Suite au film d'une étudiante belge en cinéma, la question du "harcèlement de rue" a eu un petit succès médiatique la semaine dernière (un article parmi tant d'autres), particulièrement après la création d'un hashtag #harcelementderue sur Twitter. Qu'est-ce que le "harcèlement" ? Erving Goffman va nous aider à y voir plus clair (et va même nous donner des conseils de drague).
Il y a eu beaucoup de réactions à cette prise de parole d'un nombre important de femmes. Beaucoup sont d'une débilité crasse : "Pfff. Les nanas et leur #harcèlementderue. C'est comme tendre de la viande à un chien et lui dire non tu l'auras pas"... Certains, dans la même veine, ont prétendu que ce n'était que de la drague ou que les femmes étaient ou devaient se sentir flattées de cette attention. D'autres, enfin, ont essayé de relever des problèmes dans le documentaire et dans la démarche. Ces dernières remarques sont assez inégales, naviguant entre l'accusation systématique de racisme, dans une belle confusion entre le propos et ses récupérations possibles, et des remarques plus intéressantes. On en trouvera un exemple ici.
Une remarque intéressante est de noter que l'espace privé ou domestique demeure plus dangereux pour les femmes que l'espace public - terme que je préférerais ici à "rue". Cela, toutes les données en attestent. La question est alors de savoir ce que le harcèlement dans les lieux publics a de particulier, et pourquoi il est aussi problématique. C'est là que l'ami Erving intervient.
Dans le chapitre 6 de La mise en scène de la vie quotidienne, Goffman s'intéresse à ce qu'il appelle les "apparences normales". Son propos commence ainsi :
Le passage d'un de ces modes d'activité - un mode "normal" et un mode "en alarme" - à l'autre se fait par le biais d'un signal d'alarme. Un cerf boit tranquillement dans un ruisseau. Soudain, un bruit de feuilles derrière lui : aussitôt, il relève la tête et soumet son environnement à une intense inspection, prêt à s'enfuir. Cela signifie que l'individu prête en permanence une attention à son environnement pour en percevoir les signaux de danger.
Cette attention porte sur ce que Goffman appelle plus loin l'Umwelt, à savoir la "sphère qui entoure l'individu à l'intérieur de laquelle se trouve de telles sources d'alarmes potentielles" ou "la région à l'entour d'où proviennent les signaux d'alarmes". On peut voir les choses ainsi : lorsque vous marchez dans la rue, avance avec vous une bulle qui englobe la zone à laquelle vous êtes sensible. Certains évènements dans cette bulle vont vous faire passer en mode "alarmé".
Lorsqu'une femme marche dans la rue, elle est donc entourée d'une bulle dans laquelle les apparences doivent être "normales". Car, précise Goffman, le passage à un état alarmé dépend de ce que le comportement des autres, sources de menaces potentielles, répond ou non à certaines attentes.
On comprend bien, du coup, ce qui se passe lors d'une interaction dans la rue. Lorsqu'elle se voit adresser une sollicitation, que ce soit un "hummmm charmante", un "joli petit cul" ou un "hé, tu veux pas me sucer ?", une femme passe en état alarmé : elle mobilise son attention sur la personne en question pour gérer la menace potentielle.
Mais l'état alarmé est un état épuisant : outre la concentration qu'il exige, il resserre soudainement l'umwelt sur la seule source de menace. Cela ne veut pas dire que l'individu oublie l'existence d'autres menaces potentielles. Au contraire. Celles-ci restent présentent à son esprit, mais sans qu'il soit possible de s'y intéresser. Autrement dit, c'est un moment de stress, même si, au final, la menace n'est pas réelle. C'est pour cela qu'un simple "charmante" est du harcèlement : il oblige soudain la personne à qui on s'adresse à concentrer son attention, et lui fait perdre la maîtrise de son environnement. Il n'y a pas besoin que le contenu de l'adresse soit lui-même une menace ("hé, la pute, tu me files ton 06 ?"), il suffit qu'il soit un "signal d'alarme", c'est-à-dire une rupture avec les apparences normales. Le bruit de feuille n'a pas besoin de cacher réellement un cougar pour que le cerf se sente menacé.
Alors on ne peut plus parler aux filles dans la rue, hein, c'est ça ? Et puis on peut pas draguer ? me répondront sûrement quelques lecteurs. Si vous faites parties de ceux-là, c'est que vous n'avez pas vu qu'il y a là un critère simple de distinction entre la drague et le harcèlement. Si vous souhaitez aborder une personne dans la rue, il vous faut, tout simplement, respecter les apparences normales, afin de ne pas apparaître comme une source d'alarme. Goffman considère "comme un fait central de l'existence que ceux qui pourraient alarmer quelqu'un par leurs agissements s'en préoccupent très souvent" : généralement, dans nos interactions avec les autres, nous cherchons à nous adapter à ce que les autres considèrent comme apparences normales. C'est ce que font les contrebandiers, voleurs, arnaqueurs... qui veulent réussir leur coup : marcher d'un air détaché, être poli, calme, etc. Il en va de même lorsque l'on aborde une personne : il faut lui donner les gages que l'on est pas une menace, à commencer par ne pas s'imposer à elle. Le respect des règles de politesse les plus élémentaires "bonjour, excusez-moi..." évitent que l'on vous considère comme une menace. Et vous évitez le harcèlement. Certes, cela ne fait pas de vous un type bien - tout cela ne peut cacher chez vous qu'un désir purement sexuel pour une "proie" - mais au moins, c'est plus vivable pour tout le monde.
Mais il y a un autre point intéressant chez Goffman : l'Umwelt d'un individu n'est pas donnée. Il est le produit d'un apprentissage et d'une situation sociale.
Autrement dit, on apprend de quoi il faut se méfier, et la taille de l'Umwelt dépend largement de qui l'on est socialement. Et je voudrais faire ici l'hypothèse que l'Umwelt des femmes est plus grand que celui des hommes. Ceux-ci peuvent marcher dans la rue ou dans les espaces publics en prêtant finalement peu d'attention à ce qui les entoure. Les femmes sont habitués très tôt à avoir un champ de surveillance plus large, car les menaces sont pour elles plus nombreuses. On peut lire ce témoignage (extrait de ceci) pour s'en convaincre :
Mais cet Umwelt est également variable avec les situations sociales où se trouve l'individu. Et, en particulier, il a souvent moins besoin que les apparences soient normales de son point de vue qu'il n'a besoin que l'on puisse lui fournir une explication de la normalité : si vous tournez au coin de la rue et tombez sur un tas de gens qui se battent, vous êtes alarmé, jusqu'au moment où un monsieur vient calmement vous expliquer qu'il s'agit d'une répétition pour le tournage d'un film. Comme l'écrit Goffman :
Or, dans l'espace public, il n'y a pas forcément quelqu'un qui ait le pouvoir de transformer la situation alarmante en situation normale : l'homme qui harcèle une femme aura bien du mal à requalifier la situation d'une façon qui lui soit favorable, pour que sa proie cesse de s'inquiéter. Il en va tout autrement dans d'autres situations, et en particulier dans le cadre domestique, intime ou plus généralement privé. L'agresseur aura alors plus facilement les ressources pour expliquer à sa victime que tout cela est normal. C'est ce qui ressort du Project Unbreakable, un ensemble de photo de victimes de viol qui présentent, sur des grands panneaux blancs, les paroles de leurs agresseurs (j'en reprends juste une ci-dessous, la plupart sont glaçantes).
Voilà, peut-être, la grande différence entre le harcèlement dans l'espace public et celui dans l'espace privé. Cependant, la normalisation peut se faire autrement : elle peut être le fait de ceux qui disent "c'est comme ça on y peut rien", requalifiant les situations vécues difficilement par les personnes comme de simples accidents de parcours dont il ne faudrait pas trop s'inquiéter. La première chose à faire, pour traiter le problème, est peut-être là : écouter et ne pas normaliser. Comme pour toute forme de harcèlement ou d'agression finalement.
Il y a eu beaucoup de réactions à cette prise de parole d'un nombre important de femmes. Beaucoup sont d'une débilité crasse : "Pfff. Les nanas et leur #harcèlementderue. C'est comme tendre de la viande à un chien et lui dire non tu l'auras pas"... Certains, dans la même veine, ont prétendu que ce n'était que de la drague ou que les femmes étaient ou devaient se sentir flattées de cette attention. D'autres, enfin, ont essayé de relever des problèmes dans le documentaire et dans la démarche. Ces dernières remarques sont assez inégales, naviguant entre l'accusation systématique de racisme, dans une belle confusion entre le propos et ses récupérations possibles, et des remarques plus intéressantes. On en trouvera un exemple ici.
Une remarque intéressante est de noter que l'espace privé ou domestique demeure plus dangereux pour les femmes que l'espace public - terme que je préférerais ici à "rue". Cela, toutes les données en attestent. La question est alors de savoir ce que le harcèlement dans les lieux publics a de particulier, et pourquoi il est aussi problématique. C'est là que l'ami Erving intervient.
Dans le chapitre 6 de La mise en scène de la vie quotidienne, Goffman s'intéresse à ce qu'il appelle les "apparences normales". Son propos commence ainsi :
Les individus, humains ou animaux, manifestent deux modes fondamentaux d'activité. Ils vaquent à leurs occupations, paissant, digérant, contemplant, construisant, se reposant, jouant, élevant les enfants, se chargeant tranquillement et sans difficulté des affaires en cours. Ou bien, tout entiers mobilisés, leur attention déchaînée, alarmés, ils se tiennent prêt à attaquer, ou à se mettre en affût, ou à fuir.
Le passage d'un de ces modes d'activité - un mode "normal" et un mode "en alarme" - à l'autre se fait par le biais d'un signal d'alarme. Un cerf boit tranquillement dans un ruisseau. Soudain, un bruit de feuilles derrière lui : aussitôt, il relève la tête et soumet son environnement à une intense inspection, prêt à s'enfuir. Cela signifie que l'individu prête en permanence une attention à son environnement pour en percevoir les signaux de danger.
Cette attention porte sur ce que Goffman appelle plus loin l'Umwelt, à savoir la "sphère qui entoure l'individu à l'intérieur de laquelle se trouve de telles sources d'alarmes potentielles" ou "la région à l'entour d'où proviennent les signaux d'alarmes". On peut voir les choses ainsi : lorsque vous marchez dans la rue, avance avec vous une bulle qui englobe la zone à laquelle vous êtes sensible. Certains évènements dans cette bulle vont vous faire passer en mode "alarmé".
Lorsqu'une femme marche dans la rue, elle est donc entourée d'une bulle dans laquelle les apparences doivent être "normales". Car, précise Goffman, le passage à un état alarmé dépend de ce que le comportement des autres, sources de menaces potentielles, répond ou non à certaines attentes.
C'est ainsi que la fonction des petites civilités de la vie quotidienne peut être celle d'un système d'avertissement anticipé : les politesses conventionnelles sont perçues comme une pure convention, mais leur absence peut alarmer.
On comprend bien, du coup, ce qui se passe lors d'une interaction dans la rue. Lorsqu'elle se voit adresser une sollicitation, que ce soit un "hummmm charmante", un "joli petit cul" ou un "hé, tu veux pas me sucer ?", une femme passe en état alarmé : elle mobilise son attention sur la personne en question pour gérer la menace potentielle.
Mais l'état alarmé est un état épuisant : outre la concentration qu'il exige, il resserre soudainement l'umwelt sur la seule source de menace. Cela ne veut pas dire que l'individu oublie l'existence d'autres menaces potentielles. Au contraire. Celles-ci restent présentent à son esprit, mais sans qu'il soit possible de s'y intéresser. Autrement dit, c'est un moment de stress, même si, au final, la menace n'est pas réelle. C'est pour cela qu'un simple "charmante" est du harcèlement : il oblige soudain la personne à qui on s'adresse à concentrer son attention, et lui fait perdre la maîtrise de son environnement. Il n'y a pas besoin que le contenu de l'adresse soit lui-même une menace ("hé, la pute, tu me files ton 06 ?"), il suffit qu'il soit un "signal d'alarme", c'est-à-dire une rupture avec les apparences normales. Le bruit de feuille n'a pas besoin de cacher réellement un cougar pour que le cerf se sente menacé.
Alors on ne peut plus parler aux filles dans la rue, hein, c'est ça ? Et puis on peut pas draguer ? me répondront sûrement quelques lecteurs. Si vous faites parties de ceux-là, c'est que vous n'avez pas vu qu'il y a là un critère simple de distinction entre la drague et le harcèlement. Si vous souhaitez aborder une personne dans la rue, il vous faut, tout simplement, respecter les apparences normales, afin de ne pas apparaître comme une source d'alarme. Goffman considère "comme un fait central de l'existence que ceux qui pourraient alarmer quelqu'un par leurs agissements s'en préoccupent très souvent" : généralement, dans nos interactions avec les autres, nous cherchons à nous adapter à ce que les autres considèrent comme apparences normales. C'est ce que font les contrebandiers, voleurs, arnaqueurs... qui veulent réussir leur coup : marcher d'un air détaché, être poli, calme, etc. Il en va de même lorsque l'on aborde une personne : il faut lui donner les gages que l'on est pas une menace, à commencer par ne pas s'imposer à elle. Le respect des règles de politesse les plus élémentaires "bonjour, excusez-moi..." évitent que l'on vous considère comme une menace. Et vous évitez le harcèlement. Certes, cela ne fait pas de vous un type bien - tout cela ne peut cacher chez vous qu'un désir purement sexuel pour une "proie" - mais au moins, c'est plus vivable pour tout le monde.
Mais il y a un autre point intéressant chez Goffman : l'Umwelt d'un individu n'est pas donnée. Il est le produit d'un apprentissage et d'une situation sociale.
Ce qui fait qu'un précipice est simplement un précipice, c'est la compétence adaptative de l'homme et de l'animal à poser le pied sur un sentier étroit, que cette compétence provienne de la sélection naturelle, de l'apprentissage, ou de diverses combinaisons des deux.
Autrement dit, on apprend de quoi il faut se méfier, et la taille de l'Umwelt dépend largement de qui l'on est socialement. Et je voudrais faire ici l'hypothèse que l'Umwelt des femmes est plus grand que celui des hommes. Ceux-ci peuvent marcher dans la rue ou dans les espaces publics en prêtant finalement peu d'attention à ce qui les entoure. Les femmes sont habitués très tôt à avoir un champ de surveillance plus large, car les menaces sont pour elles plus nombreuses. On peut lire ce témoignage (extrait de ceci) pour s'en convaincre :
The following day, I attended a workshop about preventing gender violence, facilitated by Katz. There, he posed a question to all of the men in the room: "Men, what things do you do to protect yourself from being raped or sexually assaulted?"
Not one man, including myself, could quickly answer the question. Finally, one man raised his hand and said, "Nothing." Then Katz asked the women, "What things do you do to protect yourself from being raped or sexually assaulted?" Nearly all of the women in the room raised their hand. One by one, each woman testified:
"I don't make eye contact with men when I walk down the street," said one.
"I don't put my drink down at parties," said another.
"I use the buddy system when I go to parties."
"I cross the street when I see a group of guys walking in my direction."
"I use my keys as a potential weapon."
"I carry mace or pepper spray."
"I watch what I wear."
The women went on for several minutes, until their side of the blackboard was completely filled with responses. The men's side of the blackboard was blank. I was stunned. I had never heard a group of women say these things before. I thought about all of the women in my life -- including my mother, sister and girlfriend -- and realized that I had a lot to learn about gender.
Mais cet Umwelt est également variable avec les situations sociales où se trouve l'individu. Et, en particulier, il a souvent moins besoin que les apparences soient normales de son point de vue qu'il n'a besoin que l'on puisse lui fournir une explication de la normalité : si vous tournez au coin de la rue et tombez sur un tas de gens qui se battent, vous êtes alarmé, jusqu'au moment où un monsieur vient calmement vous expliquer qu'il s'agit d'une répétition pour le tournage d'un film. Comme l'écrit Goffman :
L'individu peut avoir besoin d'explications quand il cesse soudain de voir des apparences normales dans son Umwelt, et il n'est pas nécessaire que les justifications qu'il reçoit assimilent l'évènement alarmant à ces apparences normales ; il suffit qu'elles l’intègrent à toute apparence qui, réalisée et comprise, ne serait cause d'aucune alarme.
Or, dans l'espace public, il n'y a pas forcément quelqu'un qui ait le pouvoir de transformer la situation alarmante en situation normale : l'homme qui harcèle une femme aura bien du mal à requalifier la situation d'une façon qui lui soit favorable, pour que sa proie cesse de s'inquiéter. Il en va tout autrement dans d'autres situations, et en particulier dans le cadre domestique, intime ou plus généralement privé. L'agresseur aura alors plus facilement les ressources pour expliquer à sa victime que tout cela est normal. C'est ce qui ressort du Project Unbreakable, un ensemble de photo de victimes de viol qui présentent, sur des grands panneaux blancs, les paroles de leurs agresseurs (j'en reprends juste une ci-dessous, la plupart sont glaçantes).
Voilà, peut-être, la grande différence entre le harcèlement dans l'espace public et celui dans l'espace privé. Cependant, la normalisation peut se faire autrement : elle peut être le fait de ceux qui disent "c'est comme ça on y peut rien", requalifiant les situations vécues difficilement par les personnes comme de simples accidents de parcours dont il ne faudrait pas trop s'inquiéter. La première chose à faire, pour traiter le problème, est peut-être là : écouter et ne pas normaliser. Comme pour toute forme de harcèlement ou d'agression finalement.
Ce harcèlement : une rupture de l'inattention civile mentionnée aussi par Goffman
RépondreSupprimerhttp://coulmont.com/blog/2008/01/12/linattention-civile/
et récemment discutée ici
http://www.wired.com/wiredscience/2012/08/bus-strangers-seats/ en d'autres termes
On peut relever une autre différence entre le harcèlement domestique et le harcèlement dans les lieux publics : si l'on retient de façon rigoureuse la définition du harcèlement, qui inclut comme condition sine qua non la répétition, l'effet de harcèlement dans les lieux publics a cette particularité qu'il est produit par une répétition d'attitudes, mais de différentes personnes, alors que pour ce qui est du harcèlement domestique, il est le fait d'une même personne. En un sens donc la notion de "harcèlement de rue" pourrait poser problème dans la mesure où il s'agit plutôt d'agression verbale non répétée dans le rapport de tel individu précis à tel autre, mais l'effet de harcèlement est quand même là lorsque plusieurs individus différents profèrent de telles agressions verbales envers une même personne au cours d'une journée, semaine, etc. Une forme de harcèlement dont la répétition tient à sa dimension collective, en somme.
RépondreSupprimer«Beaucoup sont d'une débilité crasse : "Pfff. Les nanas et leur #harcèlementderue. C'est comme tendre de la viande à un chien et lui dire non tu l'auras pas"»
RépondreSupprimerC'est effectivement de très mauvais goût et mal formulé mais je pense que s'il faut d'une part punir le genre de comportements observés dans le petit documentaire, d'autre part la provocation n'est certes pas une excuse à de tels comportements mais ça peut être un facteur aggravant. Je me rappelle encore très tôt dans le métro avoir croisé une femme qui portait une mini jupe, sans sous vêtements ni collants et ça m'a mis fortement mal à l'aise. Je n'en voudrai pas à un mec d'avoir des idées derrière la tête pour le coup...
«Certains, dans la même veine, ont prétendu que ce n'était que de la drague ou que les femmes étaient ou devaient se sentir flattées de cette attention. "»
Il y a une différence entre être flatté et être outré au point de faire autant de buzz ici et ailleurs.
C'est effectivement très lourd et j'imagine à quel point ça peut être désagréable mais je souhaiterai que les bloggeurs / bloggeuses et autres mouvement féministes relativisent un peu.
On parle de petits cons qui ont des remarques désobligeantes voir vexantes, pas d'agression sexuelle ou de viol que diable
Ça m'arrive aussi d'être traité de connard par un passant qui me bouscule dans les transports, et je me suis fait interpellé par un joli «cours basané» par deux jeunes néo nazies, j'ai affronté leur regard et ils sont partis, fin de l'histoire. Pas de quoi en faire un drame, si?
Je vis le harcèlement de rue et c'est pas juste des insultes ou des remarques désobligeantes comme "joli cul" mais c'est des hommes qui se mettent en travers de ton chemin qui t attrape le bras pour te retenir alors que tu dit "lache moi" qui t attrape par les cheveux pour te faire tomber .... des inconnus qui te suivent sur plusieurs rues et à l'angle tu finis par courrir. ... c'est à la campagne le vieux en scooter qui fait lexhib et se branle devant toi carrément. ... c'est tout ça accumulé c'est du harcèlement
Supprimer"pas de quoi en faire un drame , si ?" Les femmes en font un drame, parcequ'elles le vivent comme tel. Comme une peur quotidienne, et avoir peur en permanence, c'est invivable. L'organisme est mis sous tension, les hormones du stress se déclenchent, cortisol et adrénaline influant sur le rythme cardiaque , la sudation, l'instinct de fuite. à la longue le stress a des conséquences désastreuses sur l'organisme et le psychisme. Cette article très bien inspiré de Goffman vous explique pourtant clairement les mécanismes psychologiques en jeu dans cette peur.
RépondreSupprimerCe qui serait intéressant , ce serait de vous demander, pourquoi ça vous dérange autant , vous, que ce phénomène finisse par être largement médiatisé? au point d'argumenter sur ce site. Visiblement ça vous intéresse, sinon vous n'auriez pas lu cet article.
regarder d'un regard noir un homme qui vous traite de connard, gardez en tête que c'est un luxe que les femmes ne peuvent pas se permettre, Marie Trintignan, est morte de quatre gifles. Les hommes qui harcèlent ont conscience qu'ils s'en prennent à des personnes sans défense. ça s'appelle de l'oppression et de l'intimidation , et lorsque l'on vit dans un pays où "circuler librement sur le territoire national sans subir de pression, de menaces ou d'intimidations" est un droit constitutionnel, bafoué pour 52% de la population, c'est un problème sociétal grave.
Merci pour cet article !
RépondreSupprimerOn ne le répétera jamais assez, être de genre féminin ou de genre masculin dans l'espace public n'est pas la même chose. C'est très difficile de se rendre compte de ce traitement différencié, surtout pour les hommes qui ne vivent pas ce harcèlement (compatir n'est pas pâtir). Il est intéressant d'interroger des personnes transidentitaires sur cette différence, qu'elles ont vécues. Récemment un documentaire sur des trans FtM a été diffusé, et l'un d'entre eux disaient qu'il se rendait compte après avoir fait sa transition du "privilège du masculin", c'est-à-dire comment le simple fait d'être un homme, identifié comme tel, dans la rue, était un privilège.
Sur la différence femmes-hommes, je rajouterais que les femmes ne sont pas socialisées de la même manière (on le savait déjà), et qu'elles apprennent à être "gentilles", à prendre la responsabilité d'un conflit sur elle, à ne pas faire de mal aux autres, etc. Ce qui a fatalement des conséquences sur les réactions des femmes en cas de harcèlement ou d'agression (qui consiste généralement à "se laisser faire", et ne pas répliquer, par peur de réactions encore plus violentes)
@Unknown Vous relatez deux incidents isolés qui ne constituent certainement pas un harcèlement. Si ce genre d'incident se produisait plusieurs fois par jour depuis votre adolescence, peut-être cela finirait-il par modifier votre perception du monde extérieur. Il suffit que ces incidents quotidiens soient suivis une fois ou deux d'un passage à l'acte (contact physique, main aux fesses, vous barrer le passage, etc.) pour que la méfiance devienne une forme épuisante d'hyper-vigilance et que la simple idée d'emprunter certaines rues ou de sortir après une certaine heure vous colle les pires angoisses. Le jour où ces petits incidents modifieront votre comportement quotidien sans même que vous vous en rendiez compte, vous comprendrez peut-être de quoi on parle.
RépondreSupprimerTrès bel article. Très intéressante analyse. Les photos du projet unbreakable sont effectivement insoutenables.
RépondreSupprimerJ'ai par contre ri des métaphores choisies : le cerf (ou les biches de Brel ?) et... le cougar !! Il fallait oser :-)
Même si tout ce qui est dit me semble très juste, je trouve qu'il manque quand même quelque chose dans un article qui s'intitule "sociologie du harcèlement dans les lieux publics" : on ne parle pratiquement pas des harceleurs, si ce n'est pour leur dire d'être "polis"... Mais la notion de politesse, tu devrais le savoir mieux que moi, est tout sauf neutre. Ce que tu demande aux "harceleurs" c'est d'adopter des conventions sociales qui ne sont pas les leurs. C'est un terrain pour le moins glissant.
RépondreSupprimerJe ne dis pas comme on a pu le lire ailleurs que tout ça relève du racisme (le documentaire belge qui a tout lancé a été réalisé dans un quartier populaire où vivent ce que les belges appellent des allochtones).
Je ne dis pas qu'au niveau individuel ça excuse quoi que ce soit, ou que les femmes issues du même milieu sont flattées quand on les aborde avec un langage "cru", mais s'il y a une particularité au harcèlement dans l'espace public, c'est que cet espace est le lieu de rencontre de classes très différentes et que c'est un élément très important pour expliquer le phénomène.
Les hommes qui accostent une jeune femme affichant manifestement les signes extérieurs d'une classe sociale supérieure le font-ils dans le but d'obtenir une relation sexuelle peu probable (après tout, leur taux de réussite doit être proche du zéro, non?), ou bien ne s'agirait-il pas plutôt d'une forme d'agression délibéré exprimant une frustration économique et sociale ?
Le harcèlement de rue dans le XVIème existe-t-il aussi ? Sous quelles formes ?
@Coulmont : merci pour les références (et la tentative d'outgoffmanisation).
RépondreSupprimer@David Simard : c'est là un problème essentiellement juridique.
@Unknow : bel exemple de mansplaining, où vous expliquez depuis votre position d'homme ce que les femmes devraient ressentir. Le commentaire anonyme et Mahalia vous ont très bien répondu.
@Hélène : sur les transgenres comme observateurs des différences hommes/femems, Kristen Schilt a écrit des choses très intéressantes.
@Pablo Achard : j'ai repris l'exemple du cerf à Goffman, et le cougar, ça m'est venu parce que j'avais en tête un épisode des Simpsons où Homer confond Moe avec un cougar. Rétrospectivement, ce ne sont pas les meilleurs choix. On est jamais à l'abri de ce genre de trucs.
@goldfishfight : Non, ce n'est pas une question de conventions sociales différentes. Votre message le montre dans sa suite : c'est une question de relations entre les classes, non seulement les classes économiques mais aussi les hommes et les femmes en tant que classes. Je n'ai pas spéculer sur les harceleurs parce que je n'ai pas d'études ou d'éléments pour en dire quoique ce soit.
@
@Denis Colombi Le manque d'élément sur le sujet ne doit pas nous empêcher de nous poser des questions, au contraire ;) Cela étant dit, effectivement, j'ai peut-être été un peu loin dans la spéculation, basé sur guère plus que des témoignages et réactions anecdotiques au hashtag harcèlement de rue. Je ne souhaitais que poser des questions, je ne prétends pas détenir les réponses.
RépondreSupprimerJe pense qu'en abordant le phénomène du seul point de vue des victimes , quand bien même nos instincts nous incitent à prendre leur défense, et donc en ignorant celui des agresseurs, on ne peut pas vraiment comprendre le phénomène, et donc y répondre de façon productive.
Je ne suis pas sociologue, et ma culture dans ce domaine laisse à désirer ne va pas bien loin. Quelqu'un a-t-il un jour fait une sociologie des agresseurs ? Même s'il se limitait aux violences conjugales, cela nous permettrait peut-être d'avancer quelques hypothèses sur le harcèlement de rue, non ? Je lirais volontiers un article sur le sujet ici.
Oh, je me pose des questions. Ca ne veut pas dire que j'ai des réponses. Je ne suis pas assez spécialiste du sujet pour répondre immédiatement.
RépondreSupprimer"Le jour où ces petits incidents modifieront votre comportement quotidien sans même que vous vous en rendiez compte, vous comprendrez peut-être de quoi on parle."
RépondreSupprimerC'est exactement ca, quand je me suis fait agressé à l'école (petit garcon trop petit et gentil) j'ai passé mon temps a être sur mes gardes pendant mon adolescence. C'est épuisant et je ne peux que compatir avec ce que les femmes ressentent.
@goldfishfight : des études sociologiques sur les agresseurs dans les violences conjugales ont été faites plusieurs fois et le constat est le même, il n'y aucune différence de % selon les milieux sociaux.
RépondreSupprimerConcernant le harcèlement de rue, on peut faire le lien avec une "situation sociale". J'ai plus de probabilités de me faire siffler pour une bande de jeunes désœuvrés, un ouvrier de chantier que par un cadre qui lui n'est pas dans la rue mais à son bureau. Je me ferais plus harceler dans le RER par des hommes de mon milieu ou plus défavorisés que par des catégories socio-professionnelles supérieurs parce que ces derniers ne prennent tout simplement pas le RER.
Mais j'aurais beaucoup plus de probabilités de me faire violer avec la drogue du viol lors d'un dîner d'affaires avec des CSP+ (les statistiques montrent que le risque est particulièrement élevé avec les avocats).
J'aurais plus de probabilités de démissionner, d'être angoissée, déprimée d'aller au travail parce que je serais harcelée par mon chef CSP+.
J'ai bien plus de probabilités d'être violée par une personne que je connais dans un lieu que je connais que par un inconnu dans une rue sombre.
Donc le fait que oui on peut dire que ce sont souvent des hommes de catégories socio-professionnelles défavorisés qui harcèlent le plus dans la rue mais leur milieu ne décide pas s'ils sont plus harceleurs que les autres mais de l'endroit où ils vont pouvoir harceler.
PS: même si les "dragueurs" de rue sont polis, c'est juste usant de se voir imposer une communication non-stop sans que l'avoir voulu. Imaginez-vous dans la rue et sur 500 mètres, 15 personnes viennent vous demander poliment l'heure tous les jours alors que vous êtes dans vos pensées, que vous écoutez de la musique, que vous êtes au téléphone, que vous pouvez être de mauvaise humeur, que vous pouvez avoir du chagrin, que vous pouvez être en retard. Je doute que la majorité des personnes s'arrêtent et répondent très poliment TOUT LE TEMPS comme ont l'air de l'exiger beaucoup de personnes de la part des femmes CONSTAMMENT.
Cet article reste quand même très suspect. Il relève d'une idéologie douteuse, voire sécuritaire, pour faire l'apologie de la normalisation.
RépondreSupprimerJe suis davantage pour la destruction de toute forme de norme et de contrainte sociale. Je suis pour perturber la routine de la vie quotidienne. Je suis surtout choqué par le fait que les espaces publics renforcent la séparation et la destruction des relations humaines. Je m'intéresse davantage à des problèmes qui échappent aux sociologues, recroquevillés dans leur antisexisme académique. Par exemple deux inconnus dont le regard se croise et qui n'osent pas se parler malgré leur désir. C'est un problème bien plus répandu. Aucun sociologue ni gauchiste n'en parlent. De même que la répression sexuelle (à part Hélène qui observe que les femmes sont éduquées dans la peur et la soumission, encore plus que les hommes).
Merci de me faire rire ainsi. Je ne sais pas ce qui est le drôle entre le drapage dans le "moi, je..." héroïque, la débilité de la confusion sociologue et "gauchiste", ou l'ignorance qu'il y a à croire qu'aucun chercheur ne s'est jamais penché sur la répression sexuelle.
RépondreSupprimerLes larmes me montent aux yeux...Quelquechose de douloureux remonte!!!
RépondreSupprimerJ'ai bientot 41 ans , femme de partout ayant bcp bougée. Paris, Etranger, Province, les graveleux peuvent être partout! drôle d'émotions que de voir enfin posé ce que j'ai pu ressentir si longtemps dans une incompréhension complète.. terrible de se rendre compte que je me suis tu!!! tout simplement tu lorsque j'ai compris que personne n'était prêt à m'entendre et c'était il y a 20 ans.... et surtout que la malade c'était moi!!! MERCI MERCI MERCI MERCI...
Êtes-vous sur que ce que dit David Simard est essentiellement juridique ? Il y a quelque part une mise en avant du caractère social du harcèlement dans la rue. En effet, on n'est pas harcelé par un "vous êtes charmante". Si quelqu'un me disait à moi "vous êtes charmant", je ne me sentirais pas harcelé. En effet, je ne le vis quasiment pas. Ça ne me perturberait pas outre-mesure.
RépondreSupprimerC'est bien la dimension collective, la répétition globale de ces propos, avec le danger sous-tendant de violence et d'agression, qui créé le harcèlement.
Je trouve que la mise en avant du caractère collectif du harcèlement en espace public est très intéressante pour le coup.
Quand des femmes disent ne pas fumer dans la rue pour ne pas donner "d'excuses pour être approchées", c'est bien que le harcèlement en vient à toucher des situations qui sont même banales, voire sécurisées pour quelqu'un qui n'en vit pas la répétition à outrance, ni les débordements. Je ne suis jamais inquiet quand on me demande une clope. Certaines de mes amies le sont. Parce qu'elles ont eu du harcèlement derrière. Plusieurs fois.
Le côté "collectif" du harcèlement dans la rue me semble un point majeur ici. Et ça explique aussi la facilité avec laquelle des hommes considèrent qu'on "s'attaque à leur liberté".
Concernant le coté collectif, qui du coup déresponsabiliserai les "harceleurs", j'ai vu, pas ici mais ailleurs des commentateurs qui disaient que comme la plupart des hommes ne faisaient qu'une remarque en passant, on ne pouvait parler de harcèlement. En effet, de leur point de vue (celui qui dit "charmante") une seule remarque annule de fait tout effet de répétition d'un point de vue individuel et donc déqualifierait l'utilisation du terme "harcèlement". Je ne partage pas du tout cet avis, et pour l'illustrer, je vais utiliser une métaphore.
RépondreSupprimerLa métaphore qui s'impose à mon esprit c'est la lapidation. Mettons que dans une foule, chaque personne ne lance qu'une seule pierre, et certaines, juste un tout petit caillou. Est-ce que l'on viendrait à justifier leur non responsabilité dans la lapidation en disant, que lancer un tout petit caillou, ça ne fait de mal à personne, et que donc, ils ne sont pas vraiment coupable ?
De mon point de vue, c'est une fausse excuse, les comportements sont posés dans des contextes sociaux où ils ont des conséquences qui diffèrent selon ce dernier. Lancer un petit caillou sur quelqu'un lorsqu'on est en train de se chamailler à deux, et qu'on se connaît, peut être tout à fait inoffensif (un caillou hein, pas une pierre), mais lancer un petit caillou, lorsqu'il s'agit le contexte est une lapidation, ne peut être un "acte isolé" sans conséquence et sans signification violente. Et les gens qui assistent à une lapidation en ont parfaitement conscience.
De même les hommes qui abordent les femmes dans la rue, même sans insister, savent qu'ils lancent un petit caillou dans un contexte social de lapidation (la domination masculine, le patriarcat, la culture du viol).
Et les excuses telles que, "mais c'était juste un gravillon" sont juste le refus d'assumer les intentions derrière ses actes.
On peut, ou pas, adhérer à cette métaphore, et je ne sais pas si j'ai été très claire, je me doute que certains vont trouver la comparaison osée, cependant, je la trouve pour ma part, assez efficace.
Je voulais juste la partager.
A propos de ce phénomène psychologique et biologique qui entraîne un état épuisant d'hyper-vigilance, je recommande l'excellent "Réveiller le tigre, guérir le traumatisme" de Peter A. Levine.
RépondreSupprimerIl s'intéresse en particulier aux cas d'abus sexuels et développe avec simplicité le mécanisme biologique qui se met en œuvre, et qui est très proche effectivement de ce que les mammifères expérimentent. A l'exception près que notre conscience tend à court-circuiter nos réponses naturelles : après une situation stressante, les animaux tremblent ou se battent contre un adversaire imaginaire. Quand à nous ?
L'avantage de son approche - et celle de toutes les approches psychologiques ou physiologiques - est qu'elle est transversale : elle s'applique à des situations très variées, et permet de construire son empathie un peu plus finement dans des cas qui nous sont étrangers.
Et à lire certains commentaires - ici et ailleurs - qui font peu de cas de l'expérience vécue par la victime, et préfèrent s'enfoncer dans des raisonnements tortueux, je pense que ça ne fait pas de mal, l'empathie.
L'empathie pour l'agresseur aussi : cela ne veut pas dire d'excuser ou de justifier, mais bien de comprendre ce qui peut, à l'échelle individuelle, entraîner ce type de comportement afin de pouvoir l'éviter. Et encore une fois, il y a des éléments intéressants dans la théorie de Levine : ils renvoient toujours à la notion de traumatisme, expérience individuelle, psychologique et biologique.