Où l'on essayera de dévoiler la dimension langagière et quelque peu performative de l'activité économique...
Terry Pratchett, Men at Arms, p. 182
L'activité économique repose en grande partie sur des jeux de langage et sur des métaphores : un point largement oublié que Pratchett pointe ici en montrant comment une simple métaphore pour expliquer certaines formes de spéculation peut se transformer en un objet tout à fait réel : la construction d'entrepôt pour stocker du porc qui n'existe pas encore, si ce n'est comme l'objet d'un commerce spéculatif. Une illustration simple mais puissante de la performativité du langage - j'en connais qui seront ravis. Dans notre monde, les échanges sur des marchandises qui n'ont pas plus de réalité matérielle qu'un souffle sont étonnamment nombreuses. Et nous venons tous d'en sentir, une fois de plus, les conséquences bien réelles.
On notera cependant que cette performativité repose également sur des dispositions institutionnelles, à commencer par les lois du dirigeants de la cité en question qui obligent les individus à justifier leur métaphore - comme cela est écrit dans un autre roman, le poète qui prétendrait qu'un joli minois a lancé sur les mers quelques milliers de bateaux aurait intérêt à présenter les bons de commande adressés aux chantiers navaux...C'est donc d'une méfiance des pièges du langage que naît la puissance performative de celui-ci. Il n'en va peut-être pas si différemment sur ce qu'il faut bien appelé notre "roundworld" (par opposition au "discworld" que décrit Pratchett) : le langage que nous utilisons oblige le plus souvent à construire sans cesse un nouveau vocabulaire pour le préciser, engendrant à nouveau un besoin de précisions, et ainsi de suite jusqu'à plus soif. Tous ceux qui se confrontent aujourd'hui à l'hermétisme du langage des traders et des grands financiers doivent avoir une idée de ce dont je veux parler. Et sinon, ils peuvent se tourner plus modestement vers l'inflation de sigles et de jargons dans le petit monde de l'éducation nationale, les principes ne sont pas tellement différents...
Mais le rôle du langage dans l'économie mérite approfondissement. Présenter l'activité économique comme une guerre ou comme une échange n'est pas neutre. Cela n'implique pas, chez ceux qui y prennent part, les mêmes comportements, ni même les mêmes institutions. C'est aujourd'hui le vocabulaire de la guerre qui prédomine : la concurrence est compétition, les marchés doivent être conquis, les entreprises et les pays s'affrontent... Cela implique une approche bien particulière des problèmes. A commencer par l'envie de construire des lignes Maginot pour se protéger de tout cela : les appels au protectionnisme ne sont pas sans liens avec la façon dont est mise en métaphore l'activité économique. Même si ceux qui font l'éloge de la guerre économique sont politiquement très différents de ceux qui en appellent à l'édification de murailles tarifaires, ils sont complices dans l'utilisation d'une même façon de présenter les choses. Et ce vocabulaire agonistique n'est pas sans rapport avec la recherche du profit toujours plus grand, car l'objectif est bien évidemment de battre les autres : le capitalisme est aussi une affaire de mots.
Probably no other world in the multiverse has warehouse for things which only exist in potentia, but the pork future warehouse in Ankh-Morpork is a product of the Patrician's rules about baseless metaphors, the literal-mindedness of citizens who assume that everything must exist somewhere, and the general thinness of the fabric of reality around Ankh, which is so thin that it's as thin as a very thin thing. The net result is that trading in pork futures - in pork that doen't exist yet - led to the building of the warehouse to store it in until it does. The extremely low temperatures are caused by the imbalance in the temporal energy flow. At least, that's what the wizards in the High Energy Magic Building say. And they've got proper pointy hats and letters after their name, so they know what they're telking about.
Terry Pratchett, Men at Arms, p. 182
L'activité économique repose en grande partie sur des jeux de langage et sur des métaphores : un point largement oublié que Pratchett pointe ici en montrant comment une simple métaphore pour expliquer certaines formes de spéculation peut se transformer en un objet tout à fait réel : la construction d'entrepôt pour stocker du porc qui n'existe pas encore, si ce n'est comme l'objet d'un commerce spéculatif. Une illustration simple mais puissante de la performativité du langage - j'en connais qui seront ravis. Dans notre monde, les échanges sur des marchandises qui n'ont pas plus de réalité matérielle qu'un souffle sont étonnamment nombreuses. Et nous venons tous d'en sentir, une fois de plus, les conséquences bien réelles.
On notera cependant que cette performativité repose également sur des dispositions institutionnelles, à commencer par les lois du dirigeants de la cité en question qui obligent les individus à justifier leur métaphore - comme cela est écrit dans un autre roman, le poète qui prétendrait qu'un joli minois a lancé sur les mers quelques milliers de bateaux aurait intérêt à présenter les bons de commande adressés aux chantiers navaux...C'est donc d'une méfiance des pièges du langage que naît la puissance performative de celui-ci. Il n'en va peut-être pas si différemment sur ce qu'il faut bien appelé notre "roundworld" (par opposition au "discworld" que décrit Pratchett) : le langage que nous utilisons oblige le plus souvent à construire sans cesse un nouveau vocabulaire pour le préciser, engendrant à nouveau un besoin de précisions, et ainsi de suite jusqu'à plus soif. Tous ceux qui se confrontent aujourd'hui à l'hermétisme du langage des traders et des grands financiers doivent avoir une idée de ce dont je veux parler. Et sinon, ils peuvent se tourner plus modestement vers l'inflation de sigles et de jargons dans le petit monde de l'éducation nationale, les principes ne sont pas tellement différents...
Mais le rôle du langage dans l'économie mérite approfondissement. Présenter l'activité économique comme une guerre ou comme une échange n'est pas neutre. Cela n'implique pas, chez ceux qui y prennent part, les mêmes comportements, ni même les mêmes institutions. C'est aujourd'hui le vocabulaire de la guerre qui prédomine : la concurrence est compétition, les marchés doivent être conquis, les entreprises et les pays s'affrontent... Cela implique une approche bien particulière des problèmes. A commencer par l'envie de construire des lignes Maginot pour se protéger de tout cela : les appels au protectionnisme ne sont pas sans liens avec la façon dont est mise en métaphore l'activité économique. Même si ceux qui font l'éloge de la guerre économique sont politiquement très différents de ceux qui en appellent à l'édification de murailles tarifaires, ils sont complices dans l'utilisation d'une même façon de présenter les choses. Et ce vocabulaire agonistique n'est pas sans rapport avec la recherche du profit toujours plus grand, car l'objectif est bien évidemment de battre les autres : le capitalisme est aussi une affaire de mots.
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