Il y a des choses sacrées dans la vie. Les Lego en font partie. Ayant passé un pourcentage important de mon enfance à manipuler les petits blocs plastiques - et un autre pourcentage, non-négligeable, à hurler de douleur après avoir marché pieds nus sur l'un d'entre eux - et ayant, entre temps acquis un certain penchant féministe, la nouvelle gamme volontairement girly de la marque ne pouvait me laisser indifférents. D'autres ont déjà dit mieux que je ne pourrais le faire combien les choix faits sont sexistes, et pseudo-rationalisés sur la base d'études "anthropologiques" de plusieurs années montrant que les filles et les garçons jouent différemment... N'oublions pas, pour autant, que Lego est une entreprise. Est-elle condamnée à être sexiste pour vendre ses jouets ?
La publicité ci-dessus nous montre que le sexisme n'a pas toujours été de mise : Lego pouvait, à une époque pas si lointaine - 1981 -, proposer une image d'une petite fille jouant fièrement avec ses briques colorés loin de tous les stéréotypes du type talons hauts, figures longiformes, oisiveté friquée et autres activités d'intérieur... En 1963, le fils du fondateur de l'entreprise citait "for girls and for boys" parmi les dix caractéristiques des Lego. Le retournement est de ce point de vue assez impressionnant, et ne se limite sans doute pas à Lego. Et il ne porte pas seulement sur les rôles proposées aux petites filles, entre petites lolitas et divas, mais aussi sur le contenu même du jeu puisque, de l'aveu même du fabricant, la nouvelle gamme contient moins de construction que celles markétées pour les garçons, parce que, bien évidemment, les gonzesses, ça veut d'abord raconter une histoire, pas de la technologie.
Comment en est-on arrivé là ? Cet article de Bloomsberg Businessweek indique que l'entreprise s'est concentré sur les garçons à partir de 2005 : les gammes consacrés à Star Wars ou aux Ninja, encore actives, sont clairement marketés pour les petits garçons (et j'avoue que la Batcave m'a fait regretter d'être déjà un vieux croûton). Il faut dire que la marque connaissait des difficultés avec la multiplication des concurrents, tant du côté des autres jouets, et particulièrement des jeux vidéo, que de celui des copies et autres look-alikes. La nouvelle offensive, dotée de quelques 40 millions de dollars comme force de frappe promotionnelle, cherche à reconquérir le marché des petites. Autrement dit, Lego n'a pas eu le choix : il leur a fallut s'adapter à un marché déjà structuré en deux catégories.
On en vient donc à cela : un marché n'est pas quelque chose de naturel, il est construit et pas seulement sur une base purement "économique". Il ne serait en effet pas absurde pour les entreprises de pouvoir vendre le même jouet aussi bien aux garçons qu'aux filles : on peut imaginer que les profits n'en seraient pas négligeables, au contraire. Non, le marché est organisé par des normes, par des règles, par des modes de calculs qui autorisent à mettre en équivalence certains biens et pas d'autres : pour comparer des jouets entre eux, consommateurs et producteurs réfléchissent au sein de catégories bien définies. C'est ce qu'étudie toute une branche de la sociologie économique française, de Lucien Karpik à Michel Callon en passant par Franck Cochoy.
Reste à savoir ce qui fait la force de ce qu'il faut bien appeler des institutions : qu'est-ce qui leur permet de s'imposer ainsi aux entreprises et aux consommateurs ? La réponse est plus difficile qu'il n'y paraît, mais le cas des Lego permet de comprendre certains points. Considérons ainsi la nouvelle gamme en question :
Le moins que l'on puisse dire, c'est que les personnages sont bien différents de ceux produits par le passé, et donc plutôt destinés, depuis 2005 et encore plus maintenant aux garçons. Une comparaison plus rigoureuse le montre bien (image empruntée ici)
Ce n'est pas la première fois : la gamme Belleville, également destinée aux filles, proposait déjà un graphisme et des formes nettement différentes de celles traditionnellement adoptées par les produits de la marque.
Un constat s'impose alors : les jouets pour filles sont rendus incompatibles avec ceux des garçons. Même si les petits enfants ont tendance à mélanger leurs jouets sans faire trop de cas de la cohérence de l'ensemble - jusqu'au moment, fatal, où un adulte intervient - on rend la combinaison entre jeux pour filles et jeux pour garçons plus difficile et donc moins probable. La conséquence de cela, c'est que l'on forme ainsi la demande et les consommateurs. Non seulement on habitue les enfants à différencier entre jeux de garçons et jeux de filles - et à un âge où l'identité de genre est la seule disponible, il ne faut pas s'étonner que les uns comme les autres s'y engouffrent avec joie... - mais on oblige également les parents à réfléchir en ces termes. Dans un magasin de jouets, ceux-ci sont bien obligés de se situer par rapport aux rayons garçons et filles. Et même lorsqu'ils font leurs courses sur Internet, le sexe de l'enfant peut-être la première question qu'on leur pose pour les aider à faire leurs choix.
Habitués à réfléchir dans ces termes - et ce d'autant plus s'ils ont eux-mêmes eu des jouets divisés suivant les mêmes termes -, ils ne peuvent s'orienter en dehors d'eux. Et voilà les jouets neutres désavantagés. D'autant plus que les magasins auront bien du mal à les mettre en rayons, eux qui se sont entièrement organisés autour de ces catégories. Même remarque pour les catalogues... Au final, la stratégie de faire du jouet "neutre" est bien risquée. Le sexisme devient une condition d'accès au marché : il ne fait pas vendre, mais il est difficile de vendre sans lui...
On est face à un mécanisme d'auto-renforcement : l'offre de jouet sexiste modèle une demande de jouets sexués qui elle-même s'impose aux fabricants, et ainsi de suite. La dépendance au sentier, voilà comment cela s'appelle : des décisions passées rendent difficile de prendre un autre chemin que celui dans lequel on s'est engagé. Une fois engagé dans une voie, celle de l'organisation du marché par des catégories sexistes, il devient extrêmement difficile d'en sortir. Les économistes aiment à parler de situations d'équilibre : en voici, non pas produite par l'égalisation de l'offre et de la demande, mais par la façon dont l'une et l'autre se fabriquent mutuellement.
Les conditions d'un tel équilibre sont cependant propre au marché des jouets : elles résident à la fois dans le fait que le jouet est un vecteur de socialisation et qu'il existe une certaine co-production du bien. Les consommateurs, parents et enfants, construisent une partie du sens prêté aux jouets en les achetant et en les utlisant, l'investissement émotionnel et personnel dans ceux-ci étant fort. C'est la même chose sur le marché des comics, par exemple, où les lecteurs, rassemblés dans le "fandom", collaborent presque avec les producteurs : les histoires et les personnages sont réinterprétés, fortement commentés, souvent redessinés, de telle sorte que les créateurs peuvent observer et tenir compte de ce qui passe ou ne passe pas chez les lecteurs. Sans surprise dans ce marché également très sexuées, les femmes ont du mal à se faire entendre : c'est que pour un éditeur, répondre à leurs demandes, c'est prendre le risque de s'aliéner son public captif masculin. Dépendance aux sentiers encore une fois.
Que faudrait-il alors pour transformer le marché des jouets (ou celui des comics d'ailleurs) dans une voie moins sexiste ? Des mobilisations existent, comme en témoigne celle de Osez le féminisme !. Elles sont le bienvenues. Mais si vous êtes un lecteur régulier du blog, vous savez de quoi on a besoin lorsque l'on veut faire bouger les structures économiques : de la force d'une prophétie, de la puissance du charisme. Il faut un acteur avec une autorité suffisamment forte pour pouvoir transformer les règles du jeu. Cela n'a pas à être un individu seul : le charisme, parce qu'il est une construction sociale, peut être celui d'un groupe, d'une entreprise ou d'un mouvement social. Le mouvement féministe, s'il veut être efficace ici, doit trouver une telle force. La dénonciation n'est qu'une étape : il faut maintenant promettre des jours meilleurs. Et s'intéresser au fonctionnement de l'économie des jouets, dans laquelle réside les principaux mécanismes qui conduisent au sexisme.
La publicité ci-dessus nous montre que le sexisme n'a pas toujours été de mise : Lego pouvait, à une époque pas si lointaine - 1981 -, proposer une image d'une petite fille jouant fièrement avec ses briques colorés loin de tous les stéréotypes du type talons hauts, figures longiformes, oisiveté friquée et autres activités d'intérieur... En 1963, le fils du fondateur de l'entreprise citait "for girls and for boys" parmi les dix caractéristiques des Lego. Le retournement est de ce point de vue assez impressionnant, et ne se limite sans doute pas à Lego. Et il ne porte pas seulement sur les rôles proposées aux petites filles, entre petites lolitas et divas, mais aussi sur le contenu même du jeu puisque, de l'aveu même du fabricant, la nouvelle gamme contient moins de construction que celles markétées pour les garçons, parce que, bien évidemment, les gonzesses, ça veut d'abord raconter une histoire, pas de la technologie.
Capture d'écran du site Lego |
Comment en est-on arrivé là ? Cet article de Bloomsberg Businessweek indique que l'entreprise s'est concentré sur les garçons à partir de 2005 : les gammes consacrés à Star Wars ou aux Ninja, encore actives, sont clairement marketés pour les petits garçons (et j'avoue que la Batcave m'a fait regretter d'être déjà un vieux croûton). Il faut dire que la marque connaissait des difficultés avec la multiplication des concurrents, tant du côté des autres jouets, et particulièrement des jeux vidéo, que de celui des copies et autres look-alikes. La nouvelle offensive, dotée de quelques 40 millions de dollars comme force de frappe promotionnelle, cherche à reconquérir le marché des petites. Autrement dit, Lego n'a pas eu le choix : il leur a fallut s'adapter à un marché déjà structuré en deux catégories.
On en vient donc à cela : un marché n'est pas quelque chose de naturel, il est construit et pas seulement sur une base purement "économique". Il ne serait en effet pas absurde pour les entreprises de pouvoir vendre le même jouet aussi bien aux garçons qu'aux filles : on peut imaginer que les profits n'en seraient pas négligeables, au contraire. Non, le marché est organisé par des normes, par des règles, par des modes de calculs qui autorisent à mettre en équivalence certains biens et pas d'autres : pour comparer des jouets entre eux, consommateurs et producteurs réfléchissent au sein de catégories bien définies. C'est ce qu'étudie toute une branche de la sociologie économique française, de Lucien Karpik à Michel Callon en passant par Franck Cochoy.
Reste à savoir ce qui fait la force de ce qu'il faut bien appeler des institutions : qu'est-ce qui leur permet de s'imposer ainsi aux entreprises et aux consommateurs ? La réponse est plus difficile qu'il n'y paraît, mais le cas des Lego permet de comprendre certains points. Considérons ainsi la nouvelle gamme en question :
Le moins que l'on puisse dire, c'est que les personnages sont bien différents de ceux produits par le passé, et donc plutôt destinés, depuis 2005 et encore plus maintenant aux garçons. Une comparaison plus rigoureuse le montre bien (image empruntée ici)
Ce n'est pas la première fois : la gamme Belleville, également destinée aux filles, proposait déjà un graphisme et des formes nettement différentes de celles traditionnellement adoptées par les produits de la marque.
Un constat s'impose alors : les jouets pour filles sont rendus incompatibles avec ceux des garçons. Même si les petits enfants ont tendance à mélanger leurs jouets sans faire trop de cas de la cohérence de l'ensemble - jusqu'au moment, fatal, où un adulte intervient - on rend la combinaison entre jeux pour filles et jeux pour garçons plus difficile et donc moins probable. La conséquence de cela, c'est que l'on forme ainsi la demande et les consommateurs. Non seulement on habitue les enfants à différencier entre jeux de garçons et jeux de filles - et à un âge où l'identité de genre est la seule disponible, il ne faut pas s'étonner que les uns comme les autres s'y engouffrent avec joie... - mais on oblige également les parents à réfléchir en ces termes. Dans un magasin de jouets, ceux-ci sont bien obligés de se situer par rapport aux rayons garçons et filles. Et même lorsqu'ils font leurs courses sur Internet, le sexe de l'enfant peut-être la première question qu'on leur pose pour les aider à faire leurs choix.
Habitués à réfléchir dans ces termes - et ce d'autant plus s'ils ont eux-mêmes eu des jouets divisés suivant les mêmes termes -, ils ne peuvent s'orienter en dehors d'eux. Et voilà les jouets neutres désavantagés. D'autant plus que les magasins auront bien du mal à les mettre en rayons, eux qui se sont entièrement organisés autour de ces catégories. Même remarque pour les catalogues... Au final, la stratégie de faire du jouet "neutre" est bien risquée. Le sexisme devient une condition d'accès au marché : il ne fait pas vendre, mais il est difficile de vendre sans lui...
On est face à un mécanisme d'auto-renforcement : l'offre de jouet sexiste modèle une demande de jouets sexués qui elle-même s'impose aux fabricants, et ainsi de suite. La dépendance au sentier, voilà comment cela s'appelle : des décisions passées rendent difficile de prendre un autre chemin que celui dans lequel on s'est engagé. Une fois engagé dans une voie, celle de l'organisation du marché par des catégories sexistes, il devient extrêmement difficile d'en sortir. Les économistes aiment à parler de situations d'équilibre : en voici, non pas produite par l'égalisation de l'offre et de la demande, mais par la façon dont l'une et l'autre se fabriquent mutuellement.
Les conditions d'un tel équilibre sont cependant propre au marché des jouets : elles résident à la fois dans le fait que le jouet est un vecteur de socialisation et qu'il existe une certaine co-production du bien. Les consommateurs, parents et enfants, construisent une partie du sens prêté aux jouets en les achetant et en les utlisant, l'investissement émotionnel et personnel dans ceux-ci étant fort. C'est la même chose sur le marché des comics, par exemple, où les lecteurs, rassemblés dans le "fandom", collaborent presque avec les producteurs : les histoires et les personnages sont réinterprétés, fortement commentés, souvent redessinés, de telle sorte que les créateurs peuvent observer et tenir compte de ce qui passe ou ne passe pas chez les lecteurs. Sans surprise dans ce marché également très sexuées, les femmes ont du mal à se faire entendre : c'est que pour un éditeur, répondre à leurs demandes, c'est prendre le risque de s'aliéner son public captif masculin. Dépendance aux sentiers encore une fois.
Que faudrait-il alors pour transformer le marché des jouets (ou celui des comics d'ailleurs) dans une voie moins sexiste ? Des mobilisations existent, comme en témoigne celle de Osez le féminisme !. Elles sont le bienvenues. Mais si vous êtes un lecteur régulier du blog, vous savez de quoi on a besoin lorsque l'on veut faire bouger les structures économiques : de la force d'une prophétie, de la puissance du charisme. Il faut un acteur avec une autorité suffisamment forte pour pouvoir transformer les règles du jeu. Cela n'a pas à être un individu seul : le charisme, parce qu'il est une construction sociale, peut être celui d'un groupe, d'une entreprise ou d'un mouvement social. Le mouvement féministe, s'il veut être efficace ici, doit trouver une telle force. La dénonciation n'est qu'une étape : il faut maintenant promettre des jours meilleurs. Et s'intéresser au fonctionnement de l'économie des jouets, dans laquelle réside les principaux mécanismes qui conduisent au sexisme.
9 commentaires:
J'imagine que d'ici quelques années on verra émerger un industriel "visionnaire" qui proposera une ligne de jouets "gender neutral". Il y a bien sur eu quelques initiatives dans le domaines, notament des détournements de l'emblématique Barbie qui ont fini par être plus ou moins récupérés, avec le lancement de la Barbie ingénieur informaticien, en particulier. Cependant cette Barbie était une édition limitée, parce qu'il y a toujours tout de même une présomption que le véritable argent est dans les Barbies princesses ou fashionista...
Ce combat, mené au nom du politiqument correct dans les année s 1980/1990 a quelque peu été abandonné depuis le début du siècle. Il pourrait réémerger dans cette nouvelle décennie.
Ce qui est le plus intéressant dans toute cette réflection, cependant, c'est peut-être ça : si les "marchés" contribuent à créer les segments et niches qu'ils utilisent pour cibler les enfants, contribuent-ils aussi à diviser les adultes ? Par exemple : une grosse classe moyenne informe, pour le marketing, c'est inutile. Des catégories plus gérables de "précaires" d'un côté et de "riches" de l'autre, c'est plus intéressant, ça donne des opportunités de différenciation pour de l'offre.
Votre deuxième paragraphe impliquerait que le marketing décide des rémunérations des travailleurs. Je pense que c'est beaucoup exagéré son pouvoir au sein des entreprises ou les capacités de calculs et d'alliances de celles-ci. Et il ne faut pas perdre de vue que ces structures s'imposent aux entreprises : elles ne les choisissent pas, même lorsqu'elles contribuent à les construire et à les maintenir.
Oui, dit comme ça, ça fait un peu "théorie du complot", effectivement. Si le marketing a participé à la "fin" de la classe moyenne, c'est peut-être en donnant envie à tous de tant de possession que même les plus riches se sentent souvent pauvres... et donc moins solidaires. Enfin, il y a probablement plusieurs façon d'expliquer ça, ce n'est qu'une petite théorie pensée le temps d'un commentaire de blog.
"On est face à un mécanisme d'auto-renforcement : l'offre de jouet sexiste modèle une demande de jouets sexués qui elle-même s'impose aux fabricants, et ainsi de suite"
Mouais... Si tu parles de la demande enfantine, c'est sans doute vrai (Mona Zegai a des résultats d'enquête tout à fait parlants en ce sens). Mais il y a aussi les parents, qui ont forcément une idée du type de jouet (sexué ou non) qui convient à leur enfant. Et je ne sais pas, d'abord, si les parents actuels sont nécessairement demandeurs de jouets non genrés (au feeling je dirai qu'une minorité le sont, et qu'on les trouve dans des milieux plutôt diplômés). Ensuite, dans l'hypothèse où les parents demandent (ou se satisfont) de jouets genrés, est-ce nécessairement que leurs préférences ont été modelées par l'offre ? Qu'est-ce qui prouve que ce n'est pas la demande qui a fait évoluer l'offre ? Ou que, dans le mouvement circulaire que tu décris, la demande n'est pas venue en premier ?
Je n'ai pas la réponse, évidemment, mais je ne prêterai pas autant de pouvoir au marketing sans résister un petit peu ;=). Les travaux de M. Zegai semble en tout cas indiquer que, pour les professionnels du jouet, le sexisme vient de la famille, soit que l'organisation familiale soit sexiste et que les enfants cherchent à reproduire ça ; soit que les parents eux-mêmes soient mal à l'aise avec les jouets non-genrés. Ce dernier constat m'a été livré par une connaissance qui a bossé chez Meccano, et me disait qu'ils avaient lancé il y a quelques années, des produits neutres et que les retours avaient été très négatifs de la part des adultes...
Autre point important me semble-t-il : les jouets contemporains se veulent quasiment toujours "réalistes" : il s'agit de faire comme les grands (passer l'aspirateur comme maman, bricoler comme papa).
Là aussi, le contraste est saisissant avec la publicité Légo de 1981, qui valorise explicitement l'imagination (Slogan "What it is is beautiful" + les petits caractères présentant l'idée - étonnante aujourd"hui - que le réalisme est réservé aux 7-12 ans).
Peut-être est-ce là le signe qu'on voit de plus en plus les enfants comme des petits adultes (ce dont la pression scolaire pourrait être un autre indice). et que donc il faut qu'ils apprennent dès le plus jeune âge le "genre" auquel ils sont destinés, plutôt que de laisser flotter une indétermination potentiellement nocive ?
Bon c'est une pure hypothèse que je soumets à la sagacité des lecteurs ! ;=).
@XavierM : Mon billet ne traite pas vraiment de la question de savoir qui, de l'offre ou de la demande, est première dans le mouvement de division sexuée et de sexualisation. J'essaye plutôt de montrer qu'une fois mis en place, cette distinction est résistante et qu'elle tire, en quelque sorte, sa force d'elle-même. Cela ne se résume pas au marketing : Cochoy parlerait plutôt, je pense, du "packaging" par exemple. En divisant l'espace des rayons en "pour filles" et "pour garçons", on rend plus difficile les comportements "déviants" ou neutres (sans les interdire) et on décourage la production de jouets qui ne trouveraient pas leur place sur les étals. Dans cet exemple, il n'y a besoin ni de pubs, ni de manipulation des esprits !
Ok, je vois - et je souscris !
La question reste entière cependant : pourquoi le monde du jouet est-il de plus en plus genré ? Simple stratégie marketing ? Demande parentale (ou refus de jouets indifférenciés) ? Vulgarisation de théories "sexistes" sur le développement de l'enfant ?
C'est d'autant plus dérangeant à lire que Lego a "raison".
En effet, bien qu'ayant beaucoup aimé les Lego dans mon enfance, je n'ai jamais envisagé d'en faire un cadeau pour une petite fille... Jusqu'à ces versions "filles".
Le travail doit donc aussi se faire coté consommateurs... À commencer par moi-même.
Y'a du boulot!
yannick
Justement, je me demande si le marché du jouet est effectivement devenu plus gendré. OK, l'exemple LEGO est criant, mais est-ce qu'il se généralise ? i.e. les enfants craquent-ils moins pour les jeux "unisexe" ou destinés à l'autre genre que par le passé ?
Ça serait marrant de faire de petites stats sur les lecteurs pour voir si :
1/ La distribution a segmenté ses rayons selon le sexe ou si c'est comme ça depuis longtemps.
2/ Dans les différentes catégorie de gamins comparables, les filles et les garçons ont plus ou moins de jouets identiques que par le passé. Ça c'est dur à savoir.
Dans mon cas (28 ans et pas de gamins, donc je n'aurai pas une réponse récente au 2/. Hé hé.)
1/ Les magasins de jouets et les grandes surfaces où je benchmarkais ma lettre au père noël étaient déjà gendrés à la fin des années 80. En tout cas, dans mes souvenirs, il y a une moitié du linéaire carrément rose et pas l'autre.
2/ De mémoire, je dirais que 1/3 de mes amiEs jouaient à des jeux "unisexe" comme les Playmobil ou des jeux "garçons" à la Street Fighter. Par contre, des garçons jouant avec des jouets typés "fille", je ne vois pas. À part les usages détournés du style "torturons la princesse"... Bon, c'est super biaisé : on parle de ses jouets d'enfant avec ses amis d'adulte, donc les facteurs CSP jouent pleine balle.
Y a-t-il des parents dans la salle pour nous dire ce qu'il en est maintenant ?
"Par contre, des garçons jouant avec des jouets typés "fille", je ne vois pas. À part les usages détournés du style "torturons la princesse" [...]
Y a-t-il des parents dans la salle pour nous dire ce qu'il en est maintenant ?"
Le sujet n'est pas tout récent, mais comme je passais par là... Mon fils aîné va sur ses 3 ans mais n'est pas encore en maternelle (ce point est fort important, puisque j'ai pu voir avec des enfants d'amis que l'apprentissage du sexisme fait un bon en avant à l'entrée à l'école). Nous avons récupéré beaucoup de jouets tant de ses cousins que de ses cousines et il joue avec des enfants de tout sexe. Je ne dirais pas que nous ne l'avons pas influencé du tout dans ses choix (déjà parce que c'est impossible), vu que certains jouets nous parlent plus que d'autres (par exemple, j'adore les légos mais les poupées me gonflent), mais jamais nous n'avons parlé devant lui de "jouets de fille/de garçon" (j'exècre ces expressions).
Résultat, il joue indifféremment avec des jouets classiquement tagués fille ou garçon. Son jouet favori a été pendant longtemps une poussette où il installait une poupée. Le premier jouet qu'il a véritablement demandé a été un balais et sa pelle après m'avoir vu en passer un vrai. Comme il faisait semblant de faire à manger, nous lui avons acheté une cuisinière et il y joue très régulièrement. Quand il nous voit faire le ménage, il veut absolument faire de même. Quand ses cousines l'ont déguisé en lui mettant une robe et des noeuds dans les cheveux, il trouvait ça aussi amusant qu'un déguisement de lion (et il demande parfois qu'on lui fasse une robe avec sa serviette). À côté de ça, il a une passion pour les trains et les légos, ainsi que d'autres jouets "neutres" ou "garçon".
En somme, vu que personne ne lui a jamais dit : "Tu es un garçon donc ces jouets sont pour toi, ceux-là sont pour les filles", il ne suit tout simplement pas ces codes. D'ailleurs, comme personne ne lui a jamais dit "Tu es un garçon et c'est donc ton père que tu dois imiter", il m'imite autant moi que ce dernier dans ses jeux. Je le vois aussi dans une ludothèque que je fréquente : les enfants en bas âge aiment tous jouer globalement aux mêmes choses, sauf quand un référent adulte intervient pour lui dire "Non, ce n'est pas pour toi".
Ce qui est intéressant à voir avec son petit frère de 1 an, c'est que lui aussi aime des jouets sans considération pour les tags sexués classiques, sans pour autant jouer avec les mêmes choses (à âge équivalent, s'entend). En somme, ils développent une personnalité où leur sexe/genre/zizi n'est pour l'instant pas discriminant. J'avoue que j'appréhende ce que l'école va leur apprendre en matière de conformisme genré...
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