Si vous avez sorti la tête hors de la couette -- ou, dans mon cas, hors de votre thèse -- pendant cinq minutes ces derniers jours, vous n'avez pas pu rater la "polémique" lancée par notre Jean-François Copé national (enfin, je dis "notre", il est pas plus à vous qu'à moi... certainement pas à moi en tout cas) autour d'un livre pour enfant intitulé Tous à poils !. Un livre qui montre des gens nus dans le but explicite de montrer aux enfants les différences qui peuvent exister entre les corps des individus. Cela m'inspire une petite réflexion, qui ne portera pas sur la reprise politique de cette affaire. Je la pose là. Vous en faites ce que vous voulez.
Laissons de côté la question des enfants pour l'instant, et posons-nous cette simple question : combien de fois une personne hétérosexuelle a-t-elle l'occasion de voir le corps nu d'une personne de son sexe ? La réponse peut paraître évidente : plein. La publicité ne s'en prive pas, il y a des magazines entiers consacrés à cette question avec des angles d'approches extrêmement différents (et parfois catégorisés avec un raffinement certain), le cinéma et les autres médias qui sont appels à l'image ne sont pas les derniers en la matière. Et je ne parle même pas du genre cinématographique qui s'est entièrement dédié à la mise en image des corps plus ou moins dénudés ainsi qu'à leurs éventuelles rencontres (c'est bon, l'allusion est suffisamment claire ou il faut que j'en rajoute des caisses dans l'euphémisme ?).
Oui mais... on peut déjà noter une inégalité. Le corps des femmes est en la matière beaucoup plus mis en scène que le corps des hommes. Même dans les films et les sites Internet qui vous demandent poliment votre âge avant d'aller plus loin, l'essentiel de la production est destinée à un public hétérosexuel et masculin, et, de ce fait, se concentre sur les corps féminins, ne laissant que peu d'occasion au spectateur de s'intéresser à la plastique des gens de son sexe. De toutes façons, il sera peu amené à regarder ça de près, ce serait mal vu et cela pourrait amener quelques soupçons quant à sa "virilité". Bref. Toujours est-il que, pour une femme, pouvoir se comparer avec d'autres corps féminins est infiniment plus aisé tant ils sont présents. Il doit même être difficile d'y échapper. Hum. Est-ce que ça ne pourrait pas avoir un petit côté... ? Non, gardons ça pour plus tard peut-être.
Soulevons d'abord autre chose. Ces corps que nous voyons finalement de façon assez courante sont le plus souvent des corps sélectionnés. Leur présence dans notre champ de vision et dans notre expérience est le résultat d'une série d'opération de sélection de la part de tout un ensemble d'acteurs sur lesquels nous n'avons que peu de prises. Les corps des mannequins dans les magazines ont été choisis par des couturiers, des photographes, des spécialistes de marketing, des éditeurs, etc. Chacun avec ses positions, ses dispositions, ses objectifs, ses contraintes, ses desiderata. S'il s'agit des corps des acteurs masculins dans un film, c'est la même chose : l’œil du directeur de casting, du réalisateur, des producteurs, etc. est passé par là. Ces sélections peuvent considérablement variées d'un univers à l'autre. Les critères pour choisir un modèle pour les pages lingeries du catalogue de la Redoute ne sont pas les mêmes que pour Vogue qui ne sont pas les mêmes que pour un film pornographique. Le corps masculin mis en scène pour un public hétérosexuel et masculin ne fait pas l'objet de moins de soins : comparez donc Hugh Jackmann en couverture d'un magazine destiné aux hommes et d'un magazine destiné aux femmes. La jeunesse et la minceur ne sont que les critères les plus évidents.
Et si nous nous intéressons à des corps que l'on ne voit pas au travers d'une simple image mais qui peuvent se voir "en vrai", il n'y a pas moins de problèmes. Le corps de la modèle Adriana Lima peut se voir "en vrai" dans un défile de Victoria's Secret :
Pour autant, ce corps est le produit d'un investissement assez conséquent, qui ne peut que nous faire prendre conscience qu'être modèle est bien un travail en soi et pas une simple activité que l'on fait parce qu'on en a l'opportunité, et encore moins la simple continuation d'une féminité "innée" :
Lisa Wade, à qui j'emprunte ici cette réflexion, le compare très justement au travail des body builders, d'autant plus qu'il s'agit dans les deux cas de livrer une performance très courte... Ces corps ne durent que le temps d'un show.
Donc si nous nous posons la question : "combien de fois une personne hétérosexuelle a-t-elle l'occasion de voir le corps nu d'une personne de son sexe sans que ce corps n'ait été sélectionné par tout un ensemble d'acteurs qui ont le plus souvent pour but de le magnifier ?", la réponse est beaucoup plus compliquée. Le mieux que nous pouvions dire serait "rarement". Il peut arriver que nous nous trouvions en position de voir une autre personne nue, mais le plus souvent sans qu'il nous soit autorisé de regarder vraiment : pour ne pas mettre la personne mal à l'aise, on sera amené à détourner le regard (s'il s'agit d'une rencontre fortuite) ou à "voir sans regarder" (si, par exemple, on se trouve dans le vestiaire d'une salle de sport).
Il ne s'agit évidemment pas de dire que l'on devrait tous en permanence se foutre à poil et s'observer avec une loupe. Constatons simplement que, lorsque l'on est hétérosexuel, on n'a peu de chances de connaître un autre corps de son sexe à part le sien. Peu d'occasions de se comparer à autres choses qu'à des performances corporelles bien particulières plutôt qu'à des corps dans leurs états quotidiens, leurs évolutions, leurs variations, et bien sûr leurs diversités. Les points de comparaison qui nous restent peuvent nous être présenté tantôt comme des exceptions notables -- la plupart des corps masculins musclés -- ou comme des états naturels et allant-de-soi -- la plupart des corps féminins utilisées par la mode et l'érotisme. Ce sont finalement nos corps quotidiens et communs qui sont tabous, et non les corps magnifiés que l'art et les industries culturelles n'ont cessé de mettre en scène. Cela éclaire peut-être un peu le scandale que peut provoquer un petit livre pour enfants.
Laissons de côté la question des enfants pour l'instant, et posons-nous cette simple question : combien de fois une personne hétérosexuelle a-t-elle l'occasion de voir le corps nu d'une personne de son sexe ? La réponse peut paraître évidente : plein. La publicité ne s'en prive pas, il y a des magazines entiers consacrés à cette question avec des angles d'approches extrêmement différents (et parfois catégorisés avec un raffinement certain), le cinéma et les autres médias qui sont appels à l'image ne sont pas les derniers en la matière. Et je ne parle même pas du genre cinématographique qui s'est entièrement dédié à la mise en image des corps plus ou moins dénudés ainsi qu'à leurs éventuelles rencontres (c'est bon, l'allusion est suffisamment claire ou il faut que j'en rajoute des caisses dans l'euphémisme ?).
Oui mais... on peut déjà noter une inégalité. Le corps des femmes est en la matière beaucoup plus mis en scène que le corps des hommes. Même dans les films et les sites Internet qui vous demandent poliment votre âge avant d'aller plus loin, l'essentiel de la production est destinée à un public hétérosexuel et masculin, et, de ce fait, se concentre sur les corps féminins, ne laissant que peu d'occasion au spectateur de s'intéresser à la plastique des gens de son sexe. De toutes façons, il sera peu amené à regarder ça de près, ce serait mal vu et cela pourrait amener quelques soupçons quant à sa "virilité". Bref. Toujours est-il que, pour une femme, pouvoir se comparer avec d'autres corps féminins est infiniment plus aisé tant ils sont présents. Il doit même être difficile d'y échapper. Hum. Est-ce que ça ne pourrait pas avoir un petit côté... ? Non, gardons ça pour plus tard peut-être.
Soulevons d'abord autre chose. Ces corps que nous voyons finalement de façon assez courante sont le plus souvent des corps sélectionnés. Leur présence dans notre champ de vision et dans notre expérience est le résultat d'une série d'opération de sélection de la part de tout un ensemble d'acteurs sur lesquels nous n'avons que peu de prises. Les corps des mannequins dans les magazines ont été choisis par des couturiers, des photographes, des spécialistes de marketing, des éditeurs, etc. Chacun avec ses positions, ses dispositions, ses objectifs, ses contraintes, ses desiderata. S'il s'agit des corps des acteurs masculins dans un film, c'est la même chose : l’œil du directeur de casting, du réalisateur, des producteurs, etc. est passé par là. Ces sélections peuvent considérablement variées d'un univers à l'autre. Les critères pour choisir un modèle pour les pages lingeries du catalogue de la Redoute ne sont pas les mêmes que pour Vogue qui ne sont pas les mêmes que pour un film pornographique. Le corps masculin mis en scène pour un public hétérosexuel et masculin ne fait pas l'objet de moins de soins : comparez donc Hugh Jackmann en couverture d'un magazine destiné aux hommes et d'un magazine destiné aux femmes. La jeunesse et la minceur ne sont que les critères les plus évidents.
Et si nous nous intéressons à des corps que l'on ne voit pas au travers d'une simple image mais qui peuvent se voir "en vrai", il n'y a pas moins de problèmes. Le corps de la modèle Adriana Lima peut se voir "en vrai" dans un défile de Victoria's Secret :
Pour autant, ce corps est le produit d'un investissement assez conséquent, qui ne peut que nous faire prendre conscience qu'être modèle est bien un travail en soi et pas une simple activité que l'on fait parce qu'on en a l'opportunité, et encore moins la simple continuation d'une féminité "innée" :
For months before the show, she works out every day with a personal trainer; for the three weeks before, she works out twice a day.
A nutritionist gives her protein shakes, vitamins and supplements to help her body cope with the work out schedule.
She drinks a gallon of water a day.
For the final nine days before the show, she consumes only protein shakes.
Two days before the show, she begins drinking water at a normal rate; for the final 12 hours, she drinks no water at all. She loses up to eight pounds during this time.
Lisa Wade, à qui j'emprunte ici cette réflexion, le compare très justement au travail des body builders, d'autant plus qu'il s'agit dans les deux cas de livrer une performance très courte... Ces corps ne durent que le temps d'un show.
Donc si nous nous posons la question : "combien de fois une personne hétérosexuelle a-t-elle l'occasion de voir le corps nu d'une personne de son sexe sans que ce corps n'ait été sélectionné par tout un ensemble d'acteurs qui ont le plus souvent pour but de le magnifier ?", la réponse est beaucoup plus compliquée. Le mieux que nous pouvions dire serait "rarement". Il peut arriver que nous nous trouvions en position de voir une autre personne nue, mais le plus souvent sans qu'il nous soit autorisé de regarder vraiment : pour ne pas mettre la personne mal à l'aise, on sera amené à détourner le regard (s'il s'agit d'une rencontre fortuite) ou à "voir sans regarder" (si, par exemple, on se trouve dans le vestiaire d'une salle de sport).
Il ne s'agit évidemment pas de dire que l'on devrait tous en permanence se foutre à poil et s'observer avec une loupe. Constatons simplement que, lorsque l'on est hétérosexuel, on n'a peu de chances de connaître un autre corps de son sexe à part le sien. Peu d'occasions de se comparer à autres choses qu'à des performances corporelles bien particulières plutôt qu'à des corps dans leurs états quotidiens, leurs évolutions, leurs variations, et bien sûr leurs diversités. Les points de comparaison qui nous restent peuvent nous être présenté tantôt comme des exceptions notables -- la plupart des corps masculins musclés -- ou comme des états naturels et allant-de-soi -- la plupart des corps féminins utilisées par la mode et l'érotisme. Ce sont finalement nos corps quotidiens et communs qui sont tabous, et non les corps magnifiés que l'art et les industries culturelles n'ont cessé de mettre en scène. Cela éclaire peut-être un peu le scandale que peut provoquer un petit livre pour enfants.
6 commentaires:
J'ai zoomé sur Adriana Lima, mais c'était par intérêt sociologique ;-)
Mouais, est-ce l'hiver qui vous fait si bien oublier l'été ? Car pour ma part des corps masculin dans ma vie d'hétéro j'en ai vu, et pas rarement !
Alors si vous ne pensez particulièrement qu'au sexe, certes c'est limité aux vestiaires de la piscine pour ma part, mais ça reste assez souvent malgré tout. Sinon il y a la plage tout de même...
Enfin je ne vois pas bien où est la réflexion dans tout ça, depuis l'antiquité on s'intéresse plus aux corps travaillés et beaux (pour chaque époque), qu'aux moches, et c'est plutôt normal non ?
Quand aux livres pour enfants, certes coppé joue aux apprentis sorciers, mais pour ma part je suis père de deux enfants (fille et garçons) de 5 et 8 ans, et les bouquins genre "la maitresse à poil !" je vois pas bien en quoi ça va aider ni la maitresse ni les parents à l'élever mieux et sans complexe...
Dans tous ces ouvrages il y a un traitement du rapport adulte/enfant sur ces questions qui me laisse perplexe. Dans une société ou il est tout de même interdis que je sache de se ballader à poil, et surtout devant des enfants !
A mon humble avis il y a bien d'autres priorités et savoir à faire passer à l'école, mais on va encore me traiter de réac.
Bref tout ça pour dire que découvrir qu'on vois pas des sexes masculins tous les jours, que les corps mis en avant dans la société sont plutôt beaux que moches et que coppé est un abruti, que de scoop pour un seul billet !
En tant que sociologue j'aimerai plus avoir votre avis sérieux et documenté sur l'âge le plus approprié pour aborder ces questions avec les enfants, car en tant que père cool, tout ça ne me dérange pas sur le fond, mais j'ai de gros doute sur le meilleur moment et la meilleure façons d'aborder ces problématiques avec mes enfants.
Merci !
@Prince2phore : Sur la plage comme ailleurs, il est malvenu de détailler précisément le corps des autres... Même entre personnes hétérosexuelles de sexe différents, les normes veulent que l'on voit sans regarder... Et même sur la plage il y a des opérations de sélection des corps, de dissimulation de certains, etc. N'importe qui ne se dénude pas, et ne le fait pas n'importe comment. Hé, finalement, vous auriez dû, pour votre part, pousser la réflexion un peu plus loin.
Pour le reste adressez-vous à un psychologue. Et posez-vous cette question : si un enfant se pose des questions, pourquoi n'y aurait-il pas un livre pour l'aider à trouver des réponses ?
Je me permets de citer ce billet sur la FInlande : http://janinebd.fr/dix-bonnes-raisons-daimer-la-finlande/ car il montre bien ce qu'apporte une culture moins pudique au sujet du corps.
En particulier pour les femmes, le tabou du corps associé à la surexposition de corps "parfaits" et factices est vraiment terrible. La mauvaise estime de soi que cela peut provoquer a des conséquences au delà du corporel. Voir le livre de Mona Chollet "Beauté fatale" http://www.editions-zones.fr/spip.php?page=lyberplayer&id_article=149
Cet ouvrage contient des dessins et non des photographies. De plus, les dessins ont été construits, sélectionnés.
Laisser entendre que ce livre permettrait d'avoir une vision réaliste du corps ou qu'il éviterait les "filtres" est largement contraire à la réalité.
Le bouquin présente des corps qui, volontairement, ne sont pas les corps magnifiées et sélectionnés le plus souvent. Pour le reste, comme d'habitude, vous n'avez rien compris au billet, qui s'interroge bien plus largement que sur ce bouquin.
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