Le Figaro publie aujourd'hui un article consacrée aux candidates au baccalauréat qui se présenteraient voilées, et évidemment aux questions juridiques sinon politiques que cela soulève. On peut y lire cette réaction d'une enseignante de français à propos de la directive de l'académie d'Amiens qui précise que ces dites candidates sont autorisées à se présenter à l'examen tête couverte :
A la lecture de ce passage, je n'ai pu m'empêcher de penser à Bourdieu. Comme on le sait, celui-ci a beaucoup écrit sur l'école. Une des questions clefs de son travail est la suivante : sur quoi l'école juge-t-elle les élèves ? Est-ce sur des connaissances et des compétences scolaires, acquises par le travail en classe, ou est-ce sur d'autres connaissances et d'autres compétences, dont l'acquisition seraient plus aisés à certains qu'à d'autres ?
On connaît la réponse de Bourdieu : l'école juge en fait les enfants sur la base d'un habitus, c'est-à-dire, pour le dire vite, d'un ensemble de dispositions socialement acquises génératrices de comportements. L'école, c'est-à-dire en priorité les enseignants, s'attend à ce que les élèves aient un habitus "bourgeois" : adhésion à la culture légitime sur laquelle s'appuie l'école, aisance à l'oral, etc. Or, l'école n'enseigne pas cela, ce qui conduit à l'exclusion "naturelle" des élèves qui n'ont pas eu la chance de l'obtenir par leur famille. Combien de fois, dans des conseils de classes, entend-t-on des enseignants critiquer un élève en le disant trop "scolaire" - ce qui est un euphémisme pour dire qu'il bosse dur mais qu'il ne peut pas grand chose... C'est pourtant, si l'on est logique, exclusivement suivant des critères "scolaires" que l'on devrait juger un élève. Pour tout ce qui n'est pas scolaire, les élèves ne sont tout simplement pas à égalité.
La remarque de ma collègue cité plus haut pose la même question : lors d'un oral de français, va-t-on juger l'élève sur ses connaissances scolaires, la compréhension des textes, ses capacités d'analyse, etc. ou va-t-on également tenir compte de choses qui ne relèvent pas de l'enseignement normalement dispensé à un élève ? Par exemple, ses choix religieux ou vestimentaires...
La question n'est pas triviale et ne se limite pas à la seule question des examens. Tout au long de l'année, les enseignants rendent des jugements sur les élèves. Il est extrèmement difficile de s'en tenir aux seuls critères scolaires. On dérive rapidement sur la prise en compte, parfois à la limite inconsciente, de toutes sortes d'autres choses qui n'ont pas grand chose à voir avec notre mission - à commencer par le genre bien sûr, plus grand classique, puisqu'à résultat égal, on ne jugera pas forcément qu'une fille et un garçon ont le même niveau.
Alors que faire pour que l'école gagne un peu en justice sur ce plan-là ? Certains diront peut-être qu'il faut éliminer au maximum les distinctions apparentes entre les élèves, comme par exemple ce qu'ils peuvent avoir sur la tête et qui en dit peut-être trop au professeur par rapport à ce qu'il a besoin de savoir. Mais on ne pourra certainement pas tout faire disparaître, et particulièrement ce qui est le plus discriminant - les dispositions acquises, le fameux habitus. Alors c'est peut-être en diffusant au mieux auprès des enseignants les apports de la sociologie de l'éducation en la matière que l'on pèsera peut-être sur leurs pratiques. Lorsque j'étais à l'IUFM, beaucoup de formateurs "transversaux" - c'est-à-dire qui n'étaient pas forcément et même rarement des enseignants de SES à l'origine - aimaient à reconnaître l'apport de Bourdieu. Cinq minutes de discussion avec eux suffisaient à comprendre qu'il résumait celui-ci - sans l'avoir lu - à "il y a des inégalités des chances entre les élèves en fonction du milieu social". Je ne sais pas si c'est une situation générale. Toujours est-il qu'il est probable qu'il y ait là un gros manque dans la formation des enseignants...
De quoi agacer l'enseignante qui estime que «cette directive de l'académie d'Amiens va à l'encontre de l'oral de français pour lequel l'expression et l'engagement physique du candidat sont très importants». Si le cas se présentait, l'enseignante l'assure, elle refuserait d'entendre le candidat : «On ne peut pas refuser le voile dans le cadre de l'enseignement tout au long de l'année scolaire et l'autoriser lors du passage du baccalauréat. Pour moi, c'est hypocrite», s'insurge-t-elle.
A la lecture de ce passage, je n'ai pu m'empêcher de penser à Bourdieu. Comme on le sait, celui-ci a beaucoup écrit sur l'école. Une des questions clefs de son travail est la suivante : sur quoi l'école juge-t-elle les élèves ? Est-ce sur des connaissances et des compétences scolaires, acquises par le travail en classe, ou est-ce sur d'autres connaissances et d'autres compétences, dont l'acquisition seraient plus aisés à certains qu'à d'autres ?
On connaît la réponse de Bourdieu : l'école juge en fait les enfants sur la base d'un habitus, c'est-à-dire, pour le dire vite, d'un ensemble de dispositions socialement acquises génératrices de comportements. L'école, c'est-à-dire en priorité les enseignants, s'attend à ce que les élèves aient un habitus "bourgeois" : adhésion à la culture légitime sur laquelle s'appuie l'école, aisance à l'oral, etc. Or, l'école n'enseigne pas cela, ce qui conduit à l'exclusion "naturelle" des élèves qui n'ont pas eu la chance de l'obtenir par leur famille. Combien de fois, dans des conseils de classes, entend-t-on des enseignants critiquer un élève en le disant trop "scolaire" - ce qui est un euphémisme pour dire qu'il bosse dur mais qu'il ne peut pas grand chose... C'est pourtant, si l'on est logique, exclusivement suivant des critères "scolaires" que l'on devrait juger un élève. Pour tout ce qui n'est pas scolaire, les élèves ne sont tout simplement pas à égalité.
La remarque de ma collègue cité plus haut pose la même question : lors d'un oral de français, va-t-on juger l'élève sur ses connaissances scolaires, la compréhension des textes, ses capacités d'analyse, etc. ou va-t-on également tenir compte de choses qui ne relèvent pas de l'enseignement normalement dispensé à un élève ? Par exemple, ses choix religieux ou vestimentaires...
La question n'est pas triviale et ne se limite pas à la seule question des examens. Tout au long de l'année, les enseignants rendent des jugements sur les élèves. Il est extrèmement difficile de s'en tenir aux seuls critères scolaires. On dérive rapidement sur la prise en compte, parfois à la limite inconsciente, de toutes sortes d'autres choses qui n'ont pas grand chose à voir avec notre mission - à commencer par le genre bien sûr, plus grand classique, puisqu'à résultat égal, on ne jugera pas forcément qu'une fille et un garçon ont le même niveau.
Alors que faire pour que l'école gagne un peu en justice sur ce plan-là ? Certains diront peut-être qu'il faut éliminer au maximum les distinctions apparentes entre les élèves, comme par exemple ce qu'ils peuvent avoir sur la tête et qui en dit peut-être trop au professeur par rapport à ce qu'il a besoin de savoir. Mais on ne pourra certainement pas tout faire disparaître, et particulièrement ce qui est le plus discriminant - les dispositions acquises, le fameux habitus. Alors c'est peut-être en diffusant au mieux auprès des enseignants les apports de la sociologie de l'éducation en la matière que l'on pèsera peut-être sur leurs pratiques. Lorsque j'étais à l'IUFM, beaucoup de formateurs "transversaux" - c'est-à-dire qui n'étaient pas forcément et même rarement des enseignants de SES à l'origine - aimaient à reconnaître l'apport de Bourdieu. Cinq minutes de discussion avec eux suffisaient à comprendre qu'il résumait celui-ci - sans l'avoir lu - à "il y a des inégalités des chances entre les élèves en fonction du milieu social". Je ne sais pas si c'est une situation générale. Toujours est-il qu'il est probable qu'il y ait là un gros manque dans la formation des enseignants...
1 commentaires:
Je suis tout à fait d'accord avec cette analyse, j'avais d'ailleurs parlé d'une étude anglaise qui confirmait ce poids des stéréotypes dans la notation sur mon blog.
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