Un article du Monde nous explique que "les filles brillent en classe, les garçons aux concours" parce que les premières manquent d'esprit de compétition. Sans être à rejeter complétement, l'explication mérite d'être sérieusement étoffée, au moins pour prendre en compte la structure sociale.
L'article rapporte les résultats d'une enquête sur le concours de HEC, menée par trois membres de la grande école de Jouy-en-Josas. Les résultats sont assez clairs : les filles réussissent moins bien que les garçons, et ce bien qu'elles aient des dossiers de meilleures qualités.
C'est que, comme le rappellent Christian Baudelot et Roger Establet, dans un entretien donné au Monde, les filles qui se présentent à un tel concours sont "sur-sélectionnées". Il y a fort à parier que n'arrivent dans les prépas que celles dont l'esprit de compétition s'est déjà un tant soit peu développé. Le goût pour la compétition n'est en fait rien d'autres qu'on produit social, liée à une socialisation particulière. Sur ce plan, le premier article du Monde évite bien l'écueil de la naturalisation - ce qui n'a pas toujours été le cas.
Ainsi, ce sont les modèles sociaux féminins et masculins, la socialisation genrée - le fait que l'on ne traite pas de façon égale les petits filles et les petits garçons - et les dynamiques familiales qui expliqueraient les inégalités de réussite à de tels concours et, partant de là, également les différentes inégalités sur le marché du travail. On peut ainsi imaginer que, parce qu'elles ont moins l'esprit de compétition, les femmes obtiennent moins de promotions ou moins de gratifications salariales au sein de l'entreprise.
Cette explication n'est pas fausse, mais elle n'est pas exclusive d'autres phénomènes. Les auteurs de l'étude ne font aucun mystère quant à l'une de leur motivation à mener une telle étude : il s'agit de rejeter l'idée d'une discrimination volontaire de la part de la grande école envers les filles :
Il ne faudrait pas que de telles explications viennent à faire oublier qu'il existe malgré tout des discriminations dans les entreprises et le marché du travail. Certes, celles-ci ne sont pas forcément volontaires, conscientes ou organisées, comme semblaient le suggérer les rumeurs auxquelles fait référence l'article. Mais elles n'en sont pas moins puissantes.
Pour le comprendre, imaginons qu'une femme adopte un comportement de "requin sans pitié" dans le cadre de son entreprise et fasse preuve d'un bel esprit de compétition. Rien ne permet de dire qu'elle obtiendra les mêmes résultats qu'un homme. Au contraire, il est possible qu'elle soit méjugés pour cela : là où l'on louera et récompensera la force de caractère d'un homme, on pourra critiquer un caractère de "chieuse" chez une femme, de sorcière ou de mante-religieuse - la langue française abonde de métaphore dans ce sens, et il ne faudrait pas oublier le pouvoir qu'à le langage sur la construction sociale de la réalité. Le Global Sociology Blog s'inquiétait dejà de cela il y a quelques temps en reprenant ce très pédagogique comics :
C'est que les genres féminins et masculins sont avant tout des rôles, c'est-à-dire des systèmes d'attentes de la part des autres. Sortir de son rôle en adoptant une attitude qui n'est pas étiquetée comme féminine est donc risquée. Il ne suffira pas aux femmes de prendre les choses en main et à se mettre à agir "comme des hommes" : il faudra également que les hommes acceptent ce changement... et les femmes aussi, dont certaines ne manqueront sûrement pas de stigmatiser celles qui se laisseraient tenter à une attitude non féminine. Samantha Jones n'est-elle pas critiquée avant tout par des femmes ? Bref, ne nous contentons pas d'une approche qui place le problème dans un manque de la part des femmes : souvenons que la structure sociale est là, et bien là, et qu'elle aussi joue un rôle qu'il faudra changer si l'on veut sérieusement promouvoir l'égalité entre hommes et femmes.
L'article rapporte les résultats d'une enquête sur le concours de HEC, menée par trois membres de la grande école de Jouy-en-Josas. Les résultats sont assez clairs : les filles réussissent moins bien que les garçons, et ce bien qu'elles aient des dossiers de meilleures qualités.
Les conclusions de cette étude sont accablantes. Les candidates aux concours de l'école de Jouy-en-Josas (Yvelines) ont beau avoir de meilleurs dossiers que leurs concurrents masculins (mentions au bac supérieures, meilleure représentation dans les bonnes classes préparatoires), elles y réussissent moins bien. Alors que le pourcentage d'hommes et de femmes candidats est équilibré sur les trois années étudiées (50,84 % d'hommes, 49,16 % de femmes), le pourcentage de femmes admissibles tombe à 46,32 %, et celui d'admises à 45,92 %... Pis, après le concours, "celles qui l'ont réussi obtiennent en première année en moyenne des notes d'examen supérieures à celles de leurs congénères masculins."La cause de cette différence ? Un moindre esprit de compétition de la part des filles, qui réagiraient négativement à la compétition inhérente et particulièrement forte de ce genre de concours. Ah, cela me rappelle mes tendres années dans une de ces prépa provinciales qui destinent à ce genre de concours. J'étais une complète erreur de casting dans cette histoire, mais effectivement, bien que les portes pour HEC ne nous soient alors qu'improbablement ouvertes, je me souviens de la compétition à couteux tirés qui animaient certains de mes camarades. D'ailleurs, parmi ceux-ci, quelques jeunes filles se battaient avec une rage peu commune. Certaines surveillaient avec attention leurs concurrentes, prêtes à surveiller leurs camarades pour s'assurer que c'étaient bien elles qui travaillaient le plus.
C'est que, comme le rappellent Christian Baudelot et Roger Establet, dans un entretien donné au Monde, les filles qui se présentent à un tel concours sont "sur-sélectionnées". Il y a fort à parier que n'arrivent dans les prépas que celles dont l'esprit de compétition s'est déjà un tant soit peu développé. Le goût pour la compétition n'est en fait rien d'autres qu'on produit social, liée à une socialisation particulière. Sur ce plan, le premier article du Monde évite bien l'écueil de la naturalisation - ce qui n'a pas toujours été le cas.
La population des filles se présentant à ce concours est sursélectionnée. Michelle Ferrand, Catherine Marry et Françoise Imbert l'ont montré en étudiant les réussites improbables des filles entrées dans deux grandes écoles scientifiques. Beaucoup d'entre elles étaient soit des enfants uniques, soit n'avaient que des soeurs. L'absence dans la famille d'un contre-modèle masculin, supposé imbattable en matière de compétition, avait pu libérer bien des inhibitions dans ce domaine.
Ainsi, ce sont les modèles sociaux féminins et masculins, la socialisation genrée - le fait que l'on ne traite pas de façon égale les petits filles et les petits garçons - et les dynamiques familiales qui expliqueraient les inégalités de réussite à de tels concours et, partant de là, également les différentes inégalités sur le marché du travail. On peut ainsi imaginer que, parce qu'elles ont moins l'esprit de compétition, les femmes obtiennent moins de promotions ou moins de gratifications salariales au sein de l'entreprise.
Cette explication n'est pas fausse, mais elle n'est pas exclusive d'autres phénomènes. Les auteurs de l'étude ne font aucun mystère quant à l'une de leur motivation à mener une telle étude : il s'agit de rejeter l'idée d'une discrimination volontaire de la part de la grande école envers les filles :
Pour expliquer la moindre réussite des femmes, une rumeur court depuis de nombreuses années : les femmes seraient discriminées aux oraux. "Si un des jurys d'oral peut avoir des biais, aucune consigne n'est donnée en ce sens", assure Frédéric Palomino. "Nous avons mené cette enquête statistique pour tordre le cou à ce fantasme", explique Eloïc Peyrache. "De plus, quand on regarde les pourcentages de réussite, on voit que c'est à l'écrit que la part des candidates chute le plus."
Il ne faudrait pas que de telles explications viennent à faire oublier qu'il existe malgré tout des discriminations dans les entreprises et le marché du travail. Certes, celles-ci ne sont pas forcément volontaires, conscientes ou organisées, comme semblaient le suggérer les rumeurs auxquelles fait référence l'article. Mais elles n'en sont pas moins puissantes.
Pour le comprendre, imaginons qu'une femme adopte un comportement de "requin sans pitié" dans le cadre de son entreprise et fasse preuve d'un bel esprit de compétition. Rien ne permet de dire qu'elle obtiendra les mêmes résultats qu'un homme. Au contraire, il est possible qu'elle soit méjugés pour cela : là où l'on louera et récompensera la force de caractère d'un homme, on pourra critiquer un caractère de "chieuse" chez une femme, de sorcière ou de mante-religieuse - la langue française abonde de métaphore dans ce sens, et il ne faudrait pas oublier le pouvoir qu'à le langage sur la construction sociale de la réalité. Le Global Sociology Blog s'inquiétait dejà de cela il y a quelques temps en reprenant ce très pédagogique comics :
C'est que les genres féminins et masculins sont avant tout des rôles, c'est-à-dire des systèmes d'attentes de la part des autres. Sortir de son rôle en adoptant une attitude qui n'est pas étiquetée comme féminine est donc risquée. Il ne suffira pas aux femmes de prendre les choses en main et à se mettre à agir "comme des hommes" : il faudra également que les hommes acceptent ce changement... et les femmes aussi, dont certaines ne manqueront sûrement pas de stigmatiser celles qui se laisseraient tenter à une attitude non féminine. Samantha Jones n'est-elle pas critiquée avant tout par des femmes ? Bref, ne nous contentons pas d'une approche qui place le problème dans un manque de la part des femmes : souvenons que la structure sociale est là, et bien là, et qu'elle aussi joue un rôle qu'il faudra changer si l'on veut sérieusement promouvoir l'égalité entre hommes et femmes.