Les néo-réactionnaires multiplient les attaques contre les études sur le genre. Le plus grave est sans doute que certains médias, peu soucieux de rigueur et reconverti dans la presse à scandale (oui, Le Point, c'est de vous dont je parle), leur donne un écho sans prendre la peine de faire un travail journalistique digne de ce nom. Le cas de David Reimer est souvent mobilisé comme un argument contre les recherches sur le genre. Le problème, c'est qu'il s'agit de quelque chose de malhonnête : en se centrant sur un cas unique tragique, on essaye de faire oublier que la même situation s'est reproduite plusieurs fois avec des fins beaucoup plus heureuses. Je donne ici à lire un extrait du livre de la chercheuse en neuroscience Lise Eliot Cerveau Rose, Cerveau Bleu. Les neurones ont-ils un sexe ? qui, pour ceux qui sont motivés par le minimum d'honnêteté intellectuelle, devrait régler le débat.
Un commentaire : je suis un peu gêné par la façon dont Lise Eliot semble considérer une inclinaison homosexuelle comme un signe de masculinité. C'est difficilement défendable. Je me sens aussi obligé de souligner un point : les différentes femmes dont il est question ont toutes connues un début de socialisation en tant que garçon. Il faut tenir que cette socialisation commence dès la naissance, si ce n'est avant (on sait que le fœtus perçoit des choses de son environnement social, en particulier des sons : est-ce sans influence sur son développement futur ?). Dès lors, le fait que certaines de ces femmes présentent des traits de "masculinité" ne peut être attribué ipso facto à une donnée biologique.
Dans tous les cas, on voit qu'il est malhonnête de se centrer sur le seul cas de David Reimer, qui était certes une erreur mais uniquement parce que l'on avait pas assez pris en compte l'importance de la socialisation des enfants... et non à cause de la biologie ! On notera que l'information n'est pas difficile à trouver. Il est désolant de voir que certains sont prêt à instrumentaliser un suicide pour défendre leur idéologie. Et que certains d'entre eux osent se dire du côté de la vie...
Edit du 2 Mars 2014 : Après différentes discussions et remarques critiques, il me semble nécessaire d'ajouter quelque chose d'important à ce billet.
Le cas de David Reimer est un excellent argument contre l'éducation genrée. En effet, ce qui l'a fait souffrir n'est pas une éducation dé-genrée, encore moins une tentative de lutte les stéréotypes, mais bien la poursuite à tout prix de ces stéréotypes. John Money ne concevait pas qu'il soit possible d'être un homme sans avoir de pénis. Il ne concevait pas non plus que l'on puisse éduquer un enfant sans le pousser complètement du côté d'un des genres, conçus comme des classes opposées et inconciliable. Son but était de former de bons petits mâles et de bonnes petites femelles. Bref, des conceptions qui sont précisément celles de ceux qui s'opposent à tout prix à la notion de genre...
La violence qu'a subit David Reimer, violence tout à la fois physique, psychologie et symbolique, est une violence banale et quotidienne. C'est la violence qui frappe les enfants nés intersexués et que l'on opère à la naissance pour en faire des garçons et des filles sans leur demander leur avis. C'est la violence qui frappe le petit garçon qui veut mettre une robe ou la petite fille qui n'a pas envie d'être une princesse. C'est la violence qui frappe tous les enfants qui se découvrent des désirs amoureux ou sexuels pour ceux de leur sexe, celle qui est racontée, soi dit en passant, par Edouard Louis dans En finir avec Eddy Bellegueule. Bref, ce qu'a connu David Reimer, c'est la violence d'une société genrée et de son éducation. C'est la violence qui a été mise en lumière et questionnée par les études sur le genre. Que cela puisse être retourné contre elles nous dit quelque chose des enjeux qu'il y a derrière.
Le cas le plus célèbre est celui de David Reimer : le « garçon élevé en tant que fille » [...].
Né en 1965, David avait huit mois quand survint le drame de cette circoncision bâclée. Ses parents, désemparés, prirent conseil auprès de différents médecins et se laissèrent finalement convaincre de le transformer en fille. La procédure nécessité de longs mois de travail et ne fut jamais véritablement couronnées de succès. Lorsque David eut dix-sept mois, on modifia sa chevelure, on commença à le vêtir de robes et on le rebaptisa Brenda. A vingt-deux mois, il subit une opération chirurgicale qui le priva de ses testicules et lui fabriqua un vagin rudimentaire.
Ce changement de genre arrivait trop tard. David/Brenda ne s'adapta jamais à son rôle de fille. Enfant, "elle" préférait les pistolets aux poupées, aimait se déguiset en homme, insistait même pour uriner debout. L'école, où les autres enfants se montrèrent cruels envers elle, lui posa beaucoup de difficultés. Elle commença vite à devenir agressive envers son entourage. Un jour enfin, vers l'âge de 14 ans, Brenda apprit la vérité au sujet de son passé médical. David reprit aussitôt son identité masculine. Il épousa plus tard une femme et devint père adoptif de trois enfants. Mais son passé ne cessa jamais de le miner, et il se suicida à l'âge de 38 ans.
L'histoire émouvante de David Reimer donne du poids à la théorie selon laquelle l'identité sexuelle et l'adéquation des comportements à l'un des deux genres sont câblés, programmées dans l'individu dès le plus jeune âge. [...] Pourtant les leçons à tirer de son martyre ne sont pas si claires, pas si évidentes qu'elles le paraissent. David est en fait assez âgé - il avait presque deux ans - au moment où il fut effectivement transformé en fille. [...] Les bébés de vingt et quelques mois savent déjà beaucoup de choses sur les différences entre les garçons et les filles : ils préfèrent déjà les jouets associés à leur propre genre, masculin ou féminin ; ils sont aussi très conscient de leur propre identité sexuelle. Autre donnée cruciale de cette histoire [...] : David avait un vrai jumeau [dans lequel il pouvait se reconnaître].
David Reimer ne fut pas le seul malheureux garçons à perdre son pénis à cause d'une circoncision ratée. Un autre cas, moins célèbre, à eu une conclusion différente – sans doute parce que l'accident se produisit quand le bébé avait tout juste deux mois. A sept mois, son identité sexuelle était déjà transformée, aussi bien socialement que chirurgicalement. Aujourd'hui adulte, cette personne se considère sans ambiguïté comme une femme. Elle a des relations sexuelles avec des hommes comme avec des femmes, mais elle préférait toujours jouer avec les filles quand elle était enfant, et elle n'est jamais habillé en homme.
En tout les chercheurs ont étudié plusieurs dizaines d'enfants qui étaient génétiquement des garçons mais qui, pour diverses raisons médicales, furent élevés comme des filles. La conclusion est rarement aussi tranchée que dans le cas de David Reimer. Dans une étude de 2005, le psychologue Heino Meyer-Bahlburg, de l'université de Columbia, a montré que sur soixante-dix-sept individus transformés en filles, seuls dix-sept avaient choisi de reprendre une identité masculine. Et si, arrivées à l'âge adulte, bon nombre de ces filles présentaient divers signes de masculinité et disaient être plus attirées par les femmes que par les hommes, la majorité se considéraient indiscutablement comme des femmes. Le Dr Meyer-Balhlburg écrit donc en conclusion : « Ces données ne corroborent pas la théorie de la détermination biologique du développement de l'identité sexuelle par les hormones prénatales et/ou par les facteurs génétiques. On est obligé de convenir que l'attribution d'un genre ou de l'autre à l'individu, et les facteurs sociaux concomitants, ont une influence majeure sur la constitution définitive de son identité sexuelle ».
Un commentaire : je suis un peu gêné par la façon dont Lise Eliot semble considérer une inclinaison homosexuelle comme un signe de masculinité. C'est difficilement défendable. Je me sens aussi obligé de souligner un point : les différentes femmes dont il est question ont toutes connues un début de socialisation en tant que garçon. Il faut tenir que cette socialisation commence dès la naissance, si ce n'est avant (on sait que le fœtus perçoit des choses de son environnement social, en particulier des sons : est-ce sans influence sur son développement futur ?). Dès lors, le fait que certaines de ces femmes présentent des traits de "masculinité" ne peut être attribué ipso facto à une donnée biologique.
Dans tous les cas, on voit qu'il est malhonnête de se centrer sur le seul cas de David Reimer, qui était certes une erreur mais uniquement parce que l'on avait pas assez pris en compte l'importance de la socialisation des enfants... et non à cause de la biologie ! On notera que l'information n'est pas difficile à trouver. Il est désolant de voir que certains sont prêt à instrumentaliser un suicide pour défendre leur idéologie. Et que certains d'entre eux osent se dire du côté de la vie...
Edit du 2 Mars 2014 : Après différentes discussions et remarques critiques, il me semble nécessaire d'ajouter quelque chose d'important à ce billet.
Le cas de David Reimer est un excellent argument contre l'éducation genrée. En effet, ce qui l'a fait souffrir n'est pas une éducation dé-genrée, encore moins une tentative de lutte les stéréotypes, mais bien la poursuite à tout prix de ces stéréotypes. John Money ne concevait pas qu'il soit possible d'être un homme sans avoir de pénis. Il ne concevait pas non plus que l'on puisse éduquer un enfant sans le pousser complètement du côté d'un des genres, conçus comme des classes opposées et inconciliable. Son but était de former de bons petits mâles et de bonnes petites femelles. Bref, des conceptions qui sont précisément celles de ceux qui s'opposent à tout prix à la notion de genre...
La violence qu'a subit David Reimer, violence tout à la fois physique, psychologie et symbolique, est une violence banale et quotidienne. C'est la violence qui frappe les enfants nés intersexués et que l'on opère à la naissance pour en faire des garçons et des filles sans leur demander leur avis. C'est la violence qui frappe le petit garçon qui veut mettre une robe ou la petite fille qui n'a pas envie d'être une princesse. C'est la violence qui frappe tous les enfants qui se découvrent des désirs amoureux ou sexuels pour ceux de leur sexe, celle qui est racontée, soi dit en passant, par Edouard Louis dans En finir avec Eddy Bellegueule. Bref, ce qu'a connu David Reimer, c'est la violence d'une société genrée et de son éducation. C'est la violence qui a été mise en lumière et questionnée par les études sur le genre. Que cela puisse être retourné contre elles nous dit quelque chose des enjeux qu'il y a derrière.