Résolutions sociologiques

Voici venu le temps des résolutions. La plupart du temps, celles-ci sont oubliées assez rapidement : c'est normal, en l'absence de soutien, la volonté individuelle est faible. Donc autant prendre des résolutions collectives. Tiens, pourquoi les sociologues ne prendraient-ils pas collectivement quelques bonnes résolutions ?

Résolution n°1 : ne pas faire de citations sans guillemets. Parce que ça amène pas mal de problèmes quand même. Hein, Ali ? Quoique, apparemment, pas tant que ça, et il faudrait peut-être prendre comme résolution de ne pas trop dénoncer ceux qui le font, parce que ça entraîne aussi des problèmes. Hein, Pierre ?

Pierre Dubois a raison de s'en prendre à ceux qui enfreignent les règles les plus élémentaires de l'honnêteté intellectuelle et réclament, en plus, un blanc-seing pour le faire. Je me permet de rappeler ici cette citation d'un économiste, un certain Jevons : "Un calme despotique est le triomphe de l'erreur. Dans la république des sciences, la sédition et même l'anarchie sont dans le long terme favorables au plus grand bonheur du plus grand nombre".

Résolution n°2 : Découlant directement de la résolution n°1 : les sociologues devraient profiter de 2011 pour régler une bonne fois pour toute le problème avec un certain courant. Car c'est ce qui ressort le plus nettement de la discussion Dubar - Cibois. "C'est évident que nous n'avons pas d'accord sur ce point avec le courant maffesolien et ses alliés mais je n'ai pas remarqué qu'il y ait divergence entre les autres courants" écrit ce dernier. Il y a des désaccords et des luttes au sein de différents courants et de différentes approches - il est assuré par exemple que bourdieusiens et latouriens ne peuvent pas se sentir - mais tous peuvent au moins se mettre autour d'une table pour s'accorder sur un minimum : la sociologie comme science empirique, comme science d'enquête. Cet accord ne peut se faire avec les post-modernistes. Alors il serait peut-être bon de consommer cela.

Résolution n°3 : Bien réfléchir avant de sortir une thèse provocatrice dans les médias. C'est ce que devrait nous enseigner la publication du livre de Hugues Lagrange, Le déni des cultures. Il n'y pas pu avoir de discussion saine de ce bouquin, même entre sociologues, parce que la question de sa médiatisation est venue se superposer à toutes autres. Lagrange pouvait repousser les critiques en les accusant de refuser par principe ses résultats, et ses critiques étaient obligé de composer entre le bouquin lui-même et la réception médiatique de celui-ci. Résultat : un débat inextricable. Cela ne veut pas dire qu'il faut s'interdire toute intervention dans les médias, mais qu'il est sans doute nécessaire de réfléchir à la façon dont on le fait.

Résolution n°4 : Achever de rejoindre le rang des geeks en encourageant le recours à des logiciels en ligne de commande qui vous donne l'impression d'être Alan Turing réincarné, la persécution en moins. Du genre R ou LaTeX ou d'autres qui existent sans doute et que je ne connais pas. Pourquoi ? Parce que le geek est devenue l'une des figures les plus populaires et les plus positives qui soit. Alors autant en profiter.

Résolution n°5 : S'intéresser plus à ce qui se passe au lycée. Parce que la réforme n'est pas finie, parce que le programme de SES de Terminale sera publié en février, parce qu'il va falloir faire attention à ce qu'on y trouve - on nous a par exemple promis que les classes sociales retirées en première y réapparaitraient. Et parce que se demander "est-ce que ce que je fais aurait du sens pour un lycéen ?" est une bonne question à se poser pour savoir si l'on fait de la sociologie intéressante. Certainement pas la seule : d'une façon générale, se demander si ce que l'on fait aurait du sens pour quelqu'un qui n'est pas sociologue est sans doute une bonne chose.

Je livre toutes ces résolutions au débat et à la discussion de qui voudra. Et bonne année à tous.
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6 commentaires:

Unknown a dit…

De bonnes résolutions, ça c'est sûr !
Une insomnie post-réveillon m'a fait me relever pour lire du Bernard Lahire cette nuit (je crois bien que je suis Lahirien), et à la lecture de tes résolutions je me dis qu'il devrait bien se retrouver dans tes trois premières qui concernent surtout la vie des sociologues.
Parce qu'il ne renierait pas la citation de Jevons tant il fout les pieds dans le plat, parce qu'il aimerait aussi en finir avec la pseudo-sociologie rhétorique et littéraire qui glose sans toucher le "sol raboteux" du terrain, parce qu'il n'est pas le premier à se corrompre dans les médias ou les sauteries pour la gloire.

4. Suis un geek aussi, mais je suis pas sûr que ce soit le comble de la branchitude, ni qu'il faille cotoyer R - qui m'a l'air bien rébarbatif - pour en être.

5. Alors comme ça tu "fais de la sociologie" avec tes lycéens ?

:-))

Denis Colombi a dit…

Je crois que je vais reparler des geeks très bientôt, tiens. Mais pour les sociologues, R est quand même le meilleur espoir d'être reconnu comme geek (la preuve, ça m'a permis d'être adoubé par des geeks qui se font des blagues avec "sudo" dedans). Et puis, c'est pas rébarbatif : c'est juste aussi addictif que Tetris.

Et ouais, je fais de la sociologie avec les élèves. Comme on m'a toujours pas expliqué ce que sont les SES-plus-que-la-somme-des-parties, j'en reste à ce que je connais.

Unknown a dit…

Non mais c'est sur le "faire" que j'ai tiqué. J'ai pas encore eu le temps de faire faire des enquêtes un peu longue à mes élèves, et c'est pas avec les nouveaux programmes que je vais avoir plus le temps. Donc pour l'instant je ne "fais" pas de sociologie, je l'enseigne.

Denis Colombi a dit…

Pourtant, il n'y a pas écrit que je "fais" de la sociologie avec mes élèves :)

Unknown a dit…

Je ne crois pas que la médiatisation du livre de Lagrange ait été plus calamiteuse que ne l'est celle de la sociologie en général, mais sa thèse était certes plus provocatrice... Reste qu'un débat entre sociologues avec H. Lagrange est possible, je l'ai constaté en octobre dernier à Montpellier. Pour le reste, bien d'accord avec vous...

Denis Colombi a dit…

Vous avez raison : il faudrait mener une enquête sur la réception médiatique de la sociologie. A mon avis, la sociologie et les sociologues n'en sortiraient pas grandis, mais bon...

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