Quand les adversaires d'un ensemble de travaux scientifiques portent leur polémique en dehors du monde scientifique, il y a toujours de quoi s'inquiéter. Pas d'exception pour les travaux sur le genre, avec un nouvel exemple avec une tribune de Nancy Huston et Michel Raymond dans le Monde visant à affirmer la pertinence des races et des sexes. Sans surprise, il apparaît clairement que les auteurs ont d'autres choses en tête que le simple questionnement scientifique qu'ils prétendent affirmer. Pourquoi ? Parce que sur le plan strictement logique, leur argumentation ne tient pas : si "sexes" et "races" désignent des classes logiques, ce n'est pas ce qu'ils montrent ici.
Je passerais, par charité, sur les arguments les plus faibles (pour ne pas écrire plus directement le fond de ma pensée) que mobilisent les deux auteurs, comme "si vous voulez pas parler de sexe et de race, c'est parce que vous êtes politiquement correct !" (pardon : "Hitler croyait au déterminisme biologique, Hitler était un salaud, donc le déterminisme biologique n'existe pas : le caractère spécieux du raisonnement saute aux yeux" : inventez un raisonnement que personne ne tient pour le réfuter, c'est assez pitoyable, mais, une fois de plus, passons). Concentrons-nous donc sur leur argument central : il existe des différences objectives entre les races et les sexes et on doit pouvoir en parler.
Des faits donc, qu'on vous dit, des faits ! Le problème, c'est que Bachelard l'a dit depuis bien longtemps, les faits sont "conquis, construits, constatés", et que donc un fait ne se donne jamais à voir de façon simple et directe. Il est le résultat d'une activité particulière, l'activité scientifique, et il faut comprendre celle-ci pour comprendre le fait. Or, ici, les deux critères mis en avant par les auteurs pour différencier les sexes ne sont pas équivalents au plan strictement logique.
Commençons par le critère le plus mal choisi : "les hommes ont en moyenne un niveau de testostérone plus élevé que les femmes". C'est vrai. Mais le "en moyenne" est important. Il y a des hommes qui ont des niveaux de testostérone très faible, inférieur à celui de nombreuses femmes, voire à la moyenne des femmes. Doit-on comprendre donc que ceux-ci sont des femmes ou qu'ils forment un troisième sexe ? Même remarque pour les femmes présentant un taux exceptionnel de testostérone - sauf que si celles-ci sont des sportives, on essayera socialement de leur imposer d'être des hommes...
Le problème est le suivant : une différence moyenne ne permet pas de constituer des classes logiques différentes mais seulement un continuum de position. C'est pour cela que les sociologues distinguent les strates sociales et les classes sociales : les strates sont constituées à partir de différences de probabilités pour des groupes différents (par exemple, une probabilité inégale d'accès à la richesse), tandis que les classes reposent sur des différences de position dans le processus productif (propriétaire du capital vs. porteurs de leur seule force de travail). Les classes logiques permettent de classer les individus sans ambiguïtés, comme le souhaitent/l'avancent Huston et Raymond. Mais ce n'est pas en regardant une moyenne que l'on parvient à faire cela.
Prenons un exemple pour être plus clair. Les deux auteurs affirment que "déjà à la naissance – donc avant toute influence sociale – filles et garçons n'ont pas les mêmes comportements". Qu'est-ce que ça veut dire ? Si on considère l'une des études les plus célèbres en la matière, celle menée par Jennifer Connellan, cela signifie, par exemple, que les bébés de sexe masculin passent en moyenne plus de temps à regarder un mobile placé à côté de leur berceau qu'un visage humain, tandis que c'est l'inverse pour les bébés de sexe féminin. On a bien une différence, non ? Sauf que si on se penche sur les chiffres, les différences ont beau être statistiquement significatives, elles ne permettent pas d'opposer garçons et filles : au contraire, il y a de forts recouvrements. Philip Cohen a représenté les distributions normales des deux populations :
On voit bien qu'opposer les deux sexes n'est pas pertinent : il y a en fait beaucoup de filles qui regarderont plus le mobile que des garçons. Et je passe sur les autres problèmes de l'expérience. Retenons simplement ceci : des différences moyennes ne permettent pas d'opposer les sexes de la façon dont le suggèrent Huston et Raymond.
Reste le deuxième critère cité : le fait d'avoir ou non un utérus. Il apparaît a priori plus pertinent : on peut en effet constituer deux classes logiques bien étanches, d'un côté les individus qui possèdent un utérus, de l'autre ceux qui n'en ont pas. La variable considérée étant dichotomique et non continue, elle ne pose pas de problèmes en termes de moyennes.
Mais posons alors la question : pourquoi constituer ces deux classes logiques "utérus/non-utérus" ? Si on est un médecin spécialisée dans les affections de l'utérus, ces deux classes sont pertinentes et importantes. Mais pour le reste, est-ce que cela a une pertinence de classer l'ensemble de l'humanité dans ces deux catégories ? Pour de nombreux problèmes, c'est parfaitement inutile. A commencer par un problème simple : comment s'adresser à une personne. Lorsque vous souhaitez savoir si vous devez dire "monsieur" ou "madame" à une personne, vous lui demandez rarement de vous montrer de façon préalable son utérus ou son absence d'utérus. Pour tout dire, je n'ai même jamais eu à montrer mon pénis et mes testicules pour que les gens sachent que je suis un homme.
Dès lors, opposer "utérus/non-utérus" est idiot, et dire que c'est sur ce critère que se constituent la partition "homme/femme" dans nos sociétés l'est également. Face à un problème particulier, on aura recours à des catégories particulières, et face à un autre problème, on aura besoin d'autres catégories. Il est parfaitement légitime pour un biologiste travaillant sur les questions de reproduction de différencier entre mâle et femelle. Il serait idiot pour lui de faire croire que ces deux catégories sont valables dans tous les champs de recherche, dans tous les savoirs, et définissent la réalité des personnes qu'il étudie plus que, par exemple, la façon dont ils se vivent et se conçoivent eux-mêmes. Qu'on le veuille ou non, s'il y a des femmes avec des pénis et des hommes avec des vagins, ce n'est pas parce qu'ils "refusent" la réalité biologique, c'est parce que nous tous n'utilisons pas cette "réalité biologique" comme la réalité pertinente pour savoir ce qu'est un homme ou une femme. Et nous avons bien raison : nous ne sommes pas tous des médecins en train de soigner des utérus, et nous avons bien d'autres problèmes à régler. Et c'est pour cela que, dans nos interactions quotidiennes, nous utilisons le genre et non le sexe... Les scientifiques n'ont fait que poser le mot "genre" sur quelque chose que les individus utilisent depuis toujours lorsqu'ils sont pris conscience que cette chose était bien différente des chromosomes des personnes;
Du coup, ce que disent Huston et Raymond sur les races est aussi peu pertinent que ce qu'ils disent sur les sexes. Ils affirment qu'il existe des différences génétiques entre des groupes géographiques. Mais quelle est la nature de ces différences ? La plupart du temps, il s'agit de tendances statistiques différentes : ainsi à peu près 50% des asiatiques ne peuvent pas métaboliser l’acétaldéhyde en acétate et donc ne supportent pas l’alcool (tenez : lisez ça c'est vachement bien), faut-il en conclure que les 50% qui restent ne sont pas asiatiques ? La probabilité d'être roux est plus forte en Irlande qu'ailleurs : les Irlandais constituent-ils donc une classe logique propre que l'on peut, en toutes circonstances, séparer du reste de l'humanité ? Les auteurs donnent d'ailleurs comme exemple "les sherpas de l'Himalaya sont adaptés à la vie en altitude" : faut-il comprendre que les sherpas sont une race à part ?
Huston et Raymond semblent considérer le mot "race" comme une simple question d'étiquette : "peu importe le terme" finissent-ils même par écrire. On peut justement se demander pourquoi ils y sont si attachés, alors, puisqu'il a si peu d'importance... S'il s'agit simplement de dire qu'il existe des différences biologiques entre certaines sous-populations qu'un biologiste doit prendre en compte pour, par exemple, concevoir un médicament, le mot "race" est-il bien utile ? Qu'apporte-t-il au juste à l'analyse ? De fait, les biologistes peuvent avancer sans en avoir besoin.
Il faut alors chercher ailleurs dans l'article pour comprendre où veulent en venir les auteurs. Après avoir commencé par rejeter la sociobiologie, ils nous offrent en effet un formidable moment de réductionnisme biologique : la possession d'un utérus ou le niveau de testostérone des individus auraient ainsi "eu un impact décisif sur l'histoire de l'humanité – son organisation sociale (patriarcat), familiale (mariage, primogéniture), politique (guerre)". D'un seul coup, on comprends que, pour Huston et Raymond, la différence de sexe est transversale à tous les problèmes scientifiques et vient déterminer l'ensemble de la société... Or aucun des points avancés n'est clairement établi, d'autant plus qu'on ne sait pas à quoi les auteurs font référence (à l'utérus ou à la testostérone ?). D'une façon générale, le lien entre les différences biologiques entre les sexes et les comportements et institutions sociales est loin d'être établi.
Mais faut-il en comprendre que Huston et Raymond suggèrent que c'est la même chose pour les "races" ? Que les différences biologiques entre des sous-groupes qu'ils se gardent bien de désigner expliquent les différences de positions sociales ? C'est finalement peut-être cela qui est en jeu. C'est peut-être ce qui se cache derrière leurs formules creuses comme "Il est temps de passer outre ces réponses simplistes à des questions infiniment difficiles, car si nous continuons à ignorer et à maltraiter le monde, nous risquons de compromettre nos chances de survie"... C'est peut-être ce qui se cache derrière des imbécilités comme l'assimilation des travaux sur le genre (idéologiquement renommés "théorie du genre") à la formule "on décide de notre propre sort", remarque aberrante pour des travaux qui s'intéressent à la question de la domination... C'est peut-être ce qui se cache derrière cette volonté de parler à tout prix de "race".
Je passerais, par charité, sur les arguments les plus faibles (pour ne pas écrire plus directement le fond de ma pensée) que mobilisent les deux auteurs, comme "si vous voulez pas parler de sexe et de race, c'est parce que vous êtes politiquement correct !" (pardon : "Hitler croyait au déterminisme biologique, Hitler était un salaud, donc le déterminisme biologique n'existe pas : le caractère spécieux du raisonnement saute aux yeux" : inventez un raisonnement que personne ne tient pour le réfuter, c'est assez pitoyable, mais, une fois de plus, passons). Concentrons-nous donc sur leur argument central : il existe des différences objectives entre les races et les sexes et on doit pouvoir en parler.
Si vous affirmez l'existence chez les humains de deux sexes, plutôt que d'un seul ou de toute une kyrielle, vous êtes aussitôt taxé d'"essentialisme". Pourtant, dire que seules les femmes ont un utérus, ou que les hommes ont en moyenne un niveau de testostérone plus élevé qu'elles, ce n'est ni spéculer quant à l'"essence" de l'un ou l'autre sexe, ni promouvoir une idéologie sexiste, ni décréter l'infériorité des femmes par rapport aux hommes, ni recommander que les femmes soient tenues à l'écart de l'armée et les hommes des crèches, c'est énoncer des faits !
Des faits donc, qu'on vous dit, des faits ! Le problème, c'est que Bachelard l'a dit depuis bien longtemps, les faits sont "conquis, construits, constatés", et que donc un fait ne se donne jamais à voir de façon simple et directe. Il est le résultat d'une activité particulière, l'activité scientifique, et il faut comprendre celle-ci pour comprendre le fait. Or, ici, les deux critères mis en avant par les auteurs pour différencier les sexes ne sont pas équivalents au plan strictement logique.
Commençons par le critère le plus mal choisi : "les hommes ont en moyenne un niveau de testostérone plus élevé que les femmes". C'est vrai. Mais le "en moyenne" est important. Il y a des hommes qui ont des niveaux de testostérone très faible, inférieur à celui de nombreuses femmes, voire à la moyenne des femmes. Doit-on comprendre donc que ceux-ci sont des femmes ou qu'ils forment un troisième sexe ? Même remarque pour les femmes présentant un taux exceptionnel de testostérone - sauf que si celles-ci sont des sportives, on essayera socialement de leur imposer d'être des hommes...
Le problème est le suivant : une différence moyenne ne permet pas de constituer des classes logiques différentes mais seulement un continuum de position. C'est pour cela que les sociologues distinguent les strates sociales et les classes sociales : les strates sont constituées à partir de différences de probabilités pour des groupes différents (par exemple, une probabilité inégale d'accès à la richesse), tandis que les classes reposent sur des différences de position dans le processus productif (propriétaire du capital vs. porteurs de leur seule force de travail). Les classes logiques permettent de classer les individus sans ambiguïtés, comme le souhaitent/l'avancent Huston et Raymond. Mais ce n'est pas en regardant une moyenne que l'on parvient à faire cela.
Prenons un exemple pour être plus clair. Les deux auteurs affirment que "déjà à la naissance – donc avant toute influence sociale – filles et garçons n'ont pas les mêmes comportements". Qu'est-ce que ça veut dire ? Si on considère l'une des études les plus célèbres en la matière, celle menée par Jennifer Connellan, cela signifie, par exemple, que les bébés de sexe masculin passent en moyenne plus de temps à regarder un mobile placé à côté de leur berceau qu'un visage humain, tandis que c'est l'inverse pour les bébés de sexe féminin. On a bien une différence, non ? Sauf que si on se penche sur les chiffres, les différences ont beau être statistiquement significatives, elles ne permettent pas d'opposer garçons et filles : au contraire, il y a de forts recouvrements. Philip Cohen a représenté les distributions normales des deux populations :
On voit bien qu'opposer les deux sexes n'est pas pertinent : il y a en fait beaucoup de filles qui regarderont plus le mobile que des garçons. Et je passe sur les autres problèmes de l'expérience. Retenons simplement ceci : des différences moyennes ne permettent pas d'opposer les sexes de la façon dont le suggèrent Huston et Raymond.
Reste le deuxième critère cité : le fait d'avoir ou non un utérus. Il apparaît a priori plus pertinent : on peut en effet constituer deux classes logiques bien étanches, d'un côté les individus qui possèdent un utérus, de l'autre ceux qui n'en ont pas. La variable considérée étant dichotomique et non continue, elle ne pose pas de problèmes en termes de moyennes.
Mais posons alors la question : pourquoi constituer ces deux classes logiques "utérus/non-utérus" ? Si on est un médecin spécialisée dans les affections de l'utérus, ces deux classes sont pertinentes et importantes. Mais pour le reste, est-ce que cela a une pertinence de classer l'ensemble de l'humanité dans ces deux catégories ? Pour de nombreux problèmes, c'est parfaitement inutile. A commencer par un problème simple : comment s'adresser à une personne. Lorsque vous souhaitez savoir si vous devez dire "monsieur" ou "madame" à une personne, vous lui demandez rarement de vous montrer de façon préalable son utérus ou son absence d'utérus. Pour tout dire, je n'ai même jamais eu à montrer mon pénis et mes testicules pour que les gens sachent que je suis un homme.
Dès lors, opposer "utérus/non-utérus" est idiot, et dire que c'est sur ce critère que se constituent la partition "homme/femme" dans nos sociétés l'est également. Face à un problème particulier, on aura recours à des catégories particulières, et face à un autre problème, on aura besoin d'autres catégories. Il est parfaitement légitime pour un biologiste travaillant sur les questions de reproduction de différencier entre mâle et femelle. Il serait idiot pour lui de faire croire que ces deux catégories sont valables dans tous les champs de recherche, dans tous les savoirs, et définissent la réalité des personnes qu'il étudie plus que, par exemple, la façon dont ils se vivent et se conçoivent eux-mêmes. Qu'on le veuille ou non, s'il y a des femmes avec des pénis et des hommes avec des vagins, ce n'est pas parce qu'ils "refusent" la réalité biologique, c'est parce que nous tous n'utilisons pas cette "réalité biologique" comme la réalité pertinente pour savoir ce qu'est un homme ou une femme. Et nous avons bien raison : nous ne sommes pas tous des médecins en train de soigner des utérus, et nous avons bien d'autres problèmes à régler. Et c'est pour cela que, dans nos interactions quotidiennes, nous utilisons le genre et non le sexe... Les scientifiques n'ont fait que poser le mot "genre" sur quelque chose que les individus utilisent depuis toujours lorsqu'ils sont pris conscience que cette chose était bien différente des chromosomes des personnes;
Du coup, ce que disent Huston et Raymond sur les races est aussi peu pertinent que ce qu'ils disent sur les sexes. Ils affirment qu'il existe des différences génétiques entre des groupes géographiques. Mais quelle est la nature de ces différences ? La plupart du temps, il s'agit de tendances statistiques différentes : ainsi à peu près 50% des asiatiques ne peuvent pas métaboliser l’acétaldéhyde en acétate et donc ne supportent pas l’alcool (tenez : lisez ça c'est vachement bien), faut-il en conclure que les 50% qui restent ne sont pas asiatiques ? La probabilité d'être roux est plus forte en Irlande qu'ailleurs : les Irlandais constituent-ils donc une classe logique propre que l'on peut, en toutes circonstances, séparer du reste de l'humanité ? Les auteurs donnent d'ailleurs comme exemple "les sherpas de l'Himalaya sont adaptés à la vie en altitude" : faut-il comprendre que les sherpas sont une race à part ?
Huston et Raymond semblent considérer le mot "race" comme une simple question d'étiquette : "peu importe le terme" finissent-ils même par écrire. On peut justement se demander pourquoi ils y sont si attachés, alors, puisqu'il a si peu d'importance... S'il s'agit simplement de dire qu'il existe des différences biologiques entre certaines sous-populations qu'un biologiste doit prendre en compte pour, par exemple, concevoir un médicament, le mot "race" est-il bien utile ? Qu'apporte-t-il au juste à l'analyse ? De fait, les biologistes peuvent avancer sans en avoir besoin.
Il faut alors chercher ailleurs dans l'article pour comprendre où veulent en venir les auteurs. Après avoir commencé par rejeter la sociobiologie, ils nous offrent en effet un formidable moment de réductionnisme biologique : la possession d'un utérus ou le niveau de testostérone des individus auraient ainsi "eu un impact décisif sur l'histoire de l'humanité – son organisation sociale (patriarcat), familiale (mariage, primogéniture), politique (guerre)". D'un seul coup, on comprends que, pour Huston et Raymond, la différence de sexe est transversale à tous les problèmes scientifiques et vient déterminer l'ensemble de la société... Or aucun des points avancés n'est clairement établi, d'autant plus qu'on ne sait pas à quoi les auteurs font référence (à l'utérus ou à la testostérone ?). D'une façon générale, le lien entre les différences biologiques entre les sexes et les comportements et institutions sociales est loin d'être établi.
Mais faut-il en comprendre que Huston et Raymond suggèrent que c'est la même chose pour les "races" ? Que les différences biologiques entre des sous-groupes qu'ils se gardent bien de désigner expliquent les différences de positions sociales ? C'est finalement peut-être cela qui est en jeu. C'est peut-être ce qui se cache derrière leurs formules creuses comme "Il est temps de passer outre ces réponses simplistes à des questions infiniment difficiles, car si nous continuons à ignorer et à maltraiter le monde, nous risquons de compromettre nos chances de survie"... C'est peut-être ce qui se cache derrière des imbécilités comme l'assimilation des travaux sur le genre (idéologiquement renommés "théorie du genre") à la formule "on décide de notre propre sort", remarque aberrante pour des travaux qui s'intéressent à la question de la domination... C'est peut-être ce qui se cache derrière cette volonté de parler à tout prix de "race".
Sur la question de la présence ou non d'un utérus ou d'un vagin :
RépondreSupprimerhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_de_Rokitansky-K%C3%BCster-Hauser
Intéressant, comme toujours :)
RépondreSupprimerQu'un biologiste utilise le nom "race" ou "sexe" pour désigner un concept, un critère ou signe propre à la biologie, cela tout le monde est d'accord. Cela revient à renommer ces termes en quelque chose comme "race-tel-qu-entendu-en-biologie", ou "sexe-tel-qu-entendu-en-biologie".
Par contre, et vous avez raison, le problème n'est pas là. Il apparait lorsque ces précisions sont effacées, de sorte que les termes de "race" et de "sexe" se colorent de significations hors des limites prescrites de la biologie. Notamment, dans ce cas précis, ces termes relèvent d'une certaine conception de la société, conception qu'il faut discuter. Ceci est la tâche de la sociologie, il me semble (N'hésitez pas à corriger mes propos.)
Il y a une autre question qui m'occupe. Vous avez cité Bachelard, et il est vrai qu'il a bien montré que le "fait scientifique" n'est jamais évident, qu'il ne se montre pas aussi facilement qu'on voudrait le croire et qu'il participe plutôt d'une théorie (organique) au sein de laquelle, et seulement au sein de celle-ci, il prend une signification claire.
Mais comment passer aux frontières de la théorie ? Prenons un exemple. Si il y a un lien entre la distinction mâle/femelle et la distinction masculin/féminin, comment étudier une relation qui mêle la biologie d'un côté, et la sociologie de l'autre (si tant est que j'attribue correctement ces distinctions à leurs domaines respectifs) ?
Je n'ai pas de réponses claires. Je dirais que nous n'avons pas à répondre à cette question lorsqu'on fait face à un problème sociologique particulier où la distinction biologique n'intervient pas, ou plutôt, n'a pas à intervenir (je reconnais un homme et une femme sans vérifier leurs organes génitaux).
Cela n'est pas très satisfaisant. Il faut peut-être reconnaître une fragmentation irréductible des domaines du savoir ... mais c'est une hypothèse un peu forte.
Qu'en pensez-vous ?
Je trouvais l'article de Huston et Raymond dangereusement creux (en mode "ces constructivistes ils font comme si on n'avait pas de corps!"). Merci pour cette reprise en détail qui montre les enjeux inavoués. Que penses-tu de ça: http://www.cairn.info/revue-critique-2011-1-p-87.htm ?
RépondreSupprimerMerci, très très grand merci.
RépondreSupprimerMerci ! Le passage sur l'utilisation (contestable) des statistiques comme preuve m'a particulièrement intéressée. C'est ce type d'arguments que je perçois (parfois) mais que j'ai du mal à démonter...
RépondreSupprimerOn ne peut, de toute manière, pas exclure la subdivision de l'espèce humaine en populations génétiquement distinctes. J'avais eu un cours de génétique humaine par l'anthropologue Evelyne Heyer, qui avait montré que certaines ethnies d'Asie centrale étaient génétiquement homogènes, que d'autres présentaient plusieurs clusters, ou alors que certaines populations génétiquement homogènes se divisaient en ethnies. Un peu plus près de chez nous, John Novembre a montré que la localisation géographique des individus pouvait être retrouvée pays par pays simplement par une analyse du génome (j'invite à aller consulter les figures assez amusantes, http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2735096/). Donc il semblerait qu'on puisse, dans cette mesure, subdiviser l'espèce humaine en "races" ou "sous-espèces".
RépondreSupprimerEnfin, cela étant, toute population humaine contient 85% des allèles de l'espèce. C'est énorme, si on compare au chimpanzé où chaque population ne comprend que 15% des allèles de l'espèce. Au sein de l'espèce humaine, les différences restent généralement assez faibles.
Il reste, de toute manière, nécessaire de garder à l'esprit que toute classification du vivant n'a pas d'intérêt autre que l'interprétation qu'on en fait... Et dans le cadre de la théorie de l'évolution, une bonne classification doit se faire selon des critères généalogiques, et pas nécessairement phénotypiques. Une erreur regrettable pour Michel Raymond...
""""Et je pense sur les autres problèmes de l'expérience.""""
RépondreSupprimerJe crois que vous pensez trop et ne passez pas assez :p
Au delà des problèmes de nombre de sujets étudié(e)s, les adultes observés par les bébés dans cette expérience connaissaient-ils le sexe des enfants pour lesquels ils faisaient office de "visage humain" ? Si oui, ça suffit à fausser complètement l'expérience, vu les perceptions et attitudes différenciées des gens selon le sexe du bébé... (réel ou supposé d'ailleurs)
Merci!
RépondreSupprimerDe nombreuses fois j'ai voulu répondre à des phrases comme "souvent les femmes sont comme ci ou comme ça donc c'est une caractéristique de la femme (ou féminité) et/ou donc cela montre qu'il existe des différences hommes/femmes évidentes". Cela a pourtant toujours été logique pour moi : si il existe un contre-exemple alors ce n'est pas vrai (et évidemment, les préjugés sont d'autant plus difficiles à entendre si le contre-exemple, c'est moi).
Merci encore!
@ Paranoid, on parle de certaines mutations communes pas de génome commun, cela ne montre pas que les groupes humains ayant certaines mutations communes constituent une race ou une sous-espèce mais qu'ils descendent des mêmes ancêtres et qu'ils ont une certaine endogamie. Les Québécois ont une partie non négligeable de leur population ayant une mutation maladive des yeux, on remonte jusqu'à une orpheline "envoyée" pour se marier à un colon il y a 300 ans. C'est un impact non négligeable en terme de probabilités qui influencent les Québécois mais qui ne nous influencent pas nous métropolitains, nous sommes donc plus proches des Sherpas en ce sens, donc les Québécois sont une race différente des sherpas et des français caucasiens?
RépondreSupprimerUne toute petite mutation non visible a plus d’influence sur la santé mais ce ne sont pas ces mutations qui servent à ranger les êtres humains (comme par hasard).
Cela peut être utile à la rigueur pour soigner particulièrement certaines populations mais c'est encore des probabilités et sujet des interprétations. "On" a déterminé que certains médicaments fonctionnaient mieux chez les Afro-américains à cause de certaines mutations génétiques descendant des esclaves de l'Afrique de l'Ouest, on a donc décrété que tous les Afro-américains devaient recevoir spécifiquement ces médicaments, sans prendre en compte le métissage (les blancs "visibles" qui auraient hérités de ces caractéristiques, les noirs descendant de l'Afrique de l'Ouest n'ayant pas ou plus ces particularités), les nouveaux arrivants de d'autres parties de l'Afrique. Au lieu de tester les gènes de toutes les personnes pour ces médicaments, on reste sur la différence blanc-noir au mépris de la santé.
"Au delà des problèmes de nombre de sujets étudié(e)s, les adultes observés par les bébés dans cette expérience connaissaient-ils le sexe des enfants pour lesquels ils faisaient office de "visage humain" ?"
RépondreSupprimerC'est effectivement un des problèmes de l'expérience : les observateurs connaissaient le sexe des bébés. Or d'autres expériences ont montré à quel point ceci modifie énormément la perception que l'on a d'un bébé.
Accessoirement, l'identifiation via Wordpress ne fonctionne pas très bien : j'y suis connectée, mais j'ai un message d'erreur "You do not own that identity."
Je passerai également avec douceur sur l'énormité historique de considérer la priogéniture comme permanente dans le temps et commune à toutes les cultures/civilisations.
RépondreSupprimerParce que ça... pour une énormité... Et je ne parle même pas de la fluctuation du rôle du mariage, et de l'influence performative des religions du livre. Aucune étude sérieuse ne le coompterait comme grosso modo immuable avant le début du XIXè quand a commencé à s'installer la dualité entre mariage civil et religieux.
L'évolution fait que la plupart des animaux cherchent à se produire. Dans la vie d'un animal (humain ou non), c'est quelque chose d'essentiel (sinon, du point de vue de l'évolution, il "disparaît").
RépondreSupprimerCette volonté reproductrice joue dans les comportements, en particulier dans les relations mâle/femelle. Les différences d'apparence entre hommes et femmes se justifient en partie par ces considérations évolutionnistes : un homme ou une femme facilement identifié par le sexe opposé aura plus de chances de se reproduire. De même, de nombreux comportement sociaux visent à identifier les célibataires (donc les individus "disponibles" pour la reproduction), par exemple, le lancer du bouquet de la mariée.
Cette distinction entre sexe ne provient pas de critères sociaux uniquement, et avouons qu'il serait étrange que des sociétés très éloignées aient toutes décidées de distinguer socialement homme et femme sans raison. Cette distinction est d'abord et avant tout évolutionniste : chaque sexe a intérêt à être identifiable par l'autre.
Chaque société a ensuite adapté cet impératif biologique et a créé ses propres coutume autour de ce fait de base.
Vous spéculez, vous ne démontrez rien. La distinction des sexes, d'une part, est plus complexe (de nombreuses sociétés connaissent ainsi un "troisième sexe" pour des individus dont le sexe biologique est différent du sexe social...), d'autre part, peut reposer sur des mécanismes purement anthropologiques : l'organisation du monde sur le principe de grandes oppositions structurantes immédiatement visibles (chaud/froid, haut/bas, dur/mou, masculin/féminin...).
RépondreSupprimerInterpréter le lancer de bouquet de la mariée comme une manière de montrer sa disponibilité sexuel est pour le moins étrange... Êtes-vous sûr d'avoir bien compris à quoi correspond le lancer de bouquet ?
Une fois de plus, vous identifiez l'évolution à une volonté intérieure aux individus : ce n'est pas cela. La sélection naturelle dépend de l'adaptation à un environnement, et donc de cet environnement. Pas d'une mystérieuse volonté des individus...
Une fois de plus, vous identifiez l'influence de l'évolution sur le comportement à une "volonté immanente".
RépondreSupprimerIl n'en est rien.
Chaque individu a ses propres penchants, préférences, désirs. Certains de ces penchants sont favorisés par la sélection naturelle. Les individus présentant ces penchants seront donc plus fréquents. Mais l'individu, lorsqu'il se laisse aller à son penchant, n'a pas conscience de le faire pour des motifs évolutionnistes.
Si Robert préfère, sans forcément s'en rendre compte, les femmes à bassin large, dans son esprit, ce n'est pas pour des motifs évolutionnistes. Même si ce type de préférence est géré par les règles de l'évolution.
C'est exactement ce qui se passe dans le cas du bouquet de la mariée : il ne faut pas confondre la symbolique que l'homme attache à l'évènement, et sa cause évolutionniste.
Et au fond, je ne vois pas pourquoi vous êtes si hostile à l'idée qu'à l'instar des autres animaux, le comportement des humains est en grande partie déterminé par des considérations évolutionnistes.
Je n'identifie pas l'évolution à une force immanente : je dis précisément qu'elle n'est pas cela, alors que c'est le rôle que certains veulent lui faire jouer, et que vos commentaires tombent dans ce travers.
RépondreSupprimerDans vos messages, il apparaît que Robert est guidée par une force mystérieuse et inconsciente qui le conduit à préférer les femmes au bassin large. L'évolution ne fonctionne pas comme ça. Ce n'est pas une force qui contrôle "inconsciemment" les individus. C'est un mécanisme extérieur aux individus qui sélectionne des caractères dans un environnement donné, ce caractère pouvant devenir nuisible ou inutile dans un autre environnement. La préférence des hommes pour les bassins larges est déjà plus que douteuse... en faire une force inconsciente des individus est juste faux. Même chose pour le bouquet de fleur : je me demande bien comment vous pouvez prêter à cela un caractère favorisant la survie ou la reproduction des individus dans un environnement donné qui aurait sélectionné ce caractère comme le plus adapté.
Le fait que des sociétés très éloignées et très différentes aient fait la même distinction entre les sexes exclus toute explication sociologique.
RépondreSupprimerVous sortez l'hypothèse des "grandes oppositions structurantes immédiatement visibles". Regardons lesquelles vous mentionnez :
1) Chaud/Froid : Distinguer le chaud du froid est biologiquement utile (et si on a un sens permettant de les distinguer, c'est parce que les individus capable de distinguer le chaud du froid sont favorisés par la sélection naturelle).
2) Haut/Bas : c'est biologiquement indispensable de les distinguer. Presque tous les animaux connaissent cette distinction. Là encore, l'explication est biologique.
3) Dur/mou : je n'ai pas d'avis dessus, pourquoi dites vous que c'est une "opposition structurante" ?
4) masculin/féminin : à l'instar des autres, il y a fort à parier que le motif est biologique. Il serait bien étrange que ce soit la seule "opposition structurante" qui ne soit pas biologique à la base. De plus, je vois mal comment on pourrait affirmer que cette distinction n'a rien à voir avec la reproduction (et donc avec l'évolution). La reproduction est un comportement essentiel dans la vie des tous les animaux, par quelle magie l'homme serait-il différent ? Parce que votre "Dieu" lui aurait donné le libre arbitre ?
Un comportement reproducteur a forcément une influence sur l'évolution, puisque la sélection naturelle repose en grande partie sur la capacité à avoir une descendance. Il me semble absurde de rejeter l'évolution sur ce qui concerne le sexe et ses représentations sociales.
Là encore, je ne vois pas pourquoi vous ne voulez pas tenir compte de l'évolution pour ce qui concerne la différentiation sexuelle.
En plus, vous omettez de parler de d'autres distinctions immédiatement visibles, comme par exemple la couleur de cheveux, la taille...
Quant au "troisième sexe" que vous mentionnez, il est suffisamment peu fréquent pour être négligeable du point de vue de l'évolution.
Ecoutez, ce n'est pas compliqué : vous êtes bouché. C'est le dernier commentaire que je valide si vous continuez dans cette voie. Je dis à chaque fois explicitement que je veux bien tenir compte de l'évolution et que c'est vous qui vous méprenez sur ce qu'elle implique et la façon dont elle fonctionne.
RépondreSupprimerConcernant les grandes oppositions structurantes, vous vous contentez de dire qu'elles peuvent être perçues par les individus. Quelle grande découverte... Mais leur centralité et leur articulation n'a pas besoin de reposer dans un comportement instinctif des individus : il peut naître très simplement de l'expérience matérielle du monde à partir de capacités biologiques qui ne l'impliquent pas. Par exemple, percevoir le chaud ou le froid est possible biologiquement - nous sommes équipés pour - cela ne veut pas dire que nous ne devons pas en faire l'expérience pour l'apprendre. De la même façon que nous sommes équipé pour compter, mais que nous devons quand même apprendre à compter... Ainsi, la distinction masculin/féminin prend sens pour les individus d'abord parce qu'elle peut se structurer avec d'autres oppositions binaires, ce qui n'est pas faisable de la même façon avec d'autres caractéristiques physiques, comme la couleur des yeux qui existent en une plus grande variété.
Ensuite, vous mettez de côté ce que vous voulez de la réalité pour dire "oh, ça, ça rentre pas dans l'évolution"... Evidemment, si vous mettez de côté tout ce qui questionne vos préjugés...
Vous prétendez bien vouloir tenir compte de l'évolution. Dites moi alors à quel moment vous faites intervenir l'évolution dans vos explications sur le genre.
RépondreSupprimerJe veux bien tenir compte de l'évolution, ça veux dire que je conçois bien que l'humain n'y échappe pas, pas qu'elle explique tout ou qu'il faille la faire intervenir dans toutes les arguments... C'est à vous d'apporter un argumentaire pertinent.
RépondreSupprimerTortuga a écrit: "Chaque individu a ses propres penchants, préférences, désirs. Certains de ces penchants sont favorisés par la sélection naturelle. Les individus présentant ces penchants seront donc plus fréquents. Mais l'individu, lorsqu'il se laisse aller à son penchant, n'a pas conscience de le faire pour des motifs évolutionnistes. Si Robert préfère, sans forcément s'en rendre compte, les femmes à bassin large, dans son esprit, ce n'est pas pour des motifs évolutionnistes. Même si ce type de préférence est géré par les règles de l'évolution."
RépondreSupprimerCe passage m'a particulièrement interpellé. C'est un classique de la sociobiologie qui tient en quelques énoncés:
- les femmes a bassin large sont plus fécondes
- puisque plus fécondes, elles sont plus fréquemment choisies par les hommes
- puisque plus fréquemment choisies par les hommes et plus fécondes, l'attirance pour les bassins larges s'est répandu ainsi que les bassins larges...
Je ne caricature rien ici, c'est réellement une synthèse de réflexion de psy évolutive, prétendument appuyée dans ce cas-ci par des "preuves". Tortuga lui-même le dit "Même si ce type de préférence est géré par les règles de l'évolution"...
Au pif, il y a une dizaine de réfutations évolutives contre ce genre de schémas qui me viennent à l'esprit, amis je serais intéressé de lire quelles éléments de preuve et/ou quelles règles de l'évolution attestent ce passage.