec un(e) sociologue, sinon vous allez récolter des baffes)
Les individus ne sont pas que le produit de leur classe sociale, et Bernard Lahire le sait bien. La preuve : ils sont souvent en situation de dissonance culturelle, c'est-à-dire qu'ils ont des pratiques culturelles qui se rapportent à des ordres de légitimité différents. Mais si, souvenez-vous quand vous avez mangé votre bucket de KFC en regardant Ladri di biciclette. C'est évidemment parce que votre cher/chère et tendre est passionné(e) par le néoréalisme italien. Et vous lui êtes reconnaissant pour ça, non ? Tenez, moi, je peux briller en soirée en parlant d'Art contemporain, ou en citant Sex and the City. Remerciez donc votre conjoint(e) pour ce qu'il/qu'elle vous apporte.
Toi et moi, on forme une dyade (prévoyez quand même un petit lexique)
Bon, à utiliser surtout avec quelqu'un qui connait un peu la sociologie des réseaux. Essayez aussi : j'aimerais bien former une clique avec toi, mais seulement si vous vous sentez prêt pour la reproduction (non, pas la reproduction sociale, l'autre).
Même si on vivait en Chine himalayenne, je te serais fidèle (ça marche très bien avec les anthropologues)
Ce qui est significatif quand on sait que chez les Mosos, peuple de Chine himalayenne, il n'existe aucune forme d'union entre les individus, et que les relations amoureuses ne sont soumises à aucun contrôle social.
L'homogamie, ça a du bon finalement (utile si l'objet de votre attention a une certaine mauvaise conscience sociale)
Histoire de rappeler que si notre société n'était pas puissamment structurée en groupes et en classes, vous ne seriez peut être pas ensemble. Complétez par un nos enfants auront un bel habitus, quand même plus romantique que le traditionnel "ils auront mon intelligence et ta beauté" (qui risque toujours d'être suivi d'une baffe bien méritée). Vous pouvez aussi tenter heureusement qu'on était sur la diagonale, mais c'est plus subtil.
Et bien sûr, last but not least, et si vous êtes prêt à l'engagement, n'hésitez pas, dites-lui Dis, et si on s'achetait un lave-linge ?. Normalement, si vous êtes en présence d'un(e) vrai(e) sociologue, de chaudes larmes devraient couler sur ses joues pendant qu'il/elle essaye d'articuler "yes, I dow" (ou qu'il/elle essaye de fuir en courant si vous avez mal calculé votre coup). Pourquoi ? Parce que comme le dit Jean-Claude Kaufman, aujourd'hui, mêler son linge est la plus belle preuve que l'on cesse de se penser comme deux individus différents, rapportant chacun leurs petites affaires chez papa/maman, pour se penser comme un couple en soi. Un mariage, en d'autres termes.
Et si tout cela échoue, essayez le chocolat. Moins sociologique, mais quasiment infaillible - et de toutes façons quelqu'un qui refuse du chocolat ne mérite pas votre attention. En tout cas, si vous avez d'autres propositions, les commentaires sont là pour ça.
Tu es mon pygmalion/ma pygmalionne (oui, en sociologie, mettre au féminin des noms propres est autorisé)
Comme le rappelle François de Singly (ah, mon jury d'agreg...), dans la modernité, c'est dans le regard de l'autre que se constitue la personnalité de l'individu : l'individu est réflexif, car il s'élabore non pas suivant des normes extérieurs mais par rapport à lui-même, dans une injonction à être soi, mais ce dialogue avec soi doit trouver confirmation dans le regard de l'autre. Le mythe de Pygmalion permet de comprendre que le conjoint est perçu comme celui qui va révéler les qualités cachées, y compris à soi.
Attention cependant : Pygmalion peut aussi être le parent, et il n'est pas toujours conseillé de faire référence à la belle-famille dans cette période.
Tu es mon autrui significatif/significant other (la terminologie anglaise peut être appréciée)
Pourquoi ne pas revenir aux classiques ? Peter Berger, Hansfried Kellner, "Le mariage et la construction de la réalité". Ou comment le mariage - aujourd'hui ce serait plutôt le couple en général, quelque soit le mode d'union - est un puissant facteur de socialisation parce que c'est dans la conversation amoureuse que s'élabore la construction de la réalité. Vous pouvez aussi lui lancer : Tu es mon instrument nomique, ça marche aussi, et c'est plus classe.
Tu m'as rendu culturellement dissonant(e) (attention, à n'utiliser qu'avec un(e) sociologue, sinon vous allez récolter des baffes)
Les individus ne sont pas que le produit de leur classe sociale, et Bernard Lahire le sait bien. La preuve : ils sont souvent en situation de dissonance culturelle, c'est-à-dire qu'ils ont des pratiques culturelles qui se rapportent à des ordres de légitimité différents. Mais si, souvenez-vous quand vous avez mangé votre bucket de KFC en regardant Ladri di biciclette. C'est évidemment parce que votre cher/chère et tendre est passionné(e) par le néoréalisme italien. Et vous lui êtes reconnaissant pour ça, non ? Tenez, moi, je peux briller en soirée en parlant d'Art contemporain, ou en citant Sex and the City. Remerciez donc votre conjoint(e) pour ce qu'il/qu'elle vous apporte.
Toi et moi, on forme une dyade (prévoyez quand même un petit lexique)
Bon, à utiliser surtout avec quelqu'un qui connait un peu la sociologie des réseaux. Essayez aussi : j'aimerais bien former une clique avec toi, mais seulement si vous vous sentez prêt pour la reproduction (non, pas la reproduction sociale, l'autre).
Même si on vivait en Chine himalayenne, je te serais fidèle (ça marche très bien avec les anthropologues)
Ce qui est significatif quand on sait que chez les Mosos, peuple de Chine himalayenne, il n'existe aucune forme d'union entre les individus, et que les relations amoureuses ne sont soumises à aucun contrôle social.
L'homogamie, ça a du bon finalement (utile si l'objet de votre attention a une certaine mauvaise conscience sociale)
Histoire de rappeler que si notre société n'était pas puissamment structurée en groupes et en classes, vous ne seriez peut être pas ensemble. Complétez par un nos enfants auront un bel habitus, quand même plus romantique que le traditionnel "ils auront mon intelligence et ta beauté" (qui risque toujours d'être suivi d'une baffe bien méritée). Vous pouvez aussi tenter heureusement qu'on était sur la diagonale, mais c'est plus subtil.
Et bien sûr, last but not least, et si vous êtes prêt à l'engagement, n'hésitez pas, dites-lui Dis, et si on s'achetait un lave-linge ?. Normalement, si vous êtes en présence d'un(e) vrai(e) sociologue, de chaudes larmes devraient couler sur ses joues pendant qu'il/elle essaye d'articuler "yes, I dow" (ou qu'il/elle essaye de fuir en courant si vous avez mal calculé votre coup). Pourquoi ? Parce que comme le dit Jean-Claude Kaufman, aujourd'hui, mêler son linge est la plus belle preuve que l'on cesse de se penser comme deux individus différents, rapportant chacun leurs petites affaires chez papa/maman, pour se penser comme un couple en soi. Un mariage, en d'autres termes.
Et si tout cela échoue, essayez le chocolat. Moins sociologique, mais quasiment infaillible - et de toutes façons quelqu'un qui refuse du chocolat ne mérite pas votre attention. En tout cas, si vous avez d'autres propositions, les commentaires sont là pour ça.
5 commentaires:
Il manque au moins deux pans importants de la sociologie (depuis que tu m'as intéressé, tu es mon point de passage obligé ; viens me rejoindre dans la cité domestique, ou bien entrons en régime de familiarité), mais c'est tout de même très bien vu. Et très drôle.
Le risque pour un homme est de passer pour un homo (http://www.causeur.fr/le-baiser-de-la-lune,3741), en parlant de sociologie... ^^
Sinon, question importante sur la dissonance culturelle : Sex and the City, c'était ta culture à toi à l'origine, ou bien l'apport culturel de Madame ?
Pour le lien que tu donnes, j'aurais plutôt vu un titre comme "du mauvaise usage de la psychanalyse".
Sex and the City, c'est l'apport de Madame. Moi, j'ai désespéremment essayer de la convertir à Red Dwarf et Terry Pratchett, mais ça n'a pas marché... Des dispositions trop fortes sans doute.
Bonjour,
les travaux de J.-C. Kaufman sont-ils valables? J'ai plutôt entendu pas mal de mal à leur propos (faiblesse méthodo, "prêt-à-penser" sociologique, sujets de recherche "vendeurs", etc.), mais je ne sais pas quoi en penser.
Kaufman a écrit un bouquin de méthodologie (L'entretien compréhensif, en 128) et un bouquin où il expose sa démarche théorique tendant vers une sociologie de l'individu (Ego). Il y a des points critiquables, mais il fait incontestablement un vrai travail de sociologue. Certes, ses sujets sont "sexy" et vendeurs, mais ils n'en sont pas moins importants, bien traités, et répondent à une demande sociale. Je vous conseille vraiment d'aller lire directement ses ouvrages.
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