La campagne électorale tire sur sa fin - il était temps, cela faisait cinq ans qu'elle durait. Les arguments échangés n'y ont jamais été très intéressants, mais les derniers lancés dans la bataille semblent réaliser l'exploit d'être pire encore. "Chaos", "été meurtrier", "scénario à la grecque" ou "à l'espagnole" (avec ou sans tapas ?), fuite des cerveaux ou de ce qui en tient lieu... : voilà ce que l'on nous promet si François Hollande parvient à la présidence. Loin de moi l'idée de soutenir le candidat socialiste : ce blog demeurera neutre jusqu'au bout, un travail facile dans une campagne qui n'a jamais été intéressante. Ces promesses catastrophiques en rappellent cependant d'autres, et la comparaison entre les deux nous dit peut être quelque chose...
En 1981, on nous promettait les chars soviétiques à Paris si, par malheur, François Mitterand était élu. Aujourd'hui, c'est la tornade financière qui menace de nous emporter si jamais le candidat socialiste parvient au pouvoir. Le problème n'est pas tellement l'usage permanent de la peur dans les procédés rhétoriques de la politique. Après tout, identifier l'élection d'un candidat de droite avec le retour du nazisme est un argument qui a pu être usé par l'autre camp. Quand les positions se radicalisent, il faut s'attendre à ce genre de jeu, même s'il faut regretter que cela se fasse au détriment d'un débat un peu plus intéressant - on peut se demander s'il est nécessaire d'en venir à de telles extrémités pour galvaniser les foules, surtout lorsque la répétition des annonces apocalyptiques finissent par les vider de leur sens, ou faire oublier des critiques plus profondes.
Le problème réside bien ailleurs : le dilemme qui était posé en 1981 présentait le capitalisme comme paré de toutes les vertus contre la menace du communisme ; celui que l'on nous sert aujourd'hui est de nature toute différente. Il place l'incarnation même du capitalisme - les "marchés financiers", les agences de notations, etc. - comme nouvel avatar de la menace venue de l'extérieur. C'est eux, et c'est donc lui, le capitalisme, qui menace le pays qui ne ferait pas le bon choix. L'enjeu n'est pas de rester dans le système qui proposerait le plus de libertés et le plus de richesses, mais de s'assurer que l'on ne chutera pas plus bas. Nous ne sommes plus cernés par le communisme, mais par le capitalisme lui-même.
Une telle argumentation, venue de ceux qui pourtant défendent, pour le dire vite, le système, est finalement étrange. Elle se comprend mieux lorsque l'on note que l'usage même du terme "capitalisme" provient toujours du même camp - la gauche. Autrement dit, le capitalisme trouve des critiques pour en pointer les faiblesses et les limites, mais pas de défenseurs pour en dire les vertus et les avantages. Ce champ-là a été déserté, balayé par l'évidence de la crise et l'absence de solutions. Les promesses de "moralisation du capitalisme" sont finalement assez vite tombée dans l'oubli.
De cela, on peut dire au moins deux choses. Premièrement, le système économique dans lequel nous vivons semble nous être devenu à ce point étranger que nous le voyons comme une menace extérieure, semblable à celle qu'incarner hier le système dans lequel nous ne vivions pas. Les termes même de l'aliénation semblent s'être inversés. Difficile de se souvenir que ce système repose d'abord sur nous-mêmes, que c'est nous qui le faisons. C'est cette étrangeté qui permet aussi bien à ses critiques de le désigner comme un adversaire qu'à ses défenseurs de le décrire comme un juge de nos choix. Dans les deux cas, pour que l'opération soit possible, le capitalisme, même lorsqu'il ne porte pas ce nom mais s'appelle "marchés" ou "agences de notation", se doit d'être une force extérieure.
Deuxièmement, les sociologues spécialistes des conflits et des mouvements sociaux ont depuis un certain temps soulignés l'émergence de mouvements "défensifs" : des mobilisations qui visent moins à obtenir une transformation de la société, à proposer un nouveau modèle ou une nouvelle orientation, qu'à défendre l'existant, et notamment les statuts sociaux menacés par la mondialisation et les transformations économiques. On peut se reporter au chapitre consacré à cette question par Lapeyronnie et Hénaux dans cet ouvrage. Alain Touraine va même plus loin puisqu'il parle carrément "d'anti-mouvements sociaux" pour désigner certaines mobilisations qui visent moins à transformer la société qu'en la maintenir en l'état : c'est ainsi qu'il désigne, en tout cas, les grèves de 1995 - on lui laissera la responsabilité de la portée normative de l'expression. De tels mouvements ont souvent pu faire l'objet de dénonciations véhémentes de certains, et particulièrement de ceux qui, traditionnellement, défendent le capitalisme et ses transformations - que l'on se souvienne du débat sur les retraites...
Or qu'en est-il aujourd'hui de cette prophétie d'un feu divin des marchés sur le pays qui ferait le mauvais choix politique ? Il s'agit là aussi de trouver un moyen de défendre des statuts contre une menace extérieure. Certes la stratégie est différente, mais on ne promet pas plus une transformation de la société, une évolution positive qui promettrait quelque chose de "plus", sous quelques formes que ce soit. Les mouvements qui portent le capitalisme seraient-ils devenus des "anti-mouvements sociaux", finalement aussi "conservateurs" que les adversaires qu'ils se plaisent à désigner sous ce terme ? La critique, souvent ironique et pleine de sarcasmes, d'une gauche sans projet, orpheline d'un communisme posé en alternative, incapable d'en trouver une autre, peine finalement à cacher que la droite ne va pas beaucoup mieux : elle non plus, finalement, ne promet rien de bien positif, si ce n'est que l'on ne perde pas trop - les sacrifices pour éviter la peste. C'est finalement peut être pour cela que la campagne est si peu excitante.
En 1981, on nous promettait les chars soviétiques à Paris si, par malheur, François Mitterand était élu. Aujourd'hui, c'est la tornade financière qui menace de nous emporter si jamais le candidat socialiste parvient au pouvoir. Le problème n'est pas tellement l'usage permanent de la peur dans les procédés rhétoriques de la politique. Après tout, identifier l'élection d'un candidat de droite avec le retour du nazisme est un argument qui a pu être usé par l'autre camp. Quand les positions se radicalisent, il faut s'attendre à ce genre de jeu, même s'il faut regretter que cela se fasse au détriment d'un débat un peu plus intéressant - on peut se demander s'il est nécessaire d'en venir à de telles extrémités pour galvaniser les foules, surtout lorsque la répétition des annonces apocalyptiques finissent par les vider de leur sens, ou faire oublier des critiques plus profondes.
Le problème réside bien ailleurs : le dilemme qui était posé en 1981 présentait le capitalisme comme paré de toutes les vertus contre la menace du communisme ; celui que l'on nous sert aujourd'hui est de nature toute différente. Il place l'incarnation même du capitalisme - les "marchés financiers", les agences de notations, etc. - comme nouvel avatar de la menace venue de l'extérieur. C'est eux, et c'est donc lui, le capitalisme, qui menace le pays qui ne ferait pas le bon choix. L'enjeu n'est pas de rester dans le système qui proposerait le plus de libertés et le plus de richesses, mais de s'assurer que l'on ne chutera pas plus bas. Nous ne sommes plus cernés par le communisme, mais par le capitalisme lui-même.
Une telle argumentation, venue de ceux qui pourtant défendent, pour le dire vite, le système, est finalement étrange. Elle se comprend mieux lorsque l'on note que l'usage même du terme "capitalisme" provient toujours du même camp - la gauche. Autrement dit, le capitalisme trouve des critiques pour en pointer les faiblesses et les limites, mais pas de défenseurs pour en dire les vertus et les avantages. Ce champ-là a été déserté, balayé par l'évidence de la crise et l'absence de solutions. Les promesses de "moralisation du capitalisme" sont finalement assez vite tombée dans l'oubli.
De cela, on peut dire au moins deux choses. Premièrement, le système économique dans lequel nous vivons semble nous être devenu à ce point étranger que nous le voyons comme une menace extérieure, semblable à celle qu'incarner hier le système dans lequel nous ne vivions pas. Les termes même de l'aliénation semblent s'être inversés. Difficile de se souvenir que ce système repose d'abord sur nous-mêmes, que c'est nous qui le faisons. C'est cette étrangeté qui permet aussi bien à ses critiques de le désigner comme un adversaire qu'à ses défenseurs de le décrire comme un juge de nos choix. Dans les deux cas, pour que l'opération soit possible, le capitalisme, même lorsqu'il ne porte pas ce nom mais s'appelle "marchés" ou "agences de notation", se doit d'être une force extérieure.
Deuxièmement, les sociologues spécialistes des conflits et des mouvements sociaux ont depuis un certain temps soulignés l'émergence de mouvements "défensifs" : des mobilisations qui visent moins à obtenir une transformation de la société, à proposer un nouveau modèle ou une nouvelle orientation, qu'à défendre l'existant, et notamment les statuts sociaux menacés par la mondialisation et les transformations économiques. On peut se reporter au chapitre consacré à cette question par Lapeyronnie et Hénaux dans cet ouvrage. Alain Touraine va même plus loin puisqu'il parle carrément "d'anti-mouvements sociaux" pour désigner certaines mobilisations qui visent moins à transformer la société qu'en la maintenir en l'état : c'est ainsi qu'il désigne, en tout cas, les grèves de 1995 - on lui laissera la responsabilité de la portée normative de l'expression. De tels mouvements ont souvent pu faire l'objet de dénonciations véhémentes de certains, et particulièrement de ceux qui, traditionnellement, défendent le capitalisme et ses transformations - que l'on se souvienne du débat sur les retraites...
Or qu'en est-il aujourd'hui de cette prophétie d'un feu divin des marchés sur le pays qui ferait le mauvais choix politique ? Il s'agit là aussi de trouver un moyen de défendre des statuts contre une menace extérieure. Certes la stratégie est différente, mais on ne promet pas plus une transformation de la société, une évolution positive qui promettrait quelque chose de "plus", sous quelques formes que ce soit. Les mouvements qui portent le capitalisme seraient-ils devenus des "anti-mouvements sociaux", finalement aussi "conservateurs" que les adversaires qu'ils se plaisent à désigner sous ce terme ? La critique, souvent ironique et pleine de sarcasmes, d'une gauche sans projet, orpheline d'un communisme posé en alternative, incapable d'en trouver une autre, peine finalement à cacher que la droite ne va pas beaucoup mieux : elle non plus, finalement, ne promet rien de bien positif, si ce n'est que l'on ne perde pas trop - les sacrifices pour éviter la peste. C'est finalement peut être pour cela que la campagne est si peu excitante.
Peut-être que la coexistence de deux modèles opposés – le capitalisme étasunien et le communisme soviétique – avait quelque chose de relativement rassurant ; le modèle français, en s’inscrivant quelque part entre ces deux extrêmes, apparaissait comme une éventualité parmi d’autres à l’horizon des possibles. Aujourd’hui, beaucoup reprochent aux Français de ne pas se conformer suffisamment à une certaine vision du capitalisme et dénient l’existence d’une quelconque alternative durable. La société française ne serait qu’une aberration à ramener au plus tôt au coeur de la réalité du XIXe siècle. A cela s’ajoute sûrement le sentiment que le destin français se joue désormais secrètement dans quelque bureau anonyme de Bruxelles. La zone euro, réification des impératifs de la modernité (néo)libérale, apparaît comme un espace de dissolution de la France. La disparition apparente des frontières laisserait la nation exposée aux flux d’immigrés, de capitaux, etc. Le siècle s’est ouvert en exposant le monde à une menace déterritorialisée, ne connaissant aucune frontière. Aujourd’hui, la crise de la dette (un scénario "à la grecque") a remplacé le terrorisme comme retour du refoulé pour toute une civilisation.
RépondreSupprimerTravaillant dans la finance, il me semble que la "colère des marchés" en cas d'éléction de la gauche est un fantasme, et un attrape-nigaud.
RépondreSupprimerEt je suis assez triste qu'on utilise le terme "libéral" comme un épouvantail. Ce n'est parce qu'il a été durablement détourné de son sens qu'il mérite d'être un repoussoir.
A mes yeux le libéralisme correspond à Obama, la droite française est plus un groupe de "capitalistes conservateurs" voire de réactionnaires (en bas à droite, et non en haut à droite, dans le diagramme de Nolan)
Bonjour,
RépondreSupprimerUne faute peut-être à ce niveau là :
semblable à celle qu'incarner hier le système => semblable à celle qu'incarnait hier le système.
Merci pour cet article.
Abosme.
Je me permet de venir bien après la bataille...
RépondreSupprimerLes discours critique envers le capitalisme visait principalement dans cette campagne "le capitalisme financier". La cible n'était pas tant "le marché" en général que ces fameux "marchés financiers" - même la gauche radicale (NPA, FdG) ne proposant pas de fixer les prix des denrées de première nécessité.
Or cela ne me semble pas être une astuce rhétorique que de présenter ces marchés comme une force extérieure à la grande majorité de nos concitoyens. Si Mme Michu participe de la vie économique du pays en achetant ses tomates et pommes de terre au marché du coin, elle s'aventure rarement sur les marchés dérivés qui constitue pourtant le premier flux de transactions...
Une proposition comme "Difficile de se souvenir que ce système repose d'abord sur nous-mêmes, que c'est nous qui le faisons." me semble grandement erronée. La plupart des gens n'ont aucune idée de comment s'organisent les échanges économiques, et de quelles règles juridiques les encadrent. Ce qui est bien compréhensible au vu de la complexité croissante de la chose. A fortiori, ils ignorent quelles réformes sont possibles pour éviter que une crise financière comme celle de 2009 ne se reproduisent. La responsabilité de cette crise financière ne repose pas sur les gens du commun, quand bien même ils y ont participé (par le surendettement des ménages américains). Ce sentiment de dépossession, d'aliénation comme vous dîtes, me semble ainsi très justifié. La plupart des acteurs économiques subissent les conséquences des décisions prises par d'autres, dont ils ignorent jusqu'à l'existence.