Voici un billet que je voulais écrire depuis longtemps et que je n'ai cessé de repousser à chaque fois que j'en ai eu l'occasion... par paresse, manque de temps ou par pudeur - vous verrez pourquoi. Le succès, que certains appellent "buzz", du "pourrisage du web" d'un certain Loys Bonod, "36 ans, professeur certifié de lettres classiques dans un lycée parisien", me pousse, sinon à boucler toutes les idées, au moins à dire deux mots de ce sujet : la socialisation professionnelle des enseignants. Une socialisation qui, pour un groupe qui se sent menacé par Internet, emprunte de plus en plus cette voie.
Passons d'abord sur le contenu de la chose : un prof diffuse de fausses informations sur Internet pour mieux piéger ses élèves, espérant leur faire une leçon de morale sur le plagiat et l'Internet. Amusante au premier abord, l'expérience s'avère plus nauséabonde lorsque l'on prend la peine d'y penser (il m'a moi même fallu un peu de réflexion pour en arriver là). Les réactions négatives ont été assez fournies et bien argumentées : vous en trouverez la plupart ici, mais je vous encourage surtout à lire celle-là. J'en recopie un extrait qui résume ma propre opinion mieux que je ne saurais l'exprimer :
Jamais les thèses de Bourdieu, honni de certains profs qui ne l'ont pas lu, ne m'auront jamais semblé plus pertinentes : ce que l'on entend juger chez un élève, ce n'est pas l'acquisition simple de savoir qu'un rapport au savoir, rapport de gratuité, rapport d'évidence, rapport de facilité. Et ce rapport n'est pas enseigné par l'école. Il vient de la famille ou il vient d'ailleurs. Ce que sanctionne l'enseignant, c'est l'anxiété d'élèves qui, face à la dureté des enjeux scolaires - combien sommes-nous à utiliser le spectre du chômage pour essayer de les motiver ? -, cherchent un secours extérieur, comme jadis on achetait des corrigés aux copains ou on se plongeait dans les annales et autres inventions du monde de l'édition, ou encore on fouillait les encyclopédies... Et plutôt que de leur apprendre à chercher de l'information, on les enjoints à se débrouiller seul, alors que c'est justement ça le problème. Oh, bien sûr, Loys Bonod prend la peine de citer "le manque de confiance en soi" dans les raisons qui poussent au plagiat. Mais, outre que l'on peut se demander ce que son expérience fait pour cette confiance en soi, les dessins dont il accompagne son récit sont sans ambiguïtés : c'est la paresse l'explication privilégiée...
Bref. Ce n'est pas tellement de cela dont je voudrais parler. Considérons plutôt la rapidité avec laquelle ce récit a circulé et va sans doute continuer à circuler parmi les enseignants : liké sur Facebook, twitté sur Twitter (j'y ai contribué, comme quoi on devrait prendre la peine de réfléchir avant de diffuser), envoyé par mails, sur les listes de diffusion, sur les forums publics et privés, discuté (ou affiché) en salle des profs, en conseil pédagogique ou en co-voiturage... Jeunes profs comme vieux routards : nous allons être nombreux à lire ce témoignage, et tout autant à devoir nous situer par rapport à lui. Chacun est sommé de se situer : pour ou contre. Et les réactions, y compris celle que vous êtes en train de lire, ont bien pour objectif de situer leurs auteurs dans un espace en conflit, entre progressistes et conservateurs, pédagogues et traditionalistes, etc.
Ce texte n'est pas le seul. Au contraire, depuis que je suis enseignant, soit depuis 2007, j'en ai vu passer plus que je ne saurais le dire : témoignages, récits soi disant sincères, appels à l'aide plus ou moins apocalyptiques, complaintes récurrentes sur le niveau des élèves, la bêtise des parents, l'inconséquence de l'ensemble du système... La triste nouvelle du suicide d'une enseignante se voit traduit en quelques jours en tribunes et prises à partie des uns et des autres qui, invariablement, circulent avec toute la rapidité qu'offre ces Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication dans lesquelles certains voient la mort du Savoir et de la Société. Certains en profitant pour se présenter comme les héros de l'humanisme contre ces traîtres laxistes qui ne partagent pas leurs idées... Un témoignage sur le racisme ordinaire dans un établissement circulera un peu moins vite, peut-être via des réseaux sensiblement différents, mais pourra toujours donner lieu aux mêmes montées en généralité.
Ce sur quoi je veux mettre l'accent, c'est qu'au-delà de ces quelques exemples ponctuels, puisés dans ce que je parviens le plus facilement à retrouver un dimanche après-midi, les enseignants reçoivent beaucoup d'informations de ce type. Elles se présentent généralement sous une forme commune : celle du témoignage ou, pour le dire mieux, de la fable. On y raconte une histoire qui a valeur d'exemple et dont on peut tirer une leçon ou une morale sur la façon dont va le système éducatif. Montée en généralité : c'est le mot. D'une "expérience" auprès d'une soixantaine d'élèves, on tire un jugement aussi définitif que "les élèves au lycée n'ont pas la maturité nécessaire pour tirer un quelconque profit du numérique en lettres".
Le numérique tant critiqué par certains a peut-être moins changé les élèves qu'il n'a changé la socialisation professionnelle des enseignants. Le partage d'expérience a toujours existé, mais pouvait rester très local : salle des profs, IUFM (souvent le contrôle d'un formateur), journées de rassemblement académique (commission du bac, etc.). S'il prenait une ampleur plus large, il devrait passer par des revues ou autres apte à exercer un certain contrôle sur les contenus. La diffusion d'information entre profs est sans doute devenue plus horizontale, et paradoxalement ceux qui sont les plus pressés à dénoncer cette transformation chez les élèves ne sont pas les derniers à l'utiliser à leurs propres fins.
J'ai parlé plus haut de "montée en généralité" : c'est le mot clef. Transformer une histoire locale et personnelle en leçon de portée générale ne se fait pas n'importe comment - et ce n'est pas Luc Boltanski qui me contredira. Dans son article consacrée à "La dénonciation", celui-ci soulignait, en étudiant un corpus de lettres reçues par le Monde, que, pour être acceptées comme légitime, les dénonciations des individus doivent proposer une mise en scène particulière : elles doivent mettre au prise des entités de taille équivalente. A chaque fois, il ne s'agit pas de parler d'une situation personnelle mais de mettre en jeu "les enseignants" comme un groupe homogène - dont on exclura éventuellement des moutons noirs - face, au choix, au Ministère et à sa politique ou à la Société (qui, pour le coup mérite bien une majuscule) et à son mépris.
Autrement dit, ces messages et témoignages sont loin d'être neutres : ils contribuent à construire les enseignants comme groupe, comme professions. C'est ce que fait finalement notre ami Loys Bonod, en donnant comme ennemi à la fois les élèves et l'Internet. Et il y a peut-être lieu de s'inquiéter : je voudrais poser comme hypothèse que c'est un autre point commun de ces messages que de mettre en scène les enseignants contre des adversaires qui, peu à peu, rassemblent à peu près tout le monde. Élèves, parents d'élèves, ministère, administrations, Internet, Wikipédia... L'image qui ressort de cette littérature est celle d'une profession encerclée, cernée de toutes part par les ennemis. Et cet encerclement, ou du moins le sentiment d'encerclement est le produit direct de la dite littérature : c'est que les enseignants peuvent d'autant plus croire ce genre de chose qu'il y trouver un moyen de "généraliser" leur propres expériences singulières. Il y aurait en tout cas beaucoup à apprendre de la contribution de la circulation numérique de l'information à la socialisation professionnelle des profs. Plutôt que de croire qu'Internet n'affecte que les élèves.
Passons d'abord sur le contenu de la chose : un prof diffuse de fausses informations sur Internet pour mieux piéger ses élèves, espérant leur faire une leçon de morale sur le plagiat et l'Internet. Amusante au premier abord, l'expérience s'avère plus nauséabonde lorsque l'on prend la peine d'y penser (il m'a moi même fallu un peu de réflexion pour en arriver là). Les réactions négatives ont été assez fournies et bien argumentées : vous en trouverez la plupart ici, mais je vous encourage surtout à lire celle-là. J'en recopie un extrait qui résume ma propre opinion mieux que je ne saurais l'exprimer :
L’école soumet les élèves à des injonctions contradictoires : pensez par vous-même, répétez ce qu’on dit. Prenez des risques, ne vous trompez pas. Apprenez par cœur, ne plagiez jamais. Ces contradictions sont structurelles, inscrites dans les fonctions ambivalentes de l’institution. D’un côté, on impose aux élèves une culture dominante de pure autorité. De l’autre, on leur demande d’entretenir la fiction selon laquelle cette culture est librement choisie, aimée, appréciée comme supérieure par tous. La bonne élève, c’est celle qui a le bon goût de sincèrement aimer Flaubert.
Jamais les thèses de Bourdieu, honni de certains profs qui ne l'ont pas lu, ne m'auront jamais semblé plus pertinentes : ce que l'on entend juger chez un élève, ce n'est pas l'acquisition simple de savoir qu'un rapport au savoir, rapport de gratuité, rapport d'évidence, rapport de facilité. Et ce rapport n'est pas enseigné par l'école. Il vient de la famille ou il vient d'ailleurs. Ce que sanctionne l'enseignant, c'est l'anxiété d'élèves qui, face à la dureté des enjeux scolaires - combien sommes-nous à utiliser le spectre du chômage pour essayer de les motiver ? -, cherchent un secours extérieur, comme jadis on achetait des corrigés aux copains ou on se plongeait dans les annales et autres inventions du monde de l'édition, ou encore on fouillait les encyclopédies... Et plutôt que de leur apprendre à chercher de l'information, on les enjoints à se débrouiller seul, alors que c'est justement ça le problème. Oh, bien sûr, Loys Bonod prend la peine de citer "le manque de confiance en soi" dans les raisons qui poussent au plagiat. Mais, outre que l'on peut se demander ce que son expérience fait pour cette confiance en soi, les dessins dont il accompagne son récit sont sans ambiguïtés : c'est la paresse l'explication privilégiée...
Bref. Ce n'est pas tellement de cela dont je voudrais parler. Considérons plutôt la rapidité avec laquelle ce récit a circulé et va sans doute continuer à circuler parmi les enseignants : liké sur Facebook, twitté sur Twitter (j'y ai contribué, comme quoi on devrait prendre la peine de réfléchir avant de diffuser), envoyé par mails, sur les listes de diffusion, sur les forums publics et privés, discuté (ou affiché) en salle des profs, en conseil pédagogique ou en co-voiturage... Jeunes profs comme vieux routards : nous allons être nombreux à lire ce témoignage, et tout autant à devoir nous situer par rapport à lui. Chacun est sommé de se situer : pour ou contre. Et les réactions, y compris celle que vous êtes en train de lire, ont bien pour objectif de situer leurs auteurs dans un espace en conflit, entre progressistes et conservateurs, pédagogues et traditionalistes, etc.
Ce texte n'est pas le seul. Au contraire, depuis que je suis enseignant, soit depuis 2007, j'en ai vu passer plus que je ne saurais le dire : témoignages, récits soi disant sincères, appels à l'aide plus ou moins apocalyptiques, complaintes récurrentes sur le niveau des élèves, la bêtise des parents, l'inconséquence de l'ensemble du système... La triste nouvelle du suicide d'une enseignante se voit traduit en quelques jours en tribunes et prises à partie des uns et des autres qui, invariablement, circulent avec toute la rapidité qu'offre ces Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication dans lesquelles certains voient la mort du Savoir et de la Société. Certains en profitant pour se présenter comme les héros de l'humanisme contre ces traîtres laxistes qui ne partagent pas leurs idées... Un témoignage sur le racisme ordinaire dans un établissement circulera un peu moins vite, peut-être via des réseaux sensiblement différents, mais pourra toujours donner lieu aux mêmes montées en généralité.
Ce sur quoi je veux mettre l'accent, c'est qu'au-delà de ces quelques exemples ponctuels, puisés dans ce que je parviens le plus facilement à retrouver un dimanche après-midi, les enseignants reçoivent beaucoup d'informations de ce type. Elles se présentent généralement sous une forme commune : celle du témoignage ou, pour le dire mieux, de la fable. On y raconte une histoire qui a valeur d'exemple et dont on peut tirer une leçon ou une morale sur la façon dont va le système éducatif. Montée en généralité : c'est le mot. D'une "expérience" auprès d'une soixantaine d'élèves, on tire un jugement aussi définitif que "les élèves au lycée n'ont pas la maturité nécessaire pour tirer un quelconque profit du numérique en lettres".
Le numérique tant critiqué par certains a peut-être moins changé les élèves qu'il n'a changé la socialisation professionnelle des enseignants. Le partage d'expérience a toujours existé, mais pouvait rester très local : salle des profs, IUFM (souvent le contrôle d'un formateur), journées de rassemblement académique (commission du bac, etc.). S'il prenait une ampleur plus large, il devrait passer par des revues ou autres apte à exercer un certain contrôle sur les contenus. La diffusion d'information entre profs est sans doute devenue plus horizontale, et paradoxalement ceux qui sont les plus pressés à dénoncer cette transformation chez les élèves ne sont pas les derniers à l'utiliser à leurs propres fins.
J'ai parlé plus haut de "montée en généralité" : c'est le mot clef. Transformer une histoire locale et personnelle en leçon de portée générale ne se fait pas n'importe comment - et ce n'est pas Luc Boltanski qui me contredira. Dans son article consacrée à "La dénonciation", celui-ci soulignait, en étudiant un corpus de lettres reçues par le Monde, que, pour être acceptées comme légitime, les dénonciations des individus doivent proposer une mise en scène particulière : elles doivent mettre au prise des entités de taille équivalente. A chaque fois, il ne s'agit pas de parler d'une situation personnelle mais de mettre en jeu "les enseignants" comme un groupe homogène - dont on exclura éventuellement des moutons noirs - face, au choix, au Ministère et à sa politique ou à la Société (qui, pour le coup mérite bien une majuscule) et à son mépris.
Autrement dit, ces messages et témoignages sont loin d'être neutres : ils contribuent à construire les enseignants comme groupe, comme professions. C'est ce que fait finalement notre ami Loys Bonod, en donnant comme ennemi à la fois les élèves et l'Internet. Et il y a peut-être lieu de s'inquiéter : je voudrais poser comme hypothèse que c'est un autre point commun de ces messages que de mettre en scène les enseignants contre des adversaires qui, peu à peu, rassemblent à peu près tout le monde. Élèves, parents d'élèves, ministère, administrations, Internet, Wikipédia... L'image qui ressort de cette littérature est celle d'une profession encerclée, cernée de toutes part par les ennemis. Et cet encerclement, ou du moins le sentiment d'encerclement est le produit direct de la dite littérature : c'est que les enseignants peuvent d'autant plus croire ce genre de chose qu'il y trouver un moyen de "généraliser" leur propres expériences singulières. Il y aurait en tout cas beaucoup à apprendre de la contribution de la circulation numérique de l'information à la socialisation professionnelle des profs. Plutôt que de croire qu'Internet n'affecte que les élèves.
27 commentaires:
La référence à Boltanski est intéressante mais il me semble que dans ce cas c'est un peu plus compliqué :
1/ Le témoignage du prof "pourriseur" demeure au ras des pâquerettes, il décrit son protocole, ses résultats.
2/ Il est vrai que "les élèves" peut être interprété dans un sens plus général, mais c'est vraiment laissé à l'herméneute, pas explicité dans le texte
3/ On en revient alors à la fable -je dirais pour ma part parabole : l'histoire est exemplaire parce que chaque prof qui la diffuse (en particulier en contexte professionnel) s'y identifie et y identifie ses élèves.
4/Par rapport à la dénonciation, le juge n'est donc pas l'opinion publique (via le journaliste), mais le pair qui va valider la généralité de l'expérience par sa diffusion tel quel.
Article très intéressant, je partage !
J'ai repéré deux petites coquilles, les voici :
- "La triste de nouvelles du suicide d'une enseignante se voit traduit en quelques jours en tribunes ..."
- "Le numérique tant critiqué par certains a peut-être [changé] moins changé les élèves qu'il n'a changé la socialisation professionnelle des enseignants."
(un autre Fr. que le précédent)
Sur Facebook, l'extrait que tu cites ("… Flaubert") s'est fait traiter de "délire" par un lecteur "aviné" de Bourdieu…
@Totoro : normalement, j'aurais dû relire l'article de Boltanski avant d'écrire le billet, mais le temps est une ressource rare... Il y a sans doute moyen d'approfondir ça dans un modèle plus précis. Je m'y pencherais sans doute plus tard.
@F.R : Merci !
@Fr : là, il va falloir que tu m'expliques à la fois pourquoi c'est un délire et ce qu'est un bourdieusien aviné !
Je réagis sur un point particulier de la citation ci-dessus, le suivant :
"L’école soumet les élèves à des injonctions contradictoires : pensez par vous-même, répétez ce qu’on dit."
Ma réaction est peut-être un peu à côté de la question, car je pars de mon expérience d'enseignement universitaire et non pas scolaire. Mais il ne me semble pas qu'il y ait là une injonction contradictoire. Ce que l'on attend (en tout cas des étudiants), c'est bien qu'ils pensent par eux-mêmes mais en ayant "fait leur miel" de ce qu'on leur dit (et aussi de ce qu'ils ont pu apprendre ailleurs). On est vraiment heureux quand on lit un travail (copie, mémoire) dans lequel l'étudiante a su s'appuyer sur ce qu'on lui a apporté, a su se l'approprier (ce qui suppose toujours une certaine altération : on ne s'approprie la chose de l'autre qu'en la faisant sienne, donc nécessairement en l'altérant) pour en faire sa chose, sa pensée... et du coup aussi nous a appris quelque chose, nous a fait voir quelque chose de neuf, a déplacé sur tel ou tel point notre regard. On est heureux au fond quand le processus est authentiquement dialectique, car il y a eu au moins deux interlocuteurs et une réelle interlocution. Si l'étudiant ne fait que répéter, il n'y a pas eu d'interlocution, la dialectique n'a pas fonctionné. Si au contraire il n'a rien fait du tout de ce qu'on lui a dit, c'est que ça n'a pas marché non plus (d'ailleurs répéter purement et simplement ou n'en rien faire du tout, c'est peut-être au fond la même chose).
Je parle à partir de mon expérience universitaires, mais mes souvenirs de collège et de lycée me laissent penser que mes bons profs furent de tels dialecticiens.
@Anthropiques : j'aurais tendance à dire que c'est ainsi que les choses devraient sans doute se dérouler, et qu'elles se déroulent peut-être pour un certain nombre d'héritiers (dont j'ai fait partie). Mais pour les élèves qui n'ont pas le sens du jeu scolaire, les injonctions apparaissent bien contradictoires, et problématiques. Et il n'est pas sûr que l'on sache toujours, au niveau de l'institution scolaire, bien pesé les deux exigences : si l'on sait apprendre aux élèves à répéter, on a plus de mal à leur apprendre à penser par eux-mêmes... tout en les jugeant là-dessus ! Je pense que pour comprendre le problème, il faut vraiment revenir au niveau de l'expérience de l'école au plus proche des élèves, et prendre la peine de saisir les différences qui existent entre ceux-ci. Ces injonctions sont contradictoires parce que tous les élèves ne sont pas égaux face à elles.
Denis, je ne peux malheureusement pas t'expliquer en quoi c'est "un délire de bourdieusien aviné" parce que c'est un ami d'ami qui commentait sur Facebook, et que je n'ai moi-même pas obtenu d'explication supplémentaire. Mon ami commentait justement qu'il n'avait jamais lu Bourdieu en étant saoûl, mais qu'il voudrait bien essayer pour voir…
C'est ce que je me dis à chaque fois que je relis la définition de l'habitus dans Raisons Pratiques.
Il n'y a aucune recherche documentaire à effectuer pour composer et rédiger un commentaire littéraire de Baccalauréat. Le fait d'aller chercher un travail tout prêt est donc facilement interprétable comme un refus de se coller à l'exercice. L'expérience montre également un aspect (secondaire ?) du net : les officines qui mettent en ligne et vendent à leur compte des travaux qui ne leur appartiennent pas (à quand un Hadopi ?) n'ont rien soupçonné du canular, et pourtant, dieu sait que le commentaire proposé était mauvais. Il est donc assez logique que l'expérience puisse se conclure par une vision assez pessimiste du net, bien éloignée de ce que ses amoureux nous chantent jour après jour.
Georges Amiel, Narbonne
@Georges : Votre commentaire fait juste fi de l'expérience des élèves... Embêtant lorsque l'on veut enseigner, non ? Vous dites qu'un commentaire ne demande aucune recherche documentaire. Mais pour des élèves qui doutent de leurs propres compétences et capacités parce qu'ils ne saisissent pas bien le sens de l'exercice, parce qu'on leur dit qu'ils devraient bien évidemment comprendre/sentir/ressentir ce poème qui ne leur parle pas, qui savent qu'ils n'écrivent pas bien, qui savent toute la violence et l'importance des sanctions scolaires, il n'y a rien de plus logique que d'aller faire des recherches documentaires. J'ai moi même été confronté à ce problème : pour des fiches de lecture - qui demandent juste un résumé du livre - je trouve régulièrement des plagiats grossiers. Et lorsque j'interroge les élèves, la réponse embarrassée et un peu honteuse qui revient toujours est celle-là : j'avais peur que vous m’engueuliez, j'avais peur de mal faire... Vous interpréterez peut-être ça comme du mensonge et de la comédie, mais je ne crois pas que tous les lycéens soient si bons acteurs pour le dire parfois au bord des larmes...
Je me demande aussi combien de profs de lettres accepteront de sanctionner un élève qui ferait une référence littéraire puisée hors du texte à commenter parce qu'il "n'y a aucune recherche documentaire à effectuer"... Si l'on valorise l'élève qui lit Victor Hugo pour le plaisir et qu'on dévalorise celui qui se renseigne dessus pour des motifs scolaires, il y a quand même de sérieuses questions à se poser ? Quand nous serons collectivement capable de ne plus utiliser l'expression "scolaire" de façon dévalorisante("ce travail est trop scolaire", "c'est une élève trop scolaire"), nous serons peut être plus à même de donner des leçons.
Quant à la conclusion de l'expérience, je m'excuse, mais plus je la lis, plus je la trouve idiote à tout point de vue. Dire que les élèves n'ont pas la maturité pour se servir d'Internet... Pourquoi ne pas conclure qu'ils n'ont pas la maturité d'étudier les lettres ? Ou de lire des livres ? Après tout, il fût de temps où il allait de soi que le peuple ne devrait pas lire des romans ou des feuilletons, même si ces genres avaient leurs "amoureux" comme vous dites...
il y a 25 textes ici : http://www.scoop.it/t/l-affaire-du-pourrisseur-du-web-points-de-vue-critiques
Bonjour,
(Préalable : désolé, le point central du billet sur le fait que les enseignants se renforcent comme tout groupe par négation est passionnant mais il se retrouve un peu zappé)
Tout à fait d’accord sur la remarque à propos d’Internet. J’ai entendu parler d’un thésard qui avait enquêté finement sur l’usage de l’informatique à l’école, et en remarquant que cela reproduisait les inégalités, il a déduit qu’il faudrait arrêter d’enseigner cet outil. Un prof lui a rétorqué « oui, et il faudrait aussi arrêter de leur apprendre à lire… »
J’avais lu le texte de ce prof sur rue89 avec l’esprit critique en veille et c’est donc une surprise tout à fait positive de trouver des points de vue faisant preuve de recul. Et en effet, en relisant on se rend compte qu’il est très « prof » avec un point de vue de « prof ». Les critiques en faisant un affreux méchant sont bien excessives, mais il faut bien reconnaître qu’il est très naïf ou du moins qu’il porte un idéal de l’apprentissage (mais avant tout de sa fonction) qui lui promet de belles désillusions.
Sur le fond, si les élèves apprennent ainsi à se méfier des sources qu’ils utilisent, ça n’est pas un mal. Mais du reste je souscris aux critiques car on sent trop l’infériorisation des élèves et le manque de discernement sociologique dans son texte.
Ah, ma question… Avec un point de vue plus prosaïque que Bourdieu, Dubet parle de « fiction nécessaire » à propos de l’enseignement : les profs sont obligés de croire au mérite pour pouvoir évaluer les copies. Comment vous débrouillez vous ?
Bonjour,
(Préalable : désolé, le point central du billet sur le fait que les enseignants se renforcent comme tout groupe par négation est passionnant mais il se retrouve un peu zappé)
Tout à fait d’accord sur la remarque à propos d’Internet. J’ai entendu parler d’un thésard qui avait enquêté finement sur l’usage de l’informatique à l’école, et en remarquant que cela reproduisait les inégalités, il a déduit qu’il faudrait arrêter d’enseigner cet outil. Un prof lui a rétorqué « oui, et il faudrait aussi arrêter de leur apprendre à lire… »
J’avais lu le texte de ce prof sur rue89 avec l’esprit critique en veille et c’est donc une surprise tout à fait positive de trouver des points de vue faisant preuve de recul. Et en effet, en relisant on se rend compte qu’il est très « prof » avec un point de vue de « prof ». Les critiques en faisant un affreux méchant sont bien excessives, mais il faut bien reconnaître qu’il est très naïf ou du moins qu’il porte un idéal de l’apprentissage (mais avant tout de sa fonction) qui lui promet de belles désillusions.
Sur le fond, si les élèves apprennent ainsi à se méfier des sources qu’ils utilisent, ça n’est pas un mal. Mais du reste je souscris aux critiques car on sent trop l’infériorisation des élèves et le manque de discernement sociologique dans son texte.
Ah, ma question… Avec un point de vue plus prosaïque que Bourdieu, Dubet parle de « fiction nécessaire » à propos de l’enseignement : les profs sont obligés de croire au mérite pour pouvoir évaluer les copies. Comment vous débrouillez vous ?
Je suis allé voir le site du prof et j'ai lu le compte-rendu de sa supercherie... J'ai trouvé cela à la fois amusant et édifiant... mais guère étonnant. Hélas, cette manie d'aller puiser à des sources douteuses ne se trouve pas seulement chez les élèves un peu paresseux. Plus gênant, c'est une pratique que l'on trouve souvent chez les journalistes qui parfois se font prendre pour repris la même information non vérifiée... Il faut aller vite et être productif, alors quoi d'étonnant...
@ Rudi
"Comment vous débrouillez vous ?"
Mal
C'est la période des conseils de classe, des "tenez-vous bien, il demande une première S ! Ils ne se rendent pas compte ! [ricanements]", et j'ai du mal à dormir.
Quand je corrige, j'ai l'impression de me noter moi-même, ça ne marche pas, je dois éteindre, effectivement, cette partie de mon cerveau. Ce qui m'aide un peu, c'est de chercher d'abord les choses positives à dire sur la copie.
Finalement nous avons quoi? un prof qui a consacré un temps et une énergie considérables pour démontrer ce que nous savons tous, en piégeant ses élèves.
Ce ne sont que des adolescents que diable!
Pour ma part je ne donne jamais de devoir noté à la maison pour cette raison.
Internet est un outil qui ne doit pas remplacer le travail personnel, c'est à nous d'y veiller.
Je souhaite donc la bienvenue à cet enseignant dans la vraie vie.
@ Damien : je posais cette question à Denis Colombi.
Mais si le post de commentaires peuvent vous aider à aller mieux, c'est très bien. Je vous conseille de persévérer et bon courage. Il n'est pas facile de devoir faire comme si les élèves étaient responsables de leur réussite tout en ayant conscience de la reproduction des inégalités sociales (et entre parenthèses je suis satisfait de voir que vous prenez au sérieux le tragique de ces situations).
@Rudi : comment je me débrouille ? Je reprends la réponse de Damien : mal. J'aimerais parfois pouvoir faire comme le Comédien dans Watchmen : just play along with the gag... Mais ça ne me semble pas possible. J'essaye de croire à la fiction en sachant que c'est une fiction et que même si elle est nécessaire, ça ne reste pas moins une fiction. Vous voyez : c'est simple.
De plus, il faut lutter continuellement contre les collègues qui eux croient sincèrement à cette fiction ("I also realize that few [professors] will permit themselves such an understanding" dit le Dr Manhattan à propos du Comédien : en fait, Watchmen, c'est une histoire de profs). Il faut essayer de leur expliquer que non, ce n'est pas que les élèves sont plus nuls/moins travailleurs qu'auparavant juste issus de milieux qui n'avaient pas accès au lycée par le passé, que s'ils passent du temps devant la télé/internet, ce n'est pas une question de médias, mais une question de catégorie sociale, etc.
Alors, généralement, je vend la mèche auprès des élèves. Sur les inégalités sociales. Sur l'école. Sur ce que je fais. Et je leur dit "si vous savez cela, vous pouvez peut être agir en conséquence". Au final, je fais comme tout le monde : je prêche dans le désert.
@Marc : Je ne vois pas trop ce qu'apporte votre commentaire : une fois de plus, je ne crois pas que le problème soit la "paresse" des élèves.
@Damien : I know that feel, bro.
@Blandine : en effet, en gros, notre collègue a utilisé une frappe nucléaire pour étourdir un moustique.
@Marie-Anne : merci !
@Rudi
Je sais bien, mais comme vous l'avez compris, je me suis senti concerné...
@Denis
Sur le fond de ton billet, la socialisation des profs, c'est vraiment intéressant ! Enfin j'y réfléchis quoi. C'est le côté vraiment positif du blog de Loys Bonnot: j'ai l'impression de me mettre à participer à une conversation entre collègue dont j'étais un peu frustré jusqu'à maintenant.
Il y a une ironie mordante dans votre propos (et celui des dizaines de commentateurs qui ont utilisé des termes aussi mesurés que "nauséabond" pour parler de cette expérience...)
Le commentaire de texte, de mes souvenirs de Français c'était l'exercice par excellence où l'on encourageait les élèves à faire dire tout et n'importe quoi à l'auteur du texte originel. Ici, d'aucuns s'en donnent à coeur joie pour faire la même chose avec ce prof qui n'a fait que démontrer très simplement à ses élèves que toutes les sources ne sont pas fiables.
Dès fois, la sur-intellectualisation n'est pas une bonne chose.
Dites-moi, s'il ne s'agissait que de démontrer à ses élèves que toutes les sources ne se valent pas, pourquoi publier cela ? Pourquoi conclure que les élèves n'ont pas la maturité pour utiliser Internet ?
Ah, le commentaire de texte... Un exercice de rigueur. Vous auriez dû mieux écouter vos enseignants.
Et lorsque l'on méprise le travail des autres (les collaborateurs de Wikipedia), je trouve ça assez nauséabond. S'il avait caviardé un livre papier, beaucoup de ses défenseurs seraient vent debout contre lui...
"ce n'est pas que les élèves sont plus nuls/moins travailleurs qu'auparavant juste issus de milieux qui n'avaient pas accès au lycée par le passé, que s'ils passent du temps devant la télé/internet, ce n'est pas une question de médias, mais une question de catégorie sociale".
je suis moyennement d'accord. Le changement social, ça existe. Pourquoi ne paut-on pas supposer qu'il y aurait une évolution du rapport au savoir, et au travail, des élèves (et aussi de leurs professeurs). La massification de l'enseignement secondaire a tout de même commencé il y a longtemps. Y a-t-il encore une si forte augmentation de la part des enfants issus de catégories populaires dans les collèges et lycées, qui expliquerait la transformation de la population lycéenne ? Vingt ans après l'ouverture des lycées, cette explication me paraît moins convaincante.
Je me permet de vous corriger, ce qui permettra de vous faire comprendre mon propos : "Vingt ans après l'ouverture des lycées" et alors que strictement rien n'a été fait pour accueillir ces nouvelles populations et que le lycée ne s'est jamais transformé pour eux. C'est pour cela que l'explication me semble toujours convaincante. Le changement social ça existe. Les résistances à celui-ci, aussi.
La remarque de Strummer est intéressante je trouve, mais je suis assez d’accord avec Denis. Ce que l’on appelle assez vaguement « la jeunesse » a des propriétés bien différentes d’il y a 20 ans. Ceci-dit, à ma connaissance rien n’indique qu’ils soient plus « mauvais » qu’avant (plus « mauvais » que dans d’autres pays ça oui, et pour cause !!! - le système éducatif -). Mais si c’était le cas, mettons qu’ils soient naturellement plus nuls et biologiquement tenus d’être mauvais – là je plaisante - , la question se poserait effectivement : comme le dit un grand sociologue dans son dernier bouquin, s’il y a une culture universelle, il faut universaliser son accès. (Je reprend la plume) sinon c’est comme si en temps de colonisation on accusait les « sauvages » de ne pas être à la hauteur alors qu’ils n’ont rien demandé. Peut-être vaudrait-il mieux accepter le fait que la Culture n’est pas intangible et qu’elle aussi se transforme. Ca serait effectivement au système scolaire de s’adapter, non ? (sans vouloir tomber dans le relativisme…)
@Denis: je ne comprends pas votre réponse, ou bien je me suis mal fait comprendre.
si les enseignants ont l'impression que l'attitude des élèves se dégrade ces 10 dernières années, alors que la population lycéenne n'a pas changé (le changement ayant été opéré plus tôt), l'explication par l'arrivée des "nouveaux lycéens" (moi aussi, je parle comme Dubet) ne tient pas.
(quand je pense que je m'étais promis de ne pas me mêler à ce débat qui fleure bon la machine à café de salle des profs!).
@Strummer : ok, j'avais mal compris votre remarque. Je dirais que je fais peu confiance à la mémoire des profs - et des autres professions aussi d'ailleurs : les discours de déploration sur l'attitude inacceptable de la jeunesse sont si ancien (Socrates déjà...) qu'il est difficile de les prendre pour argent comptant. Et puis, il me semble (mais c'est de la parole d'indigène, pas de sociologue) que les enseignants comparent moins les élèves à ceux qu'ils avaient avant (déjà embellis par la nostalgie) qu'à eux-mêmes lorsqu'ils étaient élèves. Avec bien sûr toutes les distorsions que ça implique.
Si l'on veut mesurer cela précisément, il faut passer par autre chose que les discours de machine à café de salle des profs justement.
Bonjour,
Contribution personnelle donc dépouillée de caractère généralisateur, mais sur la "double injonction", j'ai longtemps souffert dans les matières littéraires parce que j'essayais de présenter mes idées, avec globalement une sale note à la clé. C'est à la fac que j'ai eu la révélation par un ami que les correcteurs ne recherchaient qu'à vérifier la connaissance par l'élève des termes du débat, et que l'exercice, sous une forme ou une autre, consistait toujours à exposer sous une forme ou une autre les opinions certifiées. J'ai mis en pratique, et mes notes ont fortement augmenté dès que j'ai strictement tenu à l'écart de mes copies mes opinions personnelles...
Il me semble que les enseignants pourraient être plus claires sur ce point, quitte à autoriser l'élève à un peu plus de liberté dans la conclusion. Mais de fausses règles du jeu rendent l'exercice trompeur.
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