Après que Christian Jacob, président du groupe UMP à l'Assemblée Nationale, ait invité à "réfléchir à l'embauche à vie des fonctionnaires", ce vieux serpent de mer a produit quelques remous. L'émission Du grain à moudre n'a pu par exemple s'empêcher d'évoquer cette question lors d'un numéro consacré à la précarité dans la fonction publique. Pourquoi cette remise en cause ? Toujours parce que ce serait là un gain d'efficacité pour les administrations. Un signe de plus, en fait, de l'emprise de ce que Karl Polanyi appelait le "sophisme économique".
Bien que Christian Jacob ait pu mettre en avant les possibilités de mobilité qu'offrirait une remise en cause du statut des fonctionnaires, l'écoute de l'émission de France Culture ne laisse aucun doute sur le fait que ce statut est avant tout critiqué parce qu'il met les fonctionnaires à l'abri de la perte de leur emploi, donc de la concurrence, donc des incitations à travailler, et les encourage donc sinon à la paresse au moins à une moindre efficacité que celle qu'un statut moins protecteur les obligerait à poursuivre. Ce point est on ne peut plus clair dans la remarque de Nicolas Lecaussin, le "libéral" de la confrontation médiatique, selon laquelle en France, 75% des jeunes veulent devenir fonctionnaires "plutôt qu'entrepreneurs".
Il y aurait long à dire sur l'interprétation générale de ce chiffre, si souvent avancé et si rarement sourcé. Pris comme un indicateur de la pussilanimité des Français à l'égard du capitalisme ou du marché (le fameux "mal français"), on pourrait tout aussi bien y lire la méconnaissance générale de la fonction publique : il faudrait quand même savoir quel poste veulent occuper ces "75%", car il n'est pas assuré que tous veuillent être, par exemple, enseignants en collège. Cela permettrait aussi de savoir si ce qui séduit n'est pas, peut-être, plus le sens prêté à certains emplois plutôt que leur sécurité. Bref, il faudrait en savoir un peu plus, à commencer par d'où vient ce chiffre... Autrement, il rejoint les nombreux faux arguments qui polluent longuement le débat public.
Toujours est-il qu'il ressort bien de son utilisation récurrente que, dans une certaine tradition de pensée, la sécurité de l'emploi que fournit le statut des fonctionnaires fait bien problème parce qu'elle conduirait à un fonctionnement inefficace des services publics. En l'absence du risque de perdre son emploi, l'organisation ne pourrait tout simplement pas être économiquement efficace. La dénonciation d'une inégalité "inacceptable" entre ceux qui sont soumis à ce risque et ceux qui y échappent va, d'une façon ou d'une autre, dans le même sens.
C'est donc que, dans cette perspective, il n'existe qu'une incitation économique : la faim. En effet, dans nos sociétés, ne pas avoir d'emploi signifie ne pas pouvoir se nourrir, ni d'ailleurs avoir accès à l'ensemble des biens que l'on juge socialement nécessaire à chacun, que ce soit le logement, les vêtements, les loisirs, etc. C'est par l'occupation d'un emploi que l'on gagne le droit de se procurer toutes ces choses. Même s'il existe des "filets de sécurité sociale", ceux-ci sont suffisamment ténus pour que la faim ne puisse être complètement satisfaite sans passer par la vente de son travail. La pauvreté, la peur de la faim et du dénuement : voilà quelle est la motivation essentielle qui guide nos comportements économiques.
En a-t-il toujours été ainsi ? A cette question, Karl Polanyi a répondu dans ses différents écrits (particulièrement ceux rassemblés dans ses Essais) de façon on ne peut plus claire : "non". La faim n'a pas toujours été la motivation économique essentielle. C'est l'une des caractéristiques de nos sociétés d'en avoir la seule incitation économique possible, à l'exclusion de toutes les autres. C'est cela qui en fait des "sociétés de marché", sociétés dont Polanyi espérait que la seconde Guerre Mondiale avait marqué l'effondrement. S'il avait vécu, pour paraphraser Brassens, la suite lui aurait montré que non.
Ce que soutient Polanyi sur la base d'une exploration historique et anthropologique des systèmes économiques primitifs - comprenons ici : "qui précèdent l'avènement du marché auto-régulateur dans l'Occident du XIXème siècle" - c'est que la faim n'a pas toujours été une incitation ou une motivation économique. Au contraire, dit-il, dans de nombreuses sociétés, la faim n'a pas existé. Du moins comme expérience individuelle : un individu ne pouvait avoir faim que si son groupe était lui-même dans la famine. Autrement, toutes sortes d'obligations obligeaient à s'occuper de ceux qui ne peuvent ou ne veulent travailler, de ceux qui ont faim, de ceux qui ne peuvent se procurer par eux-mêmes leur pitance. Cela a pu être, en Europe, l'obligation morale de laisser les pauvres prélever une partie des récoltes, obligation qui a finit par s'institutionnaliser dans les "lois sur les pauvres" dont Polanyi analyse la disparition dans l'Angleterre de la fin du XVIIIème siècle comme le début de la "société de marché". Cela ne veut pas dire que les bénéficiaires d'un tel système vivaient dans le luxe, mais tout au moins n'étaient-ils pas menacés par la faim et la mort. C'est donc le droit concret, pour ceux qui le souhaitent, de mener un mode de vie de leur choix - une idée centrale chez Polanyi et qui serait de nature, peut-être, à plaire à ceux qui se réclament du "libéralisme".
Mais alors pourquoi les gens travaillaient-ils ? Et bien pour d'autres motivations que la peur de la faim et son pendant la recherche du gain.
Les motivations à travailler ne manquent pas de fait : acquérir ou garantir un certain statut social, se conformer à des normes et des valeurs, etc. De fait, ces motivations existent dans nos sociétés, et, à l'exclusion de certains cas bien particuliers, comme celui de certains traders effectivement motivé seulement par le gain et le gain toujours plus grand, la plupart des personnes ont des motivations relativement complexes de travailler. A la peur de la faim et à la recherche du gain s'ajoutent, souvent de façon dominante, d'autres motifs qui vont du simple plaisir pris à l'activité à laquelle on se livre aux considérations morales les plus diverses. Dans l'histoire, la reconnaissance que l'on peut obtenir n'est pas la moindre des incitations. Et les cas de fonctionnaires choisissant la désobéissance comme mode de lutte soulignent l'attachement de ceux-ci au contenu de leur emploi et non aux seuls gains qu'ils peuvent en tirer. Cela est également vrai dans le privé.
Cette dernière remarque nous conduit au sophisme économique que Karl Polanyi n'a cessé de dénoncer. Car pourquoi dans le privé les cas de désobéissance sont-ils sinon impossibles tout au moins rares ? Tout simplement parce que la faim est pour eux l'incitation dominante. Pas parce qu'elle est naturellement plus forte que les autres, mais parce que l'organisation sociale conduit à la rendre si forte. Le sophisme économique, c'est cette croyance selon laquelle l'organisation économique qui est la nôtre est l'organisation "naturelle", valable en tout temps et en tout lieu - un travers que les économistes ne sont jamais totalement parvenus à abandonner soit dit en passant. Nous avons eu tendance à penser que seule la faim et le gain sont les "vraies" incitations et les "vraies" motivations "économiques" et que toutes les autres ne sont, au mieux, qu'une vague idéologie posée sur des intérêts matériels (où l'on voit tout ce qui sépare Polanyi du marxisme). Et notre organisation économique est construite précisément sur cette croyance, de telle sorte qu'elle dévient "vraie" pour nous. C'est l'organisation de la faim, par la levée maximale des solidarités qui sauvegardaient chacun de cette menace, qui a fait des individus des travailleurs se portant sur un marché pour vendre leur travail. Et c'est ce marché qui a exclut les autres motivations du champ des possibles, qui leur a ôté une partie de leur force dans l'esprit des gens.
Revenons à la question de départ : celle du statut des fonctionnaires. On comprend rapidement qu'il peut exister d'autres motivations pour eux et que, plutôt que de vouloir substituer à celles-ci le motif de la faim, il serait tout aussi envisageable de les développer, par exemple en se posant la question de la reconnaissance du travail de chacun.
Mais on peut aller plus loin. La constitution de la faim comme seule "vraie" motivation économique s'est traduite pas la dévalorisation de fait des autres motifs d'action, des autres incitations. C'est à cette aune que les individus jugent de l'intérêt de travailler, prioritairement si ce n'est à l'exclusion de tout autre. Et cela est également vrai pour les fonctionnaires : eux aussi sont travaillé par le sophisme économique et peuvent se laisser aller à penser que leurs motivations en termes de gains, telles que celles-ci apparaissent sur le bas de leur feuille de paye, ne justifient pas tout leurs efforts. Dès lors, on peut conclure que c'est la transformation de nos sociétés en sociétés de marché qui provoque les problèmes que l'on propose de régler en l'étendant un peu plus...
Sans doute pourrait-on alors proposer de reprendre le problème à nouveau frais, et, plutôt que de discuter sur le maintien ou la suppression du statut des fonctionnaires, s'interroger sur la place du travail et sur ses motivations dans l'ensemble de la société. La précarisation des travailleurs, réelle dans la fonction publique par le biais des très nombreux substituts au fameux "statut", ne fait qu'étendre les motifs de la faim et du gains. Elle pousse les individus à ne rechercher rien d'autres dans leur travail qu'un échappatoire à la famine ou un bénéfice dont ils pourront jouir lors de leur loisir. En un mot, elle dévalorise avec assurance la "valeur travail" dont certains se gargarisent. Les entreprises qui savent combien l'implication des travailleurs est importantes feraient bien de réfléchir à ceci. Peut-être qu'elles parviendraient mieux à leurs objectifs s'ils usaient auprès de leurs travailleurs d'autres incitations de celles que nous nous obstinons à penser être les seules "économiques".
Bien que Christian Jacob ait pu mettre en avant les possibilités de mobilité qu'offrirait une remise en cause du statut des fonctionnaires, l'écoute de l'émission de France Culture ne laisse aucun doute sur le fait que ce statut est avant tout critiqué parce qu'il met les fonctionnaires à l'abri de la perte de leur emploi, donc de la concurrence, donc des incitations à travailler, et les encourage donc sinon à la paresse au moins à une moindre efficacité que celle qu'un statut moins protecteur les obligerait à poursuivre. Ce point est on ne peut plus clair dans la remarque de Nicolas Lecaussin, le "libéral" de la confrontation médiatique, selon laquelle en France, 75% des jeunes veulent devenir fonctionnaires "plutôt qu'entrepreneurs".
Il y aurait long à dire sur l'interprétation générale de ce chiffre, si souvent avancé et si rarement sourcé. Pris comme un indicateur de la pussilanimité des Français à l'égard du capitalisme ou du marché (le fameux "mal français"), on pourrait tout aussi bien y lire la méconnaissance générale de la fonction publique : il faudrait quand même savoir quel poste veulent occuper ces "75%", car il n'est pas assuré que tous veuillent être, par exemple, enseignants en collège. Cela permettrait aussi de savoir si ce qui séduit n'est pas, peut-être, plus le sens prêté à certains emplois plutôt que leur sécurité. Bref, il faudrait en savoir un peu plus, à commencer par d'où vient ce chiffre... Autrement, il rejoint les nombreux faux arguments qui polluent longuement le débat public.
Toujours est-il qu'il ressort bien de son utilisation récurrente que, dans une certaine tradition de pensée, la sécurité de l'emploi que fournit le statut des fonctionnaires fait bien problème parce qu'elle conduirait à un fonctionnement inefficace des services publics. En l'absence du risque de perdre son emploi, l'organisation ne pourrait tout simplement pas être économiquement efficace. La dénonciation d'une inégalité "inacceptable" entre ceux qui sont soumis à ce risque et ceux qui y échappent va, d'une façon ou d'une autre, dans le même sens.
C'est donc que, dans cette perspective, il n'existe qu'une incitation économique : la faim. En effet, dans nos sociétés, ne pas avoir d'emploi signifie ne pas pouvoir se nourrir, ni d'ailleurs avoir accès à l'ensemble des biens que l'on juge socialement nécessaire à chacun, que ce soit le logement, les vêtements, les loisirs, etc. C'est par l'occupation d'un emploi que l'on gagne le droit de se procurer toutes ces choses. Même s'il existe des "filets de sécurité sociale", ceux-ci sont suffisamment ténus pour que la faim ne puisse être complètement satisfaite sans passer par la vente de son travail. La pauvreté, la peur de la faim et du dénuement : voilà quelle est la motivation essentielle qui guide nos comportements économiques.
En a-t-il toujours été ainsi ? A cette question, Karl Polanyi a répondu dans ses différents écrits (particulièrement ceux rassemblés dans ses Essais) de façon on ne peut plus claire : "non". La faim n'a pas toujours été la motivation économique essentielle. C'est l'une des caractéristiques de nos sociétés d'en avoir la seule incitation économique possible, à l'exclusion de toutes les autres. C'est cela qui en fait des "sociétés de marché", sociétés dont Polanyi espérait que la seconde Guerre Mondiale avait marqué l'effondrement. S'il avait vécu, pour paraphraser Brassens, la suite lui aurait montré que non.
Ce que soutient Polanyi sur la base d'une exploration historique et anthropologique des systèmes économiques primitifs - comprenons ici : "qui précèdent l'avènement du marché auto-régulateur dans l'Occident du XIXème siècle" - c'est que la faim n'a pas toujours été une incitation ou une motivation économique. Au contraire, dit-il, dans de nombreuses sociétés, la faim n'a pas existé. Du moins comme expérience individuelle : un individu ne pouvait avoir faim que si son groupe était lui-même dans la famine. Autrement, toutes sortes d'obligations obligeaient à s'occuper de ceux qui ne peuvent ou ne veulent travailler, de ceux qui ont faim, de ceux qui ne peuvent se procurer par eux-mêmes leur pitance. Cela a pu être, en Europe, l'obligation morale de laisser les pauvres prélever une partie des récoltes, obligation qui a finit par s'institutionnaliser dans les "lois sur les pauvres" dont Polanyi analyse la disparition dans l'Angleterre de la fin du XVIIIème siècle comme le début de la "société de marché". Cela ne veut pas dire que les bénéficiaires d'un tel système vivaient dans le luxe, mais tout au moins n'étaient-ils pas menacés par la faim et la mort. C'est donc le droit concret, pour ceux qui le souhaitent, de mener un mode de vie de leur choix - une idée centrale chez Polanyi et qui serait de nature, peut-être, à plaire à ceux qui se réclament du "libéralisme".
Mais alors pourquoi les gens travaillaient-ils ? Et bien pour d'autres motivations que la peur de la faim et son pendant la recherche du gain.
Mais qu'en est-il d'organisations sociales autres que l'économie de marché ? La faim et le gain sont-ils aussi liés aux activités productives qui conditionnent l'existence de la société en question ? La réponse à cette question est clairement négative. En général, on constate que l'organisation sociale de la production est telle que les motivations relevant de la faim et du gain ne sont pas sollicitées ; en effet, dans le cas où la peur de la faim est liée aux activités productives, cette motivation est mêoée à d'autres motivations importantes. Un tel mélange de motvations correspond à ce que nous désignons par le terme de motivations sociales : il s'agit du type d'incitation qui nous fait nous conformer à un comportement approuvée par la société. Un bref aperçu de l'histoire de la civilisation ne nous montre pas l'homme agissant au service de son intérêt individuel pour acquérir des biens matériels, mais plutôt pour assurer sa position, ses droits et ses avantages sociaux ("Faut-il croire au déterminisme économiques ?", Essais, p. 524).
Les motivations à travailler ne manquent pas de fait : acquérir ou garantir un certain statut social, se conformer à des normes et des valeurs, etc. De fait, ces motivations existent dans nos sociétés, et, à l'exclusion de certains cas bien particuliers, comme celui de certains traders effectivement motivé seulement par le gain et le gain toujours plus grand, la plupart des personnes ont des motivations relativement complexes de travailler. A la peur de la faim et à la recherche du gain s'ajoutent, souvent de façon dominante, d'autres motifs qui vont du simple plaisir pris à l'activité à laquelle on se livre aux considérations morales les plus diverses. Dans l'histoire, la reconnaissance que l'on peut obtenir n'est pas la moindre des incitations. Et les cas de fonctionnaires choisissant la désobéissance comme mode de lutte soulignent l'attachement de ceux-ci au contenu de leur emploi et non aux seuls gains qu'ils peuvent en tirer. Cela est également vrai dans le privé.
Cette dernière remarque nous conduit au sophisme économique que Karl Polanyi n'a cessé de dénoncer. Car pourquoi dans le privé les cas de désobéissance sont-ils sinon impossibles tout au moins rares ? Tout simplement parce que la faim est pour eux l'incitation dominante. Pas parce qu'elle est naturellement plus forte que les autres, mais parce que l'organisation sociale conduit à la rendre si forte. Le sophisme économique, c'est cette croyance selon laquelle l'organisation économique qui est la nôtre est l'organisation "naturelle", valable en tout temps et en tout lieu - un travers que les économistes ne sont jamais totalement parvenus à abandonner soit dit en passant. Nous avons eu tendance à penser que seule la faim et le gain sont les "vraies" incitations et les "vraies" motivations "économiques" et que toutes les autres ne sont, au mieux, qu'une vague idéologie posée sur des intérêts matériels (où l'on voit tout ce qui sépare Polanyi du marxisme). Et notre organisation économique est construite précisément sur cette croyance, de telle sorte qu'elle dévient "vraie" pour nous. C'est l'organisation de la faim, par la levée maximale des solidarités qui sauvegardaient chacun de cette menace, qui a fait des individus des travailleurs se portant sur un marché pour vendre leur travail. Et c'est ce marché qui a exclut les autres motivations du champ des possibles, qui leur a ôté une partie de leur force dans l'esprit des gens.
Revenons à la question de départ : celle du statut des fonctionnaires. On comprend rapidement qu'il peut exister d'autres motivations pour eux et que, plutôt que de vouloir substituer à celles-ci le motif de la faim, il serait tout aussi envisageable de les développer, par exemple en se posant la question de la reconnaissance du travail de chacun.
Mais on peut aller plus loin. La constitution de la faim comme seule "vraie" motivation économique s'est traduite pas la dévalorisation de fait des autres motifs d'action, des autres incitations. C'est à cette aune que les individus jugent de l'intérêt de travailler, prioritairement si ce n'est à l'exclusion de tout autre. Et cela est également vrai pour les fonctionnaires : eux aussi sont travaillé par le sophisme économique et peuvent se laisser aller à penser que leurs motivations en termes de gains, telles que celles-ci apparaissent sur le bas de leur feuille de paye, ne justifient pas tout leurs efforts. Dès lors, on peut conclure que c'est la transformation de nos sociétés en sociétés de marché qui provoque les problèmes que l'on propose de régler en l'étendant un peu plus...
Sans doute pourrait-on alors proposer de reprendre le problème à nouveau frais, et, plutôt que de discuter sur le maintien ou la suppression du statut des fonctionnaires, s'interroger sur la place du travail et sur ses motivations dans l'ensemble de la société. La précarisation des travailleurs, réelle dans la fonction publique par le biais des très nombreux substituts au fameux "statut", ne fait qu'étendre les motifs de la faim et du gains. Elle pousse les individus à ne rechercher rien d'autres dans leur travail qu'un échappatoire à la famine ou un bénéfice dont ils pourront jouir lors de leur loisir. En un mot, elle dévalorise avec assurance la "valeur travail" dont certains se gargarisent. Les entreprises qui savent combien l'implication des travailleurs est importantes feraient bien de réfléchir à ceci. Peut-être qu'elles parviendraient mieux à leurs objectifs s'ils usaient auprès de leurs travailleurs d'autres incitations de celles que nous nous obstinons à penser être les seules "économiques".
11 commentaires:
Bonsoir,
Si l'on postule que le chiffre est exact, il est probable que l'appellation "fonctionnaire" ne désigne effectivement pas la vocation d'enseignant dans les collèges, car ces derniers sont probablement perçu comme des "prof".
Ainsi, "fonctionnaire" ne désignent pas un un statut "employé par l'Etat" stricto sensu, mais un état "peut se permettre de ne rien faire car sécurité de l'emploi".
Par exemple, un directeur d'hôpital n'est pas un fonctionnaire de la fonction publique hospitalière, mais un directeur d'hôpital. Un juge n'est pas un fonctionnaire, mais un juge.
Ou pour reprendre votre conclusion sur l'importance de la valeur travail, le fonctionnaire est celui pour qui cette valeur n'a plus aucun sens, et pour qui son activité est une "torture" (tripalium)
La remise en question ne doit pas se faire seulement du côté de l'employeur mais aussi de l'employé, qui même dépourvu de toute vocation et d'idée de l'intérêt général est tenu de faire son travail.
Wis
Ce que vous faites est une interprétation exagérée du chiffre. C'est en fait tout ce que l'on peut faire. Pour savoir ce qu'il veut vraiment dire, il faudrait disposer de données supplémentaires pour savoir ce que se représentaient effectivement les répondants. Autrement tout, le reste n'est que sur-interprétation.
Donc votre assimilation du fonctionnaire à celui qui ne veut rien faire est complètement abusive.
Je pense qu'on pourrait même étendre la-dite «faim» à tout ce qui apparaît nécessaire à la vie dite «normale» ; et en ce sens, je pense que le monde économique, cette pieuvre sans tête et sans visage (au contraire des anciens patrons en chapeau haut-de-forme à cigare) nous a vendu par le biais de publicités déguisées ou non un mode de vie dans lequel la consommation et, en miroir, le spectacle de la consommation, deviennent un critère d'existence essentiel.
Les plus pauvres veulent aussi avoir les mêmes choses que les moins pauvres, et s'endettent pour ça.
On oppose alors une «valeur travail» vidée de son sens à une «valeur-loisir» qui devient un étalon de mesure.
D'où le fait que dans l'imaginaire commun, véhiculé par les personnes politiques et médiatiques les plus asservies à la religion libérale, le fonctionnaire est cet être qui n'a pas besoin de s'impliquer dans son travail et pour lequel la balance emploi/loisir est la plus avantageuse.
Encore faudrait-il peser qui il est, ce fonctionnaire : quel corps ? Quel statut ? (Territorial ? National ?) Quels services ?
Waw. Mais tu as raison en fait.
Je crois que je l'ai toujours su, mais merci d'avoir mis au clair mes pensées.
Super intéressant !
Je ne vois jamais évoqué les raisons "initiales" de cette "embauche à vie".
Y a-t-il eu des travaux qui montraient en quoi celle-ci (et d'autres us de la fonction publique, comme la notation hier si particulière) soustrayait les usagers du service publique à l'arbitraire et leur garantissait l'égalité d'accès ?
C.
Ce n'est pas parce qu'il existait quelques tolérances, comme le droit de glanage, que les pauvres n'avaient pas faim au moyen âge ou après. En fait, jamais les pauvres n'ont aussi bien mangé qu'aujourd’hui, je n'ai pas la démonstration sous le coude, mais ça peux se démontrer avec des données médico-légales (espérance de vie, taille...). Et aujourd’hui on peut vivre (mal, mais mieux qu’un travailleur lambda du moyen-âge) sans travailler.
Sinon, vous pensez vraiment que dans le privé, la seule motivation est de ne pas se faire virer ? Comme subtilité, ça vaut le discours de bistrot sur les fonctionnaires. La plupart des gens respectent voire aiment leur travail, leur mission, leurs collègues, leur entreprise, parce qu’il y trouve du sens, que ça soit livrer du béton, fabriquer des machines, payer des factures, ou enseigner le français à des sales momes (le travailleur éprouvant le moins de doute sur l’utilité de sa mission n’étant pas toujours le 4ème, a priori investi de la mission la plus « noble ») ...
Ne pas se faire virer, c'est la dernière des motivations, celle de dernier recours, celle qui empêche (parfois) dans le privé certaines (rares dans le public ou le privé) personnes de ne plus rien faire.
@Corto : vous gagneriez à relire le billet avec un peu plus de calme. Tout d'abord, il n'y est pas fait référence seulement au moyen-âge européen. Polanyi a travaillé sur un ensemble beaucoup plus large de société. Si aujourd'hui, effectivement, on ne meure pas de ne pas travailler, c'est parce que des "filets de sécurité sociale" comme on dit on était mis au place de l'extérieur de la logique de marché. Vous noterez qu'ils sont aujourd'hui remis en cause par ceux qui se réclament de cette logique...
Pour le reste, lisez avec attention : "la plupart des personnes ont des motivations relativement complexes de travailler. A la peur de la faim et à la recherche du gain s'ajoutent, souvent de façon dominante, d'autres motifs qui vont du simple plaisir pris à l'activité à laquelle on se livre aux considérations morales les plus diverses. [...] Cela est également vrai dans le privé"
Ne peut-on pas reformuler cette question de l'emploi à vie par un débat classique en économie : aléa moral contre sélection adverse.
Comme d'habitude, l'aléa moral est mis en avant par les opposants à l'intervention de l'Etat-ici, l'assurance de l'emploi à vie rend l'employeur très vulnérable à une incitation à ne plus faire grand chose quand on est titularisé fonctionnaire-.
La sélection adverse, au contraire, est mise en avant par ceux qui défendent l'intervention de l'Etat, ici l'emploi à vie permet d'attirer les salariés les plus productifs.
C'est justement contre cette présentation excessivement réductrice du débat que j'ai écrit ce billet : que l'on soit dans la sélection adverse ou dans l'aléa moral, on considère que les seules incitations qui vaillent sont celles que nous désignons improprement comme "économiques" - la faim et le gain. Avec Polanyi, on doit s'efforcer de repenser le travail comme une activité pleinement "encastrée" dans le social.
Tout à fait d'accord. Mais je pense que cela dépend des institutions où l'on travaille. D'expérience, l'aléa moral auquel je faisais allusion n'est pas si fréquent que cela dans l'éducation nationale. Par contre, un copain m'expliquait que dans la municipalité où il travaille, tous les employés municipaux chargés de mettre des PV de stationnement prenaient chaque année le maximum de jours d'arrêt maladie autorisé
Au delà de la gesticulation des politiques, la question majeure pour la gestion des fonctionnaires est celle de la mobilité et du reclassement
Vu la relative stabilité globale du besoin en fonctionnaire, il n'y a pas de raison liée au volume d'effectif de licencier des fonctionnaires, de faire ce qu'on appelle un PSE dans le privé
Par contre, les organisations publiques ont besoin de s'adapter aux évolutions de leur environnement
Par exemple, la réduction drastique de la tuberculose a remis en cause l'existence de nombreux sanatoriums sur le plateau du Retord , comme la diminution nette des accidents de la route depuis une petite dizaine d'années diminue la clientèle des hôpitaux de Berck
De même, l'informatisation de taches administratives peut diminuer les besoins dans tels ou tels métiers et les augmenter ailleurs
Actuellement, la loi prévoit qu'un agent de l'État peut rester en sur effectif dans son corps
Il s'agit d'une mauvaise gestion des deniers publics
De même, on ne peut pas obliger un agent de la FP à se former, ce qui permet de trouver dans certains ministères des secrétaires qui ne savent pas se servir d'un ordinateur et d'un traitement de texte
Sur ces points, le livre blanc de la mission Silicani a fait des propositions qui paraissent de bon sens, et une loi a été votée pour qu'un agent en sur effectif soit obligé d'accepter une mobilité et puisse être licencié en cas de refus de trois propositions sérieuses
Au lieu de discuter des critères pour juger qu'une offre est sérieuse, les syndicats bloquent par principe
il ne faut pas s'étonner que les salariés du privé qui vivent des contraintes d'emplois sans commune mesure avec celles des fonctionnaires finissent par se dire qu'il y des statuts inacceptables, un peu comme le statut des députés est aujourd'hui considéré par une grande majorité des citoyens comme composé de privilèges inacceptables, ou comme les salaires des grands patrons paraissent démesurés.
Ce n'est pas la même chose? Certes, mais le sentiment d'injustice est du même type
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