Un syndrôme Luc Châtel ?
Outre Atlantique, les économistes blogueurs se lancent dans une petite guerre pour savoir si les inégalités de réussites scolaires sont génétiques ou pas - très bons résumés en français chez Rationalité Limitée et Olivier Bouba-Olga. En cause, un post de Greg Mankiw qui évoque le QI comme "variable cachée" expliquant à la fois les inégalités de richesses et les inégalités scolaires... En gros, si les riches sont riches, c'est parce qu'ils sont intelligents et l'école sert juste à enregistrer cela.
Pendant ce temps, sur le Global Sociology Blog, on adopte une surprise toute feinte : ce genre de résultat, les sociologues y sont eux habitués. Et contrairement aux économistes, ils prennent en compte l'aspect historique de ces inégalités : il y a de la reproduction sociale là-dessous. Mine de rien, il y a une vraie différence entre sociologues et économistes : ces derniers s'interrogent sur la part du génétique sans se poser la question de savoir si l'intelligence telle qu'elle est mesurée par les tests de Qi n'est pas elle-même une donnée sociale. Et si la structure sociale et l'histoire modelaient les individus beaucoup plus que les économistes le pensent ?
Pas de conclusion hâtive
Toujours sur le même thème, Marginal Revolution pense clore le débat en proposant un graphique montrant que l'effet du revenu des parents s'appliquent aux enfants biologiques et pas aux enfants adoptées. Tout cela serait donc génétique, même si ce n'est pas vraiment le QI qui joue... Ou pas. On peut encore douter de la conclusion. En commentaires, certains évoquent l'âge de l'adoption : à moins que tous les enfants adoptés le soient dès la naissance, on peut penser que les premières années de socialisation sont importantes. Mais on peut rajouter bien d'autres facteurs. Par exemple, les enfants adoptés peuvent être issus de pays étrangers, ce qui peut être physiquement visibles : n'enregistre-t-on pas alors les effets de la discriminations envers les petits asiatiques par exemple ? De même, l'auteur du billet repousse un peu trop vite l'idée d'une différence de traitement entre enfants "biologiques" et enfants "adoptés" au sein de la famille : après tout, très peu de parents pensent traiter différemment filles et garçons, mais les enquêtes montrent que c'est pourtant le cas... Et puisqu'il évoque non le QI mais la "personnalité", on peut se demander si le fait de se savoir ou d'apprendre que l'on est adopté ne joue pas un rôle dans celle-ci. Il faudrait un peu plus de sociologies et d'enquêtes pour donner sens à toutes ces corrélations.
Un peu de sociologie de la médecine
A l'occasion des débats autour de la réforme du système de santé américain, la blogosphère sociologique multiplie les posts et les analyses. Et ils jettent souvent des regards vers l'Europe...
Brooke Harrington, sur l'excellent Economic Sociology, évoque les liens entre l'argent et les soins - le care - des deux côtés de l'Atlantique. Une conclusion très intéressante, que je traduis ici :
Les systèmes de santé français et allemands ont autre chose en commun : ils impliquent tous les deux de l'argent (en fait, ils sont même assez coûteux), mais les personnes qui en bénéficie semble tout à fait satisfait de payer pour les soins qu'ils reçoivent, que ce soit de leur poche (comme moi) ou au travers d'impôts, de cotisations et d'assurances (comme la majorité). Une bonne raison réside dans la qualité des soins : généralement, les gens sont prêts à payer lorsqu'ils sentent qu'ils en ont pour leur argent. Dans le même temps, dans les deux systèmes, la question du payement est tenu physiquement séparée des soins proprement dits.
Je soutiens que cette ségrégations du "business" et du "care" dans les services médicaux n'est pas sans lien avec l'expérience de la qualité et de la valeur qu'ont les patients. Ne pas avoir à s'embêter avec des questions d'argents quant vous arrivez chez le médecin ou aux urgences fait une grande différence pour le patient. J'espère que les Américains pourront vérifier selon par eux-mêmes, chez eux, plutôt que d'avoir à venir jusqu'en Europe pour faire l'expérience de cette énorme différence qu'un tout petit changement peut faire
Notons bien qu'il n'est pas question ici de la qualité effective des soins, mais de la disposition des individus à payer et de la façon dont ils valorisent les soins. On peut penser dès lors penser que le débat aux Etats-Unis, dont la violence étonne parfois les Européens, doit beaucoup à une mauvaise perception des soins du fait de leur trop grande proximité avec l'argent...
A lire aussi : Patient Safety - Canada and France sur le blog de Daniel Little.
Penser en sociologue
Les fidèles lecteurs connaissent ma sensibilité sur cette question. Une petite interview croisée entre une sociologue et un psychiatre donne une bonne illustration de la façon particulière de penser des sociologues : là où le psychiatre explique les problèmes des adolescents et leur perception en se référant à un modèle général de développement, la sociologue met l'accent sur l'inscription sociale des individus, la spécificité historique de la situation, etc. Une lecture commenté sur le Global Sociology Blog (quoi, encore ? Bah oui).
Toujours sur le même thème, sur un autre excellent blog, collectif cette fois, un post qui propose quelques règles pour penser en sociologue : How to think like a sociologist sur Everyday Sociology Blog. Des principes assez généraux, mais qui sont effectivement la base de toute approche scientifique des faits sociaux. On y souligne notamment les rapports entre la sociologie et la pensée critique, non pas au sens de "critique sociale" mais au sens "d'esprit critique" :
Prenez votre série télé préférée par exemple : si vous pensez comme un sociologue, vous pourrez observer qu'elle présente une vision un peu biaisé des crimes , ou ne met en scène que des Blancs ou des femmes incroyablement minces. Si vous ne pensez pas comme un sociologue, vous ne voudrez peut-être même pas être conscient de tout cela parce que vous aimez beaucoup cette série et que vous voulez continuer à la regarder.
En pensant comme un sociologue, vous pourrez la comprendre comme le produit d'une industrie du divertissement bien particulière et vous aurez alors envie de savoir coment les décisions y sont prises (comme l'a fait William Bielby). Les sociologues peuvent à la fois comprendre quelque chose plus profondément et continuer à en profiter.
2 commentaires:
À noter aussi que l'origine ethnique peut servir de variable : on trouvera une thèse sur le sujet ici : http://dtl.unimelb.edu.au/view/action/singleViewer.do?dvs=1251665849131~946&locale=fr_FR&search_terms=SYS%20=%20000021492&adjacency=N&application=DIGITOOL-3&frameId=1&usePid1=true&usePid2=true
Par ailleurs, j'ai le souvenir d'une enquête anglaise dont je ne me souviens plus l'origine sur les inégalités ethniques en Grande Bretagne. Le résultat intéressant que j'avais retenu, c'était que les enfants des minorités d'origine asiatique avaient des résultats scolaires (ou bien réussissaient à des tests standards) aussi bien que les enfants britanniques blancs. Ce n'était pas le cas des enfants d'origine indienne.
Il y a donc toute une recherche en terme d'habitus à réactualiser ou bien en terme de code pour parler comme Basil Bernstein.
"Dans le même temps, dans les deux systèmes, la question du payement est tenu physiquement séparée des soins proprement dits."
Il y a une erreur ici : en médecine de ville, on paie directement le praticien en fin de séance (paiement à l'acte et colloque singulier médecin-patient). C'est à l'hôpital où l'on ne présente pas son chéquier.
La vraie différence, c'est qu'en France, on ne voit jamais les bureaucraties assurantielles, les personnels des CPAM/CRAM, etc. On a peu de contact direct avec sa caisse, et il y en a peu (trois régimes plus les spéciaux). Il y a en a beaucoup plus en Allemagne.
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