Karl Marx avait placé au centre de son analyse du capitalisme la question de l'exploitation, c'est-à-dire la façon dont on peut arracher à un individu du travail gratuit. En un sens, Willy Wonka avait bien compris le message... Et aujourd'hui, nous sommes tous des petits Oompa-Loompas...
Willy Wonka, vous le savez peut-être, est l'un des personnages du roman de Roald Dahl Charlie et la chocolaterie : génial inventeur mais surtout capitaine d'industrie, il incarne finalement une figure idéalisée assez classique du capitalisme, celle d'un dirigeant un peu paternaliste, entièrement dévoué à son activité, et finalement bien peu motivé par l'argent. C'est un ingénieur ou, comme le dirait Richard Sennet, un artisan, soucieux du travail bien fait. Le fait qu'il soit dans un premier temps obligé de mettre la clef sous la porte à cause de l'espionnage industriel donne une saveur particulière au roman : s'il était écrit aujourd'hui, on parlerait de piratage... et on y trouverait tout autant une justification des droits de propriété intellectuelle.
Willy Wonka fait surtout fonctionner son entreprise - identifiée à une seule et massive usine, la fameuse chocolaterie - grâce aux Oompas-Loompas, un peuple plus ou moins inspiré des pygmées (dans la première version du roman, modifiée après des accusations de racisme, ils étaient noirs et portaient des pagnes...) venu du mystérieux Oompaland. Et pourquoi travaillent-ils ces braves gens ? Pour des cacahuètes. Pardon : pour des fèves de cacao... En un mot, ils ne sont pas vraiment payés, en tout cas pas à la hauteur de leur travail - ils sont la clef du succès de Willy Wonka.
Et personne ne s'offusque, certainement pas les visiteurs privilégiées de la chocolaterie. Pourquoi ? Parce qu'ils ont l'air si heureux, les Oompas-Loompas... Futurama ne manque d'ailleurs pas de rappeler qu'il s'agit là d'une exploitation tout ce qu'il y a de plus capitaliste :
Si ça ne vous rappelle rien, c'est dommage. Parce que finalement, c'est quelque de plus courant qu'on ne pourrait le penser. En fait, nous vivons peut-être dans l'économie des Oompas-Loompas, comme l'appelle le Global Sociology Blog.
Vous ne voyez pas de quoi il s'agit ? Il y a certes le cas de la musicienne américaine Amanda Palmer qui, en proposant de payer des artistes locaux qui voudraient bien l'accompagner pendant sa tournée en "bière et en câlins", a lancé toute cette histoire. Mais ce n'est qu'une goutte d'eau dans un océan de travail gratuit. Il y a d'abord, et peut-être surtout, vous. Oui, vous, là, maintenant, en ce moment. Vous avez peut-être un compte Facebook, et vous avez sans doute fait une recherche sur Google a un moment dans la journée. Ce faisant, vous avez contribué à rassembler de l'information qui sera vendue par les entreprises en question à d'autres entreprises. Et pas pour des clopinettes. Et j'alimente moi-même, en écrivant ce billet et en le publiant plus tard sur Facebook, cette grande machine pour laquelle je travaille, il faut bien le dire, gratuitement. J'attends toujours que Mark m'envoie mon chèque...
Ce n'est pas du travail ? Pourtant votre activité a incontestablement une valeur marchande, peut-être pas bien élevé individuellement, mais bien réelle quand on en fait la somme à une échelle suffisamment grave. En fait, c'est la distinction travail/loisir qui se trouve questionné ici.
Mais il y a peut-être plus grave. Si on en revient au contenu plus spécifique que vous allez trouver sur le net et ailleurs, il faut bien que des gens le produisent : journalistes, artistes, rédacteurs, etc. Et ceux-là se voient confronté à un étrange marché du travail : un marché où on leur dit "travaille gratuitement, ça te fera de la pub !". Le blog lancée par la dessinatrice Tanxxx donne quelques exemples de cette pratique : si vous pleurez de rage, c'est une bonne lecture. Un grand nombre des histoires racontées montrent comment des organisations proposent de payer ceux et celles qui travaillent guère mieux que les Oompas-Loompas :
Ces offres ne viennent pas seulement de particuliers peu au fait des exigences du travail qu'il demande, ou d'associations qui s'imaginent que leur bénévolat est universel, mais aussi de grandes entreprises tout ce qu'il y a de plus installées, comme l'éditeur du Petit Futé :
Ou les éditions Eyrolles :
On peut noter l'utilisation du petit smiley ";-)" au beau milieu d'un mail qui a finalement une vocation très professionnelle et où l'on pourrait s'attendre à un esprit de sérieux un peu plus poussé - même chose pour la parenthèse "passionnant, si si !". Ce n'est pas tout à fait anecdotique : s'il s'agit bien de mobiliser des individus pour une activité économique tout ce qu'il y a de plus intéressée, il faut le faire en se plaçant dans un autre registre que celui de l'économie, en proposant d'autres motivations. Une bonne ambiance, de la passion, de l'humour... Du jeu finalement : l'économie devient un jeu, et j'aurais l'occasion d'y revenir d'ici peu. On est bien ici dans de l'extraction de travail gratuit, et la bonhommie des Oompa-Loompas n'est finalement pas très loin.
Il faut cependant aller plus loin, je pense, que la seule référence aux petits lutins - par ailleurs très énervants. En effet, ce que montre les cas rapportés dans ça te fera de la pub, c'est que, comme l'indique le titre même du blog, le bonheur de travailler n'est pas le seul argumentaire mobilisé : s'y rajoute aussi l'argument de la reconnaissance et surtout celui de la carrière. Ce qui est proposé aux travailleurs, c'est la promesse qu'en acceptant de travailler gratuitement ou à moindre coût, ils graviront les échelons et que, plus tard, ils parviendront en haut de l'affiche. Bref, jeûnez aujourd'hui parce que demain vous aurez un festin.
Cela est bien sûr possible dans le monde de l'art, qui est l'un de ceux où les inégalités sont le mieux tolérés : parce que les différences de rémunération sont censés traduire des différences de talents, on y accepte (presque) parfaitement que certains touchent le pactole pendant que d'autres restent dans la précarité. Mais en outre, on se rend compte à la lecture de ces différents cas, que qu'il le veuille ou non l'artiste est amené à devenir gestionnaire de sa carrière, et même un parfait petit homo œconomicus, cherchant à rationaliser au maximum son travail afin d'investir au bon endroit pour pouvoir un jour toucher le pactole. Le voilà plongé dans le comportement le plus capitaliste qui soit : produire dans l'espoir d'un profit (sous forme de reconnaissance, de publicité, etc.) qui n'aura d'autre destination que d'être réinvesti afin d'obtenir un profit encore plus grand (en termes de futurs engagements et, peut-être un jour au final, d'argent...). A côté de cela, l'attitude qui consiste à demander une rémunération de son travail juste pour pouvoir manger n'a pas grand chose de capitaliste... C'est pourtant elle qui peut-être stigmatisé :
On notera ici l'utilisation de l'expression à la mode "rapport win-win" qui soulève toujours des soupirs d'aise dans les discours les plus managériaux qui soient.
Il y a là quelque chose d'à la fois paradoxal, amusant et extrêmement puissant : la négation apparente du capitalisme et de la dimension économique de l'activité en vient à produire les comportements les plus capitalistes qui soient. Nous ne voudrions pas être capitaliste que nous y serions amenés : une "cage de fer" comme disait Weber.
Ces différents points ont été analysés par Pierre-Michel Menger, notamment dans Portrait de l'artiste en travailleur - je ne fais ici que reprendre certains points de son propos (il ne parle pas d'Oompas-Loompas, et c'est bien dommage). Le sous-titre de l'ouvrage, "métamorphoses du capitalisme", invite cependant à dépasser le seul cadre du monde artistique : les mécanismes qui sont en jeu dans ce champ se retrouvent et se diffusent ailleurs. Les stages sont déjà présentés de cette façon-là : la promesse de la carrière est l'équivalent du "ça te fera de la pub", et justifie également l'extraction d'un travail gratuit. Mais même au niveau de l'ensemble de la carrière des individus - et pas seulement des plus jeunes - et au niveau des plus diplômés et des mieux protégés - et pas seulement à celui des précaires : eux aussi se voient promettre que s'ils ne comptent pas leurs heures, qu'ils acceptent certains postes, qu'ils s'investissent complètement dans leur travail bien au-delà de tout contrat de travail, ils seront récompensés. Il est assuré que leur situation est souvent bien favorable, à tout point de vue, à celle des plus fragiles, mais le fait que les mêmes motivations leur soient attribuées légitiment celles-ci pour tous.
Si l'on suit l'analyse de Menger, nous serions tous promis à devenir des "artistes", c'est-à-dire à gérer une carrière autour de projets différents sans engagement "à durée indéterminée". Peut-être sommes-nous aussi promis à être des Oompas-Loompas. Choix difficile, non ?
Willy Wonka, vous le savez peut-être, est l'un des personnages du roman de Roald Dahl Charlie et la chocolaterie : génial inventeur mais surtout capitaine d'industrie, il incarne finalement une figure idéalisée assez classique du capitalisme, celle d'un dirigeant un peu paternaliste, entièrement dévoué à son activité, et finalement bien peu motivé par l'argent. C'est un ingénieur ou, comme le dirait Richard Sennet, un artisan, soucieux du travail bien fait. Le fait qu'il soit dans un premier temps obligé de mettre la clef sous la porte à cause de l'espionnage industriel donne une saveur particulière au roman : s'il était écrit aujourd'hui, on parlerait de piratage... et on y trouverait tout autant une justification des droits de propriété intellectuelle.
Willy Wonka fait surtout fonctionner son entreprise - identifiée à une seule et massive usine, la fameuse chocolaterie - grâce aux Oompas-Loompas, un peuple plus ou moins inspiré des pygmées (dans la première version du roman, modifiée après des accusations de racisme, ils étaient noirs et portaient des pagnes...) venu du mystérieux Oompaland. Et pourquoi travaillent-ils ces braves gens ? Pour des cacahuètes. Pardon : pour des fèves de cacao... En un mot, ils ne sont pas vraiment payés, en tout cas pas à la hauteur de leur travail - ils sont la clef du succès de Willy Wonka.
Et personne ne s'offusque, certainement pas les visiteurs privilégiées de la chocolaterie. Pourquoi ? Parce qu'ils ont l'air si heureux, les Oompas-Loompas... Futurama ne manque d'ailleurs pas de rappeler qu'il s'agit là d'une exploitation tout ce qu'il y a de plus capitaliste :
Hermes: So you're telling me I could fire my whole staff and hire Grunka Lunkas at half the cost?
Glurmo: That's right. They think they have a good union but they don't. They're basically slaves.
Read more tv spoilers at: http://www.tvfanatic.com/quotes/shows/futurama/season-2/page-46.html#ixzz2AK2u3rbw
Si ça ne vous rappelle rien, c'est dommage. Parce que finalement, c'est quelque de plus courant qu'on ne pourrait le penser. En fait, nous vivons peut-être dans l'économie des Oompas-Loompas, comme l'appelle le Global Sociology Blog.
Vous ne voyez pas de quoi il s'agit ? Il y a certes le cas de la musicienne américaine Amanda Palmer qui, en proposant de payer des artistes locaux qui voudraient bien l'accompagner pendant sa tournée en "bière et en câlins", a lancé toute cette histoire. Mais ce n'est qu'une goutte d'eau dans un océan de travail gratuit. Il y a d'abord, et peut-être surtout, vous. Oui, vous, là, maintenant, en ce moment. Vous avez peut-être un compte Facebook, et vous avez sans doute fait une recherche sur Google a un moment dans la journée. Ce faisant, vous avez contribué à rassembler de l'information qui sera vendue par les entreprises en question à d'autres entreprises. Et pas pour des clopinettes. Et j'alimente moi-même, en écrivant ce billet et en le publiant plus tard sur Facebook, cette grande machine pour laquelle je travaille, il faut bien le dire, gratuitement. J'attends toujours que Mark m'envoie mon chèque...
Ce n'est pas du travail ? Pourtant votre activité a incontestablement une valeur marchande, peut-être pas bien élevé individuellement, mais bien réelle quand on en fait la somme à une échelle suffisamment grave. En fait, c'est la distinction travail/loisir qui se trouve questionné ici.
Mais il y a peut-être plus grave. Si on en revient au contenu plus spécifique que vous allez trouver sur le net et ailleurs, il faut bien que des gens le produisent : journalistes, artistes, rédacteurs, etc. Et ceux-là se voient confronté à un étrange marché du travail : un marché où on leur dit "travaille gratuitement, ça te fera de la pub !". Le blog lancée par la dessinatrice Tanxxx donne quelques exemples de cette pratique : si vous pleurez de rage, c'est une bonne lecture. Un grand nombre des histoires racontées montrent comment des organisations proposent de payer ceux et celles qui travaillent guère mieux que les Oompas-Loompas :
“Les résidents sont invités à participer activement à la vie quotidienne de *******, autant dans le travail de recherche artistique que dans les tâches quotidiennes.
La résidence offre l’hébergement et l’utilisation des ateliers techniques.
Une participation forfaitaire de 15€ par jour et par personne (comprenant nourriture et frais) assurera l’autonomie de la résidence. Les frais de transport sont à la charge des participants.
Enfin, les participants s’engagent à être présent pendant les deux semaines consécutives et à temps plein.”
Il s’agit bien de payer pour travailler. Une diffusion dans “un” lieu d’art parisien non spécifié est promise. Cela ne me fait pas rêver et m’effraye quant au futur de nos conditions de travail. (source)
Ces offres ne viennent pas seulement de particuliers peu au fait des exigences du travail qu'il demande, ou d'associations qui s'imaginent que leur bénévolat est universel, mais aussi de grandes entreprises tout ce qu'il y a de plus installées, comme l'éditeur du Petit Futé :
Déclics, le département beaux livres du Petit Futé travaille actuellement sur un projet éditorial d’envergure, un dictionnaire entièrement consacré à la ville de Lyon, à paraître à la rentrée 2012. [...] J’ai découvert votre site et les photos qu’il contient. Nous serions intéressés par plusieurs d’entre elles afin d’agrémenter les articles et apporter au lecteur une meilleure connaissance de ces sujets.
Je sollicite votre autorisation de reproduction à titre gracieux de ces éléments si vous en possédez les droits et vous remercie – le cas échéant – de m’indiquer les indications de copyright afférentes. Pour les photos qui appartiennent à d’autres photographes, pouvez-vous m’indiquer leurs coordonnées afin de les contacter? N’hésitez pas à m’appeler pour tout complément d’information, et merci d’avance pour votre contribution à cette œuvre.
Ou les éditions Eyrolles :
” Nous osons vous contacter pour savoir lesquels d’entre vous seraient partants pour faire une image d’ouverture de chapitre dans un manuel d’informatique pour Terminale S… Bon, nous ne pouvons rémunérer qu’avec un ou deux exemplaires gracieux et votre nom à jamais associé à un manuel révolutionnaire ;-), vos illustrations n’étant évidemment pas cédées à titre exclusif - surtout que le livre serait à terme en licence CC…
Le livre doit être finalisé rapidement…
Si jamais cela tentait l’un d’entre vous, n’hésitez pas à nous contacter ! Nous vous enverrions le PDF du contenu (passionnant, si si !)
L’informatique pourra enfin à la rentrée être enseignée dès le lycée, et on aimerait que les lycéens s’y retrouvent, avec des visuels qui évoquent un environnement qui leur plaît !
Voilà, encore une fois nous espérons que cela peut intéresser certains d’entre vous :-)
Bien cordialement”
La maison d’édition ? Eyrolles. C’est vachement généreux de leur part de me passer un ou deux livres, quand même, faut leur accorder ça.
On peut noter l'utilisation du petit smiley ";-)" au beau milieu d'un mail qui a finalement une vocation très professionnelle et où l'on pourrait s'attendre à un esprit de sérieux un peu plus poussé - même chose pour la parenthèse "passionnant, si si !". Ce n'est pas tout à fait anecdotique : s'il s'agit bien de mobiliser des individus pour une activité économique tout ce qu'il y a de plus intéressée, il faut le faire en se plaçant dans un autre registre que celui de l'économie, en proposant d'autres motivations. Une bonne ambiance, de la passion, de l'humour... Du jeu finalement : l'économie devient un jeu, et j'aurais l'occasion d'y revenir d'ici peu. On est bien ici dans de l'extraction de travail gratuit, et la bonhommie des Oompa-Loompas n'est finalement pas très loin.
Il faut cependant aller plus loin, je pense, que la seule référence aux petits lutins - par ailleurs très énervants. En effet, ce que montre les cas rapportés dans ça te fera de la pub, c'est que, comme l'indique le titre même du blog, le bonheur de travailler n'est pas le seul argumentaire mobilisé : s'y rajoute aussi l'argument de la reconnaissance et surtout celui de la carrière. Ce qui est proposé aux travailleurs, c'est la promesse qu'en acceptant de travailler gratuitement ou à moindre coût, ils graviront les échelons et que, plus tard, ils parviendront en haut de l'affiche. Bref, jeûnez aujourd'hui parce que demain vous aurez un festin.
Cela est bien sûr possible dans le monde de l'art, qui est l'un de ceux où les inégalités sont le mieux tolérés : parce que les différences de rémunération sont censés traduire des différences de talents, on y accepte (presque) parfaitement que certains touchent le pactole pendant que d'autres restent dans la précarité. Mais en outre, on se rend compte à la lecture de ces différents cas, que qu'il le veuille ou non l'artiste est amené à devenir gestionnaire de sa carrière, et même un parfait petit homo œconomicus, cherchant à rationaliser au maximum son travail afin d'investir au bon endroit pour pouvoir un jour toucher le pactole. Le voilà plongé dans le comportement le plus capitaliste qui soit : produire dans l'espoir d'un profit (sous forme de reconnaissance, de publicité, etc.) qui n'aura d'autre destination que d'être réinvesti afin d'obtenir un profit encore plus grand (en termes de futurs engagements et, peut-être un jour au final, d'argent...). A côté de cela, l'attitude qui consiste à demander une rémunération de son travail juste pour pouvoir manger n'a pas grand chose de capitaliste... C'est pourtant elle qui peut-être stigmatisé :
“Tout travail mérite salaire”, certes, mais tout n’a pas à s’inscrire dans un monde capitaliste jusque boutiste. Nous trouvons tout(e)s - chroniqueuses et artistes - une raison qui nous donne envie de fournir un travail désintéressé, et cette raison est de loin propre à chacun(e). Il s’agit d’un rapport win-win tout ce qu’il y a de plus honnête.
On notera ici l'utilisation de l'expression à la mode "rapport win-win" qui soulève toujours des soupirs d'aise dans les discours les plus managériaux qui soient.
Il y a là quelque chose d'à la fois paradoxal, amusant et extrêmement puissant : la négation apparente du capitalisme et de la dimension économique de l'activité en vient à produire les comportements les plus capitalistes qui soient. Nous ne voudrions pas être capitaliste que nous y serions amenés : une "cage de fer" comme disait Weber.
Ces différents points ont été analysés par Pierre-Michel Menger, notamment dans Portrait de l'artiste en travailleur - je ne fais ici que reprendre certains points de son propos (il ne parle pas d'Oompas-Loompas, et c'est bien dommage). Le sous-titre de l'ouvrage, "métamorphoses du capitalisme", invite cependant à dépasser le seul cadre du monde artistique : les mécanismes qui sont en jeu dans ce champ se retrouvent et se diffusent ailleurs. Les stages sont déjà présentés de cette façon-là : la promesse de la carrière est l'équivalent du "ça te fera de la pub", et justifie également l'extraction d'un travail gratuit. Mais même au niveau de l'ensemble de la carrière des individus - et pas seulement des plus jeunes - et au niveau des plus diplômés et des mieux protégés - et pas seulement à celui des précaires : eux aussi se voient promettre que s'ils ne comptent pas leurs heures, qu'ils acceptent certains postes, qu'ils s'investissent complètement dans leur travail bien au-delà de tout contrat de travail, ils seront récompensés. Il est assuré que leur situation est souvent bien favorable, à tout point de vue, à celle des plus fragiles, mais le fait que les mêmes motivations leur soient attribuées légitiment celles-ci pour tous.
Si l'on suit l'analyse de Menger, nous serions tous promis à devenir des "artistes", c'est-à-dire à gérer une carrière autour de projets différents sans engagement "à durée indéterminée". Peut-être sommes-nous aussi promis à être des Oompas-Loompas. Choix difficile, non ?