Dans mon précédent billet, j'ai essayé de montrer qu'il existait une "culture troll", c'est-à-dire une façon relativement routinisée de réagir au problème du troll. Le point clef me semble être une certaine tolérance au troll, dans le sens où ceux-ci sont assez systématiquement minimisés au point que la faute devient moins le trollage proprement dit que l'indignation face à ceux-ci, voire le simple fait de se sentir blessé.e. Le problème réside surtout dans le fait que cela vient valider la représentation du monde qui est celle des trolls. Dans le présent billet, je vais essayer de me plonger dans certaines productions de la culture troll, pour essayer de montrer ce qu'elle en vient à produire.
Je voudrais ici essayer de moins m'intéresser à la forme que prend le troll - celle d'une culture troll - qu'au contenu de celle-ci. Et pour cela, il faut se tourner vers le vaisseau mère, "the mother of all trolls", la matrice originelle : 4chan.
Ce site, pour ceux qui ne le connaissent pas, est sans doute celui qui a poussé l'art du troll le plus loin. Ce forum où l'anonymat est plus ou moins la norme a non seulement été le lieu de création d'un grand nombre des memes qui font les beaux jours d'Internet, des lolcats au pedobear en passant par le Rickrolling et bien d'autres, mais aussi le lieu d'incubation des Anonymous.
4chan a une caractéristique particulière pour le sujet qui m'intéresse : le troll n'y est pas un évènement ponctuel, c'est la norme. Tout s'y passe dans un esprit de provocation volontaire et surtout dans l'objectif d'être "politiquement incorrects". Comme l'indique la page Wikipédia consacrée au site :
On retrouve cette utilisation du "second degré" (qui n'en est pas un) comme justification, telle que j'ai déjà essayé de l'analyser dans le billet précédent. Celle-ci a même était formalisé dans le concept du "LULZ". La page anglaise de Wikipédia consacré au site l'indique assez clairement :
Qu'est-ce que le "LULZ" ? En un mot, il s'agit de la raison ultime pour faire n'importe quoi. Quoique vous fassiez, vous pouvez le justifier par le fait de l'avoir fait pour le LULZ, et vous excusez ainsi de tout débordement. L'Urban Dictionnary indique :
4chan fonctionne véritablement comme une sous-culture - la culture troll est quelque chose de plus large, on a ici affaire à une culture 4chan, caractéristique d'un petit groupe spécifique. Elle trace une limite assez claire entre ceux qui en sont et les autres, demandant au premier de l'accepter telle quelle. Ainsi, les reproches qui sont adressés aux propos tenus sur le site sont généralement balayés par l'accusation de "ne pas connaître" et donc de ne pas comprendre l'esprit du site. C'est une stratégie rhétorique aussi courante que pratique. En effet, cela implique que si on connaît, on est forcément d'accord : il n'est pas possible de connaître et de critiquer... Du coup, on ne peut pas remettre en cause les pratiques du groupe, qui s'évite ainsi d'avoir à réfléchir dessus. Il y a d'ailleurs une probabilité non nulle pour que l'on me fasse ce reproche...
Ce qui est intéressant dans 4chan et dans l'idée du LULZ, c'est la valorisation qu'il y a derrière du "politiquement incorrect", laquelle n'est pas franchement absente de nos vertes contrées. Les channers tirent une partie de leur gloire et de leur autosatisfaction justement de leur capacité à rire de tout, à aller contre les règles, à se présenter comme des rebelles.
Quelqu'un m'a ainsi envoyé trois images tirés de 4chan qui concernent le féminisme. Il a ajouté que, selon lui, ces images étaient féministes, et même féminists plus que les féministes elles-mêmes, puisqu'elles "tapent où ça fait mal". Ce sont ces images que je vais commenter. La lecture qu'en fait mon correspondant est en effet significative : elle illustre la façon dont parviennent à se présenter les channers et, finalement, tout ceux qui capitalisent sur le "politiquement incorrect". Ces trois images ne représentent pas l'entièreté des productions de 4chan, mais se pencher sur elles permet de comprendre ce que le constat éloge du "politiquement incorrect" finit par produire.
Commençons par la première : elle est extrèmement classique, et pourrait se retrouver sans mal sur d'autres sites qui s'appuient sur ce genre d'humour comme 9gag. Et, d'une façon ou d'une autre, je pense qu'il ne serait pas impossible d'en retrouver l'équivalent chez des amuseurs aussi populaire que Cauet ou Bigard :
L'idée qu'il y a derrière est simple : les femmes ont des avantages que les hommes n'ont pas, les femmes n'ont pas d'efforts à faire pour séduire, et les pauvres hommes souffrent beaucoup parce que tout repose sur eux et qu'on leur exige des choses impossibles, comme par exemple ne pas être ennuyeux.
Réglons tout de suite un problème : non, ce n'est pas du "second degré". Le gag ne repose pas sur l'idée que ce qui est dit est faux, ou que celui qui le dit ne le pense pas. L'humour ne provient pas d'un sens différent de celui qui est exposé. Il repose tout entier sur un effet de réel : "c'est drôle parce que c'est vrai !" est la réaction attendue. Et le fait que l'on puisse l'interpréter comme "tapant où ça fait mal" en est la preuve.
Mais qu'en est-il du contenu plus précisément ? Tout repose sur l'idée que "c'est si dur d'être un homme". L'humour repose sur le fait que l'on est amené à plaindre ces pauvres hommes qui se font avoir par les femmes. On retrouve en fait un bon gros couplet masculiniste : les hommes doivent payer au restaurant, pas les femmes, c'est injuste. On peut déjà répondre simplement à cela en demandant aux hommes : accepteriez-vous de voir vos revenus réduits de 10 à 30% sur toutes votre vie en échange du fait de ne pas avoir à payer le restaurant lors d'un premier rendez-vous ? Ce serait, en outre, beaucoup plus drôle.
Mais il ne s'agit pas de justifier que les hommes payent le restaurant. Simplement de constater que, non, cela n'est pas à l'avantage des femmes. Les exemples qui sont donnés signifient que les femmes ne sont définis que par leur sexualité, que c'est tout ce que l'on attends d'eux, et que c'est en fait leur seule valeur sociale. En faire un privilège et une source de domination sur l'homme est idiot : tout cela est d'abord au désavantage des femmes. Et cela est très clair dans cette image puisque le fait que le jeu de la séduction impose aux femmes d'être uniquement passive est précisément ce qui permet à l'auteur de l'image de les déconsidérer, en les présentant comme des profiteuses... le "toutes des salopes" n'est pas loin, et il fait partie des réactions possibles sinon attendues.
Bref, sous ces dehors de "on va dénoncer les inégalités dans le jeu de la séduction", le "politiquement incorrect" de l'image en revient en fait simplement à rappeler quelques bonnes vieilles idées patriarcales. Merveilleux, non ? Restez assis, c'est pas fini.
Pour cette deuxième image, on voit que le "politiquement incorrect" consiste à attaquer les féministes. Là encore, nul second degré : l'humour ne repose pas sur le fait que l'on serait amené à comprendre quelque chose de différent de ce qui est dit, mais bien de ce qui est dit au premier degré. Et le gag réside ici dans le fait que l'on doit être amené à se dire "qu'est-ce qu'elles sont connes ces féministes...".
On me dira alors peut-être "oui, mais c'est vrai que vouloir l'égalité et considérer tous les hommes comme des violeurs, c'est pas bien". Oui, mais on nous amène surtout à croire que les femmes qui réclament l'égalité disent ou pensent aussi que tous les hommes sont des violeurs. Or, c'est simplement faux. L'humour repose ici sur un préjugé que l'on vient valider : celui qui veut que les féministes détestent les hommes. La réponse est connue depuis longtemps et les féministes passent en fait beaucoup de temps à le rappeler à des idiots qui ne se sont jamais intéressés à ce dont ils parlent :
C'est d'ailleurs ce qu'illustre la première image que j'ai constaté, puisque celle-ci repose sur l'idée que les hommes ne sont intéressés par les femmes que pour le sexe et pas parce qu'elles sont intéressantes ou parce qu'elles ont des centres d'intérêt qui leur conviennent...
Du coup, le gag vient dévaloriser la revendication de l'égalité, en reprenant également cette vieille antienne que les féministes veulent juste instaurer la domination des femmes sur les hommes. C'est un mécanisme de silenciation très puissants : toute revendication féministe étant transformée en "haine des hommes", soit on passe plus de temps à repousser ce stigmate qu'à effectivement avancer, soit on a simplement peur de s'exprimer. Là encore, loin d'une dénonciation du sexisme, on s'appuie sur des préjugés sans, je le répète, mettre une quelconque distance ou un iota de "second degré" dans l'histoire.
La troisième et dernière image ayant un fort contenu sexuel, je ne peux pas me permettre de la faire figurer ici : je vous invite donc à cliquer ici en vous mettant toutefois en garde si vous n'êtes pas dans un environnement sûr.
Celle-ci a tout pour se penser politiquement incorrecte, provocante, pour croire que l'on a fait quelque chose de profondément audacieux au nom du LULZ : elle présente le visage d'une femme après une éjaculation faciale. On le voit, c'est aussi cutting edge qu'un porno. La légende, une fois traduite, indique : "Le post-féminisme : être une femme au foyer était trop dégradant".
Je ne suis pas fan du post-féminisme, mais visiblement l'auteur de l'image n'a de toutes façons à peu près aucune idée de ce dont il s'agit. Il se contente de recycler un bon vieux principe : le "slut-shaming". Car l'idée qu'il y a derrière, et qui est au cœur du gag, c'est que le sexe est dégradant pour les femmes, surtout s'il est non-conventionnel. L'humour est censé provenir du fait qu'une pratique sexuelle consentie est par essence plus dégradante pour celle qui la pratique qu'une situation d'exploitation économique. Une fois de plus, nul second degré là-derrière : l'humour repose sur le décalage supposé entre les activités promues par le post-féminisme - le sexe - et celles que celui-ci critique - être femme au foyer - et sur la substitution d'une échelle de valeur pour les juger à celle promue par le-dit mouvement.
On est là en plein dans la société bien pensante du XIXème siècle, pour laquelle le sexe, c'est mal. En faisant honte aux femmes qui ont l'audace de s'engager dans des relations sexuelles, surtout si celles-ci ne correspondent pas au modèle de la "femme bien", on assure un puissant contrôle sur toutes les femmes : faites attention à ce que vous faites ou vous serez des putes ! C'est cela le slut-shaming. Autrement dit, on se trouve une fois de plus devant une image qui, tout en se présentant et en se croyant incroyablement audacieuse, ne fait que s'appuyer sur l'une des formes les plus anciennes de domination, et contribue au passage à la renforcer en délégitimant un mouvement qui se propose de réfléchir sur celle-ci. Le problème, soyons clair, n'est pas la critique du post-féminisme, vis-à-vis duquel j'aurais aussi des critiques, mais le décalage entre la certitude de "pointer un vrai problème" de façon "politiquement incorrecte" et le contenu réel de la chose, finalement conservateur.
Mais il y encore quelque chose à dire sur cette image : son côté "provocateur" provient de ce qu'elle met en scène une pratique sexuelle. "L'audace", si on peut parler ainsi, c'est de pouvoir montrer une éjaculation faciale. Mais qu'est-ce qui a permis cette audace ? Rien de moins que la révolution sexuelle qui a été menée il y a quelques décennies par... les féministes. Et dans l'ensemble, les autres images et toute la pratique du troll repose sur ce même paradoxe : il s'agit de capitaliser sur les avancées obtenues par des mouvements progressistes, de la liberté d'expression à celles des mœurs, pour s'autoriser la défense de positions finalement conservatrices. Ce n'est pas que sur 4chan que l'on trouve cette attitude : se servir de quelques éléments de la modernité pour défendre l'ordre le plus traditionnel, c'est ce que font, par exemple, les créationnistes en essayant de s'approprier les principes de la science pour propager les principes bibliques. C'est ce que font, finalement, tous les néoconservateurs. C'est précisément pour cela qu'ils sont des néoconservateurs...
Soyons clair : je ne suis pas en train de dire que tous les channers sont des néoconservateurs, ni même qu'ils le sont majoritairement, pas plus que je ne prétends que les auteurs des images que je critique ici sont nécessairement néoconservateurs. Les positions intimes des personnes n'ont ici qu'une piètre importance, car ce dont il s'agit, c'est ce qu'elles expriment. Il me faut d'ailleurs rappeler qu'en la matière des gens tout à fait progressistes dans un domaine s'avèrent très conservateurs quand il s'agit des femmes : c'est ainsi que les athées américains ont eu droit à leur débauche de sexisme, à laquelle a pris part Richard Dawkins. Le grand adversaire des créationnistes n'a pas hésité à adopter une position très néoconservatrices vis-à-vis des femmes. C'est ce genre de situation qui me posent question.
Ce qui m'intéresse, c'est ce paradoxe entre des personnes qui se pensent provocatrices et à contre-courant, qui se présentent comme originales et observatrices, qui se drapent dans le politiquement incorrect comme position héroïque de refus des tabous et des interdits, et leurs propos qui sont d'une banalité confondante, ne faisant que reprendre les antiennes milles fois entendues du patriarcat - que des humoristes ressassent les mêmes blagues en se pensant sans cesse novateur est extrêmement courant... En un mot, par un coup de force soi-disant humoristique, on en vient à faire passer la défense du plus vieux des systèmes de domination, la domination des hommes sur les femmes, pour un acte de rébellion et de courage.
Mon hypothèse, que je livre ici à la réflexion, est que cette situation est un produit de la norme du "LULZ" et du "politiquement incorrect". Autrement, qu'il ne s'agit pas de la déviance de quelques individus qui abuseraient de la liberté d'expression offerte par un site comme 4Chan pour diffuser des idées conservatrices (car on trouvera des idées plus variées sur ce site, même si le féminisme y est simplement absent), mais la conséquence d'une incitation à vouloir s'affranchir des normes et à "briser les tabous".
D'abord, cela fournit une justification puissante à ceux qui ont envie d'exprimer sincèrement ce genre d'idée : ce n'est pas seulement qu'ils en ont le droit, comme le leur garantit quoiqu'il arrive la liberté d'expression, c'est qu'ils peuvent s'héroïser de le faire. Une fois de plus, il faut bien se poser la question de savoir avec qui on rigole, et ce que cela dit de nous. Comme je l'ai défendu dans le dernier billet, ceux qui "vont trop loin" ne font finalement que respecter la norme au plus près. Et de vraies formes de harcèlement peuvent avoir lieu pour le LULZ. Comme il faut montrer que l'on est plus politiquement incorrect que les autres, plus audacieux, plus fort, il ne faut pas s'étonner de cela. Il y a une dynamique de compétition là-derrière qui fait le lien entre les différentes pratiques, excessives ou non. Mais cela n'explique pas encore pourquoi certains thèmes, comme le féminisme, sont plus particulièrement visés.
Le LULZ comme le politiquement incorrect consiste à se croire neutre, affranchis de toutes les règles - c'est ce que qu'illustre l'image ci-dessus. Les gens qui le pratiquent se croient et se présentent comme des purs esprits, débarrassés de toutes les pesanteurs de la société. L'anonymat sur Internet renforce cela : contrairement à ce qui s'écrit le plus souvent, le problème n'est pas tant qu'il déresponsabilise les individus qu'il leur laisse le loisir de croire qu'ils ne sont déterminés par rien. Cela va parfois jusqu'au "conseil" adressé aux femmes de ne pas signaler leur genre, et donc de se présenter sous une identité "neutre". Sauf qu'ici comme souvent "neutre" veut dire "masculin". En l'absence de toute autre indication, on supposera généralement qu'un anonyme est un homme. Et un homme blanc pourrait-on rajouter. Cela signifie concrètement que celle qui voudra rester "neutre" devra s'abstenir de tout signe qui pourrait la trahir. Pas question de parler de shopping, de son petit copain, ou, bien sûr, de son féminisme... Pour rester "neutre", il faudra adopter des thèmes de conversations et finalement une identité masculine.
Dès lors, on comprends que cet état de fait ait du mal à s’accommoder d'un mouvement dont l'un des enjeux principaux et de dénoncer cette fausse "neutralité". C'est que la croyance en sa propre neutralité qui est au cœur du LULZ comme du politiquement incorrect suppose l’inexistence ou l'absence de pertinence des rapports de domination. D'où d'ailleurs l'excuse si souvent entendues du "on tape aussi sur les mecs" ou "on s'attaque à tout le monde". Sauf que cela demande à ce que l'on appartienne déjà aux dominants ou que l'on se plie à leurs règles, en évitant par exemple de manifester que l'on est une femme ou que l'on a une autre caractéristique spécifique. C'est qu'Internet voudrait bien souvent fonctionner comme ce que Bourdieu et Boltanski aurait appelé un "lieu neutre", où l'on fait "comme si" les rapports de force et de pouvoirs n'existaient pas : il s'agit en fait de faire se rencontrer les dominants entre eux, pour élaborer un sens commun de classe. Du coup, le fameux "there are no girls on the Internet" prend un tour beaucoup plus sombre qu'un simple bon mot un peu potache...
Il existe bien d'autres de ces lieux et bien d'autres personnes qui usent du politiquement incorrect parce qu'ils se croient neutres : les cercles et cénacles médiatiques en sont pleins, et Eric Zemmour serait ici leur prophète. Pas le seul d'ailleurs : on ne compte plus tous ces hérauts briseurs de tabous qui défendent les positions les plus conservatrices tout en affirmant, contre la plus élémentaire évidence, qu'ils sont réduits au silence. Et on en trouvera aussi un bon nombre de l'autre côté de la manche. Il est possible, probable peut-être, que les channers soient moins conscients qu'eux des positions qu'ils en viennent à défendre, qu'ils soient plus sincères dans leur démarche. Le résultat est finalement le même. Car cette neutralité affichée cache en fait la possibilité de constituer un sens commun au-delà des divergences d'opinion : les commentateurs médiatiques et les hommes politiques qui se rencontrent dans des lieux neutres en viennent à produire une idéologie dominante qui surplombe leurs préférences partisanes - et le traitement de certaines questions liées à l'immigration avant et après une alternance politique nous l'a récemment rappelé ; et un sens commun masculin se met en place lorsque l'on se prétend parfaitement neutre et anonyme... La réaction de Dawkins en témoigne, tout comme la multiplication du splaining et des concern troll.
Résumons un peu : j'ai essayé de montrer ici comment l'incitation au politiquement incorrect, qui est au cœur de la culture des trolleurs, conduisait à adopter des positions conservatrices. C'est la prétention à la neutralité et au dégagement des relations sociales qui est en cause. Ce phénomène est évidemment très loin de se limiter aux seules communautés Internet, même si les conditions de la communication au sein de celles-ci - l'anonymat possible qui donne à la fois la prétention et l'imposition de la neutralité - y sont sans doute favorables. La domination du "second degré" et du "politiquement incorrect" comme échelles de valeurs pour juger de l'humour va également dans ce sens. Reste que mon propos est toujours le même : oui, messieurs, vous avez le droit d'être politiquement incorrects... et j'ai le droit de vous rappeler ce que cela implique.
Je voudrais ici essayer de moins m'intéresser à la forme que prend le troll - celle d'une culture troll - qu'au contenu de celle-ci. Et pour cela, il faut se tourner vers le vaisseau mère, "the mother of all trolls", la matrice originelle : 4chan.
Ce site, pour ceux qui ne le connaissent pas, est sans doute celui qui a poussé l'art du troll le plus loin. Ce forum où l'anonymat est plus ou moins la norme a non seulement été le lieu de création d'un grand nombre des memes qui font les beaux jours d'Internet, des lolcats au pedobear en passant par le Rickrolling et bien d'autres, mais aussi le lieu d'incubation des Anonymous.
4chan a une caractéristique particulière pour le sujet qui m'intéresse : le troll n'y est pas un évènement ponctuel, c'est la norme. Tout s'y passe dans un esprit de provocation volontaire et surtout dans l'objectif d'être "politiquement incorrects". Comme l'indique la page Wikipédia consacrée au site :
L’orientation générale visée par les utilisateurs est la comédie et l'humour, et ce par tous les moyens possibles et imaginables. Les messages et les images postés y sont des plus divers. Il peut avoir un contenu choquant ou violent. Le langage des utilisateurs (qui se désignent entre eux par le nom de /b/tards) est toutefois peu accessible aux néophytes : un nouveau venu ne pourrait donc pas tout comprendre lors de ses premières visites. Ils sont donc invités à lurker pendant un bon moment avant de prendre part à l'activité du board15, le temps d'assimiler la culture du site, de comprendre son humour particulier, de saisir ses références implicites, de pouvoir choisir les bonnes images à poster, de comprendre à quel degré on doit prendre une remarque...
On retrouve cette utilisation du "second degré" (qui n'en est pas un) comme justification, telle que j'ai déjà essayé de l'analyser dans le billet précédent. Celle-ci a même était formalisé dans le concept du "LULZ". La page anglaise de Wikipédia consacré au site l'indique assez clairement :
Users often refer to each other, and much of the outside world, as fags.[22] They are often referred to by outsiders as trolls, who regularly act with the intention of "doing it for the lulz": a corruption of "LOL" used to denote amusement at another's expense
Qu'est-ce que le "LULZ" ? En un mot, il s'agit de la raison ultime pour faire n'importe quoi. Quoique vous fassiez, vous pouvez le justifier par le fait de l'avoir fait pour le LULZ, et vous excusez ainsi de tout débordement. L'Urban Dictionnary indique :
Lulz is the one good reason to do anything, from trolling to rape. After every action taken, you must make the epilogic dubious disclaimer: "I did it for the lulz".
4chan fonctionne véritablement comme une sous-culture - la culture troll est quelque chose de plus large, on a ici affaire à une culture 4chan, caractéristique d'un petit groupe spécifique. Elle trace une limite assez claire entre ceux qui en sont et les autres, demandant au premier de l'accepter telle quelle. Ainsi, les reproches qui sont adressés aux propos tenus sur le site sont généralement balayés par l'accusation de "ne pas connaître" et donc de ne pas comprendre l'esprit du site. C'est une stratégie rhétorique aussi courante que pratique. En effet, cela implique que si on connaît, on est forcément d'accord : il n'est pas possible de connaître et de critiquer... Du coup, on ne peut pas remettre en cause les pratiques du groupe, qui s'évite ainsi d'avoir à réfléchir dessus. Il y a d'ailleurs une probabilité non nulle pour que l'on me fasse ce reproche...
Ce qui est intéressant dans 4chan et dans l'idée du LULZ, c'est la valorisation qu'il y a derrière du "politiquement incorrect", laquelle n'est pas franchement absente de nos vertes contrées. Les channers tirent une partie de leur gloire et de leur autosatisfaction justement de leur capacité à rire de tout, à aller contre les règles, à se présenter comme des rebelles.
Quelqu'un m'a ainsi envoyé trois images tirés de 4chan qui concernent le féminisme. Il a ajouté que, selon lui, ces images étaient féministes, et même féminists plus que les féministes elles-mêmes, puisqu'elles "tapent où ça fait mal". Ce sont ces images que je vais commenter. La lecture qu'en fait mon correspondant est en effet significative : elle illustre la façon dont parviennent à se présenter les channers et, finalement, tout ceux qui capitalisent sur le "politiquement incorrect". Ces trois images ne représentent pas l'entièreté des productions de 4chan, mais se pencher sur elles permet de comprendre ce que le constat éloge du "politiquement incorrect" finit par produire.
Commençons par la première : elle est extrèmement classique, et pourrait se retrouver sans mal sur d'autres sites qui s'appuient sur ce genre d'humour comme 9gag. Et, d'une façon ou d'une autre, je pense qu'il ne serait pas impossible d'en retrouver l'équivalent chez des amuseurs aussi populaire que Cauet ou Bigard :
L'idée qu'il y a derrière est simple : les femmes ont des avantages que les hommes n'ont pas, les femmes n'ont pas d'efforts à faire pour séduire, et les pauvres hommes souffrent beaucoup parce que tout repose sur eux et qu'on leur exige des choses impossibles, comme par exemple ne pas être ennuyeux.
Réglons tout de suite un problème : non, ce n'est pas du "second degré". Le gag ne repose pas sur l'idée que ce qui est dit est faux, ou que celui qui le dit ne le pense pas. L'humour ne provient pas d'un sens différent de celui qui est exposé. Il repose tout entier sur un effet de réel : "c'est drôle parce que c'est vrai !" est la réaction attendue. Et le fait que l'on puisse l'interpréter comme "tapant où ça fait mal" en est la preuve.
Mais qu'en est-il du contenu plus précisément ? Tout repose sur l'idée que "c'est si dur d'être un homme". L'humour repose sur le fait que l'on est amené à plaindre ces pauvres hommes qui se font avoir par les femmes. On retrouve en fait un bon gros couplet masculiniste : les hommes doivent payer au restaurant, pas les femmes, c'est injuste. On peut déjà répondre simplement à cela en demandant aux hommes : accepteriez-vous de voir vos revenus réduits de 10 à 30% sur toutes votre vie en échange du fait de ne pas avoir à payer le restaurant lors d'un premier rendez-vous ? Ce serait, en outre, beaucoup plus drôle.
Mais il ne s'agit pas de justifier que les hommes payent le restaurant. Simplement de constater que, non, cela n'est pas à l'avantage des femmes. Les exemples qui sont donnés signifient que les femmes ne sont définis que par leur sexualité, que c'est tout ce que l'on attends d'eux, et que c'est en fait leur seule valeur sociale. En faire un privilège et une source de domination sur l'homme est idiot : tout cela est d'abord au désavantage des femmes. Et cela est très clair dans cette image puisque le fait que le jeu de la séduction impose aux femmes d'être uniquement passive est précisément ce qui permet à l'auteur de l'image de les déconsidérer, en les présentant comme des profiteuses... le "toutes des salopes" n'est pas loin, et il fait partie des réactions possibles sinon attendues.
Bref, sous ces dehors de "on va dénoncer les inégalités dans le jeu de la séduction", le "politiquement incorrect" de l'image en revient en fait simplement à rappeler quelques bonnes vieilles idées patriarcales. Merveilleux, non ? Restez assis, c'est pas fini.
Pour cette deuxième image, on voit que le "politiquement incorrect" consiste à attaquer les féministes. Là encore, nul second degré : l'humour ne repose pas sur le fait que l'on serait amené à comprendre quelque chose de différent de ce qui est dit, mais bien de ce qui est dit au premier degré. Et le gag réside ici dans le fait que l'on doit être amené à se dire "qu'est-ce qu'elles sont connes ces féministes...".
On me dira alors peut-être "oui, mais c'est vrai que vouloir l'égalité et considérer tous les hommes comme des violeurs, c'est pas bien". Oui, mais on nous amène surtout à croire que les femmes qui réclament l'égalité disent ou pensent aussi que tous les hommes sont des violeurs. Or, c'est simplement faux. L'humour repose ici sur un préjugé que l'on vient valider : celui qui veut que les féministes détestent les hommes. La réponse est connue depuis longtemps et les féministes passent en fait beaucoup de temps à le rappeler à des idiots qui ne se sont jamais intéressés à ce dont ils parlent :
C'est d'ailleurs ce qu'illustre la première image que j'ai constaté, puisque celle-ci repose sur l'idée que les hommes ne sont intéressés par les femmes que pour le sexe et pas parce qu'elles sont intéressantes ou parce qu'elles ont des centres d'intérêt qui leur conviennent...
Du coup, le gag vient dévaloriser la revendication de l'égalité, en reprenant également cette vieille antienne que les féministes veulent juste instaurer la domination des femmes sur les hommes. C'est un mécanisme de silenciation très puissants : toute revendication féministe étant transformée en "haine des hommes", soit on passe plus de temps à repousser ce stigmate qu'à effectivement avancer, soit on a simplement peur de s'exprimer. Là encore, loin d'une dénonciation du sexisme, on s'appuie sur des préjugés sans, je le répète, mettre une quelconque distance ou un iota de "second degré" dans l'histoire.
La troisième et dernière image ayant un fort contenu sexuel, je ne peux pas me permettre de la faire figurer ici : je vous invite donc à cliquer ici en vous mettant toutefois en garde si vous n'êtes pas dans un environnement sûr.
Celle-ci a tout pour se penser politiquement incorrecte, provocante, pour croire que l'on a fait quelque chose de profondément audacieux au nom du LULZ : elle présente le visage d'une femme après une éjaculation faciale. On le voit, c'est aussi cutting edge qu'un porno. La légende, une fois traduite, indique : "Le post-féminisme : être une femme au foyer était trop dégradant".
Je ne suis pas fan du post-féminisme, mais visiblement l'auteur de l'image n'a de toutes façons à peu près aucune idée de ce dont il s'agit. Il se contente de recycler un bon vieux principe : le "slut-shaming". Car l'idée qu'il y a derrière, et qui est au cœur du gag, c'est que le sexe est dégradant pour les femmes, surtout s'il est non-conventionnel. L'humour est censé provenir du fait qu'une pratique sexuelle consentie est par essence plus dégradante pour celle qui la pratique qu'une situation d'exploitation économique. Une fois de plus, nul second degré là-derrière : l'humour repose sur le décalage supposé entre les activités promues par le post-féminisme - le sexe - et celles que celui-ci critique - être femme au foyer - et sur la substitution d'une échelle de valeur pour les juger à celle promue par le-dit mouvement.
On est là en plein dans la société bien pensante du XIXème siècle, pour laquelle le sexe, c'est mal. En faisant honte aux femmes qui ont l'audace de s'engager dans des relations sexuelles, surtout si celles-ci ne correspondent pas au modèle de la "femme bien", on assure un puissant contrôle sur toutes les femmes : faites attention à ce que vous faites ou vous serez des putes ! C'est cela le slut-shaming. Autrement dit, on se trouve une fois de plus devant une image qui, tout en se présentant et en se croyant incroyablement audacieuse, ne fait que s'appuyer sur l'une des formes les plus anciennes de domination, et contribue au passage à la renforcer en délégitimant un mouvement qui se propose de réfléchir sur celle-ci. Le problème, soyons clair, n'est pas la critique du post-féminisme, vis-à-vis duquel j'aurais aussi des critiques, mais le décalage entre la certitude de "pointer un vrai problème" de façon "politiquement incorrecte" et le contenu réel de la chose, finalement conservateur.
Mais il y encore quelque chose à dire sur cette image : son côté "provocateur" provient de ce qu'elle met en scène une pratique sexuelle. "L'audace", si on peut parler ainsi, c'est de pouvoir montrer une éjaculation faciale. Mais qu'est-ce qui a permis cette audace ? Rien de moins que la révolution sexuelle qui a été menée il y a quelques décennies par... les féministes. Et dans l'ensemble, les autres images et toute la pratique du troll repose sur ce même paradoxe : il s'agit de capitaliser sur les avancées obtenues par des mouvements progressistes, de la liberté d'expression à celles des mœurs, pour s'autoriser la défense de positions finalement conservatrices. Ce n'est pas que sur 4chan que l'on trouve cette attitude : se servir de quelques éléments de la modernité pour défendre l'ordre le plus traditionnel, c'est ce que font, par exemple, les créationnistes en essayant de s'approprier les principes de la science pour propager les principes bibliques. C'est ce que font, finalement, tous les néoconservateurs. C'est précisément pour cela qu'ils sont des néoconservateurs...
Soyons clair : je ne suis pas en train de dire que tous les channers sont des néoconservateurs, ni même qu'ils le sont majoritairement, pas plus que je ne prétends que les auteurs des images que je critique ici sont nécessairement néoconservateurs. Les positions intimes des personnes n'ont ici qu'une piètre importance, car ce dont il s'agit, c'est ce qu'elles expriment. Il me faut d'ailleurs rappeler qu'en la matière des gens tout à fait progressistes dans un domaine s'avèrent très conservateurs quand il s'agit des femmes : c'est ainsi que les athées américains ont eu droit à leur débauche de sexisme, à laquelle a pris part Richard Dawkins. Le grand adversaire des créationnistes n'a pas hésité à adopter une position très néoconservatrices vis-à-vis des femmes. C'est ce genre de situation qui me posent question.
Ce qui m'intéresse, c'est ce paradoxe entre des personnes qui se pensent provocatrices et à contre-courant, qui se présentent comme originales et observatrices, qui se drapent dans le politiquement incorrect comme position héroïque de refus des tabous et des interdits, et leurs propos qui sont d'une banalité confondante, ne faisant que reprendre les antiennes milles fois entendues du patriarcat - que des humoristes ressassent les mêmes blagues en se pensant sans cesse novateur est extrêmement courant... En un mot, par un coup de force soi-disant humoristique, on en vient à faire passer la défense du plus vieux des systèmes de domination, la domination des hommes sur les femmes, pour un acte de rébellion et de courage.
Mon hypothèse, que je livre ici à la réflexion, est que cette situation est un produit de la norme du "LULZ" et du "politiquement incorrect". Autrement, qu'il ne s'agit pas de la déviance de quelques individus qui abuseraient de la liberté d'expression offerte par un site comme 4Chan pour diffuser des idées conservatrices (car on trouvera des idées plus variées sur ce site, même si le féminisme y est simplement absent), mais la conséquence d'une incitation à vouloir s'affranchir des normes et à "briser les tabous".
D'abord, cela fournit une justification puissante à ceux qui ont envie d'exprimer sincèrement ce genre d'idée : ce n'est pas seulement qu'ils en ont le droit, comme le leur garantit quoiqu'il arrive la liberté d'expression, c'est qu'ils peuvent s'héroïser de le faire. Une fois de plus, il faut bien se poser la question de savoir avec qui on rigole, et ce que cela dit de nous. Comme je l'ai défendu dans le dernier billet, ceux qui "vont trop loin" ne font finalement que respecter la norme au plus près. Et de vraies formes de harcèlement peuvent avoir lieu pour le LULZ. Comme il faut montrer que l'on est plus politiquement incorrect que les autres, plus audacieux, plus fort, il ne faut pas s'étonner de cela. Il y a une dynamique de compétition là-derrière qui fait le lien entre les différentes pratiques, excessives ou non. Mais cela n'explique pas encore pourquoi certains thèmes, comme le féminisme, sont plus particulièrement visés.
Le LULZ comme le politiquement incorrect consiste à se croire neutre, affranchis de toutes les règles - c'est ce que qu'illustre l'image ci-dessus. Les gens qui le pratiquent se croient et se présentent comme des purs esprits, débarrassés de toutes les pesanteurs de la société. L'anonymat sur Internet renforce cela : contrairement à ce qui s'écrit le plus souvent, le problème n'est pas tant qu'il déresponsabilise les individus qu'il leur laisse le loisir de croire qu'ils ne sont déterminés par rien. Cela va parfois jusqu'au "conseil" adressé aux femmes de ne pas signaler leur genre, et donc de se présenter sous une identité "neutre". Sauf qu'ici comme souvent "neutre" veut dire "masculin". En l'absence de toute autre indication, on supposera généralement qu'un anonyme est un homme. Et un homme blanc pourrait-on rajouter. Cela signifie concrètement que celle qui voudra rester "neutre" devra s'abstenir de tout signe qui pourrait la trahir. Pas question de parler de shopping, de son petit copain, ou, bien sûr, de son féminisme... Pour rester "neutre", il faudra adopter des thèmes de conversations et finalement une identité masculine.
Dès lors, on comprends que cet état de fait ait du mal à s’accommoder d'un mouvement dont l'un des enjeux principaux et de dénoncer cette fausse "neutralité". C'est que la croyance en sa propre neutralité qui est au cœur du LULZ comme du politiquement incorrect suppose l’inexistence ou l'absence de pertinence des rapports de domination. D'où d'ailleurs l'excuse si souvent entendues du "on tape aussi sur les mecs" ou "on s'attaque à tout le monde". Sauf que cela demande à ce que l'on appartienne déjà aux dominants ou que l'on se plie à leurs règles, en évitant par exemple de manifester que l'on est une femme ou que l'on a une autre caractéristique spécifique. C'est qu'Internet voudrait bien souvent fonctionner comme ce que Bourdieu et Boltanski aurait appelé un "lieu neutre", où l'on fait "comme si" les rapports de force et de pouvoirs n'existaient pas : il s'agit en fait de faire se rencontrer les dominants entre eux, pour élaborer un sens commun de classe. Du coup, le fameux "there are no girls on the Internet" prend un tour beaucoup plus sombre qu'un simple bon mot un peu potache...
Il existe bien d'autres de ces lieux et bien d'autres personnes qui usent du politiquement incorrect parce qu'ils se croient neutres : les cercles et cénacles médiatiques en sont pleins, et Eric Zemmour serait ici leur prophète. Pas le seul d'ailleurs : on ne compte plus tous ces hérauts briseurs de tabous qui défendent les positions les plus conservatrices tout en affirmant, contre la plus élémentaire évidence, qu'ils sont réduits au silence. Et on en trouvera aussi un bon nombre de l'autre côté de la manche. Il est possible, probable peut-être, que les channers soient moins conscients qu'eux des positions qu'ils en viennent à défendre, qu'ils soient plus sincères dans leur démarche. Le résultat est finalement le même. Car cette neutralité affichée cache en fait la possibilité de constituer un sens commun au-delà des divergences d'opinion : les commentateurs médiatiques et les hommes politiques qui se rencontrent dans des lieux neutres en viennent à produire une idéologie dominante qui surplombe leurs préférences partisanes - et le traitement de certaines questions liées à l'immigration avant et après une alternance politique nous l'a récemment rappelé ; et un sens commun masculin se met en place lorsque l'on se prétend parfaitement neutre et anonyme... La réaction de Dawkins en témoigne, tout comme la multiplication du splaining et des concern troll.
Résumons un peu : j'ai essayé de montrer ici comment l'incitation au politiquement incorrect, qui est au cœur de la culture des trolleurs, conduisait à adopter des positions conservatrices. C'est la prétention à la neutralité et au dégagement des relations sociales qui est en cause. Ce phénomène est évidemment très loin de se limiter aux seules communautés Internet, même si les conditions de la communication au sein de celles-ci - l'anonymat possible qui donne à la fois la prétention et l'imposition de la neutralité - y sont sans doute favorables. La domination du "second degré" et du "politiquement incorrect" comme échelles de valeurs pour juger de l'humour va également dans ce sens. Reste que mon propos est toujours le même : oui, messieurs, vous avez le droit d'être politiquement incorrects... et j'ai le droit de vous rappeler ce que cela implique.