War minus the shooting plus the sexism

Il fallait bien que, par les temps qui courent, je consacre un billet à la coupe du monde. Il se dit quand même beaucoup de bêtises apologétiques dessus : grande fête, grande communion, union de tous, et autres blabla qui oscillent entre un fonctionnalisme dépassé - la coupe du monde, ça doit servir la société, forcément ! - et l'habituel déroulé des délires post-modernistes qui pensent que faire de la sociologie c'est écrire des trucs marrants sans sortir le nez dehors. Heureusement, le Global Sociology Blog a déjà fait cette partie du boulot : rappeler un peu ce qui se passe dans les coulisses de ce "grand évènement sportif". Mais je vais adresser une autre critique à ce grand moment de communion qui, paraît-il, exprimerait l'essence même de la démocratie : comme le suffrage "universel" de 1848, il oublie la moitié de l'humanité.


Voilà un point qui n'a visiblement pas été perçu par notre ami maffesolien, tout pris à son hommage populiste au ballon rond, et qui est tout simplement ignoré par la plupart des autres commentateurs : cette coupe du monde que l'on rêverait universelle est une coupe du monde masculine.

Oh, bien sûr, j'entends déjà les hordes de thuriféraires du ballon rond qui vont m'expliquer que je vis au moins au siècle passé, si ce n'est à la préhistoire, que désormais, et en France depuis le glorieux mois de Juillet de 1998 où un non moins glorieux crâne rasé et un admirable pied plein de crampons envoyèrent par trois fois un ballon au fond d'un filet jaune et vert, les femmes se sont - enfin ! - intéressées à cette saine activité, qu'il y a des femmes supporters, et que ça y est, après des siècles de sexisme forcené, le football s'est enfin ouvert au beau sexe. Et qu'en plus dans les autres pays, c'est comme ça de toute éternité, qu'il ne se trouve pas une brésilienne qui ne porte un string en dansant la samba et en hurlant son bonheur de voir sa bien-aimée équipe marquer but sur but, le tout dans le respect de l'adversaire bien entendu.

Il y aurait long à dire sur tout ce que le football peut charrier de caricatures nationales et sur comment cela rendrait bénéfique sa pleine marchandisation - après tout, si les équipes n'étaient plus nationales, on pourrait se concentrer sur ce qui est, paraît-il, l'essence du sport, les efforts et le dépassement de soi. Mais ce n'est pas le propos. Quand bien même les tribunes des stades seraient-elles remplies de femmes, jeunes et moins jeunes, éructant, sous des perruques improbables et des maquillages qui ne le sont pas moins, slogans et chansons à la gloire des petits hommes qui s'agitent tout en bas - et je ne suis pas sûr qu'elles soient déjà si nombreuses que cela -, quand bien même, donc, cette coupe du monde n'en finirait pas d'être sexiste.

Parce que pendant ce temps, sur le rectangle de gazon qui retient l'attention de tous, il n'y a que des mâles qui font joujous. Et pas seulement les joueurs. Les arbitres, les entraîneurs, les équipes de soins sont bien souvent exclusivement masculines. Je n'ai pas vérifié pour les photographes, mais ça ne m'étonnerait guère, et ça ne remettrait de toutes façons pas en cause mon propos.

Le football, comme de nombreux autres sports, demeure imperméable à la mixité. On sait que Georges Orwell décrivait le sport comme la guerre sans les balles ("War minus the shooting"). Entre temps, quelques armées dans le monde ont compris que ces dames n'étaient pas les fragiles êtres que l'on voulait qu'elles soient, et que ce n'est qu'une fantaisie bien peu plaisante de la langue si on dit que ceux qui ont du courage "ont des couilles" car il n'est nul besoin de ces attributs pour "servir son pays". Quelques armées, dont la nôtre. Je ne serais pas naïf au point de penser que tout se passe pour le mieux dans les casernes pour celles qui s'engagent, et qu'elles ne connaissent pas quelques formes d'humour typiquement militaire qui viennent ternir ce beau tableau. Il n'en reste pas moins que les choses bougent, et que c'est loin d'être le cas dans le sport.

On me dira peut-être qu'il suffirait de donner plus de place aux épreuves féminines. Il y aura une coupe du monde de football féminin en 2011, rien qu'un bon plan marketing bien placé ne saurait transformer en grand événement festif, plein de vuvuzelas et autres produits dérivés destinés à finir au fond d'un placard ou d'une poubelle. Outre le fait que je suis sceptique tant le Tour de France féminin a du mal à recruter quelque spectateur, il faut bien reconnaître que cela ne réglerait en rien le problème : on continuerait à dire au monde qu'hommes et femmes ne sont pas égaux et ne doivent jouer ensemble.

Certains haussent déjà les épaules, en se disant que je ne suis qu'un de ces égalitaristes à tout crin qui refuse de voir la réalité. Et qu'en plus, si je me la joue féministe, c'est sans doute que je dois être un "homme qui ne s'assume pas" selon l'expression de notre bon David Douillet - comprenez une "tapette". N'est-il pas évident qu'hommes et femmes n'ont pas les mêmes capacités sportives et que donc il faille qu'ils s'affrontent dans des catégories différentes ? N'est-ce pas après tout un moyen de protéger ces dames si fragiles de la force et de la puissance de ces messieurs ? Cette "mise en genre" n'est-elle pas tout ce qu'il y a de plus naturel ?

Et bien, non, justement, si on prend la peine d'y réfléchir dix secondes. Les hommes et les femmes n'auraient pas les mêmes qualités sportives ? C'est là une généralisation bien pratique si l'on veut faire croire que ces dames sont, en fait, "naturellement" des petits êtres fragiles incapables de se confronter à ces messieurs qui seraient, tout autant par "nature", des montagnes de muscles shootés à la testostérone. Le sport crée du genre là où il n'y en a pas : il institue les différences entre hommes et femmes, les légitime et les naturalise, plutôt qu'il ne s'appuie dessus.

Si le problème était vraiment dans les capacités physiques, pourquoi ne pas instituer des critères de capacités physiques justement plutôt que de s'intéresser à ce qui se passe dans le slip de tout un chacun ? Et dire, par exemple, que pour être footballeur professionnel et participer à cette fameuse coupe du monde, il faut mesurer tant, être capable de telle performance, être physiquement solide à hauteur de tant, quelque soit le sexe du joueur. Mon appartenance au soi-disant "sexe fort" ne suffit certainement pas à me donner quelque avantage que ce soit sur, disons, des joueuses de football professionnelles qui, je n'en doute pas une seconde, me mettrait une pâté monumentale à quelque sport que ce soit. Il est bien des hommes qui sont, lorsqu'on les confronte aux sportifs professionnels, aussi "fragiles" que les femmes. Et il y a des femmes qui auraient quelques leçons à donner au sexe "fort" en termes, justement, de forces physiques. Surtout si on les incitait, dès l'enfance, à jouer comme les autres et qu'on les accueillait dans les centres de formation afférents.

Cette réflexion nous montre que la division du sport en catégories féminines et masculines n'a rien de naturel. C'est le reliquat d'une histoire qui a toujours divisé l'humanité en deux, et attribué à un genre la fragilité et à l'autre la force, plutôt de considérer que celles-ci se répartissaient entre les individus quelque soit leur sexe. Cette grande fête populaire que l'on essaye de nous vendre est avant tout une fête de la masculinité : comme dans les guerres du passé, ce sont les hommes qui vont au combat et portent haut les couleurs nationales. Les femmes sont au mieux à l'arrière, à attendre leur retour - ou, comme le suggère une affaire récente, vendent leurs corps aux petits soldats en bleu... Et tout le monde du sport est complice. Une grande communion mondiale ? Bien sûr, mais que les femmes restent dans le fond de l'Eglise...

6 commentaires:

XavierM a dit…

... Et les discussions sportives sont aussi une affaire d'hommes, visiblement (Les femmes au fourneau peuvent éventuellement tendre une oreille) :

http://www.youtube.com/watch#!v=50CUircDbcU&feature=related

Timothée a dit…

C'est énorme. Un des textes les plus pertinents que j'ai lu sur la coupe du monde. J'adore!

guillaume a dit…

Je partage globalement votre analyse du sexisme latent aux grands événements sportifs.
Toutefois, je ne suis pas convaincu de votre réflexion de 10 secondes. Ce sujet vaut bien "une heure de peine" ;)
Plus sérieusement, le sport ne crée pas du genre où il n'y en a pas, mais continue de travail de mise en genre des individus. Ce qui pose de multiples problèmes.
Tout d'abord, la comparaison entre l'homme moyen et la sportive de haut niveau n'a aucun sens. Il faut comparer ce qui est comparable. En prenant une épreuve de pure puissance physique le sprint au 100m, on s'aperçoit qu'il y a une différence de près de 10% entre les records masculins et féminins, et que les femmes ne sont toujours pas descendus sous la barre des 10 secondes (http://fr.wikipedia.org/wiki/100_m%C3%A8tres_(athl%C3%A9tisme)#1968-1980_:_la_barri.C3.A8re_des_10_secondes). Même si ces différences, qui sont en parties fondées en nature, n'ont pas le même poids dans des sports plus techniques, elles ne peuvent être simplement supprimer.
Ensuite, les différences de genre existent avant le sport. Il ne s'agit pas de dire que les filles sont plus "gentilles" ou "fragiles", le foot féminin en est un très bon contre-exemple. Mais, le sport engage les corps des athlètes et bien souvent le contact physique entre adversaires. Or les normes sociales de contacts physiques entre individus du même genre ne sont pas les mêmes qu'entre individus de genre opposé.
Toutefois, ceci ne doit effectivement pas conduire à un fatalisme privilégiant le statut quo. Il serait par exemple intéressant de proposer des rencontres mixtes, soit en marge d'une compétition officielle, soit dans le cadre d'un événement dédié à la lutte contre le sexisme dans le sport. Mais il semble nécessaire d'avoir de telles expérimentation pour juger la part de construit social et la part de différences naturelles dans les performances des équipes et des joueurs.

Denis Colombi a dit…

Je suis d'accord avec votre deuxième remarque : le sport n'est pas le seul à créer du genre, et les genres lui préexistent largement. Disons qu'il participe à leur construction sociale.

Moins convaincu quant au fait de "comparer ce qui est comparable" : comme je l'ai dit, si c'était cela la question, les critères établis ne seraient pas ceux du sexe, mais ceux de la performance. Et qui sait ce que feraient des corps de femmes s'ils n'étaient plus considérés comme tels. C'est pour cela que des expérimentations, comme vous dites, ne mèneront pas loin. Même le simple changement de critères que je propose d'ailleurs...

Occitan 64 a dit…

Je rajouterai, avec ce qui se passe en ce moment chez "les Bleus", que le "grand événement Maffesolien" (la coupe du monde de foot) tourne véritablement au jeu "de petits garçons"; avec ceux qui se vexent, qui s'insultent, se bagarrent .... et commentent. Ne manquent plus que les petites filles (les mamans ou les p *****?) pour consoler cette cour de récréation. Confirmation de cette division sexuelle "des compètences"....


Sinon les micro-expérimentations dont vous parlez existent: le double mixte au tennis; et certaines épreuves de fond en Athlétisme avec départ mixte(marathon, semi-marathon....) et dans lesquelles les meilleures filles ne se privent pas pour relèguer à plus d'une heure les moins bons athlètes "mâles" ....

bouillaud a dit…

Je suis d'accord avec vous; presque tous les sports-spectacles (en dehors du tennis et de la voile...) sont à très nette prédominance masculine en matière d'audience et d'impact sur la vie sociale dans le monde entier. Il est d'ailleurs étonnant que les mouvements féministes ne s'attaquent pas plus à leur place démesurée dans la société actuelle - sans compter la publicité pour l'indépendance féminine que représentent les "femmes de footballeur". Le sport-spectacle reste parmi les secteurs sociaux (y compris l'armée ou... le terrorisme) l'un des plus machistes... comme la criminalité ordinaire d'ailleurs, qui reste de fait un secteur essentiellement masculin et jeune (même s'il existe des chefs maffieux femmes).

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