Une excellente question posée par Sylvia Faure dans son intervention au colloque de l'EHESS "Quel avenir pour les sciences sociales ?" et reprise sur le blog Agora/Sciences Sociales. Soumises à l'injonction de plus en plus forte de fournir à leurs étudiants des débouchés "professionnels", les universités adoptent une attitude ambivalente, entre critique et acceptation de cet objectif. Il est sans doute temps de poser la question.
La "professionnalisation" des études universitaires est, comme beaucoup de termes à la monde, un concept un peu creux, reposant sur un sens commun peu interrogé. Pourquoi pense-t-on que les études de sociologie sont peu "professionnalisantes" ? Parce que la plupart des gens qui se posent la question ne sont pas des sociologues. Ils se bornent le plus souvent à regarder les taux de chômage à la sortie, ou le temps d'accès à un CDI, ou tout autre indicateur de ce même genre. Mais il faudrait prêter un peu plus d'attention à l'ensemble des faits et non seulement à une partie : qui sont les étudiants inscrits en sociologie ? D'où viennent-ils et que veulent-ils y faire ? Savoir d'où ils partent et ce qu'ils auraient pu obtenir sans les études de sociologie serait une bonne base de départ.
Savoir où ils veulent aller est aussi une bonne chose. Sylvia Faure écrit ainsi :
On devrait aussi s'intéresser à ce qu'apprennent effectivement les étudiants de sociologie, et se demander si les difficultés qu'ils peuvent rencontrer sur le marché du travail sont réellement liées au contenu du diplôme ou à certaines formes de conventions ayant cours sur ce marché. Syvia Faure rappelle avec beaucoup de justesse que le sociologue reste un grand inconnu :
Faute d'une connaissance réelle de ce qu'est la sociologie, et donc de ce que l'on peut apprendre en la pratiquant, on peut supposer que les employeurs aient quelques réticences. Cela ne met nullement en cause les apprentissages réalisés lors du cursus en sociologie : apprendre à mener une recherche, comme l'évoque Sylvia Faure, met en jeu des qualités d'organisation, d'abstraction, de réflexion qui seraient à même d'intéresser bien des entreprises. Mais qui peuvent aussi constituer un bon préliminaire à la poursuite d'autres études.
Autre convention : ce mythe que les établissements d'enseignement devraient fournir des salariés prêt à l'emploi aux entreprises. C'est oublier que celles-ci ont besoin dans tous les cas de former le nouveau venu, de lui transmettre les routines propres à l'entreprise et qui sont le coeur de celle-ci (on peut se reporter aux approches dites évolutionnistes en économie des entreprises). Il n'est pas possible d'avoir un travailleur immédiatement opérationnel. Et l'externalisation de la formation devrait avoir un coût...
Evidemment, ces conventions n'existent que parce que le marché du travail est ce qu'il est : le rapport de force est évidemment en faveur des employeurs en période de fort chômage. Dès lors, face à l'incertitude de ceux-ci quant à la qualité des personnes qui se présentent à eux, il n'est pas étonnant qu'ils aient recours à des "réducteurs d'incertitude" : se tourner vers ce qu'ils connaissent, exiger plus...
Alors, la sociologie doit-elle être professionnalisante ? Sans doute peut-on réfléchir à la mise en place de quelques masters professionnels de plus. Mais doit-on soumettre tout le cursus universitaire à cet impératif ? Certainement pas. Pour la simple est bonne raison que la sociologie est déjà professionnalisante : elle transmet déjà à ses étudiants des savoirs et savoir-faire indispensables à la réussite de leurs projets professionnels, quelque soit le cadre où ceux-ci s'inscrivent. Elle peut certes chercher à le faire plus, mais elle n'a certainement pas à changer sa philosophie.
Sur ce thème, on pourra également lire l'article d'Odile Piriou "Que deviennent les diplômés de sociologie ? Un état de la discipline et de son avenir" sur l'excellente revue en ligne Socio-logos.
La "professionnalisation" des études universitaires est, comme beaucoup de termes à la monde, un concept un peu creux, reposant sur un sens commun peu interrogé. Pourquoi pense-t-on que les études de sociologie sont peu "professionnalisantes" ? Parce que la plupart des gens qui se posent la question ne sont pas des sociologues. Ils se bornent le plus souvent à regarder les taux de chômage à la sortie, ou le temps d'accès à un CDI, ou tout autre indicateur de ce même genre. Mais il faudrait prêter un peu plus d'attention à l'ensemble des faits et non seulement à une partie : qui sont les étudiants inscrits en sociologie ? D'où viennent-ils et que veulent-ils y faire ? Savoir d'où ils partent et ce qu'ils auraient pu obtenir sans les études de sociologie serait une bonne base de départ.
Savoir où ils veulent aller est aussi une bonne chose. Sylvia Faure écrit ainsi :
La plupart de ces étudiants ont entamé un cursus en sociologie en vue d’attendre une réorientation ou de passer un concours : celui d’une école d’éducateurs spécialisés, d’un IUFM ou encore un autre concours administratif, mais également d’entamer un Master professionnel dans une autre université, voire d’entrer directement sur le marché du travail.Débouchés difficiles, appelés à le devenir de plus en plus, et sur lesquels il serait bon de s'interroger - comme pour toutes les universités qui accueillent des élèves déçus de ne pas avoir pu obtenir un BTS ou une autre formation sélective, et qui patientent en attendant autre chose.
On devrait aussi s'intéresser à ce qu'apprennent effectivement les étudiants de sociologie, et se demander si les difficultés qu'ils peuvent rencontrer sur le marché du travail sont réellement liées au contenu du diplôme ou à certaines formes de conventions ayant cours sur ce marché. Syvia Faure rappelle avec beaucoup de justesse que le sociologue reste un grand inconnu :
A contrario, la sociologie est particulièrement soumise à ces questions (en Licence et en Master, puis en doctorat), du fait que c’est une discipline largement méconnue (que fait le sociologue ?) et,me semble-t-il, qu’un important a priori s’exprime sur les capacités scolaires des étudiants : pas besoin d’être « bons » pour faire de la sociologie, pas de niveau scolaire exceptionnel pour y entrer et réussir ses examens ? Le sens commun ignorant ce en quoi consiste le fait de faire de la sociologie vient finalement en renfort de la destruction (par l’Etat et les responsables politiques) de cette petite bourgeoisie d’Etat dont parlait Christian Baudelot, composée largement de fonctionnaires de l’éducation, de la formation, de la santé, de la culture ou de la recherche, et des métiers associés auxquels se destinent largement les étudiants venant en sciences sociales et humaines.
Faute d'une connaissance réelle de ce qu'est la sociologie, et donc de ce que l'on peut apprendre en la pratiquant, on peut supposer que les employeurs aient quelques réticences. Cela ne met nullement en cause les apprentissages réalisés lors du cursus en sociologie : apprendre à mener une recherche, comme l'évoque Sylvia Faure, met en jeu des qualités d'organisation, d'abstraction, de réflexion qui seraient à même d'intéresser bien des entreprises. Mais qui peuvent aussi constituer un bon préliminaire à la poursuite d'autres études.
Autre convention : ce mythe que les établissements d'enseignement devraient fournir des salariés prêt à l'emploi aux entreprises. C'est oublier que celles-ci ont besoin dans tous les cas de former le nouveau venu, de lui transmettre les routines propres à l'entreprise et qui sont le coeur de celle-ci (on peut se reporter aux approches dites évolutionnistes en économie des entreprises). Il n'est pas possible d'avoir un travailleur immédiatement opérationnel. Et l'externalisation de la formation devrait avoir un coût...
Evidemment, ces conventions n'existent que parce que le marché du travail est ce qu'il est : le rapport de force est évidemment en faveur des employeurs en période de fort chômage. Dès lors, face à l'incertitude de ceux-ci quant à la qualité des personnes qui se présentent à eux, il n'est pas étonnant qu'ils aient recours à des "réducteurs d'incertitude" : se tourner vers ce qu'ils connaissent, exiger plus...
Alors, la sociologie doit-elle être professionnalisante ? Sans doute peut-on réfléchir à la mise en place de quelques masters professionnels de plus. Mais doit-on soumettre tout le cursus universitaire à cet impératif ? Certainement pas. Pour la simple est bonne raison que la sociologie est déjà professionnalisante : elle transmet déjà à ses étudiants des savoirs et savoir-faire indispensables à la réussite de leurs projets professionnels, quelque soit le cadre où ceux-ci s'inscrivent. Elle peut certes chercher à le faire plus, mais elle n'a certainement pas à changer sa philosophie.
Sur ce thème, on pourra également lire l'article d'Odile Piriou "Que deviennent les diplômés de sociologie ? Un état de la discipline et de son avenir" sur l'excellente revue en ligne Socio-logos.
6 commentaires:
Nous n'avons pas ce problème en économie, les entreprises ont toujours besoin de nos compétences (manipulation de lagrangiens, voire de hamiltoniens) et de gens qui pensent qu'une entreprise ne devrait pas réaliser de profit à l'équilibre.
De manière plus sérieuse il serait intéressant de comparer a contrario ce que les recruteurs pensent des filières qu'ils aiment bien avec le contenu réel de ces filières (mais peut-être existe-t-il des travaux sur la question), je ne suis pas sûr que le quotidien d'un économiste, d'un physicien ou d'un historien soit beaucoup mieux connu que celui d'un sociologue.
Pas faux : ce n'est pas la connaissance réelle d'une filière qui est en jeu, mais ce que l'on croit en savoir...
"Pour la simple est bonne raison que la sociologie est déjà professionnalisante : elle transmet déjà à ses étudiants des savoirs et savoir-faire indispensables à la réussite de leurs projets professionnels, quelque soit le cadre où ceux-ci s'inscrivent."
Le problème n'est malheureusement pas là, mais plutôt au niveau du "signal" qu'envoie le diplômé de sociologie sur le marché du travail. Un autre exemple d'actualité, les étudiants fortement engagés dans la mobilisation actuelle apprennent à développer de nombreuses compétences utiles dans la sphère de l'entreprise : capacité d'organisation, efficacité, travail en groupe, prise de parole et argumentation, etc... Mais allez mettre sur votre CV comme expérience "Mobilisation", et dans de nombreux cas ça risque de se retourner contre vous!
Un autre problème est la construction d'un projet personnel "réaliste". Progressivement les enseignants mettent en garde leurs élèves contre la faiblesse des débouchés professionnels (pour l'instant surtout au niveau du recrutement dans le supérieur avec un doctorat), de nombreux étudiants en SHS et Lettres, prennent conscience sur le tard des problématiques des débouchés (notamment quand ils s'aperçoivent que seuls quelqu'un réussiront les concours du CAPES et de l'Agreg).
Face à cela, "la mise en place de quelques masters professionnels de plus" ne risque pas de changer grand chose. Néanmoins, il existe des pistes de réflexions.
D'abord, les stages qui, lorsqu'ils sont réalisés dans de bonnes conditions (au moins au niveau de la formation apportée), sont souvent bien vécus par les étudiants, et leur permettent d'affiner leur projet professionnel. Ils mériteraient aussi d'être davantage rémunérés.
Une autre piste proposée par Alain Renaut dans son dernier livre sur les politiques universitaires, et qu'il a mis en place dans le Master recherche Philosophie et Sociologie qu'il dirige à la Sorbonne, et de tout en conservant les mêmes exigences académiques, de favoriser la reflexion sur des questions contemporaines telles que l'éthique ou le multiculturalisme, qui permettent de façonner des profils plus "vendeurs" tout en continuant à rester dans des savoirs académiques. A cela s'ajoute des modules optionnelles sous la forme de DU qui sont clairement professionnalisant.
Ces pistes permettent à la fois à l'étudiant de savoir un peu mieux ce qu'il veut faire, une fois qu'il a réalisé que les débouchés classiques (pour lesquels il n'a pas nécessairement la vocation) lui sont relativement fermé, et de donner un meilleur signal aux entreprises, sans devoir pour autant professionnaliser à outrance les parcours comme c'est le cas des filières pro. Cela nécessiterait cependant un changement de mentalité chez les universitaires qui est loin d'être gagné.
Je connais des personnes qui ont une formation de sociologue et qui font une belle carrière dans mon entreprise, ou qui en ont fait de belles ailleurs
Sur les réticences des entreprises, il peut y avoir la réaction des dirigeants qui se rassurent en prenant des gens comme eux, cad ayant fait une école de commerce ou d'ingénieur
Mais les DRH ayant de plus en plus souvent une formation en sciences humaines devraient être ouverts aux étudiants issus de ces formations
Je discutais justement il y a quelques jours avec une cliente travaillant dans un service RH,issue de la fac avec 7 ans d'expérience professionnelle
Elle me faisait remarquer qu'un bac +5 universitaire ne donnait pas réellement d'information sur le niveau du titulaire, qui pouvait être très variable, alors qu'on savait assez bien ce qu'on pouvait attendre de quelqu'un sortant d'une école de commerce
Quand on sait que les recruteurs n'aiment pas prendre des risques...
Mon expérience personnelle m'amène à une conclusion semblable : 3 exemples
Nous avons embauché cet été deux personnes sortant de Sciences po de l'option qui prépare à l'ENA
La première est d'un excellent (pour ne pas dire exceptionnel) niveau
Nous n'avons pas pu garder le second qui non seulement n'était pas bon en raisonnement mais en plus n'écoutait pas ce qu'on lui disait
Autre exemple, une personne ayant un bac +4 en sociologie et un DESS RH et que nous avons trouvé à l'usage pas très bonne. Du coup, nous avons lu son rapport de DESS qui lui avait valu un 16, qui portait donc sur des questions que nous sommes capables de juger, et que nous avons trouvé affligeant
Enfin, j'ai travaillé chez un client avec le titulaire d'un doctorat en ergonomie, sur des questions touchant de très près au sujet de sa thèse. Je dois dire que sur le sujet que nous avons étudié, il n'a rien apporté sur le plan de l'ergonomie (dit autrement, j'en savais autant que lui!). De manière générale ses facultés de raisonnement n'étaient pas très bonnes : si je n'avais pas su qu'il avait un doctorat, j'aurais pensé qu'il avait un bac + 2 ou 3 !
A coté de cela, je rencontre tous les jours des personnes issues de la fac et ayant un très bon niveau
On peut se demander si ceux qui trouvent difficilement du travail sont ceux qui ne sont pas au niveau ou si l'hétérogénéité des niveaux dévalorise la filière toute entière
D'un côté, tout à fait d'accord avec votre point de vue, l'université est avant tout le lieu d'apprentissage et de recherche sur des "disciplines" et doit le rester.
d'un autre côté, je m'aperçois que vous êtes vous-mêmes professeur, et donc cela fait longtemps que pour vous la question du débouché est éludée..., qu'en est-il de celle des étudiants de cette voie qui après les 1ères années fleuries, s'aperçoivent que dans 1 ou 2 ans il faudra chercher du boulot et de des 90% qui n'ont rien trouvé ou si peu 1 ou 2 ans passés la fin de leurs études ?
Je voudrais bien avoir les sources de ce 90%... Pour le reste, je ne peux que répéter ce que j'ai dit dans le billet : la "professionnalisation" des études est une jolie expression tout ce qu'il y a de plus creuse ; il faudrait plutôt que les entreprises reconnaissent les compétences qu'acquièrent déjà les étudiants dans la plupart des filières et acceptent que c'est à eux aussi de faire un travail de formation (il y aurait long à dire, sur ce dernier, sur la vaste fumisterie que constituent a plupart des stages...).
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