Si je me permet de citer Noir Désir aujourd'hui, c'est bien évidemment pour vous faire part des dernières avancées sur le front des Sciences économiques et sociales. Deux nouvelles coup sur coup : premièrement, l'annonce de l'intégration des SES au tronc commun de seconde, secondement, le report de la réforme. Officiellement, c'est la "désinformation" pratiquée par certains "opposants à tout progrès du système éducatif". Vraiment ?
Tout d'abord, laissez-moi dire à quel point l'intégration de ma discipline dans les enseignements obligatoires de la classe de seconde est une bonne nouvelle. Pas tant pour des questions basement corporatistes comme le nombre de poste ou d'heures ou simplement individuelle comme la survie de mon propre poste, mais surtout parce qu'il me semble indispensable que tous les élèves aient l'occasion de se confronter aux sciences sociales, ne serait-ce que pour se définir dans leurs choix d'orientation.
D'ailleurs, la nouvelle n'a pas réjouit tous les enseignants de SES. Certains s'inquiètent de se retrouver devant des élèves moins motivés qu'auparavant - actuellement, suivre un cours de SES résulte d'un choix, certes relatif mais pas totalement contraint non plus. L'horaire limité - 1h30 élève hebdomadaire - semble également assez limité, surtout que l'on ne sait pas encore s'il y aura des heures dédoublées. Mais il me semble que c'est là un défi à relever plus qu'autre chose : on ne peut pas se vanter, comme nous le faisons, et à raison, d'avoir participer à la démocratisation du lycée, et puis refuser certains élèves. C'est à nous de savoir les motiver et les intéresser, et je pense que les enseignants de SES en sont capables. Et puis, comment ne pas se sentir un peu solidaire avec mes collègues enseignants de mathématiques, pour qui les élèves à la motivation relative sont le pain quotidien ?
Le report de la réforme me laisse une impression un peu plus mitigée. Évidemment, quelque soit la position que l'on adopte par rapport aux différentes propositions de la réforme, ce report semblait nécessaire : concevoir, expliquer, négocier et appliquer une réforme aussi importante d'ici à la rentrée 2009 constituait une erreur politique grossière. Surtout quand s'il fallait appliquer une réforme de la classe de seconde, alors que rien n'était encore connu sur le cycle terminal (première, terminal, avec, en ligne de mire, le baccalauréat, qui devrai sans doute évoluer lui-aussi... si ce n'est plus).
Mais les raisons évoquées pour ce report me semblent étranges venant du ministre. La mobilisation, bien qu'importante, n'en était pas encore arrivée à son plus haut niveau - même si cette décision du ministère confirme mes prédictions : le recul s'est fait au moment où la lutte s'engageait contre des groupes différents unis par des liens faibles. Or la position de Xavier Darcos semblait être de vouloir "tenir", s'inscrivant ainsi dans une stratégie globale de fermeté de la part du gouvernement et dans une stratégie personnelle de carrière politique vers des positions plus prestigieuses. Est-ce la peur d'un embrasement social de grande ampleur, si les liens faibles entre les jeunesses nationales suffissent à unifier les luttes internationales ? (j'en reparlerais sans doute bientôt, les évenements récents soulevant des problèmes liés à la sociologie de la mondialisation). Je n'en suis pas persuadé. Est-ce une véritable volonté de débattre et de traduire la réforme pour les différents groupes impliqués ? Ce serait un revirement soudain - Xavier Darcos lirait-il mon blog et prendrait-il au sérieux mes conseils ?
Les raisons évoquées pour justifier ce report sont en tout cas assez intéressantes : dans le communiqué de presse, le ministère évoque la "désinformation" de certains acteurs, jouant contre le "consensus". On retrouve, évidemment, la vieille rengaine des élèves manipulés par des syndicats corporatistes. Le Figaro avait fait, il y a quelques temps, ses choux gras de ce genre de théories. Une fois de plus, j'en ai une vision beaucoup plus sociologique, en faisant référence à la sociologie des organisations.
Le ministère édicte des "règles" très générales et somme toute assez floues concernant sa réforme. Se faisant, il crée des zones d'incertitudes, comme dirait Michel Crozier, que les différents acteurs, qui ont leurs rationalités propres, cherchent à exploiter pour gagner en pouvoir dans l'organisation générale qu'est l'éducation nationale. En interprétant et réinterprétant ces espaces, les acteurs peuvent augmenter leurs capacités de contrôle sur l'ensemble du système. Ainsi, même si certains syndicats parviennent à communiquer avec les les lycéens pour leur demander de l'aide, ceci ne traduit pas une tactique peu loyale de leur part, mais bien les dysfonctionnements de la communication du ministère. En outre, les syndicats et organisations lycéennes utilisent aussi ces zones d'incertitudes. Et la structure sociale du "peuple lycéen" est ainsi faite qu'il suffit d'un petit groupe motivé pour créer une large mobilisation : en effet, les liens faibles entre lycéens sont nombreux, aussi bien au sein de chaque établissement scolaire qu'entre les différents lycées, et s'objectivent, à l'époque actuelle, dans les téléphones portables et les réseaux électroniques. Facebook a sans doute plus fait pour l'ampleur et la vitesse des dernières mobilisations qu'une quelconque propagande enseignante !
Cette évocation de la désinformation laisse entendre que le problème réside moins dans la réforme elle-même ou dans les arguments des différentes parties, mais simplement dans une mauvaise compréhension des propositions du ministre. Il ne s'agit donc pas forcément d'une ouverture au débat de la part du ministre, ou d'une annonce de travail en commun, mais peut-être d'une simple prise d'élan pour mieux sauter. Ce serait là une erreur : à force de ramener systématiquement les débats et les engagements à des questions de stratégies et de refuser de voir les arguments et les attachements des individus et des groupes, le pouvoir politique se prive à la fois de sources d'idées importantes et d'une véritable capacité réformatrice. En un mot, il est possible que Xavier Darcos espère atteindre le bout du chemin au plus vite, mais pour tous les autres acteurs, c'est plutôt un estuaire qui s'annonce. L'avenir est donc ouvert et de nouvelles mobilisations sont à attendre. Il semble que ce soit là le mode normal de décision politique en France.
Tout d'abord, laissez-moi dire à quel point l'intégration de ma discipline dans les enseignements obligatoires de la classe de seconde est une bonne nouvelle. Pas tant pour des questions basement corporatistes comme le nombre de poste ou d'heures ou simplement individuelle comme la survie de mon propre poste, mais surtout parce qu'il me semble indispensable que tous les élèves aient l'occasion de se confronter aux sciences sociales, ne serait-ce que pour se définir dans leurs choix d'orientation.
D'ailleurs, la nouvelle n'a pas réjouit tous les enseignants de SES. Certains s'inquiètent de se retrouver devant des élèves moins motivés qu'auparavant - actuellement, suivre un cours de SES résulte d'un choix, certes relatif mais pas totalement contraint non plus. L'horaire limité - 1h30 élève hebdomadaire - semble également assez limité, surtout que l'on ne sait pas encore s'il y aura des heures dédoublées. Mais il me semble que c'est là un défi à relever plus qu'autre chose : on ne peut pas se vanter, comme nous le faisons, et à raison, d'avoir participer à la démocratisation du lycée, et puis refuser certains élèves. C'est à nous de savoir les motiver et les intéresser, et je pense que les enseignants de SES en sont capables. Et puis, comment ne pas se sentir un peu solidaire avec mes collègues enseignants de mathématiques, pour qui les élèves à la motivation relative sont le pain quotidien ?
Le report de la réforme me laisse une impression un peu plus mitigée. Évidemment, quelque soit la position que l'on adopte par rapport aux différentes propositions de la réforme, ce report semblait nécessaire : concevoir, expliquer, négocier et appliquer une réforme aussi importante d'ici à la rentrée 2009 constituait une erreur politique grossière. Surtout quand s'il fallait appliquer une réforme de la classe de seconde, alors que rien n'était encore connu sur le cycle terminal (première, terminal, avec, en ligne de mire, le baccalauréat, qui devrai sans doute évoluer lui-aussi... si ce n'est plus).
Mais les raisons évoquées pour ce report me semblent étranges venant du ministre. La mobilisation, bien qu'importante, n'en était pas encore arrivée à son plus haut niveau - même si cette décision du ministère confirme mes prédictions : le recul s'est fait au moment où la lutte s'engageait contre des groupes différents unis par des liens faibles. Or la position de Xavier Darcos semblait être de vouloir "tenir", s'inscrivant ainsi dans une stratégie globale de fermeté de la part du gouvernement et dans une stratégie personnelle de carrière politique vers des positions plus prestigieuses. Est-ce la peur d'un embrasement social de grande ampleur, si les liens faibles entre les jeunesses nationales suffissent à unifier les luttes internationales ? (j'en reparlerais sans doute bientôt, les évenements récents soulevant des problèmes liés à la sociologie de la mondialisation). Je n'en suis pas persuadé. Est-ce une véritable volonté de débattre et de traduire la réforme pour les différents groupes impliqués ? Ce serait un revirement soudain - Xavier Darcos lirait-il mon blog et prendrait-il au sérieux mes conseils ?
Les raisons évoquées pour justifier ce report sont en tout cas assez intéressantes : dans le communiqué de presse, le ministère évoque la "désinformation" de certains acteurs, jouant contre le "consensus". On retrouve, évidemment, la vieille rengaine des élèves manipulés par des syndicats corporatistes. Le Figaro avait fait, il y a quelques temps, ses choux gras de ce genre de théories. Une fois de plus, j'en ai une vision beaucoup plus sociologique, en faisant référence à la sociologie des organisations.
Le ministère édicte des "règles" très générales et somme toute assez floues concernant sa réforme. Se faisant, il crée des zones d'incertitudes, comme dirait Michel Crozier, que les différents acteurs, qui ont leurs rationalités propres, cherchent à exploiter pour gagner en pouvoir dans l'organisation générale qu'est l'éducation nationale. En interprétant et réinterprétant ces espaces, les acteurs peuvent augmenter leurs capacités de contrôle sur l'ensemble du système. Ainsi, même si certains syndicats parviennent à communiquer avec les les lycéens pour leur demander de l'aide, ceci ne traduit pas une tactique peu loyale de leur part, mais bien les dysfonctionnements de la communication du ministère. En outre, les syndicats et organisations lycéennes utilisent aussi ces zones d'incertitudes. Et la structure sociale du "peuple lycéen" est ainsi faite qu'il suffit d'un petit groupe motivé pour créer une large mobilisation : en effet, les liens faibles entre lycéens sont nombreux, aussi bien au sein de chaque établissement scolaire qu'entre les différents lycées, et s'objectivent, à l'époque actuelle, dans les téléphones portables et les réseaux électroniques. Facebook a sans doute plus fait pour l'ampleur et la vitesse des dernières mobilisations qu'une quelconque propagande enseignante !
Cette évocation de la désinformation laisse entendre que le problème réside moins dans la réforme elle-même ou dans les arguments des différentes parties, mais simplement dans une mauvaise compréhension des propositions du ministre. Il ne s'agit donc pas forcément d'une ouverture au débat de la part du ministre, ou d'une annonce de travail en commun, mais peut-être d'une simple prise d'élan pour mieux sauter. Ce serait là une erreur : à force de ramener systématiquement les débats et les engagements à des questions de stratégies et de refuser de voir les arguments et les attachements des individus et des groupes, le pouvoir politique se prive à la fois de sources d'idées importantes et d'une véritable capacité réformatrice. En un mot, il est possible que Xavier Darcos espère atteindre le bout du chemin au plus vite, mais pour tous les autres acteurs, c'est plutôt un estuaire qui s'annonce. L'avenir est donc ouvert et de nouvelles mobilisations sont à attendre. Il semble que ce soit là le mode normal de décision politique en France.
4 commentaires:
Etant prof de SES je ne suis pas très satisfait par cette reculade. Que vont devenir les programmes de SES ?
- que fait-on des "fondamentaux" ?
- de la lourdeur des programmes.
- des chapitres introductifs de seconde et 1ère qui, actuellement, son des fumisteries sauf à ne pas respecter les programmes.
Nicolas Gros
Darcos savait pertinemment qu'il serait incapable de mettre en œuvre sa réforme pour septembre 2009. On est presque en 2009 et les programmes ne sont toujours pas fixés !
Il avance donc des arguments pour le moins fallacieux pour justifier ce report qui était inéluctable.
Ce faisant, il repoussent l'annonce de sa réforme de 6 mois, évite ainsi le conflit, et fera passer tout cela en force pendant les grandes vacances.
Le professeur Xavier est vraiment le plus fort !
@ Nicolas Gros : a priori, les nouveaux programmes pour la seconde sont prêts - sous réserve que la structure soit bien celle annoncé, et j'espère surtout que l'entrée dans le tronc commun ne sera pas remise en cause. Pour les autres années, ils seront de toute façon transformés lorsque la réforme viendra. Je suis d'accord pour dire qu'ils ont besoin de modification, et je préfère sincèrement qu'on prenne le temps de faire les choses bien.
Par contre, je ne vois pas ce que tu (entre collègues, on se tutoie, non ?) veux dire par les "fondamentaux". S'il s'agit de ces propositions de retour aux fondamentaux de l'économie ou de la sociologie, je suis sceptique : cette idée est trop éloignée de celle que je me fais d'une bonne introduction aux sciences sociales, articulée autour de l'idée de "penser comme un sociologue/un économiste".
Je te rejoins par contre sur la lourdeur des programmes. Pour les chapitres introductifs, par contre, je trouve le programme tellement vague qu'il me semble difficile de ne pas le respecter ! Pour ma part, je fais quelque chose de très éloigné de ce que l'on trouve dans les manuels, et pourtant je respecte parfaitement le programme.
@ Bertaga : vous avez sans doute raison. C'est pour cela que, loin de me réjouir, ces annonces m'inquiètent. Je me serais aussi inquiété si Darcos avait tenu. Etre pessimiste est quelque chose de terrible.
Bonjour, voici mon premier commentaire sur ce blog, mais, je pense, pas le dernier.
M. Xavier Darcos l'a effectivement dit lors des questions au Sénat de (je crois) jeudi dernier : le report consiste à reculer pour mieux sauter.
Et, comme vous, je déplore le non-enseignement des sciences sociales et de l'économie à l'ensemble des lycéens : ayant moi-même suivi la filière scientifique avant de me réorienter vers l'Histoire en entrant à l'université, j'avoue avoir eu besoin d'outils qui ne m'avaient pas été fournis par le lycée. Et rattrapper deux ans de retard en économie et en sociologie, c'est difficile.
Junius
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