Où l'on découvre une façon pas complètement inintéressante de théoriser les règles et les normes...
Dialogue entre Lu-Tze (un vieux maître) et Lobsang (un disciple) :
Terry Pratchett, Thief of Time, p. 251
Je l'évoquais déjà dans la dernière note : Thief of Time est un livre sur les règles. Tout le monde y suit des règles : les Moines de l'Histoire qui ne doivent pas "Intervenir dans l'Histoire", Susan, la maîtresse d'école, qui s'impose à elle-même de ne pas manger plus d'un chocolat par jour, les Auditeurs, sorte de guardiens de l'univers qui n'ont d'autres objectifs que de stopper toute vie - trop désordonnée pour être surveillée - qui croient tellement aux règles qu'ils cherchent à toutes les suivre...
Et justement, lorsque ces derniers s'incarnent dans des corps humains, ils commencent à enfreindre des règles, dont les leurs. Et Lu-Tze, tout en fixant sans cesse des règles (à commencer par la règle n°1 : "Do not act incautiously when confronting little bald wrinkly smiling men"), passe son temps à les contourner. Et, bien sûr, Susan a une conception bien particulière de sa propre règle :
Ibid, p. 123
Le problème de la règle est un vieux problème en sociologie, et plus généralement même en philosophie. Pourquoi suit-on une règle ? Qu'est-ce qui lui permet de s'appliquer ? Qu'est-ce qui en fait l'efficacité ? Il y a toujours le risque, en sociologie et en sciences sociales, de conceptualiser les règles comme ayant une force en soi ou comme étant trop contraignante - Mark Granovetter parlerait d'un individu "sur-socialisé" -, ou à l'inverse comme ne reposant que sur un système de récompense ou de contrainte - le biais de nombreux travaux économiques.
Terry Pratchett propose une voie différente : la règle n'est pas efficace parce qu'elle peut contraindre les individus à la suivre, mais parce qu'elle les oblige à réfléchir. Elle leur est extérieure et elle s'impose à eux : elle change la signification de leurs actions. Enfreindre une règle en sachant qu'elle existe, c'est quand même agir en fonction de cette règle. Aucune règle - et on va sans doute encore reparler de rajouter des règles à la finance internationale - n'empéchera qu'il y ait des déviants. Aucune règle n'empéchera qu'il y ait des crises. Tout au plus permettra-t-elle que les individus responsables se sentent effectivement responsables. Ce sera déjà beaucoup, dans la situation actuelle. Parce que pour l'instant, il n'est pas évident que les responsables aient mauvaise conscience...
Dialogue entre Lu-Tze (un vieux maître) et Lobsang (un disciple) :
'Isn't that, et, interfering with history ? I mean, I was told that sort of thing is all right up in the valleys, but down here in the world...'
'No, it's absolutely forbidden,' said Lu-Tze. ''cos it's Interfering With History. Got to be careful of your witch, of course. Some of them are pretty canny.' He caugt Lobsang's expression. 'Look, that's why there's rules, understand ? So that you think before you break'em.'
Terry Pratchett, Thief of Time, p. 251
Je l'évoquais déjà dans la dernière note : Thief of Time est un livre sur les règles. Tout le monde y suit des règles : les Moines de l'Histoire qui ne doivent pas "Intervenir dans l'Histoire", Susan, la maîtresse d'école, qui s'impose à elle-même de ne pas manger plus d'un chocolat par jour, les Auditeurs, sorte de guardiens de l'univers qui n'ont d'autres objectifs que de stopper toute vie - trop désordonnée pour être surveillée - qui croient tellement aux règles qu'ils cherchent à toutes les suivre...
Et justement, lorsque ces derniers s'incarnent dans des corps humains, ils commencent à enfreindre des règles, dont les leurs. Et Lu-Tze, tout en fixant sans cesse des règles (à commencer par la règle n°1 : "Do not act incautiously when confronting little bald wrinkly smiling men"), passe son temps à les contourner. Et, bien sûr, Susan a une conception bien particulière de sa propre règle :
She put it her mouth.
Damndamndamndamn ! It was nougat inside ! Her one chocolate today and it was damn artificial pink-and-white damn sickly damn stupid nougat !
Well, no-one could be expected to believe that counted. She was entitled to another-
Ibid, p. 123
Le problème de la règle est un vieux problème en sociologie, et plus généralement même en philosophie. Pourquoi suit-on une règle ? Qu'est-ce qui lui permet de s'appliquer ? Qu'est-ce qui en fait l'efficacité ? Il y a toujours le risque, en sociologie et en sciences sociales, de conceptualiser les règles comme ayant une force en soi ou comme étant trop contraignante - Mark Granovetter parlerait d'un individu "sur-socialisé" -, ou à l'inverse comme ne reposant que sur un système de récompense ou de contrainte - le biais de nombreux travaux économiques.
Terry Pratchett propose une voie différente : la règle n'est pas efficace parce qu'elle peut contraindre les individus à la suivre, mais parce qu'elle les oblige à réfléchir. Elle leur est extérieure et elle s'impose à eux : elle change la signification de leurs actions. Enfreindre une règle en sachant qu'elle existe, c'est quand même agir en fonction de cette règle. Aucune règle - et on va sans doute encore reparler de rajouter des règles à la finance internationale - n'empéchera qu'il y ait des déviants. Aucune règle n'empéchera qu'il y ait des crises. Tout au plus permettra-t-elle que les individus responsables se sentent effectivement responsables. Ce sera déjà beaucoup, dans la situation actuelle. Parce que pour l'instant, il n'est pas évident que les responsables aient mauvaise conscience...
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