Je n'ai pas d'humour. Voilà, comme ça, c'est dit. J'ai préféré préciser ce point d'entrée de jeu pour que les choses soient claires... Parce qu'on va me le reprocher, et parce que c'est aussi de ça dont je voudrais parler : de toutes ces situations où l'on reproche à l'autre de ne pas comprendre ou de ne pas vouloir comprendre que c'est de l'humour. De ces petites phrases simples que l'on lâche facilement : "c'est bon, c'est de l'humour", "c'est pas sérieux", "faut pas le prendre au premier degré", "mais personne n'y croit vraiment !", et toutes ces sortes de choses. Et comme je n'ai pas d'humour, je vais faire appel pour cela à quelqu'un qui en avait beaucoup : Erving Goffman.
Ce sont des petites remarques qu'il n'est pas rare d'entendre. Généralement, le contexte est le suivant : quelqu'un fait une blague qui, pour une raison ou une autre, blesse quelqu'un d'autre ou soulève chez celui-ci une certaine indignation ; ce dernier le fait savoir ; le premier réponds alors que ce n'est que de l'humour et que ce n'est pas important.
En tant qu'enseignant, j'y suis sans cesse confronté : des élèves qui se traitent de "pédé", "tarlouze", "sale arabe", "enculé", "pute", "pétasse", "fils de pute", "enculé de ta race", "bougnoule", j'en passe et des pas mûres, c'est malheureusement courant... Et lorsqu'on leur fait une remarque à ce propos, la réaction est toujours la même : grands yeux écarquillés, air étonné, "mais m'sieur, c'est une blague" ou "mais il sait que je rigole, hein que tu sais que je rigole, enculé ?". Cette réaction, on la retrouve aussi à tous les niveaux, entre adultes, chez les amuseurs professionnels, etc. Pour le 8 mars qui vient de passer, on en a vu, comme chaque année, de toutes sortes.
A chaque fois, l'idée est la même : les mots utilisés ne font pas sens pour les individus. Le fait de traiter quelqu'un d'enculé ou de dire à une femme "bon, t'es gentille, va me faire un sandwich" ne serait pas homophobe ou sexiste parce que les individus qui utilisent ces expressions et parfois celles qui les reçoivent n'y attacheraient pas d'importance. Cette légèreté, parfois rebaptisée "second degré", absoudrait tout caractère nuisible aux expressions, simples jeux de langage dont celui qui s'offusque échouerait simplement à percevoir la véritable signification. Et finalement, ce qui en vient à être revendiqué est toujours la même chose : le droit à faire des blagues qui visent certaines personnes ou certains groupes sans avoir à en être responsable - la liberté d'expression se transformant en obligation pour les autres de ne pas venir vous déranger.
En tant que sociologue, je ne peux pas rejeter l'idée que c'est le sens que donnent les individus aux mots qui compte, et je ne peux qu'être attentif aux appropriations et réappropriations des termes et des expressions. De la même façon que la violence dans les jeux vidéo n'est pas une adhésion à la violence, je peux envisager que le recours à des remarques sexistes ou racistes ne signifient pas une adhésion au racisme ou au sexisme. Mais je suis aussi attentif au fait que ce n'est pas les intentions des individus qui comptent, mais leurs actes, et les conséquences de ceux-ci. En matière d'humour, le geste critique de la sociologie ne peut être que de rappeler que celui-ci n'existe pas dans un mystérieux continuum situé hors de la société, mais au cœur d'interactions entre des individus des individus et des groupes.
Partons donc de là : qu'est-ce qu'une interaction et de quelle interaction parle-t-on ? Imaginons la situation suivante : vous marchez dans la rue, et sans le vouloir, vous écrasiez le pied d'une autre personne. Comment allez-vous réagir ? Le plus probable est que vous ressentiez de l'embarras. A priori, l'embarras peut sembler être une réaction à la fois émotionnelle et incontrôlée, et témoigner d'une erreur, d'une déviance, ou d'un problème. C'est là qu'intervient Erving Goffman : dans un des chapitres de ce grand livre qu'est Les rites d'interaction, il nous dit que rien n'est plus social et plus normal que l'embarras.
A quels moments sommes-nous embarrassés ? L'embarras prend toujours place dans une interaction : il intervient en fait lorsque quelque chose dans l'interaction ne se déroule pas selon le script prévu, lorsque les attentes que l'on avait placé dans l'interaction n'apparaissent pas réalisables. Lors d'une interaction, chacun intervient avec certaines prétentions, chacun essaye de "sauver la face" : vous voulez vous présenter sous un jour favorable, et généralement vous cherchez à protéger la représentation que l'autre a de lui-même. C'est à ces conditions qu'une interaction peut se dérouler de façon correcte. En marchant sur le pied d'un inconnu, vous affectez sa face : la douleur l'oblige à montrer des émotions, à sortir du rôle auquel il prétend. Mais c'est surtout votre face qui est touchée : vous pourriez passer pour quelqu'un d'agressif ou de peu soucieux des autres. Il y a alors différentes façons de reconstituer votre face et de défendre le cours de l'interaction. S'excuser ou être embarrassé en font partie. Partant de là, on comprends que l'embarras, loin d'être une faiblesse d'un individu, est "une partie normale de la vie sociale normale" :
Dans le cas de l'écraseur de pied, son embarras non seulement sauve sa face, mais en plus autorise sa victime involontaire à lui pardonner : inutile pour elle de rentrer dans une attitude de défi ou de violence, inutile qu'elle cherche à défendre son intégrité contre une agression extérieure. L'embarras s'inscrit dans un script social où nous ne faisons que jouer. Tant que nous nous en tenons à ce script, chacun peut vaquer à ses occupations sans que les autres ne représentent une menace pour lui : s'il y a une petite agression et que celle-ci s'inscrit d'emblée dans un scénario qui en élimine la charge destructrice pour le moi de chacun, elle est sans importance et peut facilement être ignorée. Autrement dit, l'embarras est l'un des signes normaux qui disent que ce qui vient de se passer n'a pas d'importance.
Vous l'aurez compris : c'est la même chose pour les blagues. Lorsqu'une blague affecte la face d'une personne, lorsqu'elle dévalorise l'identité à laquelle elle s'attache, en la renvoyant à une image qui lui déplaît, sa réaction va être de défendre sa face : répondant coup pour coup, il est fort probable qu'elle attaque celle du blagueur, lui reprochant d'être raciste ou sexiste ou, plus simplement, de manquer de considération envers les sentiments des autres. Si la blessure faite à l'autre est effectivement involontaire, et si véritablement l'enjeu est "sans importance", on pourrait s'attendre à ce que l'embarras soit une réaction logique à cette situation : une façon de maintenir l'interaction avec l'autre ou, tout au moins, de maintenir la paix dans les relations et sa propre face. Pourtant, c'est rarement la réaction qui domine.
En quoi consiste alors le "oh, c'est bon, c'est de l'humour" ou le "tu comprends pas le second degré ou quoi ?" qui est la défense si souvent utilisée dans ces cas-là ? Il ne s'agit pas seulement d'une tentative de sauver la face - "je ne suis pas raciste voyons". Il s'agit aussi d'une attaque contre la face de l'autre : après avoir détruit une première fois la représentation positive que l'autre essaye de donner de lui, vous en remettez une couche en détruisant une autre partie de cette face. Une double peine en quelque sorte : c'est un peu comme si, après avoir marché sur le pied de quelqu'un, vous lui donniez une gifle parce qu'il a crié de douleur. Se faisant, vous sacrifiez en fait l'interaction que vous pouvez avoir avec l'autre, et avec tous ceux qui peuvent soit partager son identité soit être d'accord avec son point de vue, pour le droit de faire une blague. Autrement dit, pour une chose qui censé être sans importance, vous êtes prêt à sacrifier des relations, des interactions, peut-être des amis...
C'est donc que c'est loin d'être sans importance : contrairement à ce qu'elle semble dire, la réaction "ce n'est que de l'humour, c'est pas grave" vient en fait défendre quelque chose d'extrêmement important, auquel les individus sont suffisamment attachés pour faire des sacrifices non négligeables en son nom. Quel est donc cette chose qui se cache derrière le droit à l'humour ? Goffman souligne que l'embarras intervient souvent dans des situations où les individus sont amenés à devoir combiner plusieurs rôles apparemment contradictoires. Pourquoi l'embarras est-il si courant à la machine à café ou dans l'ascenseur ? Parce que dans ces lieux, des individus qui ne sont pas égaux - la chef de service et le secrétaire, l'enseignant chercheur et l'étudiant de première année, le médecin chef et l'aide soignant - se retrouvent dans une situation où ils devraient être égaux. Incapables de choisir entre ces différents rôles, ils se montrent embarrassés ce qui les protège pour la suite :
Ce dernier point souligné par Goffman nous renseigne bien sur notre cas : on pourrait penser que l'on se trouve dans une telle situation, mais sans la réaction attendue à celle-ci. En effet, la revendication de ceux qui se disent blessés par un trait d'humour met aux prises deux principes normatifs de notre système social : la légitimité de la revendication à l'égalité et au respect de tous d'une part, la spécificité de certains, porteurs de stigmates - par leur sexe, leur couleur de peau, leur âge, leurs activités, leurs préférences, leurs comportements, leurs sexualités ou autre -, dont on peut se moquer. On peut trouver d'autres contradictions encore : entre la revendication de la liberté de tous et l'enfermement de certains dans des rôles prédéfinis par exemple. Mais ces contradictions ne mènent pas à l'embarras : certains n'ont que faire de protéger leur face auprès d'autres, ils n'ont aucun intérêt à cela parce qu'ils ne se sentent pas égaux avec eux et n'ont donc rien à protéger sur ce plan. Ils veulent se croire dans la situation du PDG qui, passant à la machine à café, est conscient qu'il peut couper la file sans le moindre signe de remord parce qu'il n'a pas à se prêter au jeu de l'égalité formelle. Autrement dit, ils estiment avoir droit à un privilège, et, en se retournant contre la face de ceux qui les questionnent, ils le défendent.
On dit que l'humour est la politesse du désespoir. Je pense que l'on peut ajouter que la revendication d'un droit à se moquer sans être responsable de ses actes est, quant à elle, l'impolitesse du désespoir : impolitesse parce qu'il s'agit bien de s'attaquer à l'autre plutôt que de maintenir l'interaction, désespoir parce qu'elle intervient chez des individus qui sentent que les privilèges qui ont été les leurs pendant longtemps sont désormais remis en question. J'ai déjà eu cette réaction : "ah mais écoute, si on peut plus faire des blagues sur les femmes, ce sera quoi après ? On pourra plus faire des blagues sur les noirs, les écossais, les belges...". On entend aussi régulièrement cette défense : "mais on fait des blagues sur tout le monde !". Sauf que lorsqu'une blague commence par "un type rentre dans un bar...", tout le monde sait que même si le type est un homme blanc - du moins, c'est ainsi que vous l'avez imaginé spontanément en lisant "un type rentre dans un bar" -, ce ne sont pas les hommes blancs qui sont visés... Sauf que tout le monde a fait l'expérience de blagues blessantes, et que ce que l'on revendique donc est un droit à blesser. Un privilège. Ni plus ni moins.
Cette analyse ne se limite pas à l'humour. Il n'est pas rare que l'on s'entende dire que certains changements sont superflus pour les mêmes raisons, parce que les choses sur lesquelles ils portent ne feraient pas sens pour les individus : pourquoi abandonner l'utilisation de "mademoiselle" alors que les gens n'y font pas attention ? Pourquoi changer le nom des écoles maternelles, alors que, voyons, le soin des enfant est également réparti dans le couple ? (Hein ? Comment ça, ce n'est pas le cas, et le plus gros revient encore aux femmes ? Vous êtes sûrs ?) Seulement voilà : il y a des gens qui sont prêts à se battre pour que ces choses-là ne changent pas : il faut donc croire qu'elles ne sont pas à ce point sans importance. On peut quand même se demander pourquoi les forces les plus conservatrices se liguent soudain contre ces changements... Un autre prétexte est souvent qu'il y a des choses "plus urgentes à faire" : pourquoi alors refuser des petits changements simples et peu coûteux, en perdant beaucoup de temps à lutter contre ? Une fois de plus, si tout cela est sans importance, la réaction ne devrait pas être de détruire la face de l'autre... Toutes les protestations ressemblent au final à celle-ci : on commence par dire que ce n'est pas grave, que c'est sans importance, qu'il y a plus urgent... pour au final expliquer que "l'équité ne passe pas par l'égalité arithmétique" (je soupçonne l'auteur en question d'avoir eu son diplôme de philosophie en lisant le rapport Minc...). Autrement dit, il ne faudrait quand même pas dire qu'une société juste passerait par une égale liberté des individus à être ce qu'ils veulent, il faut quand même que les hommes restent des mecs, les femmes des gonzesses, et qu'on ne confonde pas. Comme toujours, ce que l'on dit sans importance a en fait suffisamment d'importance pour que l'on passe du temps à le défendre.
L'analyse que je propose ici n'est pas en soi normative : elle se borne à remarquer que les gens défendent quelque chose quoiqu'ils en disent, et que ce quelque chose est un droit à objectiver les autres et à leur imposer ce qu'ils sont. Vous pouvez encore vous dire que, après tout, l'humour vaut bien la peine que certains soient blessés. Je vous inviterais alors à vous poser cette question toute philosophique : qui est le plus grand adversaire de Batman ?
Ce sont des petites remarques qu'il n'est pas rare d'entendre. Généralement, le contexte est le suivant : quelqu'un fait une blague qui, pour une raison ou une autre, blesse quelqu'un d'autre ou soulève chez celui-ci une certaine indignation ; ce dernier le fait savoir ; le premier réponds alors que ce n'est que de l'humour et que ce n'est pas important.
En tant qu'enseignant, j'y suis sans cesse confronté : des élèves qui se traitent de "pédé", "tarlouze", "sale arabe", "enculé", "pute", "pétasse", "fils de pute", "enculé de ta race", "bougnoule", j'en passe et des pas mûres, c'est malheureusement courant... Et lorsqu'on leur fait une remarque à ce propos, la réaction est toujours la même : grands yeux écarquillés, air étonné, "mais m'sieur, c'est une blague" ou "mais il sait que je rigole, hein que tu sais que je rigole, enculé ?". Cette réaction, on la retrouve aussi à tous les niveaux, entre adultes, chez les amuseurs professionnels, etc. Pour le 8 mars qui vient de passer, on en a vu, comme chaque année, de toutes sortes.
Le système de points de Martin Viderg, réutilisable tous les 8 mars |
A chaque fois, l'idée est la même : les mots utilisés ne font pas sens pour les individus. Le fait de traiter quelqu'un d'enculé ou de dire à une femme "bon, t'es gentille, va me faire un sandwich" ne serait pas homophobe ou sexiste parce que les individus qui utilisent ces expressions et parfois celles qui les reçoivent n'y attacheraient pas d'importance. Cette légèreté, parfois rebaptisée "second degré", absoudrait tout caractère nuisible aux expressions, simples jeux de langage dont celui qui s'offusque échouerait simplement à percevoir la véritable signification. Et finalement, ce qui en vient à être revendiqué est toujours la même chose : le droit à faire des blagues qui visent certaines personnes ou certains groupes sans avoir à en être responsable - la liberté d'expression se transformant en obligation pour les autres de ne pas venir vous déranger.
En tant que sociologue, je ne peux pas rejeter l'idée que c'est le sens que donnent les individus aux mots qui compte, et je ne peux qu'être attentif aux appropriations et réappropriations des termes et des expressions. De la même façon que la violence dans les jeux vidéo n'est pas une adhésion à la violence, je peux envisager que le recours à des remarques sexistes ou racistes ne signifient pas une adhésion au racisme ou au sexisme. Mais je suis aussi attentif au fait que ce n'est pas les intentions des individus qui comptent, mais leurs actes, et les conséquences de ceux-ci. En matière d'humour, le geste critique de la sociologie ne peut être que de rappeler que celui-ci n'existe pas dans un mystérieux continuum situé hors de la société, mais au cœur d'interactions entre des individus des individus et des groupes.
Partons donc de là : qu'est-ce qu'une interaction et de quelle interaction parle-t-on ? Imaginons la situation suivante : vous marchez dans la rue, et sans le vouloir, vous écrasiez le pied d'une autre personne. Comment allez-vous réagir ? Le plus probable est que vous ressentiez de l'embarras. A priori, l'embarras peut sembler être une réaction à la fois émotionnelle et incontrôlée, et témoigner d'une erreur, d'une déviance, ou d'un problème. C'est là qu'intervient Erving Goffman : dans un des chapitres de ce grand livre qu'est Les rites d'interaction, il nous dit que rien n'est plus social et plus normal que l'embarras.
A quels moments sommes-nous embarrassés ? L'embarras prend toujours place dans une interaction : il intervient en fait lorsque quelque chose dans l'interaction ne se déroule pas selon le script prévu, lorsque les attentes que l'on avait placé dans l'interaction n'apparaissent pas réalisables. Lors d'une interaction, chacun intervient avec certaines prétentions, chacun essaye de "sauver la face" : vous voulez vous présenter sous un jour favorable, et généralement vous cherchez à protéger la représentation que l'autre a de lui-même. C'est à ces conditions qu'une interaction peut se dérouler de façon correcte. En marchant sur le pied d'un inconnu, vous affectez sa face : la douleur l'oblige à montrer des émotions, à sortir du rôle auquel il prétend. Mais c'est surtout votre face qui est touchée : vous pourriez passer pour quelqu'un d'agressif ou de peu soucieux des autres. Il y a alors différentes façons de reconstituer votre face et de défendre le cours de l'interaction. S'excuser ou être embarrassé en font partie. Partant de là, on comprends que l'embarras, loin d'être une faiblesse d'un individu, est "une partie normale de la vie sociale normale" :
A ce niveau, loin d'être une impulsion irrationnelle qui viendrait transpercer le comportement régulier socialement prescrit, fait partie intégrante de celui-ci. Les signes d'émoi sont un exemple extrême de ces actes, qui constituent une classe importante, ordinairement spontanés et néanmoins aussi attendus et obligatoires que s'ils étaient consciemment décidés.
Dans le cas de l'écraseur de pied, son embarras non seulement sauve sa face, mais en plus autorise sa victime involontaire à lui pardonner : inutile pour elle de rentrer dans une attitude de défi ou de violence, inutile qu'elle cherche à défendre son intégrité contre une agression extérieure. L'embarras s'inscrit dans un script social où nous ne faisons que jouer. Tant que nous nous en tenons à ce script, chacun peut vaquer à ses occupations sans que les autres ne représentent une menace pour lui : s'il y a une petite agression et que celle-ci s'inscrit d'emblée dans un scénario qui en élimine la charge destructrice pour le moi de chacun, elle est sans importance et peut facilement être ignorée. Autrement dit, l'embarras est l'un des signes normaux qui disent que ce qui vient de se passer n'a pas d'importance.
Vous l'aurez compris : c'est la même chose pour les blagues. Lorsqu'une blague affecte la face d'une personne, lorsqu'elle dévalorise l'identité à laquelle elle s'attache, en la renvoyant à une image qui lui déplaît, sa réaction va être de défendre sa face : répondant coup pour coup, il est fort probable qu'elle attaque celle du blagueur, lui reprochant d'être raciste ou sexiste ou, plus simplement, de manquer de considération envers les sentiments des autres. Si la blessure faite à l'autre est effectivement involontaire, et si véritablement l'enjeu est "sans importance", on pourrait s'attendre à ce que l'embarras soit une réaction logique à cette situation : une façon de maintenir l'interaction avec l'autre ou, tout au moins, de maintenir la paix dans les relations et sa propre face. Pourtant, c'est rarement la réaction qui domine.
En quoi consiste alors le "oh, c'est bon, c'est de l'humour" ou le "tu comprends pas le second degré ou quoi ?" qui est la défense si souvent utilisée dans ces cas-là ? Il ne s'agit pas seulement d'une tentative de sauver la face - "je ne suis pas raciste voyons". Il s'agit aussi d'une attaque contre la face de l'autre : après avoir détruit une première fois la représentation positive que l'autre essaye de donner de lui, vous en remettez une couche en détruisant une autre partie de cette face. Une double peine en quelque sorte : c'est un peu comme si, après avoir marché sur le pied de quelqu'un, vous lui donniez une gifle parce qu'il a crié de douleur. Se faisant, vous sacrifiez en fait l'interaction que vous pouvez avoir avec l'autre, et avec tous ceux qui peuvent soit partager son identité soit être d'accord avec son point de vue, pour le droit de faire une blague. Autrement dit, pour une chose qui censé être sans importance, vous êtes prêt à sacrifier des relations, des interactions, peut-être des amis...
C'est donc que c'est loin d'être sans importance : contrairement à ce qu'elle semble dire, la réaction "ce n'est que de l'humour, c'est pas grave" vient en fait défendre quelque chose d'extrêmement important, auquel les individus sont suffisamment attachés pour faire des sacrifices non négligeables en son nom. Quel est donc cette chose qui se cache derrière le droit à l'humour ? Goffman souligne que l'embarras intervient souvent dans des situations où les individus sont amenés à devoir combiner plusieurs rôles apparemment contradictoires. Pourquoi l'embarras est-il si courant à la machine à café ou dans l'ascenseur ? Parce que dans ces lieux, des individus qui ne sont pas égaux - la chef de service et le secrétaire, l'enseignant chercheur et l'étudiant de première année, le médecin chef et l'aide soignant - se retrouvent dans une situation où ils devraient être égaux. Incapables de choisir entre ces différents rôles, ils se montrent embarrassés ce qui les protège pour la suite :
En se montrant embarrassé de ne pouvoir choisir entre deux personnages, l'individu se réserve la possibilité d'être l'un ou l'autre à l'avenir. Il se peut qu'il sacrifie son rôle dans l'interaction présente, voire la rencontre, mais il démontre que, même s'il n'est pas en mesure de présenter maintenant un moi admissible et cohérent, il en est du moins troublé et tâchera de faire mieux une prochaine fois. [...] Dans tout système social, il est des points où les principes d'organisation entrent généralement en conflit. Plutôt que de laisser ce conflit s'exprimer au sein de la rencontre l'individu se place entre les deux termes de l'opposition.
Ce dernier point souligné par Goffman nous renseigne bien sur notre cas : on pourrait penser que l'on se trouve dans une telle situation, mais sans la réaction attendue à celle-ci. En effet, la revendication de ceux qui se disent blessés par un trait d'humour met aux prises deux principes normatifs de notre système social : la légitimité de la revendication à l'égalité et au respect de tous d'une part, la spécificité de certains, porteurs de stigmates - par leur sexe, leur couleur de peau, leur âge, leurs activités, leurs préférences, leurs comportements, leurs sexualités ou autre -, dont on peut se moquer. On peut trouver d'autres contradictions encore : entre la revendication de la liberté de tous et l'enfermement de certains dans des rôles prédéfinis par exemple. Mais ces contradictions ne mènent pas à l'embarras : certains n'ont que faire de protéger leur face auprès d'autres, ils n'ont aucun intérêt à cela parce qu'ils ne se sentent pas égaux avec eux et n'ont donc rien à protéger sur ce plan. Ils veulent se croire dans la situation du PDG qui, passant à la machine à café, est conscient qu'il peut couper la file sans le moindre signe de remord parce qu'il n'a pas à se prêter au jeu de l'égalité formelle. Autrement dit, ils estiment avoir droit à un privilège, et, en se retournant contre la face de ceux qui les questionnent, ils le défendent.
On dit que l'humour est la politesse du désespoir. Je pense que l'on peut ajouter que la revendication d'un droit à se moquer sans être responsable de ses actes est, quant à elle, l'impolitesse du désespoir : impolitesse parce qu'il s'agit bien de s'attaquer à l'autre plutôt que de maintenir l'interaction, désespoir parce qu'elle intervient chez des individus qui sentent que les privilèges qui ont été les leurs pendant longtemps sont désormais remis en question. J'ai déjà eu cette réaction : "ah mais écoute, si on peut plus faire des blagues sur les femmes, ce sera quoi après ? On pourra plus faire des blagues sur les noirs, les écossais, les belges...". On entend aussi régulièrement cette défense : "mais on fait des blagues sur tout le monde !". Sauf que lorsqu'une blague commence par "un type rentre dans un bar...", tout le monde sait que même si le type est un homme blanc - du moins, c'est ainsi que vous l'avez imaginé spontanément en lisant "un type rentre dans un bar" -, ce ne sont pas les hommes blancs qui sont visés... Sauf que tout le monde a fait l'expérience de blagues blessantes, et que ce que l'on revendique donc est un droit à blesser. Un privilège. Ni plus ni moins.
Cette analyse ne se limite pas à l'humour. Il n'est pas rare que l'on s'entende dire que certains changements sont superflus pour les mêmes raisons, parce que les choses sur lesquelles ils portent ne feraient pas sens pour les individus : pourquoi abandonner l'utilisation de "mademoiselle" alors que les gens n'y font pas attention ? Pourquoi changer le nom des écoles maternelles, alors que, voyons, le soin des enfant est également réparti dans le couple ? (Hein ? Comment ça, ce n'est pas le cas, et le plus gros revient encore aux femmes ? Vous êtes sûrs ?) Seulement voilà : il y a des gens qui sont prêts à se battre pour que ces choses-là ne changent pas : il faut donc croire qu'elles ne sont pas à ce point sans importance. On peut quand même se demander pourquoi les forces les plus conservatrices se liguent soudain contre ces changements... Un autre prétexte est souvent qu'il y a des choses "plus urgentes à faire" : pourquoi alors refuser des petits changements simples et peu coûteux, en perdant beaucoup de temps à lutter contre ? Une fois de plus, si tout cela est sans importance, la réaction ne devrait pas être de détruire la face de l'autre... Toutes les protestations ressemblent au final à celle-ci : on commence par dire que ce n'est pas grave, que c'est sans importance, qu'il y a plus urgent... pour au final expliquer que "l'équité ne passe pas par l'égalité arithmétique" (je soupçonne l'auteur en question d'avoir eu son diplôme de philosophie en lisant le rapport Minc...). Autrement dit, il ne faudrait quand même pas dire qu'une société juste passerait par une égale liberté des individus à être ce qu'ils veulent, il faut quand même que les hommes restent des mecs, les femmes des gonzesses, et qu'on ne confonde pas. Comme toujours, ce que l'on dit sans importance a en fait suffisamment d'importance pour que l'on passe du temps à le défendre.
L'analyse que je propose ici n'est pas en soi normative : elle se borne à remarquer que les gens défendent quelque chose quoiqu'ils en disent, et que ce quelque chose est un droit à objectiver les autres et à leur imposer ce qu'ils sont. Vous pouvez encore vous dire que, après tout, l'humour vaut bien la peine que certains soient blessés. Je vous inviterais alors à vous poser cette question toute philosophique : qui est le plus grand adversaire de Batman ?
L'analogie entre le pied écrasé et la remarque "blague ratée" n'est à mon sens pas si pertinente que ça : objectivement, et dans n'importe quelles circonstances, l'écrasement du pied sera reçu comme une agression, et ce par tous, la victime comme les spectateurs de la scène.
RépondreSupprimerAu contraire, la remarque / blague peut être perçue différemment par la victime et par les spectateurs : il est des cas où seule la victime peut-être blessée, ou encore seuls certains des spectateurs peuvent se sentir attaqués indirectement. Auquel cas, le mécanisme de "défense" consistant à relever que c'est de l'humour peut aussi chercher à rallier l'assentiment du groupe alentour.
Quoi qu'il en soit, le tout est de bien être conscient qu'une blague en est une quand le destinataire la considère comme tel, et non uniquement l'émetteur =)
Prenons une autre analogie alors :
RépondreSupprimerVous vous baladez dans la rue. Une bande de quinze baraques se jettent sur vous, vous fonce dessus, vous met des coups d'épaule, puis vous écrase au sol. Vous protestez. Ils vous répondent "oh, c'est bon, c'est que du rugby, c'est le jeu, c'est le sport quoi".
Voilà. Quand vous faites de l'humour qui blesse quelqu'un qui ne vous a rien demandé, c'est la même chose.
Pour moi, quand on blesse quelqu'un, ce n'est plus de l'humour.
RépondreSupprimerSi la personne comprend / accepte votre blague, c'est comme si la personne qui se faisait "charger" était sur un terrain de rugby. Et dans ce cas, c'est de l'humour.
Je ne suis pas sûr de me faire bien comprendre, mais amha, on peut parler d'humour quand la notion est acceptée telle quelle par tout le groupe, et de tentative de blague blessante quand c'est seulement le "blagueur" qui l'a analysé comme telle.
Sauf que les réactions qui m'intéressent ici consistent à obliger la personne à être sur le terrain de rugby et à l'humilier encore plus si elle refuse d'y rentrer. Pour la discussion de ce qu'est l'humour lui-même, je vous conseille de voir mes précédents billets sur ce thème (tag "sociologie de l'humour").
RépondreSupprimerJ'aime bien l'image du rugby parce que ça rappelle aussi que, pour les baraqués, si ce n'est qu'un jeu, en revanche celui/celle qui se trouve pris dedans n'a pas le temps/pas le choix de s'en extraire. Et par conséquent il ne joue pas. Mais il se prends les coups quand même, et une partie seulement des observateurs comprendra qu'il ne voulait pas jouer.
RépondreSupprimerTout cela me rappelle un sketch de Chevallier et Laspalès.
RépondreSupprimer- Attention, l'humour avec les femmes faut pas en abuser non plus. Faut pas qu'ça les dépasse.
- (Réaction outrée dans la salle)
- Oui, sinon elle se vexent... Tiens tu vois là on est allé trop loin.
Voir cette vidéo à partir de 2 mn
https://www.youtube.com/watch?v=uAcoZDa11MY
Deux différences toutefois :
. tout le monde dans la salle sait que c'est de l'humour
. les gens ne se moquent pas des femmes mais des 2 personnages beaufs au possible.
@Bertaga : J'ai beaucoup hésité à valider votre commentaire. Il contient quand même un lien vers un sketch Chevallier et Laspalès....
RépondreSupprimer@Shetty : pire encore, on pourra lui reprocher de ne pas vouloir jouer...
C'est vrai, et là est le re-coup. On ira même jusqu'à lui reprocher qu'il ai des bleus. Ou qu'il ne soit pas rugbyman. Ou de gâcher le jeu pour les spectateurs. Mais là je vais un peu loin dans l'image...
RépondreSupprimerBillet fort intéressant, comme d'habitude sur ce blog.
RépondreSupprimerL'humour est un peu comme une danse, on choisit toujours des partenaires qui partagent le même sens du rythme, n'est-ce pas un peu pareil pour l'humour ?
Mais dans ce cas, ne risque-t-on pas un coup sur deux de nous montrer blessant envers une tierce personne ? L'humour est fait de mots et, quelque part, les mots sont des armes qui peuvent blesser...
Le plus grand ennemi de Batman ? C'es Bane, il lui prend une une bonne dizaine de centimètres.
RépondreSupprimerPlus sérieusement, et sur la base des films que j'ai vu, plus un passage sur wikipedia pour me rappeler les personnages:
Joker c'est l'antithèse de Batman. L'un est noir, l'autre coloré. L'un se cache, l'autre se montre. L'un veut le bien, l'autre le mal. L'un vient d'un milieu ultraprivilégié, l'autre des bas-fonds. Batman lutte contre le mal sans distinction, le joker semble obsédé par l'autre.
Mais Batman est en fait un peu sadique, comme le Joker. Comme lui, il ne cherche pas l'argent, mais une forme de vengeance contre ceux qui lui ont fait perdre un chemin de vie (famille pour l'un, la peau pour l'autre, tuer Harvey Dent sera en quelque sorte tuer un autre mélange entre le Batman et le joker). Le Joker a cependant l'avantage d'avoir un but précis: la mort de Batman. Tandis que Batman lutte indéfiniment, ou jusqu'à ce qu'il trouve l'apaisement avec l'amour.
Mais les origines sont diverses, selon les comics. Quoiqu'il en soit, la peau blanche du joker est le résultat d'une passage dans une cuve de produits chimiques. On voit le lien avec l'ennemi intime de Batman: l'écologiste ra's al ghul.
Bane et Crane sont les envoyés de ra's al ghul et renvoient Batman à une éducation secondaire qui est la base morale de son action, mais à l'opposé de celle des deux vilains.
Bane représente un Batman qui connaît sa vraie mission, la rémission de l'humanité et de la planète par sa purification. Ils ne sont pas très différents, il me semble aussi que chacun semble survivre grâce à l'amour.
Crane est un Bane qui joue sur la modification des perceptions avec Batman, grâce à la drogue, avant de tenter d'empoisonner Gotham. C'est paradoxal car Bruce, à la tête d'une multionationale aux branches si diverses qu'il empoisonne sûrement lui aussi Gotham, sans vouloir le voir. Il nous amène vers le plus grand ennemi de Bruce, au niveau psychologique: lui-même, ou plutôt ra's al ghul qui existe en lui au travers de l'idéologie qu'il lui inculqué, basée sur une haine du mal.
Ca doit partir en dissonance cognitive, à partir cette confrontation avec... lui-même, au travers de son père adoptif, qui lui a fixé un but dans la vie.
Ra's al ghul est suffisamment intelligent et machiavélique pour "planifier" le destin de Bruce, ou au moins savoir ce qu'est lui le Batman. Bruce peut se croire manipulé alors qu'il pensait faire le bien, en réalité au service de l'éco-terrorisme prôné par un homme qui n'est pas humaniste.
Bruce découvre alors que le Batman n'était que le jouet de son père adoptif. Il va donc tuer le père, et tuer Batman au passage. Pour redécouvrir la vie avec l'amour qu'il n'avait plus depuis...la mort de ses parents.
Bonjour,
RépondreSupprimerune fois encore j'apprends plein de choses. Je suis d'accord avec l'ensemble de votre propos, mais je me demande quand même s'il n'y pas un distinguo à faire sur les "quelqu'uns" qu'on blesse. Faire une blague sur les blondes ou les noirs, c'est blesser les noirs ou les blondes en rendant jovial un système de domination. Mais quand Charlot dupe un policier ou entarte un notable dans "The Kid", j'ai le sentiment qu'en blessant cette personne-là il blesse avant tout une institution. Il parvient à subvertir le système établi: le vagabond met en échec l'ordre social. Tout ça pour me demander si l'humour n'a pas vocation à être la politesse des minoritaires, y compris et surtout quand il est blessant.
Ce qui m'amène à une autre question: l'argument ultime d'un comique comme Nicolas Bedos, c'est de dire qu'il s'autorise la dérision sur tous et sur toutes, parce qu'il la pratique d'abord sur lui-même. C'est une posture que je trouve quand même problématique, sans trop savoir où est le hic. Ceux qui déclarent que le monde entier est un terrain de rugby où ils se laisseraient volontiers plaquer, je les soupçonne toujours, va savoir pourquoi, de vouloir quand même rester les arbitres du match...
Il y un aspect sur lequel j'aimerais avoir votre point de vue : la blague sexiste ou xénophobe qui n'a pas pour but de stigmatiser l'appartenance à un sexe ou un pays mais, au contraire, de mettre en lumière un comportement ridicule. A titre d'exemple, dans une pièce de JM Ribes, Musée haut, musée bas, on rit de "ce sont des chômeurs français, eux", mais c'est le ridicule de la réflexion qui est drôle. Cet exemple est tout à fait loin des exemple que vous donnez "on, t'es gentille, va me faire un sandwich lol" mais il s'agit bien d'humour.
RépondreSupprimerTon analyse est tellement pertinente que j'en viens à désespérer... Je vois pas comment déconstruire cette tendance dans une conversation IRL normale. Que dire à une personne qui fait de l'humour intolérant que c'est intolérant et problématique sans citer tout un tas d'essais sociologique et donc, inévitablement, ennuyer les auditeurs très rapidement ? (Oui parce que quand les gens se retrouvent entre potes, c'est pas pour parler sociologie tu penses bien... -_-). J'imagine qu'il faut de l'entraînement, mais d'avance, ça me fatigue et m'attriste.
RépondreSupprimerL’embarras vient du décalage entre le but recherché d’une action et son résultat. L’humour-insulte, à priori volontaire, c’est donc tout autre chose. Et puis en fait, tout dépend du contexte ou du « cadre » pour causer gauffmannien (ne jamais oublier le contexte ! Il n’est pas question que d’intentions ou de conséquences des actes pour l’analyse). Le sens différent que cela prend selon le contexte, c’est aussi ce qui montre clairement qu’effectivement l’humour-insulte n’est pas neutre. On peut schématiser en trois : si je dis à mon chef qui est noir « salut negro ! », j’aurai une augmentation quand il gèlera en enfer (dans le meilleur des cas). Si je fais cette blague à un égal (mon meilleur ami), ça sera peut-être « drôle ». Si je fais cette blague à une personne considérée inférieure ou avec laquelle je n’ai pas d’affinités particulières, ou d’envie de tisser des liens, ça sera juste une insulte. (Mais il est vrai que je pourrais, ce qui est bien pratique, me réfugier derrière le second degré).
RépondreSupprimerCe billet s’intéresse au troisième cas et il n’est pas contestable qu’il est hypocrite de s’abriter derrière l’humour dans de pareils cas. Je ne vois même pas comment on pourrait soutenir le contraire. Le second cas est le plus intéressant et peut probablement faire l’objet de plusieurs analyses. Ca me fait surtout penser au « small talk » : quand ma voisine de pallier me parle de la météo, ça n’est pas le fond qui est important mais la forme : la conversation est faite pour tisser du lien social (il serait donc hors propos de lui dire « la météo ça ne m’intéresse pas » car le but n’est pas de s’enrichir l’esprit). La blague-insulte avec un égal remplit un peu la même fonction, c’est une façon de s’assurer que l’on partage du lien, à tel point qu’on peut faire mine de le mettre à l’épreuve. Bref, dans la blague insulte dans ce cas, même si elle est probablement tout aussi ringarde que de causer météo (oui les jeunes sont des ringards qui s’ignorent :) et qu’elle s’appuie (et valide probablement mais c’est compliqué) des clichés conservateurs, c’est mois au fond qu’il faut s’intéresser qu’à la fonction qu’elle remplit.
N.b. J’ai mis un smiley dans la phase précédente mais je le pense vraiment, c’est pour me protéger…
Très bon et intéressant article (tout comme le blog que je découvre).
RépondreSupprimerMais... je ne suis pas du tout d'accord avec l'argument que vous avancé. Tout du moins sur votre analyse goffmanienne du sujet. Parce qu'il ne l'aurait sans doute pas analysé lui-même ainsi. Je ne prétends pas être un spécialiste du sujet, et je réponds à brûle pourpoint sans avoir les livres sous la main. Mais voici comment je conçois une approche Goffmanienne dans le cas présenté.
Comme l'a souligné l'un des commentateurs, tout ça est affaire de cadre. Et je note en particulier que vous n'avez pas du tout repris l'analyse de Goffmann sur les modalisations (avec notamment son exemple « ceci est un jeu » qu'on pourrait facilement rapprocher de « ceci est une blague »).
Typiquement, dans l'ensemble des situations que vous mentionnez, toutes sont lié à un cadre un contexte. Où l'un des intervenants, par son propos, sa diction/intonation/... on simplement par un énoncé, va chercher à indiquer « ceci est une blague » (en particulier en général avec le rire glissé derrière). L'embarras vient (enfin, pas seulement) de la rupture des attentes d'un cadre et nécessitent alors réparation... si les intervenants souhaitent maintenir le cadre. Ou s'il n'y a pas de conflit sur la définition de ce cadre.
Or justement, la réaction « c'est une blague/du second degré » me semble non pas être une sanction, mais une volonté de définir le cadre dans lequel pensait s'inscrire l'un des intervenants. Il ne s'agit plus de sauver la face par réparation, mais par une méta-discussion sur la nature du cadre. Une réparation aurait put sauver la face aussi (il aurait s'agit ici pour l'interlocuteur d'accepter qu'il a échoué dans la fabrication de son cadre « blague » et qu'ainsi il a généré une source d'embarras.
Ici, l'interlocuteur nie l'échec. A priori pour justement se distancier de son propos, ce que n'aurais pas forcément réalisé la réparation, mais cela peut être aussi en réponse à l'« agression » que constitue la non réponse aux attentes de son propre cadre (certains ne se remettent pas facilement en cause).
En bref, ce qui est à l'origine du conflit, ce n'est pas seulement la blague manquée, mais aussi et surtout le fait que deux individus, pour une même situation, un même énoncé (mais un contexte différent étant donné que chez Goffmann les opinions personnelles, subjective et le non dis font aussi partit du contexte) les intervenants se sont retrouvé avec deux définitions du cadre différents « ceci est une blague » et « ceci n'est pas une blague » (ou ici plutôt « ceci est un sujet trop sérieux, impliquant trop de choses, pour pouvoir être une blague »).
Il est à noter que le même mécanisme peut être utilisé très hypocritement pour requalifier une assertion problématique (une insulte, un comportement/propos inadapté, ou qui n'a pas plut à l'un des interlocuteurs). Quelqu'un pourras chercher à justifier son énoncé en annonçant « ceci est une blague/du second degré » et requalifier quelque chose socialement (dans le contexte) d'inacceptable en quelque chose de plus « justifiable » et qui pourrait permettre une plus facile réparation (en s'excusant par exemple pour la mauvaise blague).
Arg, et je dois hélas laisser le PC. Je vais conclure en vous invitant à lire les cadre de l'expérience ( plus spécifiquement le chapitre sur les cadres modalisés, et en cherchant via l'index à « jeu »), ainsi que « fun in games » hélas non traduit.
L'analyse est éclairante, mais le titre de l'article nettement moins.
RépondreSupprimerSous le nom de "désespoir" , c'est tout de même le dépit qu'éprouvent des dominants de voir menacés certains de leurs privilèges, qui est évoqué. Du dépit au désespoir, il y a tout de même un gouffre.
Sous l'euphémisme d' "impolitesse", on trouve l'exercice de la domination, le rappel du dominé à la condition qui lui est faite, à son infériorité.
Le désespoir des dominé-e-s, de celleux qui subissent la discrimination, qui sont infériorisés en permanence dans les rapports de domination, c'est tout de même autre chose.
Bien sûr, les systèmes de hiérarchies et les rapports de domination sont nombreux et complexes - économique, sexiste, raciste, hétérosexiste et j'en passe -, ils s'interpénètrent, s'imbriquent, et plus d'un dominé trouve à se venger sur plus dominé que lui. En ce sens, peut-être entre-t-il une part de vrai désespoir dans la mesquine défense de ses privilèges sur autrui.
Néanmoins, montrer de la complaisance face à ces manifestations là de "désespoir", qualifier de simple "impolitesse" certains rapports de domination me semble des plus déplacé.
Même, et surtout, pour "faire un bon mot".
@tulipas : Non, j'insiste, le Joker est plus grand ennemi de Batman. Mais j'avoue que c'est les comics plus que les films qui me plaisent.
RépondreSupprimer@Emmanuelle : comme d'autres commentaires, le votre souligne la question du pouvoir. Dire "mais on se moque de tout le monde", c'est oublier que l'on est pas tous égaux face à la blague, et que tout le monde n'a pas les ressources nécessaires pour mettre à distance une blague... ou pour la transformer en arme qui produit discrimination, inégalités, etc. Un simple exercice : si on remplace "blonde" par "blond", la plupart des blagues sur les blondes ne sont plus drôles... On ne se moque pas de tout le monde.
@Julie Marin : Je manque de temps pour répondre en détail, mais vous pouvez consulter mes autres billets sur l'humour, particulièrement les deux premiers. J'y traite cette question.
@Myroie : je n'ai pas de solution, mais j'ai quelques espoirs dans la possibilité d'utiliser la métaphore du rugby (j'aurais dû l'intégrer au billet si j'en avais eu l'idée à temps). J'essayerais en tout cas.
@Rudi : le propos du billet n'était pas d'analyser les blagues elles-mêmes, mais seulement les réactions de défense de celles-ci. Je trouve cependant bien optimiste et surtout très problématique que de penser que si le cadre de l'interaction est tel que tout le monde sait que c'est une blague, il n'y a pas vraiment de problème. Cela ne marche que si on limite le cadre à deux personnes, ou aux moins aux seules personnes qui ont le pouvoir de le définir. Sans doute, s'appeler entre soi "sale nègre" est un moyen de s'assurer de sa proximité avec l'autre... Mais la question est alors "pourquoi ce choix de blague ?". On pourrait juste se traite de con, d'imbécile, de pingouin, de ce que l'on veut. Mais on choisit si souvent des groupes minoritaires et/ou dominé. Et on revendique le droit de le faire. Et là, interroger le fonds est absolument essentiel. Parce que ce fond, c'est le pouvoir et la domination.
@Quidman : Comme je le dis à Rudi, je passe que l'ajout de la notion de cadre ne change rien ici à mon propos, et pourrait même le renforcer. Car la question n'est pas tellement un désaccord sur le cadre que le pouvoir d'imposer celui qui me convient. Les privilèges dont je parle dans le billet, c'est cela. Et pour rependre la métaphore de début de commentaires, il s'agit de fixer comme cadre un terrain de rugby où l'on est sûr d'être le plus fort...
@Martin Scribelus : honnêtement, je pense n'avoir fait preuve d'aucune complaisance quant à ceux qui utilisent cette excuse. Et vu les trolls que j'ai eu sur les précédents billets, je pense qu'ils sont au courant.
Assez d'accord. Je ne veux pas dire qu'il n'y a pas de problème si tout le monde sait que c'est une blague (dans une parenthèse je dis au contraire que c'est compliqué). Ok pour ne pas minorer la question du fond, même si une même blague peut dénoncer l'absurdité de la domination ou au contraire la valider selon le contexte. Sinon le fond d'une blague est culturel (même si rire de la sexualité serait paraît-il universel), en rapport aux normes et aux valeurs en place. La norme sous-jacente aux blagues sur les blondes est par ex "les femmes sont stupides", et les gens (même des femmes) ne peuvent rire que si ils/elles y adhérent au moins inconsciemment. (Je reformule : personne ne trouverait ça drôle dans une société sans domination masculine). Pour bien le comprendre il suffit de modifier mentalement les blagues en remplaçant par autre chose (les hommes blonds ou pourquoi pas les schtroumpfs). (Je m'éloigne probablement trop du thème du billet.)
RépondreSupprimerBonjour.
RépondreSupprimerJ'ai dévoré tout les articles de votre blog et j'ai beaucoup aimé votre analyse qui colle bien avec ce que j'éprouve moi-même devant certaines "blagues".
Pourrais-je donc vous demander votre analyse sur cette chanson de Giedré intitulée "l'amour en prison" qui m'a fait bien rire jusqu'à ce que je réalise l'horreur du truc:
http://www.youtube.com/watch?v=oOXq9ZD10yo il me semble que dans ce cas précis, l'humour vient de l'inversion des rôles (une fille qui plaque son mec parce qu'il se fait violer en réunion dans une prison) mais en même temps, ce genre de situation ressort parfois dans les fait divers et les mecs concernés ne doivent pas franchement pisser de rire non plus...
Bon, ça ne rentre pas en un seul commentaire, du coup, j'en fais deux!
RépondreSupprimerAlors, je vais reprendre méthodiquement mon argument, que j'admet avoir mal développé en première instance.
Pour cela commençons par redéfinir la situation que vous avez choisi d'analyser :
"Ce sont des petites remarques qu'il n'est pas rare d'entendre. Généralement, le contexte est le
suivant : quelqu'un fait une blague qui, pour une raison ou une autre, blesse quelqu'un d'autre
ou soulève chez celui-ci une certaine indignation ; ce dernier le fait savoir ; le premier réponds
alors que ce n'est que de l'humour et que ce n'est pas important."
Pour l'analyser, vous partez de la notion d'embaras, et de mécanisme de réparation propre à Erving Goffmann (dont vous faites un très bon résumé).
Ici la blague est selon vous une agression (comme écraser le pied de quelqu'un par accident). Je cite
"Lorsqu'une blague affecte la face d'une personne, lorsqu'elle dévalorise l'identité à laquelle elle
s'attache, en la renvoyant à une image qui lui déplaît, sa réaction va être de défendre sa face :
répondant coup pour coup, il est fort probable qu'elle attaque celle du blagueur, lui reprochant
d'être raciste ou sexiste ou, plus simplement, de manquer de considération envers les
sentiments des autres. Si la blessure faite à l'autre est effectivement involontaire, et si
véritablement l'enjeu est "sans importance", on pourrait s'attendre à ce que l'embarras soit une
réaction logique à cette situation : une façon de maintenir l'interaction avec l'autre ou, tout au
moins, de maintenir la paix dans les relations et sa propre face. Pourtant, c'est rarement la
réaction qui domine."
Et c'est à mon sens là que le bat blesse par rapport à une analyse strictement goffmanienne.
Si l'on reprend la métaphore du pied, il faudrais alors que celui au pied écrasé se mette à hurler contre le maladroit, qui certes dans un premier temps s'excuseras... mais si l'autre persiste à hurler comme quoi c'est scandaleux de se faire marcher sur le pied comme ça etc., le fautif insisteras sans doute pour montrer à la "victime" sa réaction disproportionnée vis à vis de la maladresse initiale (donc non, ce n'est pas comme dans votre exemple de la gifle). Pour moi ici, le premier hurlement de celui qui se fait marcher sur le pied consiste au fait de ne pas rire, et le second, l'insistance, au fait de reprocher une faute morale à la blague.
En fait, s'il y a double peine, c'est parce qu'il y a double enjeu : la définition du cadre qui vient d'échouer (la blague qui n'a pas fait rire, mais à agacé), et aussi la mise en péril d'une identité sociale un peu plus vaste (le "je ne suis pas raciste/sexiste") et que le premier à avoir exprimé une sanction (à mon sens justifiée, mais là n'est pas le sujet) est celui qui reproche à l'autre sa blague "non moralement acceptable".
Le débat porte justement sur "un cadre de blague est hors moralité" et "un cadre de blague ne met pas de côté tout les aspects moraux". Difficile à reprendre avec votre métaphore du terrain de rugby, car ça ferais beaucoup de "si" je vais donc la remanier un peu. La question serait de savoir "est-ce que plaquer l'arbitre fait partie du jeu?" Problème, l'une des deux équipe dis que oui, et l'autre dis que non... et l'arbitre est à l'infirmerie. Ou plutôt, "est-ce qu'on a le droit de blesser l'adversaire dans le cadre d'une action de jeu?" Avec deux équipes donc, qui ne sont pas d'accord sur ce point. Avec comme second reproche des deux côté que l'autre ne sait pas jouer (vu que chacun considère que l'autre joue avec des règles erronées). à savoir ici : "l'autre ne sais pas faire/rire des blagues".
La suite...
RépondreSupprimerEn conséquence, je me dois de revenir sur un second point : il n'y a pas ici de "sacrifice" total de l'interaction, mais la volonté d'une redéfinition de cette dernière (la gravité de la maladresse pour la métaphore, mais si la personne piétinée avait le pied blessé, ce n'est plus la même chose). L'importance ne porte donc pas sur la blague et son contenu, mais bien sur la situation d'interaction "ceci est une blague" et "ceci n'est pas une blague". D'ailleurs, dans fun in games (je n'ai malheureusement pas l'article sous la main, je vous cherche la référence à ce sujet dès que possible), Goffmann évoque le fait qu'il est socialement tout à fait acceptable de détruire (y compris en haussant la voix) une situation qui devient instable au bénéfice d'une autre. D'ailleurs, le fait qu'il insiste sur l'aspect "non important" de la blague est sans doute qu'ils cherchent à clore le sujet (topic) afin de justement ne pas sacrifier la situation d'interaction de "détente" plus globale. Certains voudrons sans doute toutefois aller plus loin dans cette discussion à propos de la morale dans l'humour, domaine dans lequel vous ne manquez pas d'argument (j'ai particulièrement apprécié vos précédents articles sur le sujet).
Votre exemple avec le PDG ne me semble (subjectivement) pas une comparaison valable. Tout d'abord, chez Goffmann, les principes normatifs qui priment, sont... ceux du cadre (avant les autres, puisqu'un cadre s'inscrit dans un autre etc...). Et en second, au vu des points évoqués plus haut, à partir du moment où l'on considère qu'il n'y a ni double peine, ni sacrifice abusif de l'interaction, difficile d'argumenter sur l'existence ou non d'un privilège. Je vous rejoint toutefois en tout point quant à votre analyse suivante :
"On dit que l'humour est la politesse du désespoir. Je pense que l'on peut ajouter que la
revendication d'un droit à se moquer sans être responsable de ses actes est, quant à elle,
l'impolitesse du désespoir : impolitesse parce qu'il s'agit bien de s'attaquer à l'autre plutôt que
de maintenir l'interaction, désespoir parce qu'elle intervient chez des individus qui sentent que
les privilèges qui ont été les leurs pendant longtemps sont désormais remis en question. J'ai
déjà eu cette réaction : "ah mais écoute, si on peut plus faire des blagues sur les femmes, ce
sera quoi après ? On pourra plus faire des blagues sur les noirs, les écossais, les belges...". On
entend aussi régulièrement cette défense : "mais on fait des blagues sur tout le monde !". Sauf
que lorsqu'une blague commence par "un type rentre dans un bar...", tout le monde sait que
même si le type est un homme blanc - du moins, c'est ainsi que vous l'avez imaginé
spontanément en lisant "un type rentre dans un bar" -, ce ne sont pas les hommes blancs qui
sont visés... Sauf que tout le monde a fait l'expérience de blagues blessantes, et que ce que l'on
revendique donc est un droit à blesser. Un privilège. Ni plus ni moins. "
Mais on touche ici à un point extérieur à l'analyse Goffmanienne des cadres. Puisque, comme nous l'avons vu plus haut, pour l'un des camps, ce "privilège" fait partit de la définition de la blague, et que l'autre position réfute ce privilège, et le place comme extérieur au cadre.
Du coup, nous nous rejoignons pleinement sur la conclusion, mais à partir d'une analyse différente. Selon vous, il y a un choix délibéré de dédouanement par la double peine infligé à l'autre, là où selon moi, il y a une lutte sur la définition du cadre...
Je ne pense pas qu'il y ait tant de désaccord que ça : je suis tout à fait d'accord que la lutte se fait sur la définition du cadre... Puisque, comme je l'ai dit précédemment, le privilège réside précisément dans le pouvoir de définir ce cadre. Je suis également d'accord que, en protestant, la personne blessé met en cause l'identité du blagueur : c'est également écrit dans le billet. Mais en cherchant à redéfinir le cadre, on met en cause l'identité du blessé - il n'a pas d'humour - et cette redéfinition du cadre en vient donc à l'exclure... Sauf s'il accepte qu'il avait tort de protester.
RépondreSupprimerJe crois que c'est là où nous ne sommes pas tout à fait d'accord. Pour moi, il n'y a pas nécessairement exclusion.
RépondreSupprimerL'autre points porte sur la double peine, qui à mes yeux vient du fait qu'il y a au préalable un double "affront".
Si vous voulez, la question de redéfinir le cadre n'est à mes yeux pas nécessairement une agression (y compris en terme goffmanien). Ou tout du moins, une double agression réciproque, puisque si le blagueur se rabat, cela sous entend qu'il n'a pas d'humour, et dans ce cas là, c'est l'agressé qui bénéficierais d'un privilège (ce serais alors sans fin).
A mes yeux, d'un point de vue strictement Goffmanien, la situation n'est pas spécialement problématique/violence, mis à part qu'il y a une rupture de cadre (qui est entamée dès l'instant où la blague échoue).
Mais je vous accorde que toute ces questions sont des pinailleries (mais j'aime bien pinailler :p)
Et surtout, je suis pleinement d'accord pour dire que c'est une sortie de conflit qui n'est pas du tout satisfaisante en cas d'atteinte morale, car l'argument semble léger. (dans le sens où en cas d'atteinte morale, l'affront ne porte pas que sur le manque d'humour du blagueur, mais aussi sur sa responsabilité, sur le poids porté par la blague etc...)
Mon problème a moi, c'est que j'ai tendance à m'excuser quand on me marche sur les pieds.
RépondreSupprimerMais je vous rassure, je me fais soigner pour ça.
Le passage sur "Un type entre dans un bar..." m'a fait penser au sketch de Coluche "C'est l'histoire d'un mec... Un mec normal, hein. Blanc." Ça fait pas mal de temps que je considère cette introduction comme une déconstruction.
Bonjour,
RépondreSupprimerc'est un plaisir de vous lire de nouveau.
À la lecture de votre article, je me suis demandée si les situations très codifiées n'était justement pas là pour empêcher toute intrusion de la subversion; et si, par extension, les sociétés où les rapports entre leurs membres étaient extrêmement codifiés n'étaient pas plus conservatrices (comme par exemple au Japon ou en Corée). Si on évite tout moment d'embarras, on a moins d'occasion de se demander d'où il provient, et donc de remettre en cause la hiérarchie.
Merci pour "la chef de service et le secrétaire" :)
Bonjour,
RépondreSupprimerD'abord je tiens à vous remercier pour votre blog, qui m'offre de quoi réfléchir et de quoi me battre en même temps. Grâce à vous et à d'autres que vous citez (Genre! ; Les entrailles de Mademoiselle) je suis plus que convaincue de la nécessité d'être féministe, de militer, mais aussi d'utiliser les outils de la sociologie et de répandre cette science dans l'univers scolaire. Bref, pour vous rendre la pareille, étant donné que je travaille sur Céline, un essai que je lis me fais penser à vos articles sur la culture troll ainsi que sur l'humour et le "politiquement incorrect" : Philippe Roussin, Misère de la littérature, terreur de l'histoire, Céline et la littérature contemporaine, qui interroge notre littérature et nos modes de pensée à partir de cet auteur. Puisque c'est un gros pavé, je vous dirige surtout vers le chapitre "La politique de la terreur". Une citation au hasard: " Celui qui parle en déclarant avoir perdu le contrôle de lui-même clame, en fait, qu'il ne saurait être tenu en rien par les règles communes de l'argumentation et de l'échange et que celles-ci, hors jeu, ne s'appliquent pas à son dire".
Et j'ajoute notamment, p. 474, à propos des pamphlets antisémites de céline. "parce que la vérité ne saurait être dite que par le langage qui passe la frontière des tabous et des interdits de langage, cela signifie que sont alors justifiées et deviennent permises toutes les manières socialement et symboliquement illégitimes du discours (...) la parrhésie est la figure centrale de la rhétorique de la terreur chez celui qui prétend parler en étant le seul à appeler les choses et les êtres par leur nom (...) [c'est à dire] l'action de tout déclarer, le pouvoir de tout dire, le franc-parler du philosophe cynique. "
RépondreSupprimer"Oser? Le français moyen? avouer, faire entendre, directement, qu'il n'aime pas les Juifs" (Bagatelles pour un massacre) . Le parallèle qu'on peut établir avec vos analyses est assez vertigineux quand on connaît le contexte et le contenu de ces pamphlets.
Moi j'aime bien les blagues racistes, les blagues misogynes, les blagues sur les handicapés, sur les gros, sur les hippies, sur les flics, sur les blondes (surtout sur les hippies en fait) ... Et je pense que si on devais arrêter de faire ce genre de blagues, il n'en resterais plus beaucoup. J'ai la flemme d'argumenter, ce message n'a donc pas grand intérêt si ce n'est celui de dire que je suis pas d'accord. C'est tout. Cependant, si quelqu'un me dit être blessé par ma blague (ce qui n'arrive pas en fait), je serais probablement embarrassée. Ce qui ne m’empêchera pas de lui rétorquer "c'est de l'humour", l'un n'empêche pas l'autre, selon moi.
RépondreSupprimerEt des blagues sur les hommes blancs hétéro cis, vous en faites beaucoup ? Je veux dire des blagues qui ne peuvent être drôle que si le personne est un homme blanc hétéro cis ? Je trouve que cette idée - "si on peut plus rire des noirs, des blondes, des handicapés, on va rire de qui, hein, franchement ?" - pose de sérieuses questions.
RépondreSupprimerJ'en fait pas parce que j'en connais pas, mais si vous m'en sortez une bonne (c'est pas votre truc, j'ai bien saisi l'idée, mais admettons) et bien je la ressortirai bien volontiers! Je ne vois pas pourquoi on ne pourrai pas en rire en tout cas.
RépondreSupprimerJ'ai bien lu tout votre article.
RépondreSupprimerLorsque Patson fait des blagues sur les blancs et nous traite de lâches, pourriez vous m'expliquer de quelle façon je devrais me sentir offensé ?
Merci bien !
Bonjour Monsieur. Je suis venue sur votre blog via un lien sur l'article de Mar_Lard, et j'apprécie beaucoup votre blog. La série des articles sur la sociologie de l'humour m'ont beaucoup plu et m'ont apporté certaines clés pour exprimer ce que je pensais sur ce sujet. Je souhaiterais faire partager vos articles et votre blog en général via un article sur mon nouveau blog (http://matieres-a-penser.blogspot.com). Il s'agit pour moi d'y présenter des articles, blogs, sites, textes ou vidéos qui m'ont fait réfléchir, et que je trouve pertinents. Ai-je votre autorisation ? Merci par avance de votre réponse, et dans tous les cas merci de votre travail.
RépondreSupprimerTant que vous respectez les règles d'utilisation (http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/ et http://uneheuredepeine.blogspot.fr/2007/05/en-attendant.html), il n'y a pas de problème. Je préfère cependant les citations avec liens aux reproductions intégrales.
RépondreSupprimerMerci de votre réponse. Je n'avais pas l'intention de proposer une reproduction intégrale, mais un article où je parle un peu de votre blog pour le présenter (en m'appuyant sur votre propre présentation), et ensuite les liens associés aux articles de votre blog. je vais jeter un coup d'oeil aux règles d'utilisation. Bonne continuation.
RépondreSupprimerje relis cet article. et je ressens la m^me chose que la première fois que je 'lai u: du soulagement.
RépondreSupprimertout y est le fond , la forme, l'intelligence la finesse. je ne par le pas que d'intellect mais aussi de la blessure et de la frustration ressentie tant de fois.
et cette très belle formule...l'impolitesse du désespoir...
en gros votre article me donne espoir ! alors merci ( et surtout MORE!)
Juliette
Bonjour, je découvre votre blog ; ce petit mot pour signaler que ça fait du bien de lire, pour une fois, "la chef de service et le secrétaire".
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