Le fait que j'ai un blog suffit à montrer à quel point je suis une personne influençable et qui recherche continuellement l'attention des autres. De ce fait, il fallait donc bien qu'un jour ou l'autre je cède une fois de plus au mimétisme et à l'appel de la hype. J'ai donc ouvert un compte twitter, histoire de voir ce que ce truc a dans le ventre. Aucune idée de ce que ça va donner pour le moment. Mais allez, soyez sympa, suivez mes mini-aventures au pays du mini-blogging. Et signalez-moi les twitters intéressants pour les sciences sociales.
Nouveau blog : le Zeping
Publié par
Denis Colombi
on 22 février 2010
Libellés :
Blog(s),
Sociologie de l'éducation
/
Comments: (3)
Via le toujours très vigilants Philippe Watrelot, un nouveau blog ayant trait aux sciences sociales mérite d'être signalé : le Zeping, écrit par une jeune agrégée de sciences sociales qui enseigne dans un de ces lycées que l'on qualifie généralement de "difficile". Deux billets pour l'instant, des témoignages accompagnés de réflexion, une lecture qui fait quand même du bien, pour voir ce que l'on fait en SES et ce que l'on vit en ZEP.
En classe, dialogue avec les élèves: « Les homosexuels, c’est des mecs pas normaux, c’est des obsédés sexuels, ils pensent qu’à leur plaisir, et pas à avoir des enfants.
- Ne pensez-vous pas que vous dites cela parce que la socialisation que vous avez reçue a fait de vous des hétérosexuels?
- Non, non, c’est pas naturel, une femme a un vagin et un homme un pénis.
- Carrément, un verre, c’est fait pour être rempli!
- Bon, les réflexions graveleuses, on va éviter ; citez-moi la réaction d’une vieille dame dans le RER quand elle voit arriver un jeune habillé en jogging avec une capuche.
- Ah ! Elle serre son sac contre elle et elle a peur !
- Qu’en déduisez-vous ?
- Le fait d’être habillé en jogging/capuche fait peur aux gens.
- Vous apparaissez donc comme différents de la…
En chœur :
- Norme !
- Bien ! Vous avez de bons restes du début de l’année. Vous voyez donc qu’un simple habillement peut faire de vous des déviants ; un rapprochement à faire sur l’homosexualité ?
- Ok, m’dame, c’est juste que l’hétérosexualité, c’est une norme, alors tout ce qui est différent est vu comme une déviance.
- Très bien, on note ça à l’écrit, alors. »
J'vous ai apporté de la sociologie (parce que l'économie c'est périssable)
Publié par
Denis Colombi
on 14 février 2010
Libellés :
Sociologie de la famille
/
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Nous voilà donc à la Saint Valentin. L'année dernière, vous aviez appris comment déclarer votre flamme à l'économiste de vos rêves. Depuis, la crise a ébranlé vos certitudes, et vous êtes revenu à la raison : c'est désormais un beau/une belle sociologue que vous courtisez. Voici donc quelques façons de lui faire part de votre sentiment si doux (et ne vous avisez pas de switcher pour un(e) politiste l'année prochaine, ou ça va mal finir).
Tu es mon pygmalion/ma pygmalionne (oui, en sociologie, mettre au féminin des noms propres est autorisé)
Comme le rappelle François de Singly (ah, mon jury d'agreg...), dans la modernité, c'est dans le regard de l'autre que se constitue la personnalité de l'individu : l'individu est réflexif, car il s'élabore non pas suivant des normes extérieurs mais par rapport à lui-même, dans une injonction à être soi, mais ce dialogue avec soi doit trouver confirmation dans le regard de l'autre. Le mythe de Pygmalion permet de comprendre que le conjoint est perçu comme celui qui va révéler les qualités cachées, y compris à soi.
Attention cependant : Pygmalion peut aussi être le parent, et il n'est pas toujours conseillé de faire référence à la belle-famille dans cette période.
Tu es mon autrui significatif/significant other (la terminologie anglaise peut être appréciée)
Pourquoi ne pas revenir aux classiques ? Peter Berger, Hansfried Kellner, "Le mariage et la construction de la réalité". Ou comment le mariage - aujourd'hui ce serait plutôt le couple en général, quelque soit le mode d'union - est un puissant facteur de socialisation parce que c'est dans la conversation amoureuse que s'élabore la construction de la réalité. Vous pouvez aussi lui lancer : Tu es mon instrument nomique, ça marche aussi, et c'est plus classe.
Tu m'as rendu culturellement dissonant(e) (attention, à n'utiliser qu'avec un(e) sociologue, sinon vous allez récolter des baffes)
Les individus ne sont pas que le produit de leur classe sociale, et Bernard Lahire le sait bien. La preuve : ils sont souvent en situation de dissonance culturelle, c'est-à-dire qu'ils ont des pratiques culturelles qui se rapportent à des ordres de légitimité différents. Mais si, souvenez-vous quand vous avez mangé votre bucket de KFC en regardant Ladri di biciclette. C'est évidemment parce que votre cher/chère et tendre est passionné(e) par le néoréalisme italien. Et vous lui êtes reconnaissant pour ça, non ? Tenez, moi, je peux briller en soirée en parlant d'Art contemporain, ou en citant Sex and the City. Remerciez donc votre conjoint(e) pour ce qu'il/qu'elle vous apporte.
Toi et moi, on forme une dyade (prévoyez quand même un petit lexique)
Bon, à utiliser surtout avec quelqu'un qui connait un peu la sociologie des réseaux. Essayez aussi : j'aimerais bien former une clique avec toi, mais seulement si vous vous sentez prêt pour la reproduction (non, pas la reproduction sociale, l'autre).
Même si on vivait en Chine himalayenne, je te serais fidèle (ça marche très bien avec les anthropologues)
Ce qui est significatif quand on sait que chez les Mosos, peuple de Chine himalayenne, il n'existe aucune forme d'union entre les individus, et que les relations amoureuses ne sont soumises à aucun contrôle social.
L'homogamie, ça a du bon finalement (utile si l'objet de votre attention a une certaine mauvaise conscience sociale)
Histoire de rappeler que si notre société n'était pas puissamment structurée en groupes et en classes, vous ne seriez peut être pas ensemble. Complétez par un nos enfants auront un bel habitus, quand même plus romantique que le traditionnel "ils auront mon intelligence et ta beauté" (qui risque toujours d'être suivi d'une baffe bien méritée). Vous pouvez aussi tenter heureusement qu'on était sur la diagonale, mais c'est plus subtil.
Et bien sûr, last but not least, et si vous êtes prêt à l'engagement, n'hésitez pas, dites-lui Dis, et si on s'achetait un lave-linge ?. Normalement, si vous êtes en présence d'un(e) vrai(e) sociologue, de chaudes larmes devraient couler sur ses joues pendant qu'il/elle essaye d'articuler "yes, I dow" (ou qu'il/elle essaye de fuir en courant si vous avez mal calculé votre coup). Pourquoi ? Parce que comme le dit Jean-Claude Kaufman, aujourd'hui, mêler son linge est la plus belle preuve que l'on cesse de se penser comme deux individus différents, rapportant chacun leurs petites affaires chez papa/maman, pour se penser comme un couple en soi. Un mariage, en d'autres termes.
Et si tout cela échoue, essayez le chocolat. Moins sociologique, mais quasiment infaillible - et de toutes façons quelqu'un qui refuse du chocolat ne mérite pas votre attention. En tout cas, si vous avez d'autres propositions, les commentaires sont là pour ça.
Tu es mon pygmalion/ma pygmalionne (oui, en sociologie, mettre au féminin des noms propres est autorisé)
Comme le rappelle François de Singly (ah, mon jury d'agreg...), dans la modernité, c'est dans le regard de l'autre que se constitue la personnalité de l'individu : l'individu est réflexif, car il s'élabore non pas suivant des normes extérieurs mais par rapport à lui-même, dans une injonction à être soi, mais ce dialogue avec soi doit trouver confirmation dans le regard de l'autre. Le mythe de Pygmalion permet de comprendre que le conjoint est perçu comme celui qui va révéler les qualités cachées, y compris à soi.
Attention cependant : Pygmalion peut aussi être le parent, et il n'est pas toujours conseillé de faire référence à la belle-famille dans cette période.
Tu es mon autrui significatif/significant other (la terminologie anglaise peut être appréciée)
Pourquoi ne pas revenir aux classiques ? Peter Berger, Hansfried Kellner, "Le mariage et la construction de la réalité". Ou comment le mariage - aujourd'hui ce serait plutôt le couple en général, quelque soit le mode d'union - est un puissant facteur de socialisation parce que c'est dans la conversation amoureuse que s'élabore la construction de la réalité. Vous pouvez aussi lui lancer : Tu es mon instrument nomique, ça marche aussi, et c'est plus classe.
Tu m'as rendu culturellement dissonant(e) (attention, à n'utiliser qu'avec un(e) sociologue, sinon vous allez récolter des baffes)
Les individus ne sont pas que le produit de leur classe sociale, et Bernard Lahire le sait bien. La preuve : ils sont souvent en situation de dissonance culturelle, c'est-à-dire qu'ils ont des pratiques culturelles qui se rapportent à des ordres de légitimité différents. Mais si, souvenez-vous quand vous avez mangé votre bucket de KFC en regardant Ladri di biciclette. C'est évidemment parce que votre cher/chère et tendre est passionné(e) par le néoréalisme italien. Et vous lui êtes reconnaissant pour ça, non ? Tenez, moi, je peux briller en soirée en parlant d'Art contemporain, ou en citant Sex and the City. Remerciez donc votre conjoint(e) pour ce qu'il/qu'elle vous apporte.
Toi et moi, on forme une dyade (prévoyez quand même un petit lexique)
Bon, à utiliser surtout avec quelqu'un qui connait un peu la sociologie des réseaux. Essayez aussi : j'aimerais bien former une clique avec toi, mais seulement si vous vous sentez prêt pour la reproduction (non, pas la reproduction sociale, l'autre).
Même si on vivait en Chine himalayenne, je te serais fidèle (ça marche très bien avec les anthropologues)
Ce qui est significatif quand on sait que chez les Mosos, peuple de Chine himalayenne, il n'existe aucune forme d'union entre les individus, et que les relations amoureuses ne sont soumises à aucun contrôle social.
L'homogamie, ça a du bon finalement (utile si l'objet de votre attention a une certaine mauvaise conscience sociale)
Histoire de rappeler que si notre société n'était pas puissamment structurée en groupes et en classes, vous ne seriez peut être pas ensemble. Complétez par un nos enfants auront un bel habitus, quand même plus romantique que le traditionnel "ils auront mon intelligence et ta beauté" (qui risque toujours d'être suivi d'une baffe bien méritée). Vous pouvez aussi tenter heureusement qu'on était sur la diagonale, mais c'est plus subtil.
Et bien sûr, last but not least, et si vous êtes prêt à l'engagement, n'hésitez pas, dites-lui Dis, et si on s'achetait un lave-linge ?. Normalement, si vous êtes en présence d'un(e) vrai(e) sociologue, de chaudes larmes devraient couler sur ses joues pendant qu'il/elle essaye d'articuler "yes, I dow" (ou qu'il/elle essaye de fuir en courant si vous avez mal calculé votre coup). Pourquoi ? Parce que comme le dit Jean-Claude Kaufman, aujourd'hui, mêler son linge est la plus belle preuve que l'on cesse de se penser comme deux individus différents, rapportant chacun leurs petites affaires chez papa/maman, pour se penser comme un couple en soi. Un mariage, en d'autres termes.
Et si tout cela échoue, essayez le chocolat. Moins sociologique, mais quasiment infaillible - et de toutes façons quelqu'un qui refuse du chocolat ne mérite pas votre attention. En tout cas, si vous avez d'autres propositions, les commentaires sont là pour ça.
Universitariser le lycée, vraiment ?
Publié par
Denis Colombi
on 08 février 2010
Libellés :
Sociologie de l'éducation
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Jean-Michel Blanquer, directeur général de l’enseignement scolaire, a récemment évoqué l'idée d'universitariser le lycée - ce qui n'a pas manqué de plonger dans la confusion tous ceux qui ont connu le fonctionnement anomique des universités françaises... En ce qui concerne mes disciplines de prédilections, on pourrait lui répondre avec cette remarque de Stéphane Beaud dans la tribune qu'il publie aujourd'hui dans Libération :
Les Universités gagneraient à adopter un fonctionnement plus proche du lycée, permettant aux étudiants de découvrir plus progressivement des disciplines en ne se spécialisant que petit à petit, comme le propose les SES, les khâgnes B-L et les IEP. Et avec aussi un encadrement plus fort, assuré, pendant les premières années, par des enseignants dont la spécialité est bien l'enseignement et non la recherche. Après tout, comme le disait Max Weber, il est très rare que le talent pour la recherche et le talent pour l'enseignement se retrouve chez la même personne. Ce à quoi j'ajouterais que c'est d'autant plus improbable lorsque l'on n'est formé qu'à la recherche.
Dans la tribune de Stéphane Beaud, on s'attachera aussi à ce passage à propos de la victoire des Bisounours :
Renouveler même erreur au lycée confine à l’absurde. Si les khâgnes B-L (option sciences sociales) et les Instituts d’études politiques sont aujourd’hui si attractifs, c’est, entre autres raisons, du fait de leur programme ouvert en sciences sociales (économie, sociologie, histoire contemporaine).
Les Universités gagneraient à adopter un fonctionnement plus proche du lycée, permettant aux étudiants de découvrir plus progressivement des disciplines en ne se spécialisant que petit à petit, comme le propose les SES, les khâgnes B-L et les IEP. Et avec aussi un encadrement plus fort, assuré, pendant les premières années, par des enseignants dont la spécialité est bien l'enseignement et non la recherche. Après tout, comme le disait Max Weber, il est très rare que le talent pour la recherche et le talent pour l'enseignement se retrouve chez la même personne. Ce à quoi j'ajouterais que c'est d'autant plus improbable lorsque l'on n'est formé qu'à la recherche.
Dans la tribune de Stéphane Beaud, on s'attachera aussi à ce passage à propos de la victoire des Bisounours :
Les sciences sociales ont cette vertu, indispensable en démocratie, de donner à voir la réalité sociale telle qu’elle l’est et non pas telle que le pouvoir, ou les pouvoirs, souhaiteraient qu’elle soit. Le maigre corps des professeurs de SES a besoin du soutien des enseignants des autres disciplines sœurs, du monde universitaire et de la recherche, des syndicats, des parents d’élèves sensibles à ces questions, des élus nationaux et locaux, etc. bref de tous ceux qui ne résignent pas à cette dangereuse entreprise de dilapidation par le gouvernement actuel du précieux héritage culturel que constitue la présence plus que quarantenaire des sciences sociales au lycée.
Fisking Valérie Segond (ou certaines personnes ne devraient pas être éditorialistes)
Publié par
Denis Colombi
on 07 février 2010
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Sciences économiques et sociales
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La Tribune publie un édito de Valérie Ségond portant sur les nouveaux programmes d'économie - Sciences économiques et sociales et Principes fondamentaux de l'économie et de la gestion - qui s'annoncent pour la rentrée prochaine. J'ai rarement vu article plus mal écrit. Ce n'est pas tant le propos qui est dérangeant, que le fait qu'il est truffé d'erreurs et de contre-vérités, voire d'incohérences simples et franches. A tel point que je me pose des questions sur le fonctionnement du monde journalistique français : le fait de faire un "édito" dispense-t-il de simplement connaître le sujet dont on parle ? Chaque phrase mérite d'être corrigée : ça tombe bien, c'est ce que l'on appelle le "fisking", un petit jeu auquel je vais me livrer sans aucune pitié tant l'article est désolant.
L'incipit de cette tribune est très intéressant : alors que Valérie Ségond va développer l'idée selon laquelle c'est l'enseignement de SES qui est cause des incompréhensions des Français face à l'économie, elle retient des exemples concernant des notions qui sont au programme de SES... et qui n'apparaissent pas dans les nouveaux programmes de seconde qu'elle entend défendre ! D'ailleurs, le communiqué de l'Apses à ce propos regrette la disparition de la distinction entre chiffre d'affaires et profits.
En outre, dès le début se manifeste un problème qui va courir pendant tout l'article : Valérie Ségond considère que connaître l'économie, c'est connaître la gestion des entreprises ou la gestion d'un ménage... Or, l'enseignement d'économie dont on parle est un enseignement de science économique, qui vise à donner une compréhension du monde. De la même façon, un cours de SVT vous explique comment se déroule la reproduction sexuelle, il ne vous apprend pas à séduire un partenaire...
Même remarque que précédemment. Mais on peut ajouter une chose d'importance : Valérie Ségond se centre, comme souvent, sur les Français, mais la situation est-elle plus brillante ailleurs ? Est-il sûr que les performances économiques d'un pays s'explique par la maîtrise du calcul des taux d'intérêt effectif de sa population ? Ce n'est guère évident. En outre, les compétences ici évoquées ont plus à voir avec les cours de mathématiques et des compétences finalement assez transversales, et non avec le contenu spécifique de la science économique. Plus loin, Valérie Ségond cite (mal) le manuel de Joseph Stiglitz : les manuels universitaires d'économie, qu'elle n'a très probablement jamais ouvert, ne donne aucun conseil pour choisir son abonnement de téléphone portable.
Comme tout ce qui est cité dans l'article, il est douteux que Valérie Ségond ait lu ne serait-ce qu'un résumé des deux rapports qu'elle cite, encore moins qu'elle les ait compris ou qu'elle se soit reportée aux discussions qui les ont suivit. Rien, absolument rien, dans le rapport Guesnerie n'avance l'idée que ce serait à cause de l'enseignement de sciences économiques et sociales que les Français ont des difficultés avec l'économie. Et pour cause, Roger Guesnerie est quelqu'un d'intelligent, ce que Valérie Ségond ne semble manifestement pas être : il sait bien que très peu de Français passe effectivement par cet enseignement, comme le rappelle Olivier Bouba-Olga ici ou Gilles Raveaud là.
Il faudra vraiment que Valérie Segond m'explique comment on fait pour mener une analyse sans tableaux statistiques, sans base empirique, c'est-à-dire les "illustrations, extraits d'articles" qu'elle stigmatise. Parce que honnêtement, je ne sais pas faire. Et quand je lis des articles universitaires, publiés dans de grandes revues internationales - dont je doute que Valérie Ségond connaisse seulement l'existence et la fonction - je ne m'offusque parce qu'ils contiennent des tableaux et des illustrations !
Quand on cite un ouvrage, c'est qu'on a pris la peine d'y jeter un oeil - je ne parle même pas de le lire. Valérie Ségond n'a même pas cette décence élémentaire lorsque l'on veut prendre part à un débat ou que l'on rendre dans une discussion. Stiglitz propose de retenir cinq principes fondamentaux concernant l'économie : Arbitrage ; Incitations ; Echanges ; Informations ; Répartition. Ils sont bien loin de figurer dans les programmes de Sciences économiques et sociales et de Principes fondamentaux de l'économie et de la gestion (vérifiez par vous-même ici).
Premièrement, Valérie Ségond n'a pas lu le rapport Guesnerie, qui soulignait qu'il fallait s'efforcer de tenir les deux objectifs qu'elle juge "pas toujours conciliables", former le citoyen et préparer les élèves aux études supérieures... qui ne sont rien de moins que deux objectifs communs à tout le système scolaire français ! Si Valérie Ségond veut se lancer dans une critique globale de celui-ci, qu'elle le fasse, mais je doute qu'elle en ait simplement la capacité.
Deuxièmement, elle stigmatise le programme de Sciences économiques et sociales... ce qui montre qu'elle n'a pas lu celui de Principes fondamentaux de l'économie et de la gestion qui comporte cette phrase : "Il a principalement pour objectif de permettre à l'élève de développer des capacités d'analyse de l'organisation économique et sociale, dans une perspective de formation d'un citoyen libre et responsable". Les deux programmes affichent donc cet objectif, mais Valérie Ségond n'en critique qu'un seul. Ce qui montre quelles sont les gros biais idéologiques au travers desquels elle lit la réalité...
Je crois que là, tout journaliste un peu sérieux parlerait de "foutage de gueule" pur et simple. Cette simple affirmation aurait dû pousser La Tribune à demander à Valérie Ségond de revoir sa copie, et éventuellement d'apprendre à faire son métier correctement. Le programme de seconde de l'enseignement d'exploration Sciences économiques et sociales ne contient que trois items clairement sociologiques, plus qui fait référence à la fois à l'économie et à la sociologie (celui sur les relations entre emploi et diplôme). Sur douze items au total. Valérie Ségond ne devrait pas s'étonner d'avoir des problèmes à choisir son abonnement téléphonique vu ses faibles capacités en calcul...
En outre, deux des items de sociologie, relégués en fin de programme, sont optionnel. Pour affirmer que la sociologie est dominante - ce qu'elle n'était pas non plus dans le programme précédent - il faut soit être idiot, soit d'une absolue et totale mauvaise foi. Je vous laisse seul juge.
Le programme de Principes fondamentaux de l'économie et la gestion reprend la plupart des choses qui sont vues actuellement en première en Sciences économiques et sociales... Comment cela pourrait expliquer les problèmes des Français avec l'économie quand c'est en SES et pas quand c'est en PFEG ? Mystère...
Vraiment, il faudra que Valérie Ségond m'explique comment on fait pour partir de l'observation des faits sans passer par les "illustrations, extraits d'articles, tableaux, etc." qu'elle stigmatise dans les manuels... Il faudra aussi qu'elle m'explique comment on fait pour écrire des choses aussi manifestement incohérentes dans un même article.
Faire de l'économie, ce n'est pas apprendre à gérer la rareté des moyens, c'est chercher à comprendre les choix dans une situation de rareté. Et c'est complétement différent. Je n'ai jamais entendu quelqu'un utiliser une formulation aussi approximative. La science économique n'a pas pour but de vous apprendre à choisir, elle cherche à comprendre comment vous choisissez.
On croit rêver : d'où Valérie Ségond peut-elle bien tirer cette bétise ? Les professeurs du secondaire sont des professeurs de sciences économiques et sociales, qui ont passé un concours comportement des épreuves d'économie et de sociologie - seule l'agrégation implique une épreuve d'histoire (sans géographie), au choix avec Droit public/Science poltique, dont le coefficient est plus faible que les autres. La plupart des enseignants ont fait des études universitaires d'économie, un peu moins souvent de sociologie, assez régulièrement des Instituts d'études politiques.
L'opposition entre les universitaires et les enseignants du secondaire est une pure invention, issue du seul esprit de Valérie Segond. A quels universitaires fait-elle référence ? Sans doute à ceux qui ont publié une défense du programme récemment dans les Echos. Ils ne suffissent pas à dire ce que veulent les professeurs d'université.
Quant à ce qui est écrit sur les professeurs du secondaire, c'est un ramassis de préjugés sans fondement. Personne ne dit que la régulation et la redistribution sont "plus importants" que la création de richesse, car cela serait aussi débile que de penser que la création de richesse est "plus importante" que la régulation ou la redistribution - l'accusation d'idéologie tombe mal de la part de Valérie Ségond. Ce sont au contraire les enseignants de SES qui regrettent qu'on ait retiré la notion de "valeur ajoutée" de leur programme, notion qui mesure précisément la création de richesse... Quant à la mise en perspective, c'est surtout un moyen de motiver et d'intéresser les élèves.
Enfin, sur cette question de l'idéologie dont serait porteuse les courbes d'offres et de demandes, il est vrai que cela peut s'entendre dire, et pas spécialement chez les professeurs du secondaire puisque des enseignants d'université peuvent aussi l'avancer, et parfois de façon assez récurrente, cela est loin d'être partagé par tous. Pour beaucoup, le vrai problème est que ce programme fait la part belle à une seule perspective théorique, en particulier du fait de la marginalisation de la sociologie. Cela ne revient pas à dire que les outils sont idéologiques, mais que la science fonctionne sur la base du débat. Tout simplement.
Valérie Ségond termine naturellement par le comble de la malhonnêteté. Et de la bétise puisque, comme je l'ai dit, les enseignants du secondaire sont déjà des "économistes" - pas des chercheurs bien sûr (mais trouvera-t-on beaucoup de chercheurs prêt à aller enseigner au lycée ?), mais des gens qui ont étudié l'économie et ont été sélectionné sur cette base-là.
Mais surtout comment Valérie Ségond peut-elle conclure que les "Français ont tranché" ? Parce que les Français disent ne rien comprendre à l'information économique ? Mais la plupart des Français n'a jamais mis les pieds dans une fac d'économie ! La plupart n'a même jamais eu un cours de Sciences économiques et sociales au lycée ! Comment pourrai-t-il avoir choisi un mode d'enseignement plutôt qu'un autre ? Valérie Ségond sur-interprète le résultat d'un sondage pour répondre à une question qui n'a pas été posée et qui n'a rien à voir avec le sujet. Soit c'est de la bétise, soit c'est de la manipulation.
Au final, le débat sur l'enseignement de l'économie mérite mieux que ça. Et les lecteurs de la Tribune mérite mieux que les délires de Valérie Ségond. Car le problème ne provient pas du positionnement politique ou "idéologique" adopté par l'article, mais simplement des informations sur lesquelles l'éditorialiste appuie son propos, qui oscillent entre l'erreur pure et simple et la mauvaise foi. Défendre ce programme n'est pas un problème. Encore faut-il le faire avec des arguments honnêtes...
Quatre Français sur dix ne savent pas ce qu'est le chiffre d'affaires d'une entreprise, et le confondent avec ses bénéfices. Quant aux dividendes, ils sont six sur dix à les prendre tantôt pour une plus-value, tantôt pour une taxe, tantôt pour la valeur de l'action (1)!
L'incipit de cette tribune est très intéressant : alors que Valérie Ségond va développer l'idée selon laquelle c'est l'enseignement de SES qui est cause des incompréhensions des Français face à l'économie, elle retient des exemples concernant des notions qui sont au programme de SES... et qui n'apparaissent pas dans les nouveaux programmes de seconde qu'elle entend défendre ! D'ailleurs, le communiqué de l'Apses à ce propos regrette la disparition de la distinction entre chiffre d'affaires et profits.
En outre, dès le début se manifeste un problème qui va courir pendant tout l'article : Valérie Ségond considère que connaître l'économie, c'est connaître la gestion des entreprises ou la gestion d'un ménage... Or, l'enseignement d'économie dont on parle est un enseignement de science économique, qui vise à donner une compréhension du monde. De la même façon, un cours de SVT vous explique comment se déroule la reproduction sexuelle, il ne vous apprend pas à séduire un partenaire...
"On peut vivre sans !", me direz-vous. Est-ce bien sûr ? Quand neuf Français sur dix ne savent pas calculer le taux d'intérêt effectif des emprunts qu'ils contractent (1), et qu'encore six sur dix se révèlent incapables de comparer deux abonnements de téléphone portable (1), c'est que leur lacune devient un handicap pour simplement bien vivre. Et ils le savent : trois Français sur quatre disent avoir besoin de "connaissances économiques" pour "réussir leur vie".
Cela fait un bail que, de gauche (Michel Rocard) comme de droite, les responsables politiques s'inquiètent de la faible maîtrise des concepts de base chez un peuple très prompt à épouser les thèses les plus complexes sur la mondialisation, les inégalités et la précarité. En économie les Français ont peu de connaissances et beaucoup de croyances.
Même remarque que précédemment. Mais on peut ajouter une chose d'importance : Valérie Ségond se centre, comme souvent, sur les Français, mais la situation est-elle plus brillante ailleurs ? Est-il sûr que les performances économiques d'un pays s'explique par la maîtrise du calcul des taux d'intérêt effectif de sa population ? Ce n'est guère évident. En outre, les compétences ici évoquées ont plus à voir avec les cours de mathématiques et des compétences finalement assez transversales, et non avec le contenu spécifique de la science économique. Plus loin, Valérie Ségond cite (mal) le manuel de Joseph Stiglitz : les manuels universitaires d'économie, qu'elle n'a très probablement jamais ouvert, ne donne aucun conseil pour choisir son abonnement de téléphone portable.
Pourquoi ? Le rapport de l'économiste Roger Guesnerie ainsi que les travaux d'évaluation réalisés par des économistes de grandes universités étrangères à la demande de l'Académie des sciences morales et politiques (2) sont formels : c'est dans l'enseignement économique et social dans les lycées qu'il faut en chercher la cause.
Comme tout ce qui est cité dans l'article, il est douteux que Valérie Ségond ait lu ne serait-ce qu'un résumé des deux rapports qu'elle cite, encore moins qu'elle les ait compris ou qu'elle se soit reportée aux discussions qui les ont suivit. Rien, absolument rien, dans le rapport Guesnerie n'avance l'idée que ce serait à cause de l'enseignement de sciences économiques et sociales que les Français ont des difficultés avec l'économie. Et pour cause, Roger Guesnerie est quelqu'un d'intelligent, ce que Valérie Ségond ne semble manifestement pas être : il sait bien que très peu de Français passe effectivement par cet enseignement, comme le rappelle Olivier Bouba-Olga ici ou Gilles Raveaud là.
A savoir, dans des programmes balayant "les problèmes politiques, économiques et sociaux contemporains", ainsi que les thèses qui s'affrontent sur leur interprétation, au détriment de l'appropriation de quelques outils conceptuels et analytiques applicables à toutes les situations. Et qui négligent la microéconomie, sans laquelle la macroéconomie reste hermétique. Mais aussi des manuels pauvres en analyses et formalisation, où dominent illustrations, extraits d'articles, tableaux, etc...
Il faudra vraiment que Valérie Segond m'explique comment on fait pour mener une analyse sans tableaux statistiques, sans base empirique, c'est-à-dire les "illustrations, extraits d'articles" qu'elle stigmatise. Parce que honnêtement, je ne sais pas faire. Et quand je lis des articles universitaires, publiés dans de grandes revues internationales - dont je doute que Valérie Ségond connaisse seulement l'existence et la fonction - je ne m'offusque parce qu'ils contiennent des tableaux et des illustrations !
C'est pour pallier ces déficiences que le ministre de l'Education, Luc Chatel, a demandé à deux groupes d'experts de redéfinir les programmes de la classe de seconde. Avec un objectif : les centrer sur l'exploration d'outils conceptuels et de raisonnements applicables à des univers distincts, plutôt que sur des thèmes, qui ne seront plus que des prétextes pour étudier le fonctionnement des outils eux-mêmes. Reprenant ainsi l'approche des "Principes d'économie moderne" de Joseph Stiglitz.
Quand on cite un ouvrage, c'est qu'on a pris la peine d'y jeter un oeil - je ne parle même pas de le lire. Valérie Ségond n'a même pas cette décence élémentaire lorsque l'on veut prendre part à un débat ou que l'on rendre dans une discussion. Stiglitz propose de retenir cinq principes fondamentaux concernant l'économie : Arbitrage ; Incitations ; Echanges ; Informations ; Répartition. Ils sont bien loin de figurer dans les programmes de Sciences économiques et sociales et de Principes fondamentaux de l'économie et de la gestion (vérifiez par vous-même ici).
Cet enseignement, désormais obligatoire, se déclinera en deux programmes : les sciences économiques et sociales et les principes fondamentaux de l'économie et de la gestion. Le premier n'a pas supprimé tous les défauts des programmes actuels : il poursuit toujours deux objectifs pas toujours conciliables - former les citoyens et préparer aux études d'économie -, et mêle encore sociologie et économie, deux disciplines distinctes dans leur concept et leur démarche.
Premièrement, Valérie Ségond n'a pas lu le rapport Guesnerie, qui soulignait qu'il fallait s'efforcer de tenir les deux objectifs qu'elle juge "pas toujours conciliables", former le citoyen et préparer les élèves aux études supérieures... qui ne sont rien de moins que deux objectifs communs à tout le système scolaire français ! Si Valérie Ségond veut se lancer dans une critique globale de celui-ci, qu'elle le fasse, mais je doute qu'elle en ait simplement la capacité.
Deuxièmement, elle stigmatise le programme de Sciences économiques et sociales... ce qui montre qu'elle n'a pas lu celui de Principes fondamentaux de l'économie et de la gestion qui comporte cette phrase : "Il a principalement pour objectif de permettre à l'élève de développer des capacités d'analyse de l'organisation économique et sociale, dans une perspective de formation d'un citoyen libre et responsable". Les deux programmes affichent donc cet objectif, mais Valérie Ségond n'en critique qu'un seul. Ce qui montre quelles sont les gros biais idéologiques au travers desquels elle lit la réalité...
Avec deux fois plus de sociologie que d'économie.
Je crois que là, tout journaliste un peu sérieux parlerait de "foutage de gueule" pur et simple. Cette simple affirmation aurait dû pousser La Tribune à demander à Valérie Ségond de revoir sa copie, et éventuellement d'apprendre à faire son métier correctement. Le programme de seconde de l'enseignement d'exploration Sciences économiques et sociales ne contient que trois items clairement sociologiques, plus qui fait référence à la fois à l'économie et à la sociologie (celui sur les relations entre emploi et diplôme). Sur douze items au total. Valérie Ségond ne devrait pas s'étonner d'avoir des problèmes à choisir son abonnement téléphonique vu ses faibles capacités en calcul...
En outre, deux des items de sociologie, relégués en fin de programme, sont optionnel. Pour affirmer que la sociologie est dominante - ce qu'elle n'était pas non plus dans le programme précédent - il faut soit être idiot, soit d'une absolue et totale mauvaise foi. Je vous laisse seul juge.
Mais au lieu de tout embrasser, il se concentre sur quelques notions clés. Le second, en revanche, se consacre à l'activité strictement économique des acteurs, en particulier aux arbitrages des entreprises pour créer de la richesse, à l'utilité des banques, au rôle multiple de l'Etat, et a le rôle économique de l'échange.
Le programme de Principes fondamentaux de l'économie et la gestion reprend la plupart des choses qui sont vues actuellement en première en Sciences économiques et sociales... Comment cela pourrait expliquer les problèmes des Français avec l'économie quand c'est en SES et pas quand c'est en PFEG ? Mystère...
Le tout selon une pédagogie qui part de l'observation des faits, pour passer à leur analyse, à l'appropriation de concepts, puis à la formalisation d'un raisonnement.
Vraiment, il faudra que Valérie Ségond m'explique comment on fait pour partir de l'observation des faits sans passer par les "illustrations, extraits d'articles, tableaux, etc." qu'elle stigmatise dans les manuels... Il faudra aussi qu'elle m'explique comment on fait pour écrire des choses aussi manifestement incohérentes dans un même article.
A première vue, rien que de très raisonnable donc : moins d'ambitions, mais plus approfondies. En clair, maîtriser les concepts de base. Pourtant, la mobilisation des associations des professeurs du secondaire (voir La Tribune du 2 février) - dont l'une est présidée par Sylvain David qui a lui-même contribué à l'élaboration de ces programmes - montre que les enjeux de cette bataille vont bien au-delà d'une querelle de pédagogues. D'un côté, le gouvernement et les professeurs d'économie à l'université, qui s'accordent à dire que donner aux enfants une vision du monde sans leur donner la maîtrise des outils, c'est construire des préjugés sans capacité de s'en affranchir. Et que faire de l'économie, c'est apprendre à gérer la rareté des moyens.
Faire de l'économie, ce n'est pas apprendre à gérer la rareté des moyens, c'est chercher à comprendre les choix dans une situation de rareté. Et c'est complétement différent. Je n'ai jamais entendu quelqu'un utiliser une formulation aussi approximative. La science économique n'a pas pour but de vous apprendre à choisir, elle cherche à comprendre comment vous choisissez.
De l'autre, les professeurs du secondaire, dont beaucoup sont historiens ou géographes avant d'être économistes,
On croit rêver : d'où Valérie Ségond peut-elle bien tirer cette bétise ? Les professeurs du secondaire sont des professeurs de sciences économiques et sociales, qui ont passé un concours comportement des épreuves d'économie et de sociologie - seule l'agrégation implique une épreuve d'histoire (sans géographie), au choix avec Droit public/Science poltique, dont le coefficient est plus faible que les autres. La plupart des enseignants ont fait des études universitaires d'économie, un peu moins souvent de sociologie, assez régulièrement des Instituts d'études politiques.
qui considèrent que les outils, comme l'offre et la demande, sont en eux-mêmes porteurs d'une idéologie. Ils estiment que la mise en perspective doit primer, même si cela revient à verrouiller la vision du monde donnée aux enfants. Et que la redistribution et la régulation importent plus que la production de richesses. Deux conceptions de la liberté et de l'abondance des ressources donc.
L'opposition entre les universitaires et les enseignants du secondaire est une pure invention, issue du seul esprit de Valérie Segond. A quels universitaires fait-elle référence ? Sans doute à ceux qui ont publié une défense du programme récemment dans les Echos. Ils ne suffissent pas à dire ce que veulent les professeurs d'université.
Quant à ce qui est écrit sur les professeurs du secondaire, c'est un ramassis de préjugés sans fondement. Personne ne dit que la régulation et la redistribution sont "plus importants" que la création de richesse, car cela serait aussi débile que de penser que la création de richesse est "plus importante" que la régulation ou la redistribution - l'accusation d'idéologie tombe mal de la part de Valérie Ségond. Ce sont au contraire les enseignants de SES qui regrettent qu'on ait retiré la notion de "valeur ajoutée" de leur programme, notion qui mesure précisément la création de richesse... Quant à la mise en perspective, c'est surtout un moyen de motiver et d'intéresser les élèves.
Enfin, sur cette question de l'idéologie dont serait porteuse les courbes d'offres et de demandes, il est vrai que cela peut s'entendre dire, et pas spécialement chez les professeurs du secondaire puisque des enseignants d'université peuvent aussi l'avancer, et parfois de façon assez récurrente, cela est loin d'être partagé par tous. Pour beaucoup, le vrai problème est que ce programme fait la part belle à une seule perspective théorique, en particulier du fait de la marginalisation de la sociologie. Cela ne revient pas à dire que les outils sont idéologiques, mais que la science fonctionne sur la base du débat. Tout simplement.
Entre les deux, il faut croire que les Français ont tranché : les trois quarts disent ne rien comprendre à l'information économique (1). Ils veulent donc que cela change. Faut-il enfin confier l'enseignement de l'économie à des économistes ?
Valérie Ségond termine naturellement par le comble de la malhonnêteté. Et de la bétise puisque, comme je l'ai dit, les enseignants du secondaire sont déjà des "économistes" - pas des chercheurs bien sûr (mais trouvera-t-on beaucoup de chercheurs prêt à aller enseigner au lycée ?), mais des gens qui ont étudié l'économie et ont été sélectionné sur cette base-là.
Mais surtout comment Valérie Ségond peut-elle conclure que les "Français ont tranché" ? Parce que les Français disent ne rien comprendre à l'information économique ? Mais la plupart des Français n'a jamais mis les pieds dans une fac d'économie ! La plupart n'a même jamais eu un cours de Sciences économiques et sociales au lycée ! Comment pourrai-t-il avoir choisi un mode d'enseignement plutôt qu'un autre ? Valérie Ségond sur-interprète le résultat d'un sondage pour répondre à une question qui n'a pas été posée et qui n'a rien à voir avec le sujet. Soit c'est de la bétise, soit c'est de la manipulation.
Au final, le débat sur l'enseignement de l'économie mérite mieux que ça. Et les lecteurs de la Tribune mérite mieux que les délires de Valérie Ségond. Car le problème ne provient pas du positionnement politique ou "idéologique" adopté par l'article, mais simplement des informations sur lesquelles l'éditorialiste appuie son propos, qui oscillent entre l'erreur pure et simple et la mauvaise foi. Défendre ce programme n'est pas un problème. Encore faut-il le faire avec des arguments honnêtes...
Vingt et un
Comme vous le savez peut-être, le site Wikio, pour nous autres blogueurs, c'est un peu le panneau où le maître ou la maîtresse affichent les meilleurs dessins de la classe : officiellement, tout le monde s'en fiche, mais au fond, c'est quand même trop la classe d'y être. Chaque mois, wikio demande à quelques uns des blogs figurant dans leurs classements de le présenter à l'avance. Comme je n'ai jamais caché le fait que ce blog s'inscrit dans ma stratégie générale de conquête du monde, il fallait bien que je me soumette à l'exercice.
Je suis donc 21e. Mon seul regret ? Qu'il n'existe pas une catégorie "sociologie" ou, tout au moins, une catégorie "sciences sociales" qui rassembleraient aussi bien les blogs de sociologues, encore trop peu nombreux en France même si cela commence à s'étoffer, les blogs d'historiens, de politistes, et bien sûr, ceux d'économistes, parce que oui, chers collègues, mes amis, mes frères et soeurs, vous faites partis des sciences sociales, n'essayez pas de le nier, ça s'est vu.
En tout, merci à tous ceux qui ont contribué à me faire apparaître dans ce classement. Comme je n'ai jamais compris comment marchait le classement wikio, je ne sais pas à qui je dois adresser les paniers de victuailles que je comptais envoyer à chacun. Du coup, je vais les manger moi-même. Dommage pour vous, y'avait du pélardon dedans.
Je suis donc 21e. Mon seul regret ? Qu'il n'existe pas une catégorie "sociologie" ou, tout au moins, une catégorie "sciences sociales" qui rassembleraient aussi bien les blogs de sociologues, encore trop peu nombreux en France même si cela commence à s'étoffer, les blogs d'historiens, de politistes, et bien sûr, ceux d'économistes, parce que oui, chers collègues, mes amis, mes frères et soeurs, vous faites partis des sciences sociales, n'essayez pas de le nier, ça s'est vu.
En tout, merci à tous ceux qui ont contribué à me faire apparaître dans ce classement. Comme je n'ai jamais compris comment marchait le classement wikio, je ne sais pas à qui je dois adresser les paniers de victuailles que je comptais envoyer à chacun. Du coup, je vais les manger moi-même. Dommage pour vous, y'avait du pélardon dedans.
L'hétérosexualité "par défaut"
Publié par
Denis Colombi
on 02 février 2010
Libellés :
Sociologie de la famille,
Sociologie du genre
/
Comments: (24)
Via Philippe Watrelot, et le facebook de Pierre Maura, je découvre les déclarations de Christine Boutin à propos d'un court-métrage d'animation mettant en scène une histoire d'amour homosexuelle - entre deux poissons, précisons-le. Egale à elle-même, et à tous ceux de sa tendance politique, son propos oublie simplement combien la normalité et l'évidence sont de puissants discriminateurs.
La lettre ouverte qu'elle a adressé à Luc Châtel est reprise sur le site du magazine Têtu. Ce premier passage est significatif :
Christine Boutin invoque la neutralité pour justifier son refus d'un film d'animation présentant une histoire d'amour entre personnes du même sexe. C'est évidemment parce qu'elle considère que les histoires d'amour entre des personnes de sexe différents sont "neutres". Seuls les homosexuels ont une sexualité spécifique, les hétérosexuels, eux, ont une sexualité neutre, "normale, "par défaut". De la même façon, certains considèrent que seules les femmes ont un genre, les hommes sont normaux ; seuls les Noirs ont une couleur, les Blancs sont neutres. Voilà une fois de plus une majeure implicite...
On se demande donc si Christine Boutin, pour défendre la neutralité dont doivent se prévaloir les enseignants, viendra également à refuser que l'on s'immisce dans la conscience et l'intimité des enfants en leur racontant des histoires mettant en scène l'hétérosexualité... Présenter, comme le fait Christine Boutin, l'hétérosexualité comme étant neutralité, voilà qui est profondément discriminatoire pour les personnes homosexuels, renvoyées à l'anormalité.
Et ça continue, bien sûr, dans le reste de la lettre :
Si l'on sait, depuis Françoise Hériter, que la distinction entre masculin et féminin est constitutive de la façon de penser de l'humanité - on oppose partout masculin et féminin, de la même façon que l'on oppose haut et bas, chaud et froid, extérieur et intérieur - on ne peut pas dire que l'homosexualité revient à nier la différence entre les sexes. Elle signifie simplement que l'opposition masculin et féminin est avant tout une opposition de genre, c'est-à-dire de comportements socialement considérés comme masculins et féminins, plutôt qu'une opposition de sexe au sens biologique. Il y a des homosexuels très masculins et d'autres très féminins - et il peut s'agir, dans un cas comme dans l'autre de mâles ou de femelles.
S'il ne s'agissait que des délires de Christine Boutin, les choses ne seraient pas si graves. Même si cette façon de penser se limitait à quelques cercles conservateurs, promoteurs de manières bien peu tolérantes de pratiquer leurs religions, mon propos ne serait que la réponse facile à un discours emprunt volontairement de simplicisme. Le problème est que ces discours s'appuient sur des façons de penser relativement répandu, même si rarement explicitées. Souvenez-nous de la ficelle de Becker dont je parlais il y a quelques temps : dans une argumentation, la majeure d'un syllogisme est souvent implicite. Ici, les propos des adversaires du Baiser de la lune s'appuient sur l'idée que l'hétérosexualité est l'état par défaut des individus, ce qui leur permet de suggérer d'homosexualité à l'école n'est pas neutre, et, en outre, qu'on va influencer ces pauvres petits.
On a tendance, en effet, à toujours se poser la question de "comment devient-on homosexuel", qu'est-ce qui "fait" que les individus deviennent homosexuels. La réponse est pourtant simple : la même chose qui fait qu'ils deviennent hétérosexuels. On devient tout autant hétérosexuel que l'on devient homosexuel. La question devient alors "qu'est-ce qui détermine la sexualité d'un individu quelqu'il soit ?". La différence est d'importance puisqu'elle revient à cesser de regarder l'homosexualité comme un écart à une norme pour s'intéresser à un processus plus général. Tant que nous continuerons à penser qu'il existe des comportements par défaut, nous laisserons la place pour que des gens comme Christine Boutin laisse libre cours à leurs discours discriminatoires. En témoigne les "reculades" de l'Education Nationale.
La lettre ouverte qu'elle a adressé à Luc Châtel est reprise sur le site du magazine Têtu. Ce premier passage est significatif :
« La neutralité philosophique et politique s'impose aux enseignants et aux élèves, » lit-on sur le site de l’Education nationale. Or, ce film bafoue le principe de la neutralité de l’enseignement public en s’immisçant dans la conscience et l’intimité des enfants sans égard pour la responsabilité éducative de leurs parents.
Christine Boutin invoque la neutralité pour justifier son refus d'un film d'animation présentant une histoire d'amour entre personnes du même sexe. C'est évidemment parce qu'elle considère que les histoires d'amour entre des personnes de sexe différents sont "neutres". Seuls les homosexuels ont une sexualité spécifique, les hétérosexuels, eux, ont une sexualité neutre, "normale, "par défaut". De la même façon, certains considèrent que seules les femmes ont un genre, les hommes sont normaux ; seuls les Noirs ont une couleur, les Blancs sont neutres. Voilà une fois de plus une majeure implicite...
On se demande donc si Christine Boutin, pour défendre la neutralité dont doivent se prévaloir les enseignants, viendra également à refuser que l'on s'immisce dans la conscience et l'intimité des enfants en leur racontant des histoires mettant en scène l'hétérosexualité... Présenter, comme le fait Christine Boutin, l'hétérosexualité comme étant neutralité, voilà qui est profondément discriminatoire pour les personnes homosexuels, renvoyées à l'anormalité.
Et ça continue, bien sûr, dans le reste de la lettre :
Vous comprendrez comme moi que « l’apprentissage du respect de l’autre et de sa différence », intention officielle du film, ne peut se faire en niant une différence fondamentale, la différence des sexes, qui est constitutive de notre humanité
Si l'on sait, depuis Françoise Hériter, que la distinction entre masculin et féminin est constitutive de la façon de penser de l'humanité - on oppose partout masculin et féminin, de la même façon que l'on oppose haut et bas, chaud et froid, extérieur et intérieur - on ne peut pas dire que l'homosexualité revient à nier la différence entre les sexes. Elle signifie simplement que l'opposition masculin et féminin est avant tout une opposition de genre, c'est-à-dire de comportements socialement considérés comme masculins et féminins, plutôt qu'une opposition de sexe au sens biologique. Il y a des homosexuels très masculins et d'autres très féminins - et il peut s'agir, dans un cas comme dans l'autre de mâles ou de femelles.
S'il ne s'agissait que des délires de Christine Boutin, les choses ne seraient pas si graves. Même si cette façon de penser se limitait à quelques cercles conservateurs, promoteurs de manières bien peu tolérantes de pratiquer leurs religions, mon propos ne serait que la réponse facile à un discours emprunt volontairement de simplicisme. Le problème est que ces discours s'appuient sur des façons de penser relativement répandu, même si rarement explicitées. Souvenez-nous de la ficelle de Becker dont je parlais il y a quelques temps : dans une argumentation, la majeure d'un syllogisme est souvent implicite. Ici, les propos des adversaires du Baiser de la lune s'appuient sur l'idée que l'hétérosexualité est l'état par défaut des individus, ce qui leur permet de suggérer d'homosexualité à l'école n'est pas neutre, et, en outre, qu'on va influencer ces pauvres petits.
On a tendance, en effet, à toujours se poser la question de "comment devient-on homosexuel", qu'est-ce qui "fait" que les individus deviennent homosexuels. La réponse est pourtant simple : la même chose qui fait qu'ils deviennent hétérosexuels. On devient tout autant hétérosexuel que l'on devient homosexuel. La question devient alors "qu'est-ce qui détermine la sexualité d'un individu quelqu'il soit ?". La différence est d'importance puisqu'elle revient à cesser de regarder l'homosexualité comme un écart à une norme pour s'intéresser à un processus plus général. Tant que nous continuerons à penser qu'il existe des comportements par défaut, nous laisserons la place pour que des gens comme Christine Boutin laisse libre cours à leurs discours discriminatoires. En témoigne les "reculades" de l'Education Nationale.
François Dubet, pour la sociologie dans le secondaire
Publié par
Denis Colombi
on 01 février 2010
Libellés :
Enjeux de la sociologie contemporaine,
Sciences économiques et sociales
/
Comments: (3)
François Dubet, seul sociologue du groupe d'expert qui a rédigé les programmes de SES de seconde dont j'ai déjà parlé ici, vient de donner sa démission du dit groupe. Sa lettre de démission est publiée ici. Il évoque notamment l'activité du cabinet du ministère et la place insuffisante de la sociologie. Cette démission traduit un malaise profond quant au déséquilibre entre sociologie et économie, à la faveur de la seconde, que la réforme du lycée semble annoncer.
François Dubet évoque d'abord les conditions dans lesquelles a travaillé le groupe d'expert :
Ce dernier point est particulièrement important : l'Apses, représenté dans le groupe par son président Sylvain David, avait déjà évoqué l'intervention du ministère dans le travail de ce groupe. François Dubet semble la confirmer, même s'il reste à connaître la nature exacte - mais le sociologue précisera peut-être plus tard. Dans tous les cas, cette entorse à l'indépendance qui devrait être celle des rédacteurs des programmes est très préoccupante, et mérite des éclaircissements urgents.
François Dubet évoque ensuite la place de la sociologie :
Espérons que cette démission servira à faire comprendre qu'il est essentiel que la sociologie retrouve sa place dans les SES, non pas comme un simple "supplément d'âme" à l'économie, mais bien comme une discipline centrale qui aident les élèves à devenir de meilleurs citoyens et de futurs étudiants. Parce qu'elle leur permet, par exemple sur l'entreprise, de percevoir des choses que l'économie ne saisit pas - et vice-versa. Je l'ai déjà dit, enseigner l'économie et la sociologie ensemble est la chose la plus pertinente que l'on peut faire dans une perspective de formation générale - et enseigner l'économie et la gestion est la chose la plus pertinente que l'on peut dans une perspective de formation technologique. Pour l'intérêt des élèves, il est essentiel que ces spécificités soient maintenus.
Je ne sais pas s'il me lira, mais j'aimerais quand même remercié François Dubet d'avoir eu le courage de dire cela, de démissionner pour donner un signe fort quant à la place que la sociologie doit occuper dans le secondaire. Si d'autres économistes sont satisfait par les programmes de seconde, ce n'est pas une raison pour en oublier les autres sciences.
Edit : A lire aussi, le point de vue de Pierre Maura.
François Dubet évoque d'abord les conditions dans lesquelles a travaillé le groupe d'expert :
Sans doute, les réactions de certaines associations professionnelles d'enseignants de SES sont-elles très excessives. Mais il est vrai que si nous avons travaillé sérieusement et dans un climat apaisé, nous avons travaillé très vite, nous n'avons eu le temps de consulter personne et le Cabinet du ministère a sensiblement transformé notre projet.
Ce dernier point est particulièrement important : l'Apses, représenté dans le groupe par son président Sylvain David, avait déjà évoqué l'intervention du ministère dans le travail de ce groupe. François Dubet semble la confirmer, même s'il reste à connaître la nature exacte - mais le sociologue précisera peut-être plus tard. Dans tous les cas, cette entorse à l'indépendance qui devrait être celle des rédacteurs des programmes est très préoccupante, et mérite des éclaircissements urgents.
François Dubet évoque ensuite la place de la sociologie :
J'ai le sentiment que la perspective sociologique en ressort très appauvrie. Je ne peux évidemment pas cautionner ce rétrécissement, non par corporatisme disciplinaire, mais parce que je suis convaincu de ce que les sciences sociales participent à la formation d'un citoyen éclairé tout en préparant à des études supérieures et à des activités professionnelles.Je regrette que le projet de mêler les approches économiques et sociologiques sur les mêmes objets ait été très affaibli. Par exemple, l'entreprise apparait moins comme un monde du travail, comme un monde social, que sous la forme d'une unité de production plus ou moins adaptée à des environnement mouvants.
Espérons que cette démission servira à faire comprendre qu'il est essentiel que la sociologie retrouve sa place dans les SES, non pas comme un simple "supplément d'âme" à l'économie, mais bien comme une discipline centrale qui aident les élèves à devenir de meilleurs citoyens et de futurs étudiants. Parce qu'elle leur permet, par exemple sur l'entreprise, de percevoir des choses que l'économie ne saisit pas - et vice-versa. Je l'ai déjà dit, enseigner l'économie et la sociologie ensemble est la chose la plus pertinente que l'on peut faire dans une perspective de formation générale - et enseigner l'économie et la gestion est la chose la plus pertinente que l'on peut dans une perspective de formation technologique. Pour l'intérêt des élèves, il est essentiel que ces spécificités soient maintenus.
Je ne sais pas s'il me lira, mais j'aimerais quand même remercié François Dubet d'avoir eu le courage de dire cela, de démissionner pour donner un signe fort quant à la place que la sociologie doit occuper dans le secondaire. Si d'autres économistes sont satisfait par les programmes de seconde, ce n'est pas une raison pour en oublier les autres sciences.
Edit : A lire aussi, le point de vue de Pierre Maura.