Le Codice : One more time (petite incursion au pays des économistes)

Ce blog est, on le sait, normalement consacré à la sociologie. Pourtant, une fois n'est pas coutume je voudrais faire une petite incursion dans le domaine de la science économique, à propos du site kezeco.fr et de la compétence économique du Codice...


Le Codice, souvenez-vous, j'en avais déjà parlé avec un enthousiasme tout relatif - pour ne pas dire que je trouve sa nouvelle composition proche de l'insulte intellectuelle, vu la faible représentation des gens digne de confiance.

Récemment, le Codice a lancé le site kezeco.fr, censé, selon la mission du Codice, réconcilier les français avec l'économie. Son pitch est d'ailleurs à ce titre savoureux : "L'économie ne se cache plus". La présentation très "Adibou-rubik's cube" n'est pas franchement pour me séduire, puisque j'aime l'économie justement pour son aspect "lugubre", tellement plus propice aux raisonnements contre-intuitifs et à la recherche scientifique, mais ce n'est peut-être pas le plus important.

Par contre, il est plus grave d'y trouver des passages douteux ou franchement faux. Un seul exemple : la définition du PIB. Notons bien qu'il s'agit d'un problème de définition et non de théories - même si toute définition découle, évidemment, de considération théorique - ou de positionnements plus ou moins politiques. Il y est donc bien question de compétence à parler d'économie. Voilà ce que l'on peut lire sur la valeur ajoutée (site consultée le 23/11/08) :

La somme des valeurs ajoutées des entreprises d’un secteur d’activité permet d’évaluer son dynamisme. Et en additionnant les valeurs ajoutées de l’ensemble des entreprises d’un pays, à laquelle on rajoute le solde de sa balance extérieure, on obtient… (Bingo !)… le célèbre PIB. Last but not least, l’évolution de ce Produit intérieur brut d’une année sur l’autre permet de calculer la croissance économique , autrement dit l’augmentation des produits et services produits par l’économie d’un pays.


Notons donc comment kezeco.fr propose de calculer le PIB d'un pays : somme des VA des entreprises + solde de la balance extérieure = PIB. De ce fait, on accréditera la thèse qu'un solde positif de la balance extérieure est bon - il fait augmenter le PIB - et qu'un solde négatif est mauvais - il fait baisser le PIB. Mes collègues économistes doivent se taper la tête contre les murs devant cette étrange validation de l'hystérie du déficit commercial. De plus, la balance extérieure, on ne sait pas ce que c'est : la balance des paiements ? Ecrite dans un cadre comptable, elle est toujours équilibrée. Il ne peut donc y avoir de solde positif ou négatif dans son cas. La balance commerciale ? Mais celle-ci ne rassemble que les biens, or il semble nécessaire de prendre en compte au moins les services. La balance courante (compte des transactions courantes dans le balance des paiements ) alors ? Mais pourquoi ne pas utiliser le terme exact ? Une imprécision pour simplifier ? N'importe quel enseignant sait que ce genre de simplification est de nature à rendre l'apprentissage plus difficile.

La défintion est déjà imprécise et douteuse. Mais elle est surtout fausse. Pour s'en rendre compte, il suffit de la comparer à celle que donne l'Institut natioinal de la statistique et des études économiques - l'Insee, quoi - dont on peut légitimement penser qu'en terme de PIB, ils s'y connaissent puisque c'est eux qui le calcule... Voilà ce que nous dit le site de l'insee :

Agrégat représentant le résultat final de l'activité de production des unités productrices résidentes.
Il peut se définir de trois manières :
- le PIB est égal à la somme des valeurs ajoutées brutes des différents secteurs institutionnels ou des différentes branches d'activité, augmentée des impôts moins les subventions sur les produits (lesquels ne sont pas affectés aux secteurs et aux branches d'activité) ;
- le PIB est égal à la somme des emplois finals intérieurs de biens et de services (consommation finale effective, formation brute de capital fixe, variations de stocks), plus les exportations, moins les importations ;
- le PIB est égal à la somme des emplois des comptes d'exploitation des secteurs institutionnels : rémunération des salariés, impôts sur la production et les importations moins les subventions, excédent brut d'exploitation et revenu mixte.

Le PIB rassemble ainsi la valeur ajoutée des unités productrices, et non des seules entreprises. Une administration publique est une unité productrice : sa valeur ajoutée est donc prise en compte puisque l'Insee calcule la valeur ajoutée de ce secteur institutionnel (voir ici pour une définition complète). Les associations font de même (voir ici). Tout cela n'est pas pris en compte dans la défintion de kezeco.fr. De même, la question du solde extérieur n'apparaît pas ici ! L'Insee précise aussi les deux autres façons de calculer le PIB - par les revenus et par les dépenses - qui permettent de comprendre que cet agrégat ne mesure pas la seule production des entreprises, les administrations publiques versant, par exemple, des revenus. Autrement dit, la définition proposé par le Codice par le biais de son site à vocation pédagogique ne permet pas à celui qui le consulte de comprendre comment se calcule effectivement le PIB ni ce qu'il signifie. Je tremble à la seule idée que l'un de mes élèves tombe dessus un jour...

Que dire de tout cela ? Simplement que, sans surprise, les biais de construction du Codice se retrouvent dans le traitement des informations effectué par ce groupe. La sur-représentation des entrepreneurs, signe d'une confusion entre l'entreprise, l'économie et le chef d'entreprise, entraîne une vision de l'économie tournée uniquement vers l'entreprise, prise comme seule créatrice de valeur. Rien d'étonnant à cela : le comportement économique ne peut se penser en dehors des positions sociales des individus. La connaissance économique est un construit social, découlant de ce que les individus voient étant donné leur position dans les rapports sociaux (revoir mon analyse de l'idéologie entourant le déficit commercial). Si les scientifiques peuvent proposer une vision plus juste de ces phénomènes, c'est à la seule condition de la production scientifique soit organisée de telle sorte que la recherche de la vérité y soit le comportement le plus favorisé - ce qu'avait très bien décrit Pierre Bourdieu dans Homo Academicus (1984).

Se pose alors l'inévitable question : à quoi sert le Codice ? Visiblement, sur quelque chose de très simple, il échoue à sa mission de donner une information claire au public. Le site renferme d'autres inexactitudes, mais le temps me manque pour toutes les détailler. Peut-être la question doit-elle être : à qui sert le Codice ? L'exemple que j'ai retenu montre en effet qu'il promeut une vision très particulière de l'économie, où les entreprises et les entrepreneurs sont pris comme les acteurs économiques par excellence, l'exclusion de tous les autres. Une fois de plus, il y a lieu de s'en inquiéter.

(Merci aux collègues qui ont attiré mon oeil sur ce point)

10 commentaires:

Anonyme a dit…

N'importe quel enseignant sait que ce genre de simplification est de nature à rendre l'apprentissage plus difficile.

Bonne journée ! ;)

Denis Colombi a dit…

Arf, ma dyslexie qui ressort... Merci de m'avoir signalé l'erreur, c'est corrigé.

Unknown a dit…

Moi je ne le trouve pas si mal ce site Kezeco. Rien qu'à le voir on comprend qu'il n'est fait ni pour les profs d'éco ni pour leurs élèves, ni pour faire du copier-coller des définitions, fussent-elles de l'Insee, que les premiers savent trouver sur internet et qui sont largement hermétiques à la cible "Adibou" du site Kezeco...

Denis Colombi a dit…

@ Yann : c'est vrai que de donner des informatioins fausses, ce n'est pas si grave... surtout quand on s'adresse à des gens qui ne s'y connaissent pas... Ai-je besoin de dire pourquoi votre remarque est absurde ?

Anonyme a dit…

Remarque : on peut envoyer un commentaire par un formulaire mail en bas de page. J'ai signalé l'erreur en des termes assez vifs, et je vous conseille d'en faire autant. J'imagine que la perspective que les enseignants déconseillent ce site à leurs élèves (et donc aux parents) peut les amener à réagir un peu.

Anonyme a dit…

Je me suis étranglé en lisant la définition de la croissance. Et pourtant, bizarrement , je ne suis pas surpris.

Cimon a dit…

Grace à kezeco, je viens d'apprendre que le capital d'une entreprise est à son actif.

On n'arrête pas le progrès...

:-(

Denis Colombi a dit…

@ Mathieu : je n'avais pas vu, mais c'est une bonne idée. Après tout, ce truc pourrait probablement être utile... Il aurait juste fallut en confier la conception à des gens compétents.

@ J-E : Non, ce n'est vraiment pas surprenant... C'est ça le pire !

@ Cimon : lol. Je n'avais pas vu ça non plus. Je sens qu'on est parti pour des mois de franche poilade avec ce site.

Anonyme a dit…

Je pense que ce serait quand même plus efficace (et plus rigolo, hin hin hin) de faire un petit relevé de, disons, une dizaine d'erreurs grossières de ce type. Voire une vingtaine, ça doit se trouver. Et de toutes leur envoyer en même temps. J'ai peur que les erreurs "individuelles" ils s'en fichent complètement : s'ils avaient un minimum de conscience professionnelle, on n'en serait déjà pas là !

Voire de les envoyer à d'autres, disons la presse par exemple...

@Yann : vous étiez pas sérieux, hein ? dites dites dites !

Anonyme a dit…

Quelle grosse marrade...

"4- En quoi les banques françaises sont elles plus protégées que les autres ?

Les banques françaises sont mieux protégées que les autres banques pour trois raisons :

(...)

2) Le Président de la République a affirmé solennellement que l’Etat ne laisserait aucune banque Française faire faillite. Cet engagement devrait suffire à décourager la spéculation contre les banques françaises, et si au pire ce n’était pas le cas, l’Etat les empêcherait de sombrer. Enfin, rappelons pour mémoire, bien que cela n’ait plus d’importance depuis cet engagement, que les comptes ouverts par des clients des banques sont tous garantis à hauteur de 70 000 €, ce qui couvre totalement 86% des comptes existants."

Y'a du monde sous cet argument :
- l'Président il veille, brav' gens
- les vilaiiiins spéculateurs (étrangers ?) ils ont peur du président !

Et après ça on tape sur les profs de SES.

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