Des avantages de la dissertation

Exercice roi du système éducatif français, sous le double poids du rôle historique des jésuites et de l'influence des agrégations et des écoles normales supérieures, la dissertation reçoit régulièrement des critiques : notation subjective - souvenez-vous de la "loterie du bac" -, coût de l'exercice en termes d'organisation, etc. Les QCM sont souvent vus comme une solution possible. A ce propos, on peut lire les remarques de Jay Livingston sur le décidément excellent Montclair SocioBlog. Un peu de traduction et de commentaire ici, mais allez lire le billet entier quand même.


Il y a quelques années, alors que je démarrais un cours sur Freud, un étudiant me demanda : "Freud n'a-t-il pas été très fortement désapprouvé ?". Je ne me souviens plus de ma réponse, mais il m'est apparu plus temps que ce que voulait peut-être cet étudiant, c'était réduire l'ensemble de la pensée freudienne a une seule question : Freud - Vrai ou Faux. Réponse : Faux


Premier argument contre les QCM : à force de penser en réponses courtes qui peuvent s'écrire en une ligne maximum, on n'en vient à ne plus pouvoir nuancer, discuter ou simplement réfléchir. L'un des défauts du système d'enseignement français actuel est sans doute que beaucoup d'élèves se concentrent sur quelques "recettes" simples pour réussir les examens, sans s'inquiéter des contenus des cours ni de l'importance que ceux-ci peuvent avoir tant pour leur développement personnel que pour leur avenir professionnel. Si le bac est en cause, ce n'est pas à cause de la forme de ses épreuves. Les QCM ne feraient qu'empirer les choses.

J'utilise bien les QCM - pour répondre aux préférences des étudiants et pour éviter les plaintes de à propos d'une notation subjective. Mais d'une façon générale, je n'aime pas l'idée des QCM. Je trouve aussi ironique que les enseignants qui y sont attachés soient aussi ceux qui voient l'éducation comme une préparation des étudiants au "monde réel". Qu'est-ce que l'on pourra bien demander aux élèves dans le monde, le "monde réel", qui ressemble à un QCM ?


Souvenez-vous bien de ce deuxième argument. Beaucoup de critiques de l'éducation s'appuie sur le monde "réel", le "concret", opposé au monde abstrait... Même notre président, souvenez-vous. Lorsque les QCM reviendront dans le débat français, et ils y reviendront, posez-leur la question...

7 commentaires:

impertinence a dit…

Donc, j'en conclus : QCM = Faux. J'ai bon ?

Denis Colombi a dit…

Bien sûr que non ! Il faut nuancer : les QCM peuvent avoir leur utilité, à certains moments de l'apprentissage. Mais vouloir remplacer la dissertation ou les autres exercices de rédaction par ceux-ci posent, bien évidemment, des problèmes...

christophe a dit…

Bonjour Denis.

J'avais déjà tenté d'apporter quelques pistes de réflexion sur la dissertation dans ce billet ici

http://sosses.over-blog.com/article-18357079.html

Aujourd'hui, je crois que l'alternative ne se résume pas à dissertation vs qcm (anciens contre modernes).
A titre personnel, je suis pour la suppression de ce type d'épreuves au bac (oui, je sais, chaque fois que je dis cela à un collègue, il a l'impression que le monde va s'écrouler^^). Il est beaucoup trop formel et on ne prépare pas suffisamment les élèves.
Par contre, comme tout enseignant de SES qui se respecte, nous formons à l'argumentation, à l'analyse de documents... Nous pouvons donc trouver des situations d'évaluations dans lesquelles les élèves doivent mettre en avant toutes ces compétences...sans passer par le côté formel de la dissertation (combien d'élèves maitrisent réellement cet exercice ?). Il ne s'agit pas de renoncer aux exigences devant les difficultés de l'épreuve, mais de mieux former les élèves.
Je sais que le sujet fait polémique ^^

Anonyme a dit…

Le problème de la dissertation, c'est l'importance des règles plus ou moins implicites nécessaires pour maîtriser l'exercice.
Concrètement, un élève fumiste -fils de prof par exemple-qui maîtrise l'abstraction (et peut donc faire un plan plus facilement)et écrit bien ( pas de faute d'orthographe, distinction vocabulaire soutenu-familier,...)aura une bien meilleure note que l'élève -fils d'ouvrier par exemple- qui bosse mais a du mal à maîtriser ces règles.
Je ne dis pas que ce n'est pas important de savoir faire une dissert, mais c'est un exercice profondément inégalitaire socialement et qui n'incite pas à travailler (surtout avec nos sujets de bac en SES où tout est dans les documents)

Denis Colombi a dit…

Des commentaires intéressants, je suis fier de mes lecteurs :).

Effectivement, la dissertation n'est pas non plus exempte de défauts. Mais je pense qu'il faut bien voir qu'il existe plusieurs façons de faire faire des disserts. En ce sens, la dissertation sur document en SES me semble parfaitement adaptée : elle permettrait en effet d'en venir en ce qui est au coeur des sciences sociales, l'analyse attentive des faits à l'aide des grilles de lecture théoriques. Le problème est effectivement que, dans l'état actuel des choses, ce n'est pas vraiment ce qui est proposé, et que les documents sont souvent des éléments de réponses plutôt que des documents à analyser...

Quant aux inégalités de l'exercice, je pense que c'est aussi à l'école de donner aux élèves "défavorisés" ce que les autres obtiennent dans leurs familles. La dissert peut rester dans nos objectifs, mais il faut peut-être trouver des solutions pour amener nos élèves à la maitriser. Quand je vois les progrès de certains de mes élèves sur leur année de première - et je ne suis certainement pas le meilleur prof du monde ! - j'ai bon espoir.

christophe a dit…

Merci Denis ^^

Je te rejoins sur:

- le fait que "notre" dissertation est en grande partie basée sur les documents, ce qui ne correspond pas à la dissertation au sens classique du terme

- le choix des documents est crucial: on a trop tendance à vouloir tout apporter aux élèves (notions, mécanismes)...ce qui les conduit à se reposer sur le dossier documentaire (à tort évidemment).

- la nécessité de préparer nos élèves à cette épreuve et les progrès qu'ils sont capables de faire.

Mais, étant donné l'écart entre ce que nous enseignons et ce qui reste réellement chez les élèves, j'apporte quelques objections (votre honneur):

- la dissertation reste un exercice de style (cf le commentaire d'anonyme): inconsciemment, nous survalorisons certains aspects formels (on peut faire aussi appel à la docimologie pour se rendre compte de ces biais)

- préparer les élèves à cet exercice exige du temps. Or avec l'immensité du programme de Terminale (et même de Première), on fait des arbitrages pour boucler le programme. D'autant plus qu'il n'y a pas que la dissertation à préparer (la synthèse a, elle aussi, ses propres exigences).

- Souvent, on m'objecte que les élèves auront besoin de faire des dissertations plus tard.
Je reste sceptique: à l'université en première année, peu de matières liées à la nôtre reposent leur épreuve finale sur une dissertation. Evidemment, les classes prépas, IEP exigent la maitrise de cet exercice. Mais il n'y a que 5 à 10 % de nos élèves qui rentrent dans ces filières.
D'autre part, il me semble que les élèves ont besoin d'avoir plus de "balises" pour pouvoir avancer. Une dissertation comporte beaucoup de compétences (et à force de vouloir tout faire, on ne maitrise pas grand chose).

A mon humble avis, si on garde la dissertation, il va falloir l'améliorer sérieusement (formulation du sujet, choix des documents, critères d'évaluation etc...).
Personnellement, je suis partisan de la remplacer par d'autres types d'exercices (sur la maitrise de tel mécanisme, l'analyse de documents et un exercice final d'argumentation).

Mais je connais Denis, il n'est jamais à court d'arguments ^^

Denis Colombi a dit…

Je suis d'accord pour dire que l'argument "les élèves en auront besoin plus tard" n'est pas valable. A notre un niveau, un exercice doit valoir pour ce qu'il apporte aux élèves ici et maintenant. A chaque niveau de se donner les moyens de transmettre aux élèves ce dont ils ont besoin le moment venu.

Concernant le temps que demande la préparation de cet exercice, je suis d'accord qu'il est important. Je pense cependant que l'on pourrait faire des efforts de coordination entre disciplines pour faire jouer les "économies d'échelle". En outre, si les programmes pouvaient être allégés...

Sur la dissertation comme exercice de style, je pense que c'est une dérive perverse, peut-être inévitable, du système. Les élèves chercheront toujours des "recettes" pour réussir. Je pense qu'il faut en revenir à l'essence de la dissertation : une méthode de réflexion nuancée et complète. Quitte à assouplir nos exigences sur certains aspects trop formels.

En un mot, je suis d'accord pour que l'on repense la dissertation, pour l'adapter aux enjeux qui sont les notres. Pas pour qu'on l'abandonne.

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