La question du sexisme dans les jeux vidéo n'est pas nouvelle : elle a été soulevée depuis plusieurs années par différents acteurs de l'industrie ou commentateurs de celle-ci. Elle commence par contre à atteindre les médias mainstream : le brillant article de Mar_Lard critiquant la rape culture dans un article de Joystick a ainsi pu trouvé un écho dans le Monde, y compris dans son édition papier. En général, quand la presse générale commence à s'intéresser aux jeux vidéo, c'est pour les accuser d'être à l'origine de la dernière tuerie en date, et c'est plutôt une mauvaise nouvelle pour les gamers. D'où sans doute des réactions parfois épidermiques, qui n'expliquent ni n'excusent en rien la débauche de violence sexiste que soulèvent généralement les critiques féministes. La question de la violence et la question du sexisme dans les jeux ne se posent absolument pas dans les mêmes termes. Quelle est exactement la différence ?
Les attaques contre la violence des jeux vidéo sont récurrentes : Olivier Mauco en parlerait mieux que moi. De Columbine à Breivnik, on ne manque pas d'exemples où les jeux vidéo sont mis en accusation au regard de leur mise en scène de la violence. La question est alors toujours la même (dans les cas où elle est formulée comme question et non comme affirmation péremptoire) : les jeux vidéo rendent-ils violents ? Font-ils partis de l'explication de la violence en général ou de l’extrême violence de certains individus ? Le schéma mobilisé est ici un schéma qui va de la pratique du jeu ou, plutôt, de certains jeux vers l'usage de la violence.
A cette question, la réponse semble bien être "non". Et ce même lorsque l'on se tourne du côté des études qui montrent un effet des jeux sur les comportements violents. Si on regarde celles menées par Laurent Bègue par exemple :
On notera ici que les pensées agressives que suscitent le jeu sont en fait mesurée dans un cadre également fictionnel : rien ne dit qu'il s'agit de dispositions ancrées dans les individus, et susceptibles d'être ré-investies dans des contextes sociaux différents de celui du jeu et de la fiction. Mais plus loin, Laurent Bègue rajoute :
Autrement dit, l'effet des jeux, même dans l'hypothèse où il est réel, reste dépendant d'autres facteurs dans le parcours des individus, et ne doit pas être sur-estimé. Si l'on veut chercher des causes à la violence, il faut recourir à un schéma explicatif plus complexe.
On pourrait poser alors la même question à propos du sexisme : puisqu'il est incontestable que les jeux proposent des représentations sexistes des femmes et des relations de genre, sont-ils la cause du sexisme ? La réponse sera la même que pour la violence : les jeux ne sont pas la cause du sexisme, et il est parfaitement possible d'être un.e gamer.euse et féministe - guilty as charged.
Mais le fait est que la question qui est soulevée n'est pas celle-là : elle n'est pas de savoir si les jeux vidéo rendent sexiste comme on dit qu'ils rendent violents. La question est en fait très différente.
Le sexisme n'occupe d'abord pas la même place ni dans les jeux ni dans l'expérience des joueurs hors du jeu. En effet, la violence constitue dans une certaine mesure une rupture par rapport aux normes en vigueur dans la société où s'insèrent les joueurs : même si elle s'insère dans une simulation où son usage est normal - par exemple dans une simulation militaire - il est clair que la plupart des joueurs sont encouragés par ailleurs à ne pas user de violence dans leurs relations normales. Elle constitue souvent la rupture avec l'expérience normale des joueurs. Et en cela, elle peut être facilement dé-réalisée par ceux-ci comme relevant du monde de la fiction.
Il en va tout autrement du sexisme : dans de nombreux jeux, il constitue plus un décor qu'un élément du simulacre. Que la princesse Peach soit une nouille passive ne change rien au gameplay de Mario, que les personnages de jeux de combats portent des armures qui relèvent plus de la lingerie fine que des arts martiaux ne change rien aux phases de combats, et que les différences physiques entre les sexes des différentes races de WoW reproduisent la dichotomie "homme = force/femme = beauté" n'affecte pas la quête des XP.
Ce dernier exemple est intéressant parce qu'il semble que la transformation des personnages vers un dismorphisme exagérée - finalement bien peu réaliste, puisque exagérant déjà celui que l'on attribue aux humains - émane d'une demande des joueurs. Ceci nous renseigne sur la place donnée à un tel élément pour les joueurs. Comme le dit Lisa Wade sur Sociological Images :
Cet élément ne transforme pas le jeu en soi, mais il contribue à satisfaire certains joueurs parce qu'il rentre en accord avec leurs croyances et idéologies précédentes. Il en va en fait ainsi de la plupart des éléments sexistes dans les jeux vidéo : ils sont en accord avec les conceptions préalables des joueurs. Quitte à ce que cela les conduise parfois à ne pas bien saisir le message d'un jeu, comme c'est en partie le cas pour Bayonetta - combien des trolls bavant se seront-ils rendus compte que ce jeu se moque précisément d'eux ?
De ce point de vue, on est dans un cas bien différent de la violence : la question n'est pas de savoir si le sexisme dans les jeux vidéo peut produire chez les joueurs une déviance - l'usage de la violence - mais plutôt s'il ne vient pas renforcer et confirmer des dispositions déjà acquises par ailleurs. L'exemple de l'article de Joystick est d'ailleurs très intéressant : ce n'est pas le thème du viol en soi qui est problématique, mais la façon dont il est normalisé en faisant appel à d'autres éléments comme la pornographie. Il vient ainsi confirmer une disposition déjà acquise : le viol, c'est excitant.
On me répondra peut-être que, dans ce cas-là, ce ne sont toujours pas les jeux vidéo qui rendent sexistes. Et en un sens, c'est vrai. Mais en un sens encore plus précis, ce n'est pas le problème. Car on ne trouvera pas une origine ou cause unique au sexisme : celui-ci est la conséquence d'un système très large qui est le patriarcat ou la domination masculine. Il est le produit d'un apprentissage : les garçons ne naissent pas avec l'idée que "les filles sont chiantes", nous leur apprenons. Ils ne naissent pas avec l'idée que "quand une fille dit non, c'est en fait qu'elle veut bien", c'est nous qui leur apprenons. Ils ne naissent pas avec l'idée que "si je suis gentil avec une fille - par exemple en la sauvant des méchants - elle devra coucher avec moi", nous leur apprenons :
Aucun de ces éléments - jeux divers, apprentissages explicites, conversations, relations dans les cours d'école, etc. - ne peut sembler déterminant en soi, mais leur combinaison finale est extrêmement puissante. L'argument parfois entendu du "il n'y a pas que les jeux vidéo" est à la fois vrai et hors sujet : cela ne dispense pas de se poser la question.
Le sexisme dans les jeux fonctionne en fait d'une autre façon : il contribue à l'exclusion des femmes hors de la sphère du jeu. Cela ne veut pas dire que les gameuses n'existent pas, loin de là. Mais le sexisme général dans les jeux contribue à les rendre invisibles, et à tenir à l'écart d'autres joueuses potentielles. C'est ce que montre par exemple Dominique Pasquier dans un passage de Cultures Lycéennes, où il apparaît que les garçons sont considérés comme les seuls vrais joueurs. En un sens, la violence joue parfois le même rôle, dans la mesure où elle introduit une rupture plus forte dans la socialisation des filles que dans celle des garçons. Mais se faisant, ces différents éléments contribuent à constituer des univers séparés : celui des hommes et celui des femmes. Les deux n'ayant pas la même valeur générale : ainsi Dominique Pasquier montre que les joueurs profitent du prestige associé au numérique et à l'informatique...
Cette exclusion est de plus en soi un problème, dans la mesure où elle se manifeste sous la forme d'attaques directes envers les personnes. Lorsque des joueuses se confrontent à un mur d'insultes dès qu'elles essayent de jouer en ligne, il n'y a pas besoin d'aller plus loin dans la démonstration d'un problème. Lorsque le mode de jeu le plus facile est surnommé "girlfriend mode", il n'y a pas besoin d'aller plus loin pour comprendre que des joueuses se sentent personnellement attaquées, parce que cela vient constituer une caractéristique personnelle qui n'a rien à voir avec le jeu comme un défaut...
C'est d'ailleurs de l'intérieur de l'industrie et de la communauté des gamers que partent désormais les critiques du sexisme, et non de l'extérieur comme c'est le cas pour la violence. Ce sont des joueuses, des membres de l'industrie, des journalistes, des figures de la culture geek, etc. qui jouent le rôle d'entrepreneurs de morale. Et le passage dans la presse mainstream n'est pas tellement lié à ces critiques, mais surtout à la violence qui peut s'exprimer très directement contre ceux et celles qui les émettent : les trolls donnent une bien plus mauvaise image du jeu que quiconque...
Tout cela m'amène à cette conclusion : le sexisme dans les jeux vidéo est un problème en soi. Contrairement à la violence où il est nécessaire, pour construire le problème, de démontrer la contribution des jeux au passage à l'acte, il n'est pas besoin de démontrer un effet sur un individu pour ce qui est du sexisme : le problème se place à un autre niveau, comme un enjeu collectif. Parce que le jeu vidéo fait partie d'un système, et que chaque élément de ce système compte. Et parce que la question est "avec qui voulons-nous jouer et avec quoi ?". Ou, pour le dire de façon encore plus claire, la question n'est pas "les jeux vidéo rendent-ils sexistes ?" mais "les jeux vidéo sont-ils sexistes ?". Et vu que la réponse est "oui"...
Le contenu des jeux mérite d'être critiqué en dehors de la question de ses effets individuels, et en dehors d'une étiologie purement psychologique. La culture des gamers mérite d'être critiqué en dehors de toute considération sur sa déviance supposée. Dans les deux cas, il s'agit de comprendre ce fait simple : la critique d'un roman n'est pas la condamnation de la littérature, la critique des jeux vidéo n'est pas la condamnation de sa pratique. Le jour où cette critique sera possible au sein même de la communauté des joueurs, ce sera le signe que l'on sera enfin parvenu à une pleine légitimation.
Les attaques contre la violence des jeux vidéo sont récurrentes : Olivier Mauco en parlerait mieux que moi. De Columbine à Breivnik, on ne manque pas d'exemples où les jeux vidéo sont mis en accusation au regard de leur mise en scène de la violence. La question est alors toujours la même (dans les cas où elle est formulée comme question et non comme affirmation péremptoire) : les jeux vidéo rendent-ils violents ? Font-ils partis de l'explication de la violence en général ou de l’extrême violence de certains individus ? Le schéma mobilisé est ici un schéma qui va de la pratique du jeu ou, plutôt, de certains jeux vers l'usage de la violence.
A cette question, la réponse semble bien être "non". Et ce même lorsque l'on se tourne du côté des études qui montrent un effet des jeux sur les comportements violents. Si on regarde celles menées par Laurent Bègue par exemple :
Nous avons montré que les pensées hostiles suscitées par la pratique des jeux vidéo faisaient le lien entre les jeux violents et le comportement agressif. Après une phase de familiarisation, 136 adultes ont joué durant vingt minutes à un jeu violent ou à un jeu d’action non violent. Ensuite, les participants devaient lire deux scénarios ambigus et imaginer la suite de l’histoire. Dans une seconde étape de l’expérience, chaque participant réalisait une tâche compétitive contre un partenaire : il devait appuyer aussi vite que possible sur une touche dès qu’il percevait un signal sonore. Le perdant recevait un son désagréable dans les oreilles. Les participants croyaient que l’intensité du son avait été choisie par leur adversaire. Les résultats ont montré que les participants ayant joué à un jeu vidéo violent, quel que soit leur sexe, avaient davantage de pensées agressives et défiaient davantage leur adversaire.
On notera ici que les pensées agressives que suscitent le jeu sont en fait mesurée dans un cadre également fictionnel : rien ne dit qu'il s'agit de dispositions ancrées dans les individus, et susceptibles d'être ré-investies dans des contextes sociaux différents de celui du jeu et de la fiction. Mais plus loin, Laurent Bègue rajoute :
Comme je l’indique dans mon livre (1), les facteurs de violence sont nombreux et les jeux vidéo n’ont pas un poids aussi massif que de nombreuses autres causes individuelles ou sociétales. Dans notre étude française, le groupe ayant joué à l’un des jeux violents avait une augmentation de l’ordre de 15 % de la violence telle que nous la mesurons (chocs sonores à un adversaire). Il ne faut donc pas s’attendre à ce que la quasi-totalité des joueurs devienne des monstres assoiffés de sang !
Autrement dit, l'effet des jeux, même dans l'hypothèse où il est réel, reste dépendant d'autres facteurs dans le parcours des individus, et ne doit pas être sur-estimé. Si l'on veut chercher des causes à la violence, il faut recourir à un schéma explicatif plus complexe.
On pourrait poser alors la même question à propos du sexisme : puisqu'il est incontestable que les jeux proposent des représentations sexistes des femmes et des relations de genre, sont-ils la cause du sexisme ? La réponse sera la même que pour la violence : les jeux ne sont pas la cause du sexisme, et il est parfaitement possible d'être un.e gamer.euse et féministe - guilty as charged.
Mais le fait est que la question qui est soulevée n'est pas celle-là : elle n'est pas de savoir si les jeux vidéo rendent sexiste comme on dit qu'ils rendent violents. La question est en fait très différente.
Le sexisme n'occupe d'abord pas la même place ni dans les jeux ni dans l'expérience des joueurs hors du jeu. En effet, la violence constitue dans une certaine mesure une rupture par rapport aux normes en vigueur dans la société où s'insèrent les joueurs : même si elle s'insère dans une simulation où son usage est normal - par exemple dans une simulation militaire - il est clair que la plupart des joueurs sont encouragés par ailleurs à ne pas user de violence dans leurs relations normales. Elle constitue souvent la rupture avec l'expérience normale des joueurs. Et en cela, elle peut être facilement dé-réalisée par ceux-ci comme relevant du monde de la fiction.
Il en va tout autrement du sexisme : dans de nombreux jeux, il constitue plus un décor qu'un élément du simulacre. Que la princesse Peach soit une nouille passive ne change rien au gameplay de Mario, que les personnages de jeux de combats portent des armures qui relèvent plus de la lingerie fine que des arts martiaux ne change rien aux phases de combats, et que les différences physiques entre les sexes des différentes races de WoW reproduisent la dichotomie "homme = force/femme = beauté" n'affecte pas la quête des XP.
Ce dernier exemple est intéressant parce qu'il semble que la transformation des personnages vers un dismorphisme exagérée - finalement bien peu réaliste, puisque exagérant déjà celui que l'on attribue aux humains - émane d'une demande des joueurs. Ceci nous renseigne sur la place donnée à un tel élément pour les joueurs. Comme le dit Lisa Wade sur Sociological Images :
The dimorphism in WoW is a great example of how gender difference is, in part, an ideology. It’s a desire that we impose onto the world, not reality in itself. We make even our fantasy selves conform to it. Interestingly, when people stray from affirming the ideology, they can face pressure to align themselves with its defenders. It appears that this is exactly what happened in WoW.
Cet élément ne transforme pas le jeu en soi, mais il contribue à satisfaire certains joueurs parce qu'il rentre en accord avec leurs croyances et idéologies précédentes. Il en va en fait ainsi de la plupart des éléments sexistes dans les jeux vidéo : ils sont en accord avec les conceptions préalables des joueurs. Quitte à ce que cela les conduise parfois à ne pas bien saisir le message d'un jeu, comme c'est en partie le cas pour Bayonetta - combien des trolls bavant se seront-ils rendus compte que ce jeu se moque précisément d'eux ?
De ce point de vue, on est dans un cas bien différent de la violence : la question n'est pas de savoir si le sexisme dans les jeux vidéo peut produire chez les joueurs une déviance - l'usage de la violence - mais plutôt s'il ne vient pas renforcer et confirmer des dispositions déjà acquises par ailleurs. L'exemple de l'article de Joystick est d'ailleurs très intéressant : ce n'est pas le thème du viol en soi qui est problématique, mais la façon dont il est normalisé en faisant appel à d'autres éléments comme la pornographie. Il vient ainsi confirmer une disposition déjà acquise : le viol, c'est excitant.
On me répondra peut-être que, dans ce cas-là, ce ne sont toujours pas les jeux vidéo qui rendent sexistes. Et en un sens, c'est vrai. Mais en un sens encore plus précis, ce n'est pas le problème. Car on ne trouvera pas une origine ou cause unique au sexisme : celui-ci est la conséquence d'un système très large qui est le patriarcat ou la domination masculine. Il est le produit d'un apprentissage : les garçons ne naissent pas avec l'idée que "les filles sont chiantes", nous leur apprenons. Ils ne naissent pas avec l'idée que "quand une fille dit non, c'est en fait qu'elle veut bien", c'est nous qui leur apprenons. Ils ne naissent pas avec l'idée que "si je suis gentil avec une fille - par exemple en la sauvant des méchants - elle devra coucher avec moi", nous leur apprenons :
Poire ne voit pas les filles comme des personnes qui ont leurs préférences, leurs choix, leur libido, leur libre-arbitre. Poire pense que les filles couchent avec toi de façon automatique quand tu remplis un certain nombre de conditions. Tu butes le dragon, hop, tu te tapes la princesse. C’est comme dans les jeux vidéos.
Aucun de ces éléments - jeux divers, apprentissages explicites, conversations, relations dans les cours d'école, etc. - ne peut sembler déterminant en soi, mais leur combinaison finale est extrêmement puissante. L'argument parfois entendu du "il n'y a pas que les jeux vidéo" est à la fois vrai et hors sujet : cela ne dispense pas de se poser la question.
Le sexisme dans les jeux fonctionne en fait d'une autre façon : il contribue à l'exclusion des femmes hors de la sphère du jeu. Cela ne veut pas dire que les gameuses n'existent pas, loin de là. Mais le sexisme général dans les jeux contribue à les rendre invisibles, et à tenir à l'écart d'autres joueuses potentielles. C'est ce que montre par exemple Dominique Pasquier dans un passage de Cultures Lycéennes, où il apparaît que les garçons sont considérés comme les seuls vrais joueurs. En un sens, la violence joue parfois le même rôle, dans la mesure où elle introduit une rupture plus forte dans la socialisation des filles que dans celle des garçons. Mais se faisant, ces différents éléments contribuent à constituer des univers séparés : celui des hommes et celui des femmes. Les deux n'ayant pas la même valeur générale : ainsi Dominique Pasquier montre que les joueurs profitent du prestige associé au numérique et à l'informatique...
Cette exclusion est de plus en soi un problème, dans la mesure où elle se manifeste sous la forme d'attaques directes envers les personnes. Lorsque des joueuses se confrontent à un mur d'insultes dès qu'elles essayent de jouer en ligne, il n'y a pas besoin d'aller plus loin dans la démonstration d'un problème. Lorsque le mode de jeu le plus facile est surnommé "girlfriend mode", il n'y a pas besoin d'aller plus loin pour comprendre que des joueuses se sentent personnellement attaquées, parce que cela vient constituer une caractéristique personnelle qui n'a rien à voir avec le jeu comme un défaut...
La résistance s'organise : une guerre a été lancé contre le meme "Idiot Nerd Girl"... |
C'est d'ailleurs de l'intérieur de l'industrie et de la communauté des gamers que partent désormais les critiques du sexisme, et non de l'extérieur comme c'est le cas pour la violence. Ce sont des joueuses, des membres de l'industrie, des journalistes, des figures de la culture geek, etc. qui jouent le rôle d'entrepreneurs de morale. Et le passage dans la presse mainstream n'est pas tellement lié à ces critiques, mais surtout à la violence qui peut s'exprimer très directement contre ceux et celles qui les émettent : les trolls donnent une bien plus mauvaise image du jeu que quiconque...
Tout cela m'amène à cette conclusion : le sexisme dans les jeux vidéo est un problème en soi. Contrairement à la violence où il est nécessaire, pour construire le problème, de démontrer la contribution des jeux au passage à l'acte, il n'est pas besoin de démontrer un effet sur un individu pour ce qui est du sexisme : le problème se place à un autre niveau, comme un enjeu collectif. Parce que le jeu vidéo fait partie d'un système, et que chaque élément de ce système compte. Et parce que la question est "avec qui voulons-nous jouer et avec quoi ?". Ou, pour le dire de façon encore plus claire, la question n'est pas "les jeux vidéo rendent-ils sexistes ?" mais "les jeux vidéo sont-ils sexistes ?". Et vu que la réponse est "oui"...
Le contenu des jeux mérite d'être critiqué en dehors de la question de ses effets individuels, et en dehors d'une étiologie purement psychologique. La culture des gamers mérite d'être critiqué en dehors de toute considération sur sa déviance supposée. Dans les deux cas, il s'agit de comprendre ce fait simple : la critique d'un roman n'est pas la condamnation de la littérature, la critique des jeux vidéo n'est pas la condamnation de sa pratique. Le jour où cette critique sera possible au sein même de la communauté des joueurs, ce sera le signe que l'on sera enfin parvenu à une pleine légitimation.