Dans le dernier billet, au milieu de mon énervement - pour lequel je ne m'excuserais que lorsque sera reconnue l'indécence des attaques contre le genre - j'ai proposé ma traduction de l'expérience de la boîte qu'utilise Michael Schawble dans son introduction à la sociologie The Sociologically Exmanined Life (j'ai une passion coupable pour les introductions à la sociologie, j'en fais la collection). Je me suis dit qu'elle méritait peut-être deux ou trois explications pour ceux qui voudraient en faire usage auprès de leurs proches. Je complète donc ici l'argumentaire qu'elle recouvre.
Cette expérience, on l'aura compris, est une expérience de pensée : elle n'a jamais été vraiment menée. Il y aura toujours quelqu'un pour protester à ce propos. Pourtant, les expériences de pensée sont courantes dans toutes les sciences : Galilée n'a jamais jeté d'objets depuis la tour de Pise, mais il a montré que si on suivait les connaissances de son temps, on arrivait à un résultat absurde - les objets attachés devant à la fois tomber plus vite et moins vite ; Einstein n'a jamais pris l'ascenseur vers l'espace il n'en base pas moins une partie de son raisonnement sur ce qui s'y passerait ; Schrödinger n'a jamais enfermé de chat dans une boîte, cette situation célèbre lui servant juste à montrer les impasses de certains raisonnements de la physique quantique.
L'expérience de la boîte est de cette nature : elle nous met en garde contre des erreurs de raisonnement qui sont, autrement, courantes. Il est facile de se laisser aller à dire que c'est notre "nature" ou nos gènes qui font que nous faisons ceci ou cela. Il est facile de se dire que l'on est né ainsi. En confrontant chacune de ces idées à l'expérience de la boîte, nous nous confrontons à un problème, et nous sommes donc obligé d'aller chercher de meilleures réponses.
Prenons un exemple : de nombreux parents constatent que leurs filles et leurs garçons se comportent différemment, et cela alors même qu'ils pensent leur donner la même éducation, voire même alors qu'ils découragent leurs filles de porter du rose. Ils en concluent alors qu'il y a du "naturel" là-dessous. Mais si on confronte cela à l'expérience de la boîte, on se rend compte qu'il y a un problème : si c'était le cas, on devrait pouvoir imaginer qu'un femme sortant de la boîte au bout de 18 ans se jette sur les jupes roses de princesse... Et cela nous semble ridicule. On peut alors prendre conscience que les enfants ne sont, justement, pas élevés dans une boîte constituée par leur parent ou leur famille : ils sont soumis à énormément d'influence, des médias, de l'école, des amis, etc. D'ailleurs, on devrait se souvenir que, même dans les éducations les plus égalitaires, le sexe de l'enfant lui est proposé comme première identité : "tu es une fille", "tu es un garçon"... On ne devrait pas s'étonner qu'à partir de cette simple information, l'enfant soit plus sensible à ce que d'autres lui diront être "pour les filles" ou "pour les garçons", ni qu'en arrivant à l'école, dans ce monde inconnu et étrange, il cherche d'abord la compagnie de ceux qui se sont vus donnés la même identité que lui.
Prenons un autre exemple : je suis hétérosexuel. D'aussi loin que je me souvienne, je l'ai toujours été. Il m'est même impossible de me souvenir du moment où je me suis rendu compte que j'étais hétérosexuel. Peut-être que je peux retrouver le moment où je me suis senti pour la première fois attiré sexuellement par une femme - et encore, je dois dire que je n'en garde pas trace dans ma mémoire. Mais, visiblement, cela ne m'a pas choqué plus que ça : ça allait de soi. Il me serait donc facile de conclure que je suis né comme ça. Et je pourrais même aller jusqu'à penser que, puisque d'autres se souviennent du moment où ils ont pris conscience de leur homosexualité, puisque cette prise de conscience a été pour eux un choc, une rupture dans leur biographie, c'est que leur homosexualité n'est peut être pas si naturelle que ça. Une étrangeté, une maladie peut-être...
Mais, voilà, je peux confronter mon hétérosexualité à l'expérience de la boîte. Supposons qu'à 18 ans, on me sorte de la boîte et que l'on me mette en présence d'un humain de sexe féminin : quelle serait ma réaction ? Aurais-je immédiatement envie d'avoir des relations sexuelles avec elle ? Il apparaît clairement que non. Je ressentirais sans doute de la peur ou de l'incompréhension face à cet être étrange. S'il m'est donné d'examiner son corps, je constaterais des différences avec le mien : est-ce que j'y réagirais par du désir ? Cela semble peu probable.
Je peux alors comprendre que mon hétérosexualité demande beaucoup d'apprentissages, et que ceux-ci se passent hors de mon corps, et donc hors de la boîte : il faut que j'ai appris qu'il existait des individus mâles et femelles, il faut que j'ai appris à classer le monde en deux catégories - les hommes et les femmes - et que j'ai appris à les reconnaître. En effet, imaginons que, sortant de la boîte, je ressente un émoi sexuel devant une autre personne. Je vais attribuer cet émoi à cette personne en tant que singularité. Je n'ai aucune raison a priori d'attribuer cet émoi à une caractéristique abstraite de cette personne comme son sexe plutôt qu'à sa singularité - ou à toute autre caractéristique : après tout, c'est peut-être la couleur de ses cheveux ou la forme de ses yeux qui fait naître en moi cette sensation. Pour que je sois capable d'attribuer cette sensation au sexe de l'autre, ce qui revient à passer de l'idée de "je suis excité par cette personne" à "je suis excité par les personnes de ce sexe", il faut qu'existe au préalable en moi la connaissance de la diversité des caractéristiques physiques et le sentiment que c'est bien celle-ci qui importe. Autant de choses que je ne peux connaître en sortant de la boîte : je dois les avoir apprises.
Ce type de raisonnement est ce qu'Howard Becker appelle de "l'induction analytique" : il s'agit de reconstituer le processus nécessaire pour arriver à un résultat donné. La situation est en outre proche du cas qu'il prend en exemple, et qu'il emprunte à un travail classique de Lindesmith : pourquoi certaines personnes qui se voient administrés des opiacés ne deviennent-elles pas toxicomanes ? Parce que ces substances leur sont administrés dans un cadre médical, pour les soulager de leur douleur, sans qu'ils en soient conscients. Ils développent bien, au plan physique, les symptômes du manque - maux de tête, nez qui coule, souffrances diverses, etc. - mais ne les interprètent pas comme un signe de manque de drogue mais comme les symptômes d'une maladie, d'un état de fatigue ou autre. Et donc, ils ne deviennent pas toxicomanes, c'est-à-dire n'adoptent pas les comportements d'un toxicomane, à commencer par la recherche de drogue, et encore moins l'identité de celui-ci. Ce qui leur manque pour devenir toxicomane, c'est l'apprentissage d'un rôle et d'une technique : savoir reconnaître les effets de la drogue, savoir comment les interpréter, savoir comment se procurer une dose, construire son identité autour de la drogue.
Notons bien ce point : un état physique réel ne décide pas seul d'un comportement social. Tout dépend du contexte dans lequel il intervient et donc de la façon dont l'individu va interpréter les signaux de son propre corps. Cela devrait être clair pour toutes les personnes qui ont un jour dit "c'est marrant, la téquila, ça me fait pas du tout d'effet" avant de se réveiller avec un gros trou noir dans la tête et beaucoup de choses embarrassantes sur Facebook. C'est qu'il faut aussi apprendre à reconnaître les symptômes de l'alcool... De la même façon qu'il apprendre à reconnaître et interpréter les situations d'excitation sexuelle. De ce point de vue, les catégories "hétérosexuel/homosexuel" fournissent un cadre cognitif que nous mobilisons au moment de notre apprentissage des choses de la vie et de l'amour et par rapport auquel nous sommes sommés de nous situer. Il est donc extérieur à nous, extérieur à la boîte, et deux individus pourraient bien avoir les mêmes émois que ceux-ci n'auraient pas les mêmes effets sur leurs comportements selon qu'ils se trouvent à l'intérieur ou à l'extérieur de la boîte. Et si une confirmation était encore nécessaire, il suffirait noter que ce cadre a connu des variations historiques : dans l'antiquité romaine, le cadre cognitif mobilisé était très différent, la catégorie "hétérosexuel", comprise comme un comportement sexuel uniquement tournée vers l'autre pôle de la partition homme/femme, est une invention finalement assez récente...
Soyons clair : l'expérience de la boîte ne dit pas qu'il n'y a pas une condition humaine biologique particulière. Par exemple, la capacité à apprendre un langage est instinctive. Mais elle souligne que ces données n'existent et ne prennent sens que dans un contexte social particulier. D'ailleurs, dans les cas où des enfants ont pu être élevé dans une situation proche de celle de l'expérience, la conclusion montre qu'une capacité "biologique" comme l'apprentissage du langage disparaît si elle ne rencontre pas les expériences sociales adéquates - et en fait, le plus probable est qu'un individu soumis à un tel régime meurt... et sa biologie n'y peut pas grand chose. En fait, notre condition biologique définit sans doute simplement notre capacité à bénéficier des apprentissages sociaux : la nature de l'homme, c'est d'apprendre.
De là, on pourrait en venir à conclure que, finalement, nature et culture vont de pair, qu'il faut croiser les deux, qu'en toute chose, il faut être mesuré, et que finalement, on conviendra bien que, bon, d'une façon ou d'une autre, ok, si ça vous amuse, il y a de l'apprentissage, mais quand même, c'est un petit biologique, n'est-ce pas, allez, on est tous d'accord. Et au moment où vous arriverez à cette conclusion, vous m'entendrez vous répondre "non". Certes, l'expérience de la boîte ne permets pas d'exclure totalement une influence biologique sur nos comportements. Mais elle rappelle aussi qu'il n'y a aucune raison de l'inclure a priori. L'influence de données biologiques, génétiques ou autres sur le comportement ne va jamais de soi. Le viol est avant tout un comportement masculin, et ceux dans toutes les sociétés ? Certes, mais l'expérience de la boîte nous permet de comprendre qu'il n'est pas nécessaire d'attribuer cela à une donnée biologique chez les individus de sexe masculin. Ce n'est pas impossible, mais si vous voulez défendre cette idée, il va falloir de très sérieux arguments. Il va falloir expliquer très précisément ce qui joue, pourquoi, comment. Autrement, armé du bon vieux rasoir d'Ockham, on se passera d'une variable supplémentaire et vaine... Et dans tous les cas, on ne l'acceptera pas parce que "ça doit bien jouer quand même".
Pour faire l'expérience que je vais décrire, nous aurions besoin d'une paire de nouveau-nés, des vrais jumeaux. Nous aurions aussi besoin d'une grande boîte dans laquelle un des jumeaux pourrait vivre sans aucun contact avec un autre être humain. La boîte devrait être telle qu'elle lui fournirait à boire et à manger, et évacuerait les restes, de façon mécanique. Elle devrait aussi être opaque et isolée, de telle sorte qu'il ne puisse y avoir d'interactions au travers de ses parois.
L'expérience est simple : un des enfants est élevé normalement et l'autre est mis dans la boîte. Au bout de dix-huit ans, on ouvre la boîte et on compare les deux enfants pour voir s'il y a quelques différences entre eux. S'il y en a, nous pourrons conclure que grandir avec d'autres personnes a son importance. Si les deux enfants sont les mêmes au bout de dix-huit ans, il nous faudra conclure que la socialisation (ce que l'on apprend en étant avec d'autres personnes) n'a que peu d'importance et que la personnalité est génétiquement programmée.
Vous vous dites sans doute « Bien sûr que la socialisation fait une différence ! Il n'y a pas besoin d'élever un enfant dans une boîte pour prouver cela ! ». Mais il y a beaucoup de gens qui disent que ce qu'une personne devient dépend de ses gênes. Si c'est vrai, alors cela ne devrait pas avoir d'importance qu'un enfant soit élevé dans une boîte. Son patrimoine génétique devrait faire de l'enfant ce qu'il ou elle est destiné(e) à être, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de la boîte. [Note : cette traduction est la mienne. Traduire étant un vrai métier, il y a sans doute des imperfections]
Cette expérience, on l'aura compris, est une expérience de pensée : elle n'a jamais été vraiment menée. Il y aura toujours quelqu'un pour protester à ce propos. Pourtant, les expériences de pensée sont courantes dans toutes les sciences : Galilée n'a jamais jeté d'objets depuis la tour de Pise, mais il a montré que si on suivait les connaissances de son temps, on arrivait à un résultat absurde - les objets attachés devant à la fois tomber plus vite et moins vite ; Einstein n'a jamais pris l'ascenseur vers l'espace il n'en base pas moins une partie de son raisonnement sur ce qui s'y passerait ; Schrödinger n'a jamais enfermé de chat dans une boîte, cette situation célèbre lui servant juste à montrer les impasses de certains raisonnements de la physique quantique.
L'expérience de la boîte est de cette nature : elle nous met en garde contre des erreurs de raisonnement qui sont, autrement, courantes. Il est facile de se laisser aller à dire que c'est notre "nature" ou nos gènes qui font que nous faisons ceci ou cela. Il est facile de se dire que l'on est né ainsi. En confrontant chacune de ces idées à l'expérience de la boîte, nous nous confrontons à un problème, et nous sommes donc obligé d'aller chercher de meilleures réponses.
Prenons un exemple : de nombreux parents constatent que leurs filles et leurs garçons se comportent différemment, et cela alors même qu'ils pensent leur donner la même éducation, voire même alors qu'ils découragent leurs filles de porter du rose. Ils en concluent alors qu'il y a du "naturel" là-dessous. Mais si on confronte cela à l'expérience de la boîte, on se rend compte qu'il y a un problème : si c'était le cas, on devrait pouvoir imaginer qu'un femme sortant de la boîte au bout de 18 ans se jette sur les jupes roses de princesse... Et cela nous semble ridicule. On peut alors prendre conscience que les enfants ne sont, justement, pas élevés dans une boîte constituée par leur parent ou leur famille : ils sont soumis à énormément d'influence, des médias, de l'école, des amis, etc. D'ailleurs, on devrait se souvenir que, même dans les éducations les plus égalitaires, le sexe de l'enfant lui est proposé comme première identité : "tu es une fille", "tu es un garçon"... On ne devrait pas s'étonner qu'à partir de cette simple information, l'enfant soit plus sensible à ce que d'autres lui diront être "pour les filles" ou "pour les garçons", ni qu'en arrivant à l'école, dans ce monde inconnu et étrange, il cherche d'abord la compagnie de ceux qui se sont vus donnés la même identité que lui.
Prenons un autre exemple : je suis hétérosexuel. D'aussi loin que je me souvienne, je l'ai toujours été. Il m'est même impossible de me souvenir du moment où je me suis rendu compte que j'étais hétérosexuel. Peut-être que je peux retrouver le moment où je me suis senti pour la première fois attiré sexuellement par une femme - et encore, je dois dire que je n'en garde pas trace dans ma mémoire. Mais, visiblement, cela ne m'a pas choqué plus que ça : ça allait de soi. Il me serait donc facile de conclure que je suis né comme ça. Et je pourrais même aller jusqu'à penser que, puisque d'autres se souviennent du moment où ils ont pris conscience de leur homosexualité, puisque cette prise de conscience a été pour eux un choc, une rupture dans leur biographie, c'est que leur homosexualité n'est peut être pas si naturelle que ça. Une étrangeté, une maladie peut-être...
Mais, voilà, je peux confronter mon hétérosexualité à l'expérience de la boîte. Supposons qu'à 18 ans, on me sorte de la boîte et que l'on me mette en présence d'un humain de sexe féminin : quelle serait ma réaction ? Aurais-je immédiatement envie d'avoir des relations sexuelles avec elle ? Il apparaît clairement que non. Je ressentirais sans doute de la peur ou de l'incompréhension face à cet être étrange. S'il m'est donné d'examiner son corps, je constaterais des différences avec le mien : est-ce que j'y réagirais par du désir ? Cela semble peu probable.
Je peux alors comprendre que mon hétérosexualité demande beaucoup d'apprentissages, et que ceux-ci se passent hors de mon corps, et donc hors de la boîte : il faut que j'ai appris qu'il existait des individus mâles et femelles, il faut que j'ai appris à classer le monde en deux catégories - les hommes et les femmes - et que j'ai appris à les reconnaître. En effet, imaginons que, sortant de la boîte, je ressente un émoi sexuel devant une autre personne. Je vais attribuer cet émoi à cette personne en tant que singularité. Je n'ai aucune raison a priori d'attribuer cet émoi à une caractéristique abstraite de cette personne comme son sexe plutôt qu'à sa singularité - ou à toute autre caractéristique : après tout, c'est peut-être la couleur de ses cheveux ou la forme de ses yeux qui fait naître en moi cette sensation. Pour que je sois capable d'attribuer cette sensation au sexe de l'autre, ce qui revient à passer de l'idée de "je suis excité par cette personne" à "je suis excité par les personnes de ce sexe", il faut qu'existe au préalable en moi la connaissance de la diversité des caractéristiques physiques et le sentiment que c'est bien celle-ci qui importe. Autant de choses que je ne peux connaître en sortant de la boîte : je dois les avoir apprises.
Ce type de raisonnement est ce qu'Howard Becker appelle de "l'induction analytique" : il s'agit de reconstituer le processus nécessaire pour arriver à un résultat donné. La situation est en outre proche du cas qu'il prend en exemple, et qu'il emprunte à un travail classique de Lindesmith : pourquoi certaines personnes qui se voient administrés des opiacés ne deviennent-elles pas toxicomanes ? Parce que ces substances leur sont administrés dans un cadre médical, pour les soulager de leur douleur, sans qu'ils en soient conscients. Ils développent bien, au plan physique, les symptômes du manque - maux de tête, nez qui coule, souffrances diverses, etc. - mais ne les interprètent pas comme un signe de manque de drogue mais comme les symptômes d'une maladie, d'un état de fatigue ou autre. Et donc, ils ne deviennent pas toxicomanes, c'est-à-dire n'adoptent pas les comportements d'un toxicomane, à commencer par la recherche de drogue, et encore moins l'identité de celui-ci. Ce qui leur manque pour devenir toxicomane, c'est l'apprentissage d'un rôle et d'une technique : savoir reconnaître les effets de la drogue, savoir comment les interpréter, savoir comment se procurer une dose, construire son identité autour de la drogue.
Notons bien ce point : un état physique réel ne décide pas seul d'un comportement social. Tout dépend du contexte dans lequel il intervient et donc de la façon dont l'individu va interpréter les signaux de son propre corps. Cela devrait être clair pour toutes les personnes qui ont un jour dit "c'est marrant, la téquila, ça me fait pas du tout d'effet" avant de se réveiller avec un gros trou noir dans la tête et beaucoup de choses embarrassantes sur Facebook. C'est qu'il faut aussi apprendre à reconnaître les symptômes de l'alcool... De la même façon qu'il apprendre à reconnaître et interpréter les situations d'excitation sexuelle. De ce point de vue, les catégories "hétérosexuel/homosexuel" fournissent un cadre cognitif que nous mobilisons au moment de notre apprentissage des choses de la vie et de l'amour et par rapport auquel nous sommes sommés de nous situer. Il est donc extérieur à nous, extérieur à la boîte, et deux individus pourraient bien avoir les mêmes émois que ceux-ci n'auraient pas les mêmes effets sur leurs comportements selon qu'ils se trouvent à l'intérieur ou à l'extérieur de la boîte. Et si une confirmation était encore nécessaire, il suffirait noter que ce cadre a connu des variations historiques : dans l'antiquité romaine, le cadre cognitif mobilisé était très différent, la catégorie "hétérosexuel", comprise comme un comportement sexuel uniquement tournée vers l'autre pôle de la partition homme/femme, est une invention finalement assez récente...
Soyons clair : l'expérience de la boîte ne dit pas qu'il n'y a pas une condition humaine biologique particulière. Par exemple, la capacité à apprendre un langage est instinctive. Mais elle souligne que ces données n'existent et ne prennent sens que dans un contexte social particulier. D'ailleurs, dans les cas où des enfants ont pu être élevé dans une situation proche de celle de l'expérience, la conclusion montre qu'une capacité "biologique" comme l'apprentissage du langage disparaît si elle ne rencontre pas les expériences sociales adéquates - et en fait, le plus probable est qu'un individu soumis à un tel régime meurt... et sa biologie n'y peut pas grand chose. En fait, notre condition biologique définit sans doute simplement notre capacité à bénéficier des apprentissages sociaux : la nature de l'homme, c'est d'apprendre.
De là, on pourrait en venir à conclure que, finalement, nature et culture vont de pair, qu'il faut croiser les deux, qu'en toute chose, il faut être mesuré, et que finalement, on conviendra bien que, bon, d'une façon ou d'une autre, ok, si ça vous amuse, il y a de l'apprentissage, mais quand même, c'est un petit biologique, n'est-ce pas, allez, on est tous d'accord. Et au moment où vous arriverez à cette conclusion, vous m'entendrez vous répondre "non". Certes, l'expérience de la boîte ne permets pas d'exclure totalement une influence biologique sur nos comportements. Mais elle rappelle aussi qu'il n'y a aucune raison de l'inclure a priori. L'influence de données biologiques, génétiques ou autres sur le comportement ne va jamais de soi. Le viol est avant tout un comportement masculin, et ceux dans toutes les sociétés ? Certes, mais l'expérience de la boîte nous permet de comprendre qu'il n'est pas nécessaire d'attribuer cela à une donnée biologique chez les individus de sexe masculin. Ce n'est pas impossible, mais si vous voulez défendre cette idée, il va falloir de très sérieux arguments. Il va falloir expliquer très précisément ce qui joue, pourquoi, comment. Autrement, armé du bon vieux rasoir d'Ockham, on se passera d'une variable supplémentaire et vaine... Et dans tous les cas, on ne l'acceptera pas parce que "ça doit bien jouer quand même".
Bonjour,
RépondreSupprimerComme souvent, post très intéressant et je suis d'accord avec ses conclusions (surtout le dernier paragraphe).
Toutefois, je trouve qu'il navigue (ou est-ce moi qui ai mal compris) entre deux idées différentes : avoir un comportement et avoir conscience de ce comportement comme étant tel type de comportement. Je veux dire : un tenant de l'ancrage biologique de la sexualité ne pourrait-il par répondre quelque chose comme "phéromone femelle+récepteur mâle=désir sexuel même à la sortie de la boîte", ce qui n'empêche pas que l'on dise ensuite (une fois la socialisation passée par là) que ce type de comportement est un comportement hétérosexuel que je décode comme tel, et non une attirance pour la singularité ou la forme des yeux, etc. (en somme, l'attirance est biologique à la sortie de la boite et on nomme ensuite ce type de comportement) ?
Je ne sais pas si ma question est claire mais en tout cas, je pense que l'argument de la boîte (tel que je le comprends) n'est pas décisif pour des comportements que certains qualifient de "primaires" (agressivité, attirance sexualité, etc.). D'ailleurs, à la sortie de la boîte on pourrait ressentir de la peur mais pas de l'attirance sexuelle ?
Merci en tout cas.
Bonjour,
RépondreSupprimerVotre billet m'inspire deux remarques.
Primo, cette expérience de pensée de Schawble se distingue d'autres que vous citez (par exemple celle de Schrödinger) en ce qu'elle vise à attaquer une idée du sens commun et non une théorie scientifique. Aucun généticien sérieux n'affirme qu'il y a un gène du viol, de l'homosexualité, ou de quoi que ce soit. ça c'est pour l'essentiel de la mauvaise vulgarisation scientifique, produite par une presse en recherche de sensationnel. Le ba.ba d'un cours de génétique est que le phénotype (l'ensemble des traits d'un organisme) est le produit de l’interaction entre son environnement et son génotype (l'ensemble de ses allèles, i.e ses variants de gènes). Il est par exemple absurde de prétendre qu'il puisse y avoir un gène de l'obésité, en effet privé de nourritures l'organisme porteur d'un allèle pro-obésité ne développera jamais le moindre surpoids mais mourra de faim. Ce raisonnement est reproductible pour n'importe quel trait. Il ne peut ainsi y avoir que des gènes de prédisposition.
Deuxio, il y a une excellente raison théorique de supposer que les traits comportementaux sont soumis à une influence génétique. Il serait hautement improbable que la sélection naturelle agissent sur presque tous nos traits (physiologiques, morphologiques, etc) et absolument pas sur les traits comportementaux. Les comportements sont produits par le système nerveux central, qui est un organe ayant été façonné au cours de l'évolution comme l'est n'importe quel autre. Du point de vue de la biologie évolutive, que les fonctions comportementales du système nerveux soient distinctes de toutes les fonctions biologiques des autres organes en ce qu'elles échapperait à la sélection naturelle serait une anomalie considérable ; celui qui prétend qu'il existe une telle anomalie du comportemental devrait non seulement solidement étayé le fait avec des données empiriques mais surtout lui fournir une explication théorique. Non seulement l'explication théorique fait défaut, mais en outre il y a de très nombreux résultats empiriques qui montrent que le fait lui-même n'existe pas. Je ne citerai qu'une seule étude, particulièrement spectaculaire, infirmant la thèse d'une non-détermination génétique des comportements sexuels, celle de Lim et al. (2004) publiée dans Nature. Elle montre que deux populations de campagnols, l'une monogame et l'autre polygame diffèrent par leurs allèles au niveau d'un seul gène. Corrélation n'étant pas causalité, les chercheurs ont inséré in vivo l'allèle prédisposant à la monogamie chez des sujets polygames, et bingo ! ils se mettent à adopter un comportement monogame.
Deux objections sont opposables à ce genre d'études. Une première, fort solide, n'est autre que ma première remarque vaut toujours. Ces comportements sont sous influence génétique et environnementale. En faisant varier des paramètres de l'environnement, on peut les altérer. Il n'empêche qu'il y a bel et bien une détermination génétique à l’œuvre pour ces comportements. La seconde, qui me semble bien plus faible, et que les humains ne sont pas des campagnols. Il n'y a certes pas à ma connaissance de résultats aussi solides chez l'humain mais que l'on n'est pas découvert une chose ne prouve pas son inexistence. D'un point de vue de biologie évolutive, que l'on est montré que chez des animaux non-humains une vaste gamme de comportements est soumise à une détermination génétique est une excellente raison de soupçonner qu'au moins certains comportements humains du même genre le sont aussi. Là encore, c'est à celui qui prétend affirmer une exceptionnalité de la justifier. Les humains partagent une importante histoire évolutive commune avec le reste du règne animal ; les sélections à l’œuvre sur les comportements de nos ancêtres communs avec le campagnol (ou autre) ont probablement laissé des traces chez nous. N'oublions pas que nous avons 90% de nos gènes en commun avec... la drosophile ou mouche du vinaigre ! Surtout, on peut aisément expliquer que nous n'ayons pas encore découverts de déterminisme génétique comparable pour les comportements humains. D'une part, il est impossible pour des raisons éthiques d'utiliser les méthodes employées chez l'animal (croisement sur plusieurs générations, transgenèse, etc) et d'autre part on peut avancer que si déterminisme génétique il y a chez l'humain, il est probablement plus complexe (non-correspondance linéaire 1 gène -> 1 comportement)
RépondreSupprimerMalgré ces remarques, je suis bien d'accord avec vous pour dire qu'il faut être fort prudent avant d'invoquer des facteurs génétiques pour expliquer le comportement humain. Mais, j'insiste, l'expérience de la boîte ne montre rien de pertinent. Si je mets un œuf fécondé dans une boite, il meurt. Dois-je en déduire qu'il n'y a aucune influence des gènes sur le développement ? Non. Dire que les gènes sont des conditions nécessaires du développement, y compris psychologique, (ce que prétendent les généticiens) n'est ni dire qu'ils sont des conditions nécessaires et suffisantes (ce que prétend une mauvaise vulgarisation) ni dire qu'ils ne sont ni l'une ni l'autre (ce que vous semblez prétendre).
Je ne sais pas si c'est le texte originel ou la traduction, mais il y a un problème d’ambiguïté à ce niveau : « Mais il y a beaucoup de gens qui disent que ce qu'une personne devient dépend de ses gênes. Si c'est vrai, alors cela ne devrait pas avoir d'importance qu'un enfant soit élevé dans une boîte. Son patrimoine génétique devrait faire de l'enfant ce qu'il ou elle est destiné(e) à être, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de la boîte. »
RépondreSupprimerSans doute mettre « ne dépend que de ses gènes », ou, mieux, préciser ce à quoi on s'intéresse spécifiquement (le comportement et non l'aspect physique, notamment) permettrait d'éviter l'ambiguïté des termes « devient » et « destiné à être ».
Il y a une coquille : « Le viol est avant tout un comportement masculin, et ceux dans toutes les sociétés ? »(ce et non ceux).
Du reste, il me semble que cette distinction entre l'apport génétique (nature) et social (culture) ne sert pas que la science mais aussi apparaît dans des argumentations pour justifier ou relativiser certains comportements – l'hétérosexualité, par exemple, fondée en nature (génétique) pourraient dire certains. Mais ce n'est une justification que dans la mesure où l'on admet que ce qui est naturel (génétique) est justifié en soi, ce qui est une position arbitraire.
Il est donc parfois plus pertinent de remettre en cause non pas l'affirmation d'une dépendance naturelle mais la conséquence implicite ou explicite qui en est la justification. Ça peut notamment être le cas dans les problèmes de genre, il me semble. Que par exemple l'homme serait prédisposé naturellement (génétiquement) au viol n'est pas une raison valable en soi pour autoriser le viol.
Désolé, ce n'est pas exactement une réponse à votre billet mais plus à l'application pratique de votre propos.
Merci pour ces deux commentaires. Je réponds un peu de façon commune.
RépondreSupprimerEffectivement, l'expérience de la boîte est avant tout à usage pédagogique : elle est très efficace en classe, ou devant un public peu au fait ou a priori peu sensible à ces questions. Je pense cependant qu'elle reste utile pour les chercheurs, car il est toujours facile de retomber dans ce que Victor appelle de la mauvaise vulgarisation, la thématique du "gène de quelque chose", qui parfois vient des chercheurs eux-mêmes. La garder dans un coin de sa tête ne me semble donc pas inutile.
Vos remarques portent ensuite sur la question de la place à accorder aux données génétiques. Effectivement, l'expérience de la boîte ne dit pas que ces données n'existent pas ou ne comptent pas (comme Victor me le prête : ce n'est pas dans le billet). Elle établit simplement l'existence d'un autre phénomène qui mérite d'être étudié en soi : appelons-le "le social" pour faire cours (Latour me pardonnera... et qu'il me pardonne ou non, après tout je m'en fous, j'ai déjà mon âme en peine, je suis un voyou). C'est déjà beaucoup. Mais elle souligne aussi que, pour bien des explications, le recours à la variable génétique/biologique n'est en soi pas utile. Cela ne veut pas dire qu'elle n'existe pas, mais qu'elle n'est pas une réponse au problème que l'on se pose. Je prends un cas simple. Certaines recherches portant sur le fonctionnement du cerveau humain tendent à montrer que celui-ci est capable de distinguer entre des ordres de réalité différents, par exemple entre un monde sacré et un monde profane. Cette capacité naturelle, peut-être (sans doute ?) un résultat de l'évolution, a pu être interprété comme une explication biologique à la religion. Mais qu'a-t-on expliqué exactement en formulant cela ? Pas grand chose. Pour ne pas dire rien : que le cerveau humain soit capable de penser la religion peut se déduire du simple fait qu'il existe des religions... Cela ne nous sert pas à grand chose pour comprendre pourquoi ces religions-là, comment elles évoluent, pourquoi il y a des athées, etc. Dans beaucoup de problème à résoudre, le passage par le biologique n'est pas utile. Cela ne veut pas dire que les travaux sur, par exemple, le fonctionnement du cerveau ne sont pas utiles dans l'absolu : simplement ils ne nous servent pas pour bien des questions.
Cela me permet de répondre à l'autre remarque de Victor concernant l'exceptionnalité de l'homme. J'y vois deux réponses. Premièrement, il ne me semble pas complètement absurde de penser que l'évolution ait pu en venir à sélectionner chez l'homme une capacité d'adaptation qui laisse ses comportements ouverts en bien des domaines. Le fait que le cerveau humain ne naisse qu'avec 10% des connexions neuronales établies - et qu'une partie de celles-ci puissent être influencé par le rapport avec l'environnement même dans le ventre de la mère - me semble pouvoir aller dans ce sens. Il y a alors bien détermination génétique, mais de notre capacité à apprendre. Deuxièmement, et de façon conséquente, la détermination génétique de nos comportements peut être suffisamment générale pour qu'il soit possible de l'extraire de bien des analyses. Par exemple, imaginons que l'homme partage le gène du campagnol. Il me semble que faire un lien mécanique "gène -> polygamie" est, même chez le campagnol, extrêmement simpliste. Le lien est sans doute plutôt du type (mais j'invente en grande partie) "gène -> sécrétion de plus d'hormone Z -> situations d'excitation sexuelle plus courante -> multiplication des partenaires sexuels". Supposons maintenant que l'être humain soit doté du gène Z. Nous avons donc une situation générale de l'humanité confronté à une certaine quantité d'hormone. Est-ce qu'on n'a besoin d'intégrer cela à l'analyse pour comprendre l'institution du mariage ? La réponse me semble non. Une fois de plus, cela n'empêche pas que le gène existe, qu'il a pu être sélectionné par l'évolution (ou, tout au moins, qu'il n'a pas été éliminé par elle...), mais pas très utile pour les problèmes en question.
RépondreSupprimer@1et1font3 : Vous n'avez pas tort pour la formulation. Je vais y réfléchir. Par contre, il faut noter que même les caractéristiques physiques peuvent être plus influencée par le social que par la génétique. C'est le cas par exemple de la taille, comme le montre Nicolas Herpin dans "Le pouvoir des grands".
Je ne comprends pas ce que vous voulez dire : la taille de quelqu'un varie en fonction des influences sociales qu'il reçoit plus que par son patrimoine génétique ? J'imagine que ce n'est pas ça, d'autant que rien dans le résumé du « Pouvoir des grands » ne parle d'un résultat aussi étonnant...
RépondreSupprimerApparemment le livre parle de l'influence de la taille sur le statut social. Je ne vois pas où l'on peut comparer en influences sociale et génétique sur la taille perçue comme caractéristique physique (hauteur). À moins de parler de stature (puisque certes on paraît plus grand à se tenir droit, et se tenir droit paraît vraisemblablement un acquis plus qu'un inné) ?
En fait, ce que montre Nicolas Herpin, entre bien d'autres choses, c'est que la taille d'un individu peut bien mieux être prédite par des données sur la société dans laquelle il vit, la classe sociale, etc. que par un héritage génétique. La raison est simple à comprendre : avec une alimentation plus ou moins abondante, plus ou moins saine, ainsi que d'autres données sur le mode de vie qui passent par la structure sociale, un individu ne se développe pas pareil. Certes, l'héritage génétique peut constituer une disposition ou un potentiel. Mais celui-ci ne se réalise que dans des conditions bien particulières.
RépondreSupprimerJe n'ai pas le temps de commenter très longuement, mais ce nouveau billet ne me convainc pas plus que le précédent quant à la pertinence de ladite expérience de pensée. Entre 1° "la personnalité est génétiquement programmée" (ce que personne de sérieux ne défend, je pense, à supposer d'ailleurs que l'on sache ce qu'est "la personnalité" et que la phrase ait un sens) et 2° "la biologie permet seulement les apprentissages, tout le reste est socialisation", il y a une marge par-dessus laquelle le raisonnement ici saute allègrement. Ce qui est généralement oublié, dans ce genre de discussion, c'est le niveau des "fonctions cognitives" ou "opérations de traitement", tel que défini par exemple dans cette citation de JP Karli (qui présente en même temps les principes méthodologiques de la neuropsychologie clinique) :
RépondreSupprimer« L'architecture d'un système est inférée à partir de la déstructuration, de la fragmentation, réalisée par une lésion cérébrale : des dissociations spécifiques apparaissent, à l'intérieur d'une fonction cognitive complexe, entre des opérations qui sont plus ou moins profondément altérées et d'autres qui sont intégralement préservées. À partir de l'observation de semblables dissociations d'origine pathologique, on peut élaborer un modèle de l'architecture de la fonction cognitive chez le sujet humain normal. [...] En neuropsychologie cognitive, la lésion cérébrale sert donc surtout à révéler – en les dissociant – l'existence d'opérations de traitement relativement indépendantes les unes des autres chez le sujet normal [...] » (Karli, 1995, p. 247-248).
Dans le cas du langage, certaines de ces "opérations de traitement" concernent la phonologie, d'autres la sémiologie, etc. Mais le langage n'est pas seul concerné : la neuropsychologie clinique permet d'isoler des troubles de la praxie, des troubles de la planification, des troubles de la mémoire... (voir par exemple le Traité de neuropsychologie clinique de Seron et van der Linden). Certaines de ces fonctions sont manifestement communes à l'homme et à d'autres espèces animales, d'autres sont très vraisemblablement spécifiques à l'homme.
C'est vraisemblablement ce niveau-là que détermine la génétique. Il est peut probable en effet que l'évolution ait prévu un gène du laçage de chaussures ou de la frappe sur clavier... ! Par contre, il est probable qu'il y ait un déterminisme génétique des "opérations de traitement" génériques qui permettent l'un et l'autre (dont celle qui "tombe en panne" dans l'apraxie idéatoire). Parmi ces fonctions, certaines intéressent potentiellement la sociologie, comme celles qui nous permettent de conserver une identité par-delà les périodes de notre vie et les différentes situations dans lesquelles nous trouvons (comment rester "acteur social" sinon ?).
Au fond, ce que je reproche à cette expérience de pensée c'est de rester dans une discussion binaire et simpliste génétique vs. socialisation. Or s'intéresser à ce que nous apprend la neuropsychologie clinique, c'est bien autre chose que de dire "il faut être mesuré, il y a sans doute un peu des deux". C'est se donner les moyens de repérer des processus élémentaires (vraisemblablement génétiquement déterminés) qui "formalisent" nos comportements, sans préjuger de leur "contenu" (qui lui est très variable). On peut y voir un nouveau moyen de poursuivre le projet de Simmel (identifier l'abstraction de la forme par-delà les contenus de socialisation) ou de Lévi-Strauss ("comprendre comment fonctionne l'esprit humain").
@Anthropiques : l'expérience de la boîte a une vocation pédagogique. Elle vise particulièrement à amener les gens à se poser des questions, pas à apporter des réponses. Je pense qu'il faut garder cela en tête.
RépondreSupprimerPour le reste, cela rejoint ce que je dis dans le billet et dans les commentaires : les recherches que vous citez sont parfaitement légitimes, et peuvent être intéressantes. Mais elles permettent d'expliquer certaines caractéristiques générales des individus. Dans certains cas, on peut parvenir au même résultat sans passer par là : savoir que les individus peuvent garder une même identité au-delà des différentes étapes de leur vie ne nécessite pas de savoir quelles zones neuronales sont en jeu (même si cela peut être utile pour d'autres questions, par exemple pour soigner certains individus). Si l'on considère, avec Passeron, qu'il "n'y a de sociologie que des écarts", ce ne sont que rarement les données dont on a le plus besoin pour traiter nos problèmes.
Oui, si ce n'est que l'on peut penser que le résultat (la vie sociale) a nécessairement les propriétés des "capacités cognitives" qui permettent de la structurer (un peu comme une photo a les propriétés de l'appareil qui a permis de la prendre : définition, focale...). Identifier précisément ces capacités, c'est donc se donner un moyen de décrire ce qui structure implicitement cette vie sociale. Quelque part, c'est très kantien, à ceci près qu'une vérification empirique est possible (l'aphasie nous permet par exemple d'observer comme en négatif le rôle que joue le langage dans la "communication"). On pourrait à partir de là entrer, par exemple, dans une discussion approfondie de la façon dont Shirley Strum et Bruno Latour rendaient compte de la différence entre la sociabilité des babouins et celle des humains http://www.bruno-latour.fr/sites/default/files/downloads/30-STRUM-LATOUR-06-FR.pdf
RépondreSupprimerJe serai brève : merci pour ce billet et merci pour le précédent, ça fait du bien de vous lire.
RépondreSupprimer« Le viol est avant tout un comportement masculin, et ceux dans toutes les sociétés ? Certes, mais l'expérience de la boîte nous permet de comprendre qu'il n'est pas nécessaire d'attribuer cela à une donnée biologique chez les individus de sexe masculin. Ce n'est pas impossible, mais si vous voulez défendre cette idée, il va falloir de très sérieux arguments »
RépondreSupprimerLe viol au sens juridique correspond à une pénétration. Les hommes commettent environ 99% des viols.
Mais la différence de proportion entre hommes et femmes est avant tout biologique. En effet d’un point de vue mécanique il est très difficile pour une femme de violer un homme. Les cas où cela arrive c’est généralement lorsque les femmes violent des hommes avec un objet. Donc même si l’on prend 1 homme et 1 femme élevés dans une boite qui ont tous les 2 l’intention de commettre un viol l’homme arrivera plus facilement.
Ceci ne veut pas dire que la culture n’a aucun impact sur le nombre de viols et le fait que les viols soient peu souvent punis doit jouer dans leur proportion.
Mais par contre le fait que la proportion d'hommes et femmes violeurs est différente est bien une donnée est bien biologique et même si l'on inclut l'ensemble des agressions sexuelles.
Le viol limité à la pénétration ? Non, certainement pas. Une femme peut violer un homme en l'obligeant à la pénétrer... Une femme n'a pas non plus besoin d'un objet pour pénétrer un homme : vous avez remarqué que les femmes ont des mains et des doigts ? Et vous envisagez la possibilité de viol entre femmes ? Bref, vous n'avez pas donné d'argument convaincants.
RépondreSupprimer« Le viol limité à la pénétration ? Non, certainement pas »
RépondreSupprimerC'est-à-dire qu’il s’agit de la définition du viol au sens juridique mais l’on peut très bien parler de l’ensemble des agressions sexuelles (où ici la part des femmes serait de 2 à 4% je crois).
C'est-à-dire par exemple que le cas où une femme fait une fellation de force à un homme n’est pas considéré comme un viol mais une agression sexuelle.
« . Une femme peut violer un homme en l'obligeant à la pénétrer »
Oui mais il faut une érection et si l’érection arrive ceci ne veut certainement pas dire qu’il y a consentement mais signifie quand même qu’il y a une difficulté pour qu’une femme puisse violer un homme et que cette difficulté a une part de biologique. Donc il est plus « facile » pour un homme de pénétrer une femme de force que pour une femme de pénétrer un homme de force.
« Une femme n'a pas non plus besoin d'un objet pour pénétrer un homme : vous avez remarqué que les femmes ont des mains et des doigts ? »
Oui une femme peut violer un homme (ou une femme) avec des doigts.
« Et vous envisagez la possibilité de viol entre femmes ? »
Oui ceci arrive mais un homme aura aussi plus de « facilité » à violer une femme qu’une femme une femme. Il y a aussi le viol entre hommes.
Il y a aussi la différence de force physique : en moyenne les hommes sont plus grands et plus forts : une éducation non sexiste pourrait changer la donne : si l’on apprenait plus aux femmes à se battre mais elles resteraient plus petites (même si vous expliquez dans votre article qu’il y a un lien en culture et taille de l’individu).
Que la culture joue sur le nombre de viols je suis d’accord et certaines composantes comme la pornographie, le faible nombre de condamnations peut jouer mais pensez vous vraiment qu’il n’y a aucun lien entre la proportion d’hommes et de femmes violeurs et la biologie ??
Une femme peut violer un homme (ou une femme) avec ses doigts mais peut plus difficilement forcer à ce que l'homme la pénètre.
Les commentaires de Facetieux et de Victor sont particulèrement intéressants, et je pense me retrouver dans l'exposition qu'ils font des limites de cette "expérience de pensée".
RépondreSupprimerLes objections ne sont tout de même pas négligeables :
- déjà, si on imagine l'expérience, c'est vite vu : celui qui est dans la boîte, quand on l'ouvre au bout de 18 ans, il est mort (cf les enfants qui dépérissent faute de lien affectif).
Si vraiment on veut l'imaginer vivant, ce serait alors un mort-vivant : vivant sur le plan des fonctions vitales, mais mort socialement. Aucun moyen de communication, peur de tout puisque habitué uniquement à l'univers de la boîte, développant des phobies vis-à-vis de tout ce et tous ceux qu'il croise.
Forcément, dans ces conditions, la question de l'identité sexuelle ne se poserait plus trop de toute façon. Mais on ne voit pas vraiment ce qu'on pourrait en conclure concernant tel ou tel aspect précis de la personnalité, sinon qu'un être humain ne semble pas très adapté à vivre 18 ans dans une boîte.
- 2e objection : comme il a été fait remarqué plus haut, vous semblez confondre, dans le commentaire que vous en faites,
un comportement donné et son interprétation par celui qui en est l'auteur :
en effet, vous développez l'idée que la personne sortant de sa boîte, si elle ressent une attirance physique pour une autre personne (ce qui, donc, ne risquerait a priori même pas d'arriver), ne saurait pas à quoi l'attribuer.
Or, je vous rappelle que cette expérience de pensée était invoquée pour montrer ce que nos comportements doivent à l'environnement social - nos comportements, et non l'interprétation que nous en faisons ;
la question n'était donc pas :
"en sortant de la boîte, interprétera-t-il ses attirances physiques comme des attirances fondées sur une différence des sexes ?",
mais "en sortant de la boîte, sera-t-il attiré uniquement par les personnes du sexe opposé ?"
Et, d'ailleurs, si on est rigoureux, il me semble que la BONNE question devrait plutôt être :
"en sortant de la boîte, cette personne sera-t-elle attirée différemment ou bien de la même façon par les personnes de son sexe et les personnes du sexe opposé ?".
À cette question, il ne me semble pas que l'expérience de pensée permette de répondre. La réponse qu'on peut donner à cette question ne reflètera que les présupposés de celui qui répond.
On ne peut dire ni "certainement" ni "certainement que non", ni même "c'est très peu probable" ou "c'est très probable".
(encore une fois, tout ce qu'il y a de probable, c'est que la personne en question soit morte, ou alors qu'elle ne soit plus capable de vivre que dans une boîte).
- autre objection : on ne sait toujours pas vraiment à quelle idée vous voulez vous opposer ici.
RépondreSupprimerÀ chaque fois, vous donnez comme seul exemple : "si c'est une fille qui sort de la boîte, imagine-t-on qu'elle va se jeter sur les vêtements roses ?" :
or, même si on sait que cette phrase de votre part est volontairement simplificatrice pour bien faire saisir l'idée,
il me semble que l'idée de différences de comportement entre hommes et femmes est plus subtile - et plus crédible - que de croire que les femmes s'habillent naturellement en rose.
Votre expérience de pensée et votre remarque suffisent à répondre à tous ceux qui pensent une répartition sociale des tâches en fonction du sexe (les femmes ça cuisine et les hommes ça conduit des camions, etc...).
C'est déjà nécessaire, je suis bien d'accord. Mais il me semble important de souligner que cette expérience et votre remarque, s'ils répondent bien à ce genre d'idées, ne répondent QUE à cela, et uniquement.
À côté de ça, vous trouverez des conseillers conjugaux et autres accompagnateurs de couples, ou des personnes qui encadrent des adolescents, qui feront état d'observation de différences dans la psychologie des personnes (non dans leurs goûts ni dans leur aptitue à telle ou telle tâche) :
la façon d'interpréter le comportement d'autrui, d'imaginer l'impact de son propre comportement sur autrui, ...
Or, sur ce point, votre expérience de pensée ne nous apporte rien : là encore, aucune réponse évidente n'est possible à la question "comment se comportera-t-il en sortant de sa boîte ?".
Et pourtant, vous semblez laisser entendre que, par cette expérience, par votre précédent article et celui-ci, vous avez écarté définitivement et de manière indiscutable toute idée d'une différence "biologique" entre esprit masculin et esprit féminin. Alors que ce n'est pas le cas.
- La remarque sur l'évolution est tout de même à prendre en compte : aucun déterminisme biologique de nos comportements, ce serait étonnant.
(bien qu'il faille là aussi se méfier des réutilisations absurdes de cette idée, consistant par exemple à réinventer le comportement de nos lointains ancêtres pour essayer de justifier le nôtre : par exemple, créer un mythe de "l'homme des cavernes" qui part chasser pendant que les femmes restent au campement à cuire le mammouth...)
- Le parallèle avec l'œuf est assez parlant aussi : si on met un œuf dans une boîte, il meurt, ce qui ne signifie pas qu'il n'avait rien en lui qui soit déterminant pour sa survie future : simplement, son développement nécessite des conditions particulières.
RépondreSupprimerDe même, nos comportements, pour se développer, nécessitent un certain niveau d'interactions sociales. Qui elles-mêmes influent sur ces comportements.
Autrement dit, ne se retrouve-t-on pas dans le cas de personnes de toute façon enfermées dans une "boîte", une grande boîte, de toute façon nécessaire à leur survie et à l'apparition de leurs comportements, tout en les influençant ?
Dans ce cas, on ne peut de toute façon même pas imaginer ce que serait le comportement de la personne hors de la "boîte" : ce serait pure spéculation, sans qu'on puisse rien en dire.
- D'autre part, l'expérience de la boîte n'indique même pas non plus que cette influence de l'environnement ou que les comportements créés par l'environnement social, soient mauvais, ou qu'ils s'opposent à ce qu'est réellement la personne.
Une fois même qu'on aurait conclus que certains de nos comportements découlent de la société et non de nos gènes, on n'irait pas pour autant en conclure qu'il faille les laisser tomber ni les tenir pour "artificiels" (la société, après tout, c'est naturel aussi, non ?).
- En fait, je ne vois pas bien, pour ma part, ce qu'apporte cette expérience de pensée, tant demeurent d'incertitudes (ou au contraire de certitudes mais ne permettant aucune conclusion) quant à l'état et au comportement de la personne sortant de sa boîte au bout de 18 ans,
à part peut-être de rappeler que "nos gènes ne nous déterminent pas à eux tout seuls".
Je ne vais pas faire une réponse aussi longue que vos commentaires - pour lesquels je vous remercie - à la fois par manque de temps et parce que je pense que l'essentiel des réponses se trouvent déjà dans le billet ou, a minima, dans les réponses aux commentaires précédents.
RépondreSupprimerJ'utilise cette expérience de pensée comme un dispositif pédagogique. Elle ne donne pas de réponses, mais elle permet de se poser des questions. C'est déjà énorme. Je crois que cela réponds à la plupart de vos remarques. Vous sur-interprétez mon propos en me faisant dire que rien n'est biologique et que tout ce qui est socialement construit est forcément mauvais. L'expérience de la boîte permet de poser la question de la détermination des comportements en montrant que le biologique ne suffit jamais : on peut ainsi définir un domaine proprement social. Si on avance qu'un comportement est biologique, il faut le montrer de façon rigoureuse, et ne pas se contenter de dire qu'on observe des différences de psychologie et que donc, ça doit quand même être un peu biologique. Mon propos est de dire que les variables biologiques n'ont aucune préséance en soi sur les autres : elles demandent autant d'investigation et de travail que les autres. Au plan éthique, on peut toujours se demander si une construction sociale est bonne ou mauvaise, la réponse ne dépendant pas, alors, de la sociologie ou des sciences sociales. De la même façon, on devrait toujours se poser la question de savoir si ce qui est "naturel" est forcément bon. On peut noter que ce questionnement est souvent plus difficile à poser.
Je viens de tomber sur cet article de wikipedia http://en.wikipedia.org/wiki/David_Reimer
RépondreSupprimerCela s'approche assez de votre expérience de la boite, et le résultat n'est pas forcement celui que vous pourriez en attendre.
http://24.media.tumblr.com/tumblr_mdyjne3kmb1qbm555o2_500.gif
RépondreSupprimerJ'ai pas pu résister :D
@Archibald : J'avais raté votre deuxième commentaire, d'où un retard dans sa publication. L'image que vous vous faites du viol est bien particulière : vous le voyez comme un acte de force physique, ce qui fait passer à l'image du violeur prédateur, celui qui course ses victimes et les violent dans une ruelle. Cela existe, mais c'est loin d'être la forme la plus courante de viol. Les viols exercés par des hommes ne résident pas forcément sur la force. Je vous invite à vous renseigner là-dessus pour avoir une vision plus complète du problème.
RépondreSupprimer@henriparisien : Le cas de David Reimer est souvent avancé de naturaliser les différences de genre... Malheureusement pour ceux qui l'utilisent, il n'est pas convaincant. Le changement de sexe et de genre intervient chez lui à 22 mois, donc sur un individu déjà très fortement socialisé (pensez à tous ce qu'a appris un enfant de 22 mois !). On est donc au plus loin de l'expérience de la boîte. Dans "Cerveau Bleu, Cerveau Rose", Lise Eliot discute de ce cas, et précise que la même situation s'est reproduite pour un peu plus d'une cinquantaine de cas (de mémoire), sur des individus plus jeunes, et avec des résultats très différents : des femmes qui ne présentent pas de traits particuliers à l'âge adulte.
Se pose également un autre problème, qui est l'une des autres faiblesses de l'expérience de la boîte d'ailleurs : tout cela fait l'hypothèse que la socialisation commence à la naissance. Or on sait que le foetus est déjà en contact avec son environnement dans le ventre de sa mère. Je n'ai aucune idée de la façon dont cela peut l'affecter, mais il me semble là y avoir une vraie utilité à faire des études précises sur ces points. Si quelqu'un en connaît, je suis preneur.
@Ondine : C'est en effet particulièrement bienvenu. Si j'avais su, je l'aurais intégré au post.
Le dernier paragraphe souligne le vrai problème. J'admets que les gènes ont forcément une influence même minime mais les personnes qui ne jurent que par la génétique utilise cet argument pour justifier l'ordre social en occident et l'applique à l'humanité entière depuis les cromagnons. Le "pauvre" DSK serait la victime de sa testostérone alors que les jeunes des banlieue seraient des "animaux"? Mon collègue a peur de prendre le rer b et moi non, mais lui ses colères sont "viriles" et légitimes, les miennes sont "hystériques" et non légitimes? Les femmes auraient un mauvais sens de l'orientation parce qu'en fait elles vivaient dans des grottes avec barrières électrifiées et que les 2 milliards de femmes non occidentales qui sont dévolues le plus souvent aux travaux des champs, à la garde des troupeaux, à aller chercher l'eau sont une exception à la règle? Si les ouvriers, les noirs et arabes ne sont pas représentés sur les bancs de l'AN, donc c'est dans leurs gènes?
RépondreSupprimerJ'ai une maladie génétique, je suis plus souvent fatiguée donc plus agressive, je dois donc faire plus attention que les autres à ne pas dépasser les limites sociales, donc on fait une liste des influences génétiques et on applique une loi différente pour chaque individu en donnant un nombre de points de pardon?
Tous les arguments "naturels" ont leur exact contraire dans ces mêmes arguments (les hommes seraient plus agressifs avec une montée d'hormone donc ils sont plus efficaces dans un bureau (mais moins à la maison), les femmes seraient plus agressives avec une montée d'hormones donc elles seraient moins efficaces dans un bureau (mais plus à la maison)), leur seule finalité est de justifier les inégalités actuelles.
Concernant les codes qui nous permettent de différencier hommes et femmes, j'avais été fort étonnée lorsque mon enfant a atteint grosso modo ses 14 mois et a commencé à parler, notamment en disant "papa" et "maman". Très vite, il a utilisé ces deux mots pour désigner tous les humains adultes, sans aucune considération particulière pour les deux qui l'élevaient. Or, alors que je m'attendais à ce que papa/homme et maman/femme coïncident aussi souvent que l'aléatoire le permettrait, il se trompait (pour autant que je sache) très peu souvent et ce dès le départ, sans correction de notre part. Inversement, quand il le disait en observant des dessins, je retrouvais ce à quoi je m'attendais (grosso modo il se trompait autant de fois qu'il devinait juste).
RépondreSupprimerCette phase n'a durée que quelques semaines (jusqu'à ce qu'il se limite à utiliser papa/maman pour ses parents). J'en suis restée avec une grande interrogation sur ce qui lui permettait d'avoir fait un lien entre une différence de dénomination de ses deux parents en particulier avec le genre des adultes en général, et pourquoi ce lien ne marchait pas pour les dessins, d'autant que j'étais persuadée qu'il serait incapable aussi jeune de trier l'humanité de cette façon.
Après, mon expérience vaut ce qu'elle vaut, vu mon échantillon d'étude et le rigoureux de mes relevés statistiques... Sans oublier les biais d'interprétation : alors que j'avais l'impression qu'il avait fait le lien homme/femme, peut-être que c'était juste " adulte avec cheveux courts/cheveux longs"... Toutefois, encore maintenant à 3 ans, il ne décode pas le genre des enfants. Bref, y a-t-il eu des études intéressantes concernant la dose de socialisation qui permet à un enfant d'intégrer les codes des genres ?
@Berzingh : Je ne vois pas vraiment ce que l'observation que vous reportez a d'étonnant : qu'un enfant apprenne très vite à différencier homme et femme n'est pas étonnant, étant la force avec laquelle nos sociétés s'appuient sur cette différence. Qu'il est plus de mal avec des enfants - pour qui les marqueurs de genre sont moins développées et moins mis en avant - et avec des dessins - dont la stylisation exige l'apprentissage d'un ou plusieurs codes spécifiques - n'est pas non plus bien étonnant.
RépondreSupprimerJe m'étonne que ces codes soient assimilés de façon aussi précoce. Certes, moi, adulte, la première chose qui me vient à l'esprit si on me demande la différence entre mon mari et moi c'est le sexe, alors même qu'il y une myriade d'autres choses qui sont essentiels. Mais qu'un enfant d'un peu plus d'un an repère les marqueurs nébuleux du genre plutôt qu'une autre différence, sur la base de deux personnes particulières, ça persiste à m'étonner.
RépondreSupprimerParce que de façon plus détaché, il y a plein d'autres différences moins ésotériques entre nous deux : la taille, le poids, la longueur de cheveux, la présence d'une barbe, le fait que les repas préparés par son papa sont meilleurs que les mien, la langue qu'on lui parlait, etc. Dans le même temps, ses papas/mamans vers les autres adultes faisaient l'impasse sur les couleurs de peau, les vêtements, la langue (et certainement la cuisine, mais c'est plus dur à juger dans le métro), etc. Pour aller plus loin, pourquoi les termes de papa/maman lui ont servi à distinguer l'humanité entière sur une base binaire, alors que les mots par lesquels on désigne les adultes (notamment les prénoms, mais aussi "nounou" pour rester sur un autre adulte référent essentiel - qu'il appelait maman pendant cette phase, d'ailleurs) sont si nombreux ?
Je m'attendais à ce que ça vienne plus tard, pas avec ses premiers mots. Je pensais que pour être marqué par cette insistance à distinguer homme et femme, il fallait un bain de culture un peu plus long et plus d'outils de compréhension, notamment en termes de langage. Qu'à 3 ans, il commence à doucettement exprimer une vision sexiste du monde, je m'y attendais ; qu'à 1 an il conceptualise cette ségrégation sociale, ça persiste à m'étonner.
D'ailleurs, en parlant de différences précoces et parce qu'un des autres commentateurs a cité "Cerveau Bleu, Cerveau Rose", je me demandais si quelqu'un avait un lien/une source vers une expérience dont parle Lise Eliot dans son livre. J'ai cherché, mais je ne suis tombée que sur des commentaires dans des discussions, sans source sérieuse. Il s'agit de singes qu'on laisse dans une pièce pleine de jouets et qui, d'après l'expérience, se répartissent en termes de sexe de la même façon que les enfants humains. J'ai trouvé qu'elle acceptait vite les résultats de cette expérience comme prouvant une différence naturelle garçon/fille sur les jeux... Elle ne disait pas d'où venaient les singes (sortaient-ils d'une boîte ?), et elle ne précisait pas plus si les expériences étaient en aveugle (les personnes relevant les observations étaient-elles capables de distinguer les sexes des singes ?). Vu que les tenants d'une différence naturelle entre les sexes la ressortent régulièrement, j'aimerais avoir plus de données dessus.
Il faut garder en tête que l'identité de genre est la première identité proposée à l'enfant, à la fois pour lui et pour les autres. Il faut aussi penser qu'elle s'incarne dans presque toute la production culturelle dans laquelle l'enfant naît et grandit. Et il ne faut pas non plus oublier les formidables capacités d'apprentissage des enfants - toute personne qui a essayé d'apprendre une langue étrangère à l'âge adulte sait de quoi il retourne.
RépondreSupprimerPour l'expérience sur les singes, je n'ai pas de sources sous la main.
A l'opposé, on peut penser à l'expérience du singe.
RépondreSupprimerSi on élève un bébé singe comme un bébé humain, va-t-il se comporter à 18 ans comme un humain de 18 ans ?
Si la biologie ne joue pas, son ADN de singe ne doit pas avoir d'influence, et il aura un comportement humain. Sinon, c'est que la génétique joue.
L'expérience du singe a été réellement tentée, et n'a jamais réussi. L'inné a donc une influence sur le comportement. Ce que les expériences du singe et de la boîte montrent, c'est que le comportement n'est pas tout inné ni tout social, il résulte d'une combinaison des deux.
Je pense qu'il existe, chez certains sociologues, un certain antibiologisme : ils ne veulent pas qu'une autre discipline vienne s'immiscer dans leur domaine d'étude. Pourtant, de nombreuses études montrent l'influence de la biologie sur nos comportement.
En particulier, il y a un certain rejet de l'évolution chez les sociologues. Au nom conception philosophico-religieuse de la place de l'Homme dans l'Univers, certains sociologues refusent d'admettre que l'homme est un animal, et que l'étude des comportements animaux peut donner des résultats applicables à l'homme. En particulier, il existe un immense refus à admettre que certains comportements humains sont dictés par des considérations évolutionnistes. Mais si Sophie sort avec Robert, ce n'est pas uniquement pour des raisons sociales, c'est aussi parce que, sans en avoir conscience, elle l'a jugée comme étant un bon reproducteur.
Evidemment, dit comme ça, c'est pas trop glamour, mais je vois mal comment on pourrait dire que l'Homme est la seule espèce à ne pas subir l'évolution.
L'exemple donné dans le blog sur l'homme qu'on sort à 18 ans de la boîte et qui voit une femme me semble peu crédible : l'attirance pour l'autre sexe est, en grande partie, innée (pour d'évidentes raisons évolutionnistes), et il m'est avis que des humains élevés dans des boîtes puis mis ensembles finiraient par se reproduire. C'est en tout cas ce qu'on observe chez d'autres espèces élevées dans les zoos.
@Tortuga : Comme d'autres, vous avez lu le billet trop vite et de façon trop caricaturale. Personne ne dit que le biologique n'existe pas... Ce que montre l'expérience de la boîte, et ce que défend le billet, c'est que pour expliquer beaucoup de choses, le biologique n'est d'aucun recours. C'est tout. Votre remarque finale montre votre lecture biaisé : peut-être que les humains finiront par se reproduire (et encore, ce n'est pas sûr : passé un certain âge, un individu qui n'a pas appris à parler ne pourra pas acquérir correctement le langage)... mais auront-ils un comportement que l'on peut qualifier d'hétérosexuel, c'est-à-dire une préférence exclusive pour un sexe différent du leur ?
RépondreSupprimerVos remarques sur les sociologues qui refusent l'évolution sont, excusez-moi du terme, également ridicules. L'évolution n'est pas un processus qui se place dans les individus, mais à l'extérieur d'eux : les femelles et les mâles n'ont pas besoin de se choisir en fonction de leur capacité reproductive pour qu'il y ait évolution, il suffit que les chances de survie soient différentes pour des individus ayant des caractéristiques différentes. Cette façon que certains ont de transformer l'évolution en une sorte de force mystérieuse placée à l'intérieur de nous et qui répondrait à une volonté mystérieuse est particulièrement irritante parce qu'elle témoigne d'une profonde méconnaissance de ce qu'est effectivement le processus d'évolution et de sélection.
L'évolution agit aussi à l'intérieur de l'individu, car le cerveau lui-même est sujet à l'évolution.
RépondreSupprimerSi beaucoup d'animaux (humains compris) disposent d'un fort instinct de survie, c'est parce que la sélection naturelle a favorisé les individus ayant, à l'intérieur d'eux, cet instinct de survie.
Si beaucoup d'hommes sont attirés par certaines caractéristiques chez les femmes, c'est parce que l'évolution à favorisé les hommes attirés par ces caractéristiques (ceci arrive typiquement lorsque ces caractéristiques sont corrélée avec des caractères avantageux).
Certes, les hommes et les femmes ne se choisissent pas consciemment selon leur capacité reproductive, mais la sélection a favorisé les hommes et les femmes qui choisissent leur partenaire sur des critères corrélés à leur capacité reproductive.
De même, les comportements sociaux existent parce que la sélection naturelle a favorisé les individus prédisposés à ces comportement sociaux. De nombreux comportements sociaux s'expliquent par l'évolution. On le fait couramment pour les comportements sociaux des singes. Néanmoins, il existe une barrière idéologique pour appliquer à l'homme les explications qui marchent pour le singe.
Ce que vous dites est pour le moins incomplet : "la sélection a favorisé les hommes et les femmes qui choisissent leur partenaire sur des critères corrélés à leur capacité reproductive"... il faudrait rajouter à leur capacité de survie... La sélection sexuelle et la sélection du plus apte sont des mécanismes différents, et sur lesquels on peut s'interroger de façon empirique pour savoir lequel est le plus pertinent dans un cas donnée. Les critères de reproduction et de survie n'existent pas une fois pour toutes : ils dépendent très largement de l'environnement à la fois physique et social. Etre gros ou être mince est ainsi un critère qui n'a de sens que pris dans un environnement physique et social donné.
RépondreSupprimerVous parlez d'une barrière idéologique : c'est un peu facile lorsque, simplement, la plupart des explications données ne sont pas satisfaisantes. Et surtout il faudrait s'interroger sur l'idéologie qu'il y a dans la réification de ces travaux pour repousser toute possibilité d'évolution justement... Les environnements économiques et sociaux changent eux-aussi... mais beaucoup en sont à croire que l'homme américain des années 50 est le summun indépassable de l'évolution.